Chapitre 8 - Partie 1


« Les hommes sont toujours fascinés par ce qui est le plus éloigné d'eux », Stefan Zweig

Sans un mot, il lui ouvrit la porte et s'avança dans le couloir sinueux et sombre à grand pas. Céleste, même si elle ne marchait pas lentement, devait faire trois pas pour avancer à sa vitesse. Orion ne l'attendait pas une seconde. Lorsqu'elle fut enfin à sa hauteur, la jeune femme leva les yeux vers lui.

« Votre Al – Orion, les tableaux dans votre salle à manger, pourquoi sont-ils détruits ? Ne devriez-vous pas tenter de les réparer ? », demanda-t-elle, prise d'un élan de curiosité en se remémorant les visages déchirés, les peintures en lambeaux, les miroirs brisés. Le roi s'arrêta brusquement, l'air enragé de retour sur son beau visage. Céleste manqua trébucher de surprise.

« N'était-ce pas vous qui, quelques minutes auparavant, avez dit que la curiosité est un vilain défaut ? »

Céleste pâlit, regrettant immédiatement sa question. Le visage fermé, Orion ouvrit une porte et effectua une courbette exagérée.

« C'est par ici. », grogna-t-il, son visage dur, les yeux verts plissés, les mèches ondulées et noirs comme les ailes d'un corbeau s'enroulant sur son beau front. La jeune femme ne dit rien et suivit le roi. La curiosité est un vilain défaut. Elle avait déjà entendu cette phrase quelque part, réalisa-t-elle soudainement. Elle n'arrivait seulement pas à mettre le doigt sur quand exactement. Elle fronça les sourcils en se creusant la cervelle. Ses parents lui avaient répétée cette phrase en boucle, surtout sa mère : mais la jeune femme est maintenant certaine d'avoir entendu une autre bouche prononcer cette phrase. La curiosité est un vilain défaut. Profondément pensive, Céleste trébucha brusquement. Un cri de surprise lui échappa tandis qu'elle vit le sol se rapprocher de son visage pris par surprise. Elle tendit ses bras pour rattraper le poids de son corps qui basculait en avant, mais un bras la retint.

« Faites attention où vous mettez vos pieds, nom de dieu ! », grogna Orion, la lâchant aussi soudainement qu'il l'avait rattrapé, comme si un fer chaud lui avait brûlé les mains. Céleste se redressa, se sentant un peu rougir. Elle remit nerveusement ses cheveux en place et bafouilla un « merci » mal à l'aise. Le roi leva les yeux au ciel et d'un geste de sa tête ennuyé, lui fit signe de passer par la lourde porte encore ouverte. Céleste fit quelques pas puis pénétra à l'intérieure de la pièce. Son cœur manqua un battement tandis qu'elle leva ses mains au visage, stupéfaite, les yeux grands ouverts d'émerveillement. Jamais n'avait-elle vu une bibliothèque – s'il était encore possible de l'appeler par un nom pareil ! – aussi grande, aussi riche, aussi impressionnante. Céleste laissa sa tête basculer dans sa nuque puis la tourna de gauche à droite, ses yeux parcourant la, non les pièces, sans même savoir où se poser. La bibliothèque était un couloir sur deux étages, tout de blanc et or, illuminée par la lumière filtrant par des petites fenêtres tout en haut des étagères ornées d'ornementations dorées et voluptueuses. Un air féérique flottait dans la pièce. Céleste leva à nouveau les yeux vers le haut pour admirer la voûte peinte. Des dorures se mêlaient à des angelots aux visages innocents, paisibles et heureux qui flottaient sur des nuages qui d'en bas semblaient être de petites boules de coton. La jeune femme sourit et fut tentée de fermer ses yeux un court instant pour se laisser imprégner de la douce odeur de papier et de bois.

« La bibliothèque... vous plaît ? », l'interrompit brutalement la voix rauque d'Orion. Céleste rouvrit les yeux en sursautant légèrement. Elle se retourna rapidement vers lui et s'essaya à une courbette gracieuse, les yeux rivés vers le sol carrelé en damier.

« Oui, merci. Elle est magnifique. », murmura-t-elle. Elle releva ensuite les yeux sur le roi. Il la fixait, un sourire doucement mélancolique au coin des lèvres, les bras croisés par-dessus le torse.

« Puis-je... Puis-je rester ici ? », demanda timidement Céleste, la tête délicatement penchée sur le côté. Le roi ne répondit pas immédiatement et la regarda quelques instants de plus. Finalement, il se racla la gorge et réajusta sa chemise élégante et immaculée.

« Si c'est ce que vous souhaitez. », grommela-t-il après s'être passé une main brusque dans les cheveux de jais, « A condition que vous soyez à l'heure pour le dîner. »

Céleste lui offrit un sourire doucement ironique.

« Vous souhaitez donc encore ma présence à table ? », demanda-t-elle et Orion fronça les sourcils.

« Pas particulièrement. », rétorqua-t-il de son habituel ton désagréable, « Mais Adrien ne me laisserait pas manger en paix, si sa petite paysanne ne fut pas confortablement installée en face de son roi. »

La jeune femme sentit son corps se tendre à l'énième insulte que cet homme sans manière lui jetait à la figure sans montrer une seule émotion. Oh, elle en avait assez !

