Chapitre 26 - Partie 1


« Lorsque qu'un homme assiste sans broncher à une injustice, les étoiles déraillent. », Brecht

La douleur le rendait aveugle. Aveugle et sourd au monde l'entourant, le corps secoué de spasme, les membres étrangement tordus. Un rugissement de désespoir et de souffrance échappa à sa bouche, sa nuque tordu en arrière, son visage blanc face au ciel, une imploration silencieuse, un cri à l'aide.

La rose tomba au sol.

La fée éclata d'un rire tonitruant, le visage rejeté en arrière, les yeux fous grands ouverts.

« Tu es maudit Orion, maudit ! », cria-t-elle, la voix, autrement détestablement douce, un bruit tordu et aiguë qui fit trembler un peu plus le corps douloureux du jeune homme. La sueur lui coulait le long des tempes tandis qu'il sentait ses os se briser et son corps se tendre et se tordre encore plus. Il secoua faiblement la tête.

« N-Non ! », pressa-t-il entre ses dents, incapable de dire autre chose. Il tenta de se relever difficilement. Un gémissement rauque lui échappa et il s'écroula à nouveau au sol, un rugissement de désespoir échappant à ses lèvres. Ses pensées en désordre tentaient désespérément de comprendre ce qui était en train de lui arriver, de comprendre pourquoi son corps semblait se briser en mille morceaux pour ensuite violemment se remettre en place. Il sentait les poils de la bête recouvrir son corps, sa tête tourbillonnait, tourbillonnait et il ne comprenait pas – ce n'était pas la pleine lune. Son feulement déchirant brisa le silence calme de la nuit lorsqu'Orion finit par s'allonger au sol, fatigué, transformé.

Il n'était plus le roi, il n'était plus la bête, il était le loup.

Un grand loup sans force et aux membres un peu déformés, un peu trop humains. Avec de grands yeux tristes, fixant la fée, trop faible pour même grogner. La femme avait cessé de rire et s'approcha à grands pas arrogants d'Orion. Levant un sourcil hautain, elle tendit une jambe élégamment galbée pour lui assener un coup de pied dans les côtes. Un gémissement sourd échappa au loup et pendant quelques secondes douloureuses, il ferma les yeux. Lorsqu'elle tendit son pied à nouveau, il lui montra faiblement les dents.

Il ne l'aimait pas. Cette femme sentait le cadavre et la mort. Elle sentait la destruction. La fée se pencha en avant et d'une main laiteuse et pâle caressa d'une tendresse emplie de folie la lourde tête du loup.

« Mon ange... Mon ange... Nous y sommes enfin... Je suis navrée, mais c'était nécessaire. Je ne pouvais pas risquer que tu te libères de ton sort et crois-moi... oh crois-moi, tu n'en étais pas loin. J'avais cru que cette gamine, cette petite avec ses airs de sainte-nitouche à la grande gueule ne pourrait jamais ressentir la moindre once d'amour pour toi. Et pourtant, j'ai commencé à le sentir. Cette hésitation à t'appeler la bête, cette joie de te revoir. Ces moments où elle s'attarde à réfléchir à ce que la bête représente pour elle. » La fée secoua la tête et le loup cligna des yeux, se recroquevillant un peu sur son corps hideux. Il savait, sentait, quelque part dans ses pensées embrumées et animales que la fée parlait de Céleste. La jeune femme aux yeux doux et à l'odeur réconfortante et chaleureuse. La fée lui caressa à nouveau la tête, presque tristement. « Tu ne pourras plus la revoir, mon cœur. La rose est détruite. Tu resteras à jamais dans ton corps de loup, guidé par tes instincts. Elle ne te reconnaîtrait pas. Elle ne te reconnaîtra jamais. Tout ce qu'elle verrait en toi, c'est la bête qui l'a attaquée une nuit de pleine lune. Oh ! C'est si triste, si triste. Les histoires d'amours, les contes de fées ne sont pas censés se finir ainsi, n'est-ce pas ? Le prince maudit, l'homme métamorphosé est censé se retransformer et vivre marié et heureux jusqu'à la fin de ses jours. » Un pleur rauque échappa à Orion et il releva la tête, implorant de ses yeux et de ses pleurs étouffés la femme devant lui. Il ne reçut en réponse qu'un regard dur et un nouveau coup contre son corps douloureux qui le fit se rétracter en arrière, la tête basse.

