Chapitre 8 - Partie 2

Il s'était presque transformé devant elle. Essoufflé, Orion eut seulement le temps de se réfugier dans ses appartements avant que le soleil n'ait disparu brusquement à l'horizon, plongeant le ciel dans les ténèbres naissantes, et que le même processus que chaque nuit reprit son cours. Un air désespéré sur le beau visage, il se recroquevilla au sol tandis que les poils ressortaient de sa peau, que ses ongles se courbaient en griffes, que ses mains devinrent pattes. Des pattes velues et animales qui n'avaient plus rien des doigts délicats qu'il avait eu. Il sentit ses oreilles s'allonger, ses pieds se tordre et se revêtir des mêmes poiles drus, laids et rêches.

Cette nuit, la transformation avait encore une fois fait un pas de plus qu'à la nuit précédente.

Il ne lui restait plus que quelques nuits jusqu'à la pleine lune.

Un bruit rauque quitta sa gorge.

Orion laissa sa tête tomber entre ses pattes, sentant son corps trembler et son cœur battre à un rythme fébrile.

Il s'était presque transformé devant elle.

Qu'aurait-elle pensé, la petite Céleste, si déterminée à trouver la bête, si elle l'avait vu dans un état pareil, si elle avait brusquement compris que la bête qu'elle redoutait tant n'était autre que lui ? Qu'aurait-elle fait, si elle avait vu son corps se déformer de la plus grotesque des manières, si elle avait su qu'il avait été devant sa porte la nuit où elle était arrivée ? Si elle avait su qu'il était resté longtemps après qu'elle se soit endormie, l'oreille pressée contre la porte, juste pour écouter le son de sa respiration calme pour calmer sa propre bête ?

Quel imbécile il faisait.

Orion laissa tomber sa tête à moitié en arrière et poussa un rire amer qui résonnait contre les murs épais de sa chambre.

Quel imbécile.

Il avait attendu Céleste pour dîner, de longues minutes durant, sentant le regard d'Adrien peser sur lui. Ce dernier avait finalement proposé de chercher la jeune femme, disant qu'elle avait certainement seulement oublié l'heure. Orion s'était levé et s'était rendu à la bibliothèque à sa place, fou de rage car Céleste avait encore une fois eut l'insolence de lui manquer de respect. Il avait ouvert la porte avec tant de violence qu'il avait failli l'arracher de ses gonds mais s'était brusquement figé en apercevant la créature étrange allongée sur ses fauteuils. Eclairée par la lumière dorée du soleil, Céleste n'avait rien de la paysanne disgracieuse qu'il voyait en elle habituellement. Ses pieds dénudés étaient délicatement allongés sur les fourrures et la lourde robe blanche était remontée jusqu'à mi- mollets et descendu jusqu'en bas des épaules, sa tête allongée sur le livre qu'elle était en train de lire, les joues rougies, les lèvres entrouvertes, les boucles blondes entourant telle un éventail doré le visage paisible. Il n'avait pas voulu la réveiller. Il s'était assis et l'avait contemplée, silencieusement.

Orion se passa une patte sur le visage qui laissa une griffure sur sa joue humaine. Par quels démons avait-il bien pu être possédé ? Lorsque Céleste avait ouvert ses yeux puis sa bouche, il n'avait pu empêcher le dédain et la colère de fuir sa langue à nouveau. Jamais n'aurait-il admis qu'en la regardant, il l'avait trouvée belle. Il préférait qu'elle le prenne pour une bête forte et cruelle qu'une bête désespérée et faiblarde qui n'avait rien d'autre à faire qu'observer une jeune femme dans son sommeil.

Imbécile, répétait une fois encore la cruelle voix dans sa tête.

On toqua soudainement à sa porte.

« Oui ! », rugit-il en relevant la tête. Il entendit Adrien se racler la gorge.

« Mon roi, votre dîner... »

Orion se leva difficilement en poussant sur ses bras et avança sur ses pieds transformés et instable jusqu'à la lourde porte, l'ouvrant d'un geste brusque. Il jeta un regard ennuyé et arrogant comme à son habitude au serviteur qui leva seulement un sourcil devant l'attitude de son maître. Qu'avait bien pu le mettre dans un état de colère pareil? 

« Merci. », répondit Orion, la voix plus dure qu'il n'en avait eu l'intention. Adrien hocha la tête et lui tendit un plateau.

« Votre Altesse, dois-je aussi apporter à dîner à Mademoiselle Céleste ? Elle n'a pas mangé depuis midi et risque d'avoir faim, elle aussi. », ajouta-t-il ensuite poliment, sans se laisser impressionner ni par l'état, ni par le ton de son maître. Celui-ci poussa un grognement dédaigneux.

« Non. Elle n'avait qu'à être là à temps. », cracha-t-il. Adrien souleva un sourcil.