« Je suis navrée, mon roi, mais croyez-moi, je désire aussi peu être ici que vous ne souhaitez me voir assis à votre table. N'ayez crainte : je ne reste qu'une semaine sur demande d'Adrien, un seul mot de sa part et je rentre chez mes parents au village qui eux ne me regardent pas avec mépris à chaque pas que je fais, à chaque mot que je prononce ! Vous, Monsieur, être un rustre, une bête sans manière ! Je pensais pourtant que les rois étaient bien éduqués ! Ne vous a-t-on donc pas envoyé chez des dizaines de précepteurs durant votre enfance ? Vous devriez savoir mieux que moi que les insultes sont là pour être pensées et non dites ! »

Orion esquissa un sourire mesquin.

« Vous ai-je blessée, Mademoiselle ? Pardonnez-moi – ce n'était pas dans mes intentions. »

Céleste serra les dents.

« Allez au diable ! », cracha-t-elle. Le roi recula d'un pas, le visage fermé.

« Ce n'est pas la peine de me maudire, très chère Céleste, car maudit, je le suis déjà. »

Il émit un discret geste de la tête puis se retourna et passa la lourde porte qui se referma derrière lui, lourdement. Céleste resta quelques moments immobiles, les yeux rivés sur la porte en bois, gravée elle-aussi. Elle ferma les yeux quelques instants puis avança jusqu'aux battants imposants pour observer les images joliment incurvées dans le bois. Elle sourit doucement. Des fées en robes légères dansaient d'une gravure à l'autre, faisant virevolter autour d'elles des roses : des fées au printemps, en été, en automne et en hiver. Des fées aux longs cheveux, des fées comme on se les imagine dans un rêve d'enfant. Céleste s'accroupit pour admirer la dernière gravure. Elle fronça brusquement les sourcils. Dans un paysage enneigé dansaient les fées autour d'un loup bestial hurlant à la lune. Ce n'étaient pas les fées qui dérangées la jeune femme, mais bien la bête en leur centre : pourquoi un artiste aurait-il gravé des scènes aussi féériques et gracieuses pour finir avec la représentation d'un tel monstre ? Céleste retraça le loup d'un air absent puis se releva. Elle recula d'un pas et observa les scènes dans leur entièreté.

Soudainement, les scènes eurent quelque chose d'étrangement familier. Pas les fées, pas la magie : mais les roses en hiver. Les roses qui fleurissaient au milieu de la neige. Elle se rapprocha à nouveau et fronça les sourcils. Il n'y avait en fait que la représentation d'une seule rose entourée d'autres fleurs en tous genres. Maintenant, Céleste voyait clairement dans sa tête l'image de la rose qu'elle avait cueilli dans la forêt, la fleur miraculeusement jaillit de la terre froide qui n'avait finalement seulement réussi à lui porter malheur en la faisant retourner dans ce maudit château.

La curiosité est un vilain défaut. La jeune femme se souvint brusquement que le serviteur étrange, qui avait été chargé de la ramener à la maison, était celui qui lui avait dit ces quelques paroles alors qu'elle tentait d'en apprendre plus. Les arbres ont des oreilles, avait-il ajouté. Céleste se redressa. Elle se souvient n'avoir vu aucun serviteur en mettant pied la première fois au château alors que maintenant, il en sortait un de temps à autre. Elle se passa sa lèvre sur la langue tandis qu'un frisson glacé lui descendait l'échine.

Une bête sauvage qui décimait les villageois mais dont l'existence fut déniée par un roi ne se comportant pas comme un tel.

Une rose qui fleurissait dans la neige et qui, une fois cueillie, lui avait fait perdre conscience.

Un serviteur qui semblait ne pas pouvoir se passer de sa présence auprès de son roi.

Un château, que la bête parcourait la nuit, un château aux décors à la fois grandioses et lugubres, un château, dont les couloirs silencieux la faisaient frémir.

Un roi, qui préférait l'aile sombre à celle pleine d'or et de lumière.

Une forêt où les arbres écouteraient les passants.

Céleste déglutit. Tout cela était bien étrange et elle fut brusquement parcourue d'une envie de s'écarter de cette porte qui avait appelée en elle cette peur. Elle avança à travers le couloir et finit par arriver dans la dernière pièce de la bibliothèque où se trouvaient, sur le côté, deux grandes baies vitrées, aux carreaux dorés. Céleste s'approcha de la première et manqua défaillir en regardant à l'extérieur : elle avait vue sur le vide, la bibliothèque se trouvant apparemment sur le bord de la falaise sur laquelle était construit le château. Elle voyait de là des arbres minuscules et des petits chemins qui s'enroulaient. La jeune femme décida de regarder la vue de l'autre fenêtre : elle y alla à petits pas, encore un peu déboussolée par l'image vertigineuse qui s'était incurvée dans ses pensées, sa cheville douloureuse ne lui permettant pas de marcher rapidement. Elle le va les yeux à l'extérieur et les écarquilla de sitôt. Ce qu'elle voyait là avait tout l'air d'un conte : une tourelle plus haute qu'une montagne, à la beauté extravagante et plus richement décorée que toutes les pièces du château qu'elle avait pu voir. Une mosaïque aux couleurs pastels et dorés s'enroulait autour des pierres blanches qui, de temps à autre, étaient ornées de fleurs qui, telle la rose dans la forêt, fleurissaient malgré la neige qui tombait du ciel, malgré le froid qui réchauffait l'air. Comment se fut-il qu'elle n'eut pas encore remarqué cette partie du château ? Elle aurait pourtant dû l'apercevoir en arrivant, avec une telle hauteur ! Céleste se demanda alors ce qui pouvait bien se cacher derrière ses murs. Avait-elle peut-être même été à l'intérieur sans le savoir ?

