vingt-deux

J-70

9 octobre 2020, 14h04
Lycée Paris
Kylian Mbappé

Elle a pas encore remarqué ma présence, mais elle est plutôt intéressée par les photos de l'émeute d'hier soir, sur Instagram. Elle zoome une photo dans laquelle elle apparaît. Elle se tient devant les flics, juste avant qu'elle se prenne un coup dans l'estomac. D'ailleurs, les flics sont encore au lycée, bordel. Ma mère ne veut rien entendre. Je racle la gorge, elle sursaute.

Lila : Kylian ? Je... euh... pardon, euh, je savais pas que t'étais là. Euh, on commence ?

Kylian : Il faut que je te dise quelque chose. Je suis désolé, mais il va falloir qu'on arrête nos cours. J'ai énormément appris avec toi, donc merci, mais il vaut mieux qu'on en arrête là.

Ça me fait mal de la laisser, seule et perdue. Elle, qui a encore une mine affreuse, visage pâle, grosses cernes. Je suis persuadé qu'elle ne dort plus. Je suis déjà passé par-là, je connais ça. Ma mère pense qu'elle doit souffrir du trouble de stress post-traumatique.

À vrai dire, j'ai menti. Comme d'habitude. Je suis encore nul à propos des cours, mais il vaut mieux que Lila arrête de traîner avec moi, il vaut mieux qu'elle sorte de ma vie et qu'elle connaisse pas la vraie histoire, sinon elle aura des problèmes. Si elle traîne trop avec moi, on va lui faire du mal et je refuse qu'on la touche. Alors, il vaut mieux prendre nos distances. C'est pour son bien, je dois la protéger.

Marco me rejoint, dans le couloir.

Marco : Bien ou quoi ?

Kylian : T'habites dans l'coin ou quoi ? On  check en rigolant.

Marco : Tema mon chapeau. Tu veux l'essayer ?

Kylian : Nan, ça va me décoiffer.

Marco : T'as pas de cheveux, mec. Je tape l'arrière de son crâne. Aïe. Alors...

Kylian : Alors quoi ?

Marco : La petite Grey, elle t'a tapé dans l'œil, hein ?

Kylian : Mon œil va très bien, merci.

Marco : Arrête de vesqui, mec. Tu sais très bien de quoi je parle.

Kylian : Pas du tout.

Marco : Tête de melon, va. Gros con.

Kylian : Ferme ton bec, vieux hibou.

On se chamaille encore jusqu'à ce qu'on entende une voix féminine dans les hauts-parleurs nous ordonnant d'aller au grand hall. Encore ?

Je m'installe dans les gradins, aux côtés d'Ousmane et Marco. La salle devient silencieuse lorsqu'Ester, notre présidente, arrive sur scène. Micro devant les lèvres, elle commence à parler :

Ester : Merci à tous d'être venus. Vous vous rappelez quand je vous ai dit que le lycée connaîtra de grands changements ? Eh bien, il est temps de changer les choses, il est temps de dire haut et fort que les flics aillent se faire foutre !

Du brouhaha se fait entendre dans le grand hall, des chuchotements par-ci, des cris de joie par-là. Pendant ce temps, je reçois un SMS de ma mère.

Maman :
L'infirmière m'a dit qu'elle a trouvé des traces d'amphétamines dans le sang de Lila Grey. Est-ce que c'est normal, ça ?!

Amphétamines ? C'est de la drogue. Pourquoi elle prend cette merde ?

Ester : Vous avez vu hier, ils nous ont humiliés, ils ont fait du mal à un élève qui ne méritait pas cette injustice ! Je suis peut-être blanche, mais je soutiens énormément les personnes noires. Cette injustice doit cesser ! Ici, on se respecte, on est égaux, qu'on soit noirs, asiatiques, homosexuels, bisexuels, femmes, ON SE RESPECTE. La discrimination, le racisme sont punis.

Le public applaudit après cette déclaration. Ses paroles m'ont ému. J'ai pas du tout aimé la façon dont les flics nous ont traités récemment.

Ester : Je répète encore une fois : que les flics aillent se faire foutre ! Vous pouvez dégager, on n'a pas besoin de vous ! Sans eux, on est forts, on reste forts en luttant ensemble, on est des battants, des guerriers ! On est en 2020 et il existe encore des agressions sexuelles dans le monde, même ici, dans ce lycée. Nous sommes entourés de survivants. Des gens que vous aimez souffrent sans que vous le sachiez, en silence. Dites-leur que vous êtes là pour les écouter, entendre vos histoires. Il est temps de faire la connaissance des autres survivants. Elle marque une pause. Je m'appelle Ester Expósito et je suis une survivante.