« Monsieur, si vous l'aviez appelée... »

« Assez, Adrien. »

« ... Elle aurait pu dîner à vos côtés. Comment voulez-vous la séduire si-»

« J'ai dit assez ! », rugit Orion et claqua sa porte au nez de son serviteur, restant haletant dans sa chambre, plateau à la main. Il le regarda un instant puis, dans un geste enragé, le lança à travers la pièce jusqu'à ce que les plats métalliques tombent au sol dans un fracas effrayant et que le verre et la carafe en cristal se brisèrent en morceaux. Il se laissa à nouveau glisser au sol et tourna lentement la tête, ses yeux trouvant brusquement un des seuls miroirs restant dans le château. Sa tête se mit à tourner lorsqu'il vit son apparence.

« La séduire... », cracha-t-il amèrement, poussant un rire rauque, les yeux bercés de désillusions. Sans son apparence humaine, il n'était pas fait pour séduire. Sans ses cheveux de jais, son corps musclé à la perfection et son visage doucement arrogant et élégamment sculpté, il n'était rien. Il n'avait pas le charme, pas l'humour, pas la politesse des grands aristocrates, des Casanova poudrés et élégants. De plus, tenait-il réellement à séduire la jeune femme qui logeait dans son château quelques couloirs plus loin, dans la chambre aux roses blanches ? Céleste est votre seule chance, avait dit Adrien. Orion serra les dents. Céleste n'était qu'une... qu'une... A nouveau, le même rire rauque quitta ses lèvres. En insultant la jeune femme, il ne se mentait qu'à soi-même. Céleste était bien plus que lui-même ne serait jamais – plus forte et sûrement bien plus belle que lui. Elle disparaitrait de sa vie dans une semaine et il pourrait ensuite continuer à se saouler dans son propre malheur, comme il le faisait si bien. Il sourit durement. Il ne la séduirait pas. Il ne ferait aucun effort.

Orion observa le miroir quelques instants de plus puis violemment, cogna son poing contre la glace qui, dans un tintement déchirant, se brisa à son tour.

La fée qui l'avait maudit avait eu raison. Il était détestable, aussi détestable qu'un être humain pouvait être et devenir. Il ferma les yeux un instant. Que pouvait-il faire ? Il n'était tout simplement pas fait pour la galanterie et la gentillesse, quand il voulait quelque chose, il ordonnait et quand il désirait une femme... Il n'avait jamais eu à séduire à proprement parler, quelques gestes, quelques mots provocateurs et sourires en coin lui suffisaient auparavant pour les faire tomber comme des mouches. Orion avait toute sa vie considéré les femmes comme faibles et stupides. A cette pensée, ce fut sa tête qu'il avait envie de cogner contre le miroir car ce furent des pensées pareils qui le menèrent à sa perte.

Il regarda par la fenêtre.

La lune était haute dans le ciel, une boule de lumière pâle qu'il détestait plus que tout car lorsqu'elle apparaissait, calme, délicate, comme si rien ne pouvait l'ébranler, son propre supplice ne faisait que débuter. Il grogna et hésita, se sentant dans la pièce où il se trouvait comme un animal en cage.

Lentement, il décida d'ouvrir la porte de sa chambre. Le couloir sombre à l'extérieur était vide et Orion le suivit à pas lent, le corps appuyé contre le mur foncé. Il monta les escaliers sinueux et marcha le longs des couloirs richement ornés jusqu'à soudainement se retrouver devant la chambre de Céleste. Il fronça les sourcils. Comment était-il arrivé là? Il n'en était pas certain. Le roi se passa sa langue sur les lèvres et pris pas un élan de curiosité, fut submergé par l'envie de rentrer dans la chambre. Il voulait voir si l'être féérique qu'il avait aperçu au rayon du soleil dans la bibliothèque fut le même allongé dans un lit somptueux sous la protection des étoiles. Il posa une main sur la poignée tandis qu'un doute lui monta au creux du ventre.

Et si elle ne dormait pas ?, pensa-t-il, inquiet. Orion déglutit et pressa son oreille animale contre la porte. De l'intérieur de la pièce résonnait seulement une respiration régulière et calme, de temps en temps accompagnée de petits soupirs. Il entra en se refusant de douter un instant de plus. Céleste n'avait pas éteint le feu dans sa cheminée et la pièce aux odeurs florales était bercée d'une lumière délicieusement chaleureuse. Orion avança doucement jusqu'au lit à baldaquin, faisant attention de n'émettre pas le moindre bruit. Il posa ses yeux sur Céleste : ses boucles étaient en batailles, ses cils formaient des demi-lunes sur ses joues et papillonnaient de temps à autre. Ses mains, allongées sur le duvet, bougeaient de temps à autre. Orion s'assit au sol et allongea sa tête sur le lit, assez confortablement pour ne pas se tordre le cou tout en continuant à observer la jeune femme en silence.

Ce n'est rien qu'une petite paysanne, se répétait-il sans arrêt, ni belle, ni intelligente.

Pourtant, le roi aux allures de bête resta toute la nuit aux côtés de la jeune femme dans la plus haute tourelle du château : mais dès que l'astre solaire pointa ses rayons à l'horizon, dès qu'il se sentit reprendre forme humaine, il se retira sans un bruit, se jurant de ne plus jamais recommencer manœuvre pareil.

Seulement n'avait-il pas remarqué, pendant un court instant de somnolence, que Céleste n'avait pas seulement papillonné des yeux mais les avait ouverts, découvrant avec une stupeur silencieuse, Orion à ses côtés.

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