Chapitre 38


« Ce monstre qui porte sur son visage la noirceur de son âme. », Baudelaire

Orion releva brusquement la tête. Son corps fit un bond en avant. Les cris de Céleste ne cessèrent pas, ses cris douloureux qui lui glaçaient le sang dans les veines et faisaient accélérer son cœur. Orion passa la porte de la pièce, traversa le passage des roses. Le bruit de ses pattes rapides raisonnait sombrement contre les murs qui semblaient vibrer à cause des hurlements torturés de la jeune femme.

Le loup accéléra un peu plus.

Elle était en danger.

Elle avait mal.

Plus il s'approchait de la chambre de Céleste, plus il sentait la panique et la colère déchirer son cœur. Un peu plus vite, un peu plus vite encore. Orion poussa sur ses pattes arrière. Un grognement lui échappa.

Il était maintenant dans le couloir de la jeune femme et les cris semblaient maintenant plus forts. Sans réfléchir une seconde de plus, il se jeta de tout son poids contre la porte de Céleste.

La porte s'ouvrit avec un craquement macabre et fracassant, sortant de ses gongs et s'écrasant lourdement au sol. Orion chancela un peu et tanga dans la pièce, désorienté pendant quelques secondes. Ses yeux cherchèrent frénétiquement Céleste. Il tourna la tête de gauche à droite, son corps s'engouffrant dans la pièce odorante et élégamment décorée.

Les cris cessèrent brusquement.

Un corbeau croassa devant la fenêtre.

Céleste n'était pas là.

Eclairé par la lumière de la lune, Orion sentit tout son corps se refroidir tandis que son cœur tambourina violemment dans sa poitrine. Il avait entendu ses cris venir d'ici. Il l'avait entendue.

Et si Céleste n'était pas là, où était-elle ?

Elle s'était trouvée dans ce lit lorsqu'il l'avait quitté pour aller voir la rose !

Sans hésiter une seconde, le loup se retourna et dévala le couloir menant à la bibliothèque. Il aboya, maudissant son sort, maudissant ne pas pouvoir appeler le prénom de la jeune femme. Gueule ouverte, il força son corps à accélérer encore et encore alors que sa tête se mettait à tourner, un mélange d'angoisse, de rage et de fatigue.

Brusquement, les cris reprirent.

Le loup poussa un gémissement, ses yeux s'écarquillant un peu plus.

Où était-elle ?

Pourquoi criait-elle ainsi ?

Il leva son museau, tentant désespérément de flairer l'odeur floral de la jeune femme. Un sentiment étouffant lui fit redescendre la tête rapidement. L'odeur de lilas était partout, dans l'air, le meubles, les murs, le sol.

Orion continua de courir jusqu'à la bibliothèque et tenta à nouveau de pousser la porte. Il retomba en arrière, son épaule traversée d'une douleur sourde. La porte n'avait pas bougé. Il se sentit traverser de frénésie. Céleste ne pouvait qu'être ici. Les cris de la jeune femme le rendaient incapable de former la moindre pensée cohérente. Il se jeta à nouveau contre la porte, une deuxième et une troisième fois sans que cette dernière ne bouge.

Les cris de Céleste devinrent une sorte de gargouillement macabre.

Le loup poussa un hurlement.

Elle n'était pas seulement en train de crier.

Elle était en train de mourir.

Il poussa une quatrième fois sur ses pattes et son corps et appuya sur la porte de toutes ses forces et sa furie. Elle s'ouvrit brusquement, les deux lourds portiques s'ouvrant en grand et s'écrasant avec un grondement assourdissant contre les murs de chaque côté. Le sol de la bibliothèque trembla.

Orion pénétra à l'intérieur. Elle n'était pas dans l'entrée, pas dans les étages supérieurs. Il se faufila entre les bibliothèques, fouillant chaque recoin des yeux.

Nulle part. Céleste n'était nulle part. Le loup courut un peu plus vite, se dirigeant droit vers la source du bruit, son cœur battant la chamade, sa respiration erratique raisonnant dans ses oreilles. Il était presque arrivé à la fin de la bibliothèque, dans la tourelle avec vue sur le vide.

Brusquement, il la vit.

Céleste était dénudée, allongée dans un des fauteuils, les yeux ouverts, le corps inerte. Orion se figea. Il fut parcouru d'un tremblement alors qu'il fut incapable de courir une seconde de plus. Ses yeux étaient fixés sur la poitrine de la jeune fille, cherchant désespérément le mouvement de sa respiration et de son cœur qui bat. Il tituba jusqu'à elle, ses pattes incertaines.

Un gémissement rauque lui échappa.