Elle sourit doucement. Quelle ironie ce serait, si dans les murs de cette merveille architecturale, se trouvait les appartements lugubres et dépourvus d'ornementations du roi sauvage que fut Orion.

La jeune femme décida alors de reporter son attention sur les livres l'entourant. Elle parcourut les rayons, un à un, jusqu'à ce que leur grand nombre la poussa à choisir un livre pour cesser de devoir monter et descendre douloureusement les petites échelles blanches qu'il fallait prendre pour arriver aux sommets des bibliothèques. Elle avança ensuite jusqu'à un fauteuil, près de la dernière vitre, recouvert de fourrures blanches, aussi blanches que la neige qui tombait à l'extérieur. Elle s'installa confortablement dessus. Avant de commencer à lire, Céleste prit soin d'ôter les chaussures qui lui enserraient les pieds, faisaient pression sur sa cheville et lui donnaient mal au talon. Elle défit le haut de sa robe, nouée artistiquement, qui lui coupait la respiration. Enfin, elle libéra ses cheveux clairs de l'emprise des nombreuses petites pinces qui les maintenaient en place. Ils retombèrent en cascade fluide sur les épaules maintenant dénudées de la jeune femme qui soupira d'aise. Elle avait maintenant plusieurs heures paisibles devant elle, sans aucune contrainte, sans aucun roi ne l'insultant sans relâche: elle devait seulement surveiller l'heure pour aller voir la servante à temps, qu'elle lui remette cheveux et robe en place pour qu'elle puisse dîner avec le tyran puis aller se coucher. Elle sourit à nouveau.

Lentement, Céleste ouvrit son livre et se mit à doucement déchiffrer les mots.

~***~

Céleste ouvrit un œil. Le deuxième. Elle sentait quelque chose de dure contre sa joue. Elle releva sa tête d'un bond et regarda les alentours. Elle était encore dans la bibliothèque, dehors, le soleil disparaissant doucement dans un ciel rosissant –

« Vous avez manqué le dîner. », grogna brusquement quelqu'un et Céleste fit un bond de surprise, tournant rapidement sa tête vers l'origine du bruit, les yeux écarquillés.

« Manquer le dîner ? Mais Orion, il ne peut pas être plus tard que-»

« Silence ! », cracha le roi, « Le dîner prend toujours place avant que la nuit ne tombe, Adrien ne vous a-t-il pas prévenu ? »

Céleste serra les poings.

« Non. Personne ne m'en a instruit. Et si vous teniez tellement à ma présence, ce qui, je présume, n'est pas le cas, vous auriez pu tout simplement me réveiller ! Vous saviez où me trouver ! Et puis... et puis depuis combien de temps êtes-vous assis ici à me regarder ? »

Orion ricana méchamment.

« Assez pour vous voir baver sur mon livre. », rétorqua-t-il et la jeune femme sentit ses joues s'enflammer d'un mélange d'embarras et de colère, deux sentiments qui semblaient la suivre constamment en présence de son altesse.

« Pardonnez-moi, mon roi, je rêvais très certainement d'un endroit où je préférerai me trouver en ce moment même. », siffla-t-elle en réponse. Orion ouvrit la bouche pour répondre mais ses yeux se portèrent brusquement sur le ciel, visible par les carreaux. Céleste, surprise, se retourna pour le regarder à son tour. Le soleil avait maintenant presque disparu, seule une fine ligne rougissante apparaissait derrière les nuages qui, doucement, passaient du rose à l'obscurité. Elle se retourna à nouveau vers le roi qui semblait avoir pâli, sa main tremblante contre ses jambes.

« Orion... », demanda-t-elle malgré sa colère, « Que vous arrive-t-il ? »

Le roi tourna ses yeux verts clairs vers elle, un court instant. Il secoua ensuite la tête et sans un mot de plus, se retourna et courut jusqu'à la porte, l'ouvrit brutalement et disparut, laissant une Céleste sidérée sur le fauteuil.

Le livre tomba au sol.

Bonjour, bonsoir les cocos!

Ce chapitre étant relativement long, j'ai décidé de le couper en deux. Je vous préviens: la suite est du point de vue d'Orion et Céleste commence peu à peu à enquêter sur le mystère au château...

Je ne vous dis pas le bazar.

Des bisous ♥

Blondie

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