Il y a un silence de mort jusqu'à ce qu'une élève se lève, dit son nom avant d'ajouter qu'elle est une survivante. Une autre élève répète la même chose. Et ça continue avec un gars de l'équipe de basket. Tous les gens qui se sont levés ont été victimes d'agression sexuelle. Putain de merde.

Emma : Je m'appelle Emma Mackey et je suis une survivante.

Les personnes qui sont restées assises sont pas prêtes à partager leur histoire. Moi, j'en ai une, mais j'assume même pas, j'ai pas la force de la raconter, tellement que j'ai honte de moi. Seule ma mère est au courant.

Lila : Je m'appelle Lila Grey... et je suis une survivante.

Q...Quoi ?!

Elle quitte le grand hall sous nos regards surpris. Je suis... abasourdi. Elle a été victime de...? Putain, mais qui lui a fait ça ?! J'arrive pas à le croire.

Un peu plus tard, on sort du grand hall. Je pousse les gens pour être au premier rang car un nouveau spectacle s'offre à nous. Effectivement, près des casiers, Lila et Cara sont face à face, une nouvelle fois. Derrière Cara, un peu plus loin, je lance un regard noir à Diego.

Je suis pas le seul à être au premier rang, Emma, Paola, Jesse, Maddie sont présents.

Cara : Pourquoi t'as raconté de la merde ? Tu veux qu'on ait pitié de toi ? Non, tu nous fais honte !

Lila : Mais ferme ta gueule un peu, Cara. Laisse-moi tranquille, putain. Tu pourris ma vie, mais t'es tellement tarée que tu devrais te faire interner ! C'est fini, Cara, on a découvert ta vraie personnalité, on sait tous que c'est toi la menteuse, la putain de menteuse ! Oh attendez, pendant qu'on y est, j'ai une nouvelle pour vous, les gars. Cara, mon ex-meilleure amie, me kiffe ! Vous l'avez pas vu venir, hein ? Elle est amoureuse de moi depuis notre rencontre et elle m'a embrassé juste avant de m'étrangler !

Je l'avais jamais vue comme ça. Les élèves sortent leurs téléphones pour filmer. Lila et Cara se bagarrent à présent, j'ai envie de défendre Lila, mais je me retiens. C'est leur problème à elles, je suis pas concerné.

Une boîte blanche tombe de sa poche, Lila s'empresse de la ramasser, mais Cara est plus rapide qu'elle.

Cara : Qu'est-ce que c'est ? J'attrape cette boite et fais face à Grey. Je l'ouvre et c'est bien ce que je pensais. Elle est en danger, c'est pas bon pour son corps, elle qui est sportive. Je la connais, elle a juré de ne jamais prendre de la drogue. Je n'ai qu'une seule tâche à faire : la surveiller. Et je l'ai pas faite correctement. Je m'en veux.

Kylian : Je sais ce que c'est : des amphétamines. Je sais pas comment tu les as procurés, mais c'est de la drogue, Lila. T'es consciente du danger dans lequel tu t'es mise ? Ses yeux s'écarquillent.

Lila : C'est pas à moi, c'est à Emma.

Emma : Quoi ? Sérieusement ?

Lila : Avoue-le, tu prends de la drogue dans notre chambre !

Paola : Je comprends mieux pourquoi t'étais bizarre.

Cara : Lila prend de la drogue comme sa mère, elle veut devenir une junkie. Telle mère, telle fille. Ah putain, l'hippopotame, ferme ta gueule ! Les larmes apparaissent dans les yeux de Lila. Elle tremble, elle baisse la tête, sa respiration est saccadée. Je connais ce sentiment : elle se sent faible.

Lila : Vous croyez que j'aime quand on me harcèle, m'insulte, me rejette, me trahisse ou me viole ? Et si vous vous mettez à ma place, hein ? Oui, on m'a violé, cet été. C'est comme ça, c'est la vie, je dois l'accepter. De toute façon, les bonnes personnes comme moi se font toujours niquer. Et vous savez quoi ? Je vous emmerde ! Oui, vous tous ! Même à vous, Emma, Paola, Jesse, Cara, Maddie, Josephine, Presnel, Kylian, Diego ! Tout le monde ! Je vous emmerde !

Sac sur son dos, elle court jusqu'à la sortie.

Putain de merde.

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BLACK LIVES MATTER ✊🏻✊🏼✊🏽✊🏾✊🏿

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