Doucement, il poussa sa jambe avec son museau.

Elle ne bougea pas.

Orion eut brusquement le sentiment d'étouffer. Son cœur trop rapide auparavant sembla lentement mourir dans sa poitrine.

Pourquoi ne bougeait-elle pas ?

Que lui était-il arrivé ?

Seulement quelques heures auparavant, elle avait été en train de lire dans son lit, lui promettant de ne pas partir avant d'avoir brisé son sort ! Fébrilement, il donna un nouveau coup à ses jambes. Toujours rien. Orion se redressa sur le fauteuil et caressa doucement le visage de Céleste de son museau.

Réveille-toi, bon sang.

La tête de la jeune femme bascula seulement du côté opposé.

Le pleur brisé du loup résonna douloureusement.

Il poussa furieusement son visage contre la nuque de Céleste, cherchant le moindre indice pour son pouls. Il lui lécha les joues, bougea ses mains sans force de ses pattes tremblantes. Pas un seul mouvement, pas un seul son n'échappa à la jeune femme. Orion déglutit.

Brusquement, quelque chose bougea derrière lui. Il se tendit subitement, sans avoir la force de se retourner. Tout son corps tremblait maintenant violemment et il était incapable de se séparer du corps de la jeune femme qui semblait sans vie et pour lequel il ne pouvait rien faire.

Il espéra de tout son cœur qu'il ne s'agissait à nouveau qu'un de ces étranges malaises.

Il se sentait si impuissant.

Inutile.

Désespéré.

Un grognement qui ne fut pas le sien résonna derrière lui. Un grognement presque comme un ricanement lugubre. Lentement, Orion tourna la tête en arrière, positionnant son corps protectivement au-dessus de celui de Céleste. Il écarquilla soudainement un peu plus les yeux, grognant à son tour.

En face de lui se trouvait un autre loup. Un autre loup comme lui, aussi laid et encore plus monstrueux. La bête était plus humanoïde encore que ne l'était Orion. Il se tenait sur des mains et pieds aux bouts desquels de longues griffes noires raclaient le sol. Ses membres dénudés et trop musclé pour son corps étaient recouverts de poils fins et sombres, ses veines foncées ressortaient à certains endroits tandis qu'à l'arrière de son corps, sa queue touffue était levée de manière menaçante. Son dos était courbé et un grondement traversa son corps abject. Les yeux d'Orion tombèrent sur son visage et un sentiment de répulsion et d'horreur lui fit reculer son visage. La tête du monstre semblait toute droite sortie d'un cauchemar. La peau de son visage était tannée et fripée pour former un énorme museau noir et une gueule aux canines extrêmement longues et tâchées de sang séché. Sur le sommet de son crâne, le loup portait une masse de poil noirâtre contre lesquels des oreilles s'aplatissaient. Ses yeux n'étaient que deux boules jaunes dans des trous noirs et sanguinolents.

Le monstre sembla sourire.

« Tu as peur, petit prince ? Tu as peur de moi ? Tu as peur que je te déchire ta petite nuque aussi hideuse que la mienne ? », sa voix était inhumaine et il sembla à Orion qu'il devait forcer les mots douloureusement hors de ses canines élongées.

Orion grogna plus fort et avança à nouveau, son corps toujours cambré au-dessus de celui de Céleste. Il ne laisserait pas le monstre lui faire du mal. Jamais. Le monstre poussa un ricanement.

« Et bien ? Tu protèges ta petite paysanne ? N'as-tu donc pas conscience que c'est inutile ? Ne vois-tu pas qu'elle ne respire plus ? »

Orion gronda puis, n'attendant pas une seconde de plus, se jeta sur le monstre. Ses crocs s'enfoncèrent dans sa nuque et un goût et une odeur nauséabonds lui retournèrent l'estomac. Ce n'était pas du sang qui coulait dans les veines de cet être, plutôt un liquide putride aux goûts cadavérique. Un cri bestial échappa au monstre qui se cambra violemment, tentant de faire partir le loup plus petit. Orion ne le lâcha pas. Il mordit encore plus fort, laissant ses instincts animaliers prendre le dessus.

La bête tendit ses griffes et essaya de blesser Orion avant de secouer son corps d'un geste brusque. Le jeune homme s'écroula contre une des vitres de la bibliothèque qui vibra. Un carreau du haut tomba et éclata au sol. Sans attendre un instant de plus, Orion se redressa et se jeta à nouveau sur le monstre, ses yeux et son attention fixés sur les parties importantes du corps de l'adversaire.

Les jambes.

La nuque.

Orion rugit et planta ses canines dans la jambe arrière de l'animal qui poussa un cri guttural. Une flaque de sang noir se mit à joncher le sol. Mordant plus fort, Orion tira le monstre en arrière. A nouveau, son dos heurta une vitre et un autre carreau se fracassa au sol. La vitre entière se mit à vibrer lorsque le monstre se retourna brusquement, sa jambe toujours entre les crocs d'Orion, canine en dehors, prêt à tuer. Il poussa le loup plus petit en arrière, prêt à planter sa mâchoire dans la jugulaire d'Orion.

Avec un cri de rage, le monstre se jeta sur ce dernier, de toutes ses forces.

Ses crocs n'attrapèrent que du vide.

Dans un dernier reflex, Orion avait lâché la patte arrière et s'était propulsé en avant, de sorte à ce que le monstre entra directement en collision avec la vitre aux verres fins. Le verre explosa en mille morceaux transparents qui virevoltèrent à l'extérieur comme des perles de pluie tranchantes.

Le monstre se rattrapa de justesse.

L'avant de son corps tenait en équilibre dans le vide, ses yeux jaunes directement fixés sur les abîmes sous lui. Orion hésita un instant, pantelant. Subitement, le monstre se releva, trop rapidement pour que le jeune homme puisse réagir, se retourna et avec un énième hurlement, planta ses crocs dans la nuque du loup. Orion sentit son corps se glacer avant de se débattre de toutes ses forces, guidé par ses instincts de survie.

Il grogna, tenta de mordre le museau du monstre qui ne le lâchait pas.

Plus Orion bougeait, plus les dents de la bête s'approchait dangereusement de ses points vitaux. Il cessa de bouger un instant et inspira profondément. Il était plus petit et moins fort que la bête : il voulait survivre, elle était décidée à le tuer. Avec clarté, Orion savait que c'était ou lui, ou la bête.

Il ne voulait pas mourir.

Prenant la bête par surprise, il lui assena un coup de patte dans sa jambe blessée, lui faisant perdre l'équilibre et défaire ses crocs meurtriers. Une fois libéré, Orion ignora la douleur. Il ne pouvait pas laisser au monstre le temps de se remettre. Il devait s'en débarrasser, rapidement. Forçant son corps amoché à bouger, il se jeta sur la bête et la poussa avec toutes ses forces.

Le monstre n'eut même pas le temps de comprendre.

« Non ! »

Son corps tomba à travers la fenêtre détruite, Orion se rattrapant de justesse en se retenant au rebord avec ses crocs et ses pattes.

Le cri enragé et teinté de folie de la bête cessa brusquement. Le corps d'Orion se mit à trembler. La douleur à sa nuque devint de plus en plus persistante et ses crocs furent percés d'une douleur lancinante qui le fit gémir. Il tenta de se tirer vers le haut sur ses pattes affaiblies. En vain. Son corps glissait lentement en arrière et le loup sentit la panique le reprendre.

Il gémit un peu plus fort.

Ses pattes finirent par glisser jusqu'au bout du petit rebord et Orion ferma les yeux, attendant l'inévitable. Céleste était peut-être morte de toute façon – qu'avait-il à perdre ? A chaque inspiration, le souffle semblait se rapprocher un peu plus et avec lui une fin certaine. Dans sa poitrine, Orion sentait son cœur trembler.

Brusquement, quelqu'un l'attrapa par la nuque et le tira d'un geste rapide vers le haut. Il écarquilla rapidement les yeux, s'attendant à apercevoir devant lui Adrien. Le cœur d'Orion manqua un battement.

Ce n'était pas Adrien qui le tenait : c'était Céleste. Debout, comme s'il ne s'était rien passé, elle tenait sa nuque à deux mains. Orion sentit son cœur accélérer à nouveau tandis qu'il sentit le soulagement l'envahir.

Elle n'était pas morte.

Pourtant, quelque chose clochait. Après un premier instant de bonheur, il regarda son visage de plus près. Les yeux d'habitude clairs de Céleste étaient noirs et ses traits semblaient étrangement déformés.

Le loup gémit tandis qu'un frisson lui glaçait l'échine. La personne devant lui ne pouvait pas être Céleste. Il lança un regard rapide au fauteuil. Là, où quelques secondes auparavant avait été allongé le corps inerte de la jeune femme, il ne restait que du vide. Le tenant toujours fermement, les traits déjà inquiétants se mirent à changer tout d'un coup. Le corps de Céleste devint d'abord plus large, les épaules devinrent carrées et ses cheveux dorés devinrent noirs et drus.

Orion fut brusquement face au chasseur et la vérité la frappa durement.

Un piège. Les cris, le corps de Céleste : tout cela n'avait été que mise en scène. Le loup sentit la rage monter en lui, accompagné de cet éternel sentiment d'impuissance.

Le chasseur ricana avant que ses traits ne changent à nouveau, la taille s'affinant, les cheveux redevenant dorés, les traits angéliques et fous.

La fée.

Elle continua à rire, balançant le loup entre ses mains de droite à gauche comme une vulgaire peluche. Orion essaya de bouger, donnant des coups de pattes dans le vide, faisant rire la fée plus fort.

« Oh qu'essaies-tu de faire, mon roi ? Tu n'as aucune chance contre moi ! », s'exclama-t-elle, ses yeux éclairés par une lumière malsaine. « Tu n'étais pas censé survivre, tu sais. Tu étais censé crever dans cette forêt, tu n'étais pas non plus censé devenir aussi humain. Mais cette petite peste... Cette ignoble petite créature pathétique était évidemment obligée d'essayer de te sauver ! »

Son ricanement cessa et son visage se contorsionna en une grimace hideuse de rage et de dédain.

« Et toi ! Tu l'aimes, n'est-ce pas, la jolie Céleste, celle qui vient du ciel ! », cracha-t-elle, « Au ciel elle va d'ailleurs retourner bientôt, ou plutôt sous terre ! »

Orion bougea plus violemment, montrant les crocs à la fée lorsqu'elle menaça Céleste. Il ne la laisserait pas lui faire du mal. Lorsqu'ils en auraient fini ici, la fée serait elle aussi au fond du ravin.

La femme diabolique lui offrit un sourire arrogant au coin.

« Tu veux parler, mon cœur ? Tu as quelque chose à me dire ? » Elle sembla réfléchir un instant, « Ah mais j'oubliais ! Tu n'es qu'une bête, un animal ! Et les animaux ne parlent pas ! Tu ne seras jamais libéré de ton sort et quand bien même tu arriverais à sauver cette idiote, tu resterais pour elle à jamais son animal de compagnie, son chien de garde ! »

Orion fit un bond en avant. Surpris par autant de force, la fée le lâcha subitement et se propulsa en arrière. Lorsque le loup voulut planter ses mâchoires dans son corps, ces dernières passèrent subitement à travers et la fée ricana à nouveau. Une lumière étincelante et aveuglante éclaira son corps parfait.

« Ecoute-moi bien, mon ange. Je suis d'humeur à m'amuser. Tu viens de jeter mon amant par la fenêtre : je suis sûre que tu connais la loi du Talion. Œil pour œil, dent pour dent : un amant pour un amant, la vie de Céleste pour celle d'Andoche. Mais où serait le plaisir si je ne faisais que lui couper la tête devant tes yeux ? » Elle tapa dans les mains comme une enfant, les yeux brillant « Tu as jusqu'au lever du soleil pour la trouver. Elle est enfermée quelque part dans ce château avec ton fidèle Adrien. Si tu la trouve, je jure de vous laisser en paix. Si tu ne la trouves pas, je tue Adrien et ensuite je...m'amuserais avec elle jusqu'à ce que mort s'en suive. Et quant à toi, mon joli Orion, nous verrons ensuite. »

Orion l'observa sans broncher et la fée lui offrit un sourire victorieux.

« Tu n'as plus longtemps. », murmura-t-elle et aussitôt, son corps se volatilisa dans un fracas assourdissant, renversant des étagères et faisant éclater la deuxième vitre. Orion se plaqua au sol, évitant de justesse un débris de verre qui siffla à côté de son oreille. Lentement, il se remit sur patte et regarda à l'extérieur. Le ciel n'était déjà plus aussi sombre qu'auparavant et les premières étoiles commençaient déjà à disparaître.

Tu as jusqu'au lever du soleil pour la trouver.

Sans réfléchir une seconde de plus, il sortit de la bibliothèque. Ses blessures et sa fatigue étaient oubliées. Quelque part dans son château se trouvait Céleste avec Adrien. Ils étaient encore en vie et il était le seul à pouvoir les sauver de la folie de la fée.

Et ça, Orion n'en doutait pas : même s'il ne pouvait pas se sauver lui-même, même si son château partait en flamme et qu'il restait un loup à jamais, il sauverait Céleste coûte que coûte.

La course contre la montre avait commencé.

Bonjour, bonsoir les cocos!

Andoche = personnage avec le rôle le plus nul de l'histoire. Il apparaît que trois fois et zou, il meurt. En tout cas, c'était que le petit avant-goût pour la suite.


Orion et la fée sont décidés à gagner, qui sait qui aura la victoire.

Suspense et conte de fée.

Des bisous!♥

Blondouille

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