La fée se redressa de toute sa hauteur.

« Maintenant part, Orion, sa majesté tombé du trône, fuit dans les bois ! Disparaît à jamais dans les ténèbres de la forêt ! »

Le loup poussa un dernier gémissement guttural avant de se lever en tremblant du sol, encore un peu instable sur ses pattes. Il avait la tête et la queue basse, désespéré de ne pas aggraver la fée encore plus. Orion ne voulait pas souffrir plus. Le loup ne comprenait toujours pas exactement ce qui lui arrivait et il avait peur. Il était paniqué. Il tituba et avança en tremblant jusqu'aux arbres sombres tandis que dans sa poitrine, son cœur battait la chamade d'un rythme déchiré. Il se sentait menacé par ses environs, son corps le faisait souffrir, sa jambe brûlait ; il avait froid, il avait faim. Le loup se traîna péniblement le long des chemins sinueux, lançant des regards hésitant et anxieux en arrière, inquiet d'être suivi : inquiet de devoir face à nouveau face au monstre qu'était la fée.

Il eut le sentiment d'avancer des heures durant : ses yeux n'observaient même plus réellement où il allait et le vent, qui s'était levé, affaiblissait continuellement ses pattes gelées et faisait frissonner son corps. Un gémissement lui échappa et il se laissa glisser au sol. Quelques minutes de repos. Seulement quelques minutes. Orion cligna des yeux. Sa tête était tombée lourdement sur ses pattes avant et durant un court moment, il hésita à ne plus bouger. A s'abandonner au froid et la douleur lui brûlant les veines. Finalement, le loup se releva. Utilisa toutes ses forces pour se pousser vers le haut et continuer d'avancer vers une destination inconnue. Son visage animal se tordit en une grimace étrange et il grogna. Chancela.

A nouveau, il parcourut des kilomètres et des kilomètres, la souffrance le rendant presque inconscient. Soudainement, il aperçut brusquement un cabanon du coin de l'œil. Une frêle maisonnette en bois qui semblait à peine tenir en place face au vent. Une toute petite construction au milieu de nulle part. Un pleur rauque lui échappa et il se força à avancer jusqu'à l'intérieur. Tremblant, il rampa jusqu'à un coin, se roulant en boule pour se protéger du froid glacial. Un deuxième pleur lui échappa.

Le loup ne voulait pas mourir.

Il ne comprenait pas pourquoi on le détestait tant, pourquoi la fée s'était efforcée de lui faire tant de mal.

Il ne comprenait pas.

Il releva faiblement la tête. Le cabanon avait une odeur familière. Quelque chose de rassurant et de chaleureux. Il reposa sa tête sur ses pattes et ferma les yeux, fatigué. Bientôt, Orion s'endormit.

~***~

Céleste ouvrit les yeux. Lentement. Lourdement. Comme si son corps se réveillait péniblement d'un très long sommeil. Elle déglutit. Que s'était-il passé ? Elle se passa une main encore un peu endormie sur le visage. Un morceau de tissu encore un peu humide glissa doucement à côté de sa joue et elle eut un moment de frayeur, faisant un bond en arrière et écarquillant ses grands yeux clairs. Lorsqu'elle vit qu'il ne s'agissait que d'un minable bout de lin blanc, elle souffla et pressa sa main contre son cœur. Elle cligna plusieurs fois des yeux et lança un regard désorienté autour d'elle.

Céleste sentit la panique faire accélérer son cœur. Elle ne reconnaissait pas les environs. Ne reconnaissait pas la petite pièce, ni le grand lit bancal dans lequel elle se trouvait. Elle se leva, ses jambes encore un peu fatiguées. Elle réfléchit, tentant de se remémorer où elle pouvait bien être et comment elle fut arrivée dans un lieu pareil.

Elle se souvenait de la lune dans le ciel et de la bête. La bête qui l'avait tenu et sa propre voix qui avait lu la Belle et la bête avec passion. Seulement était-elle incapable de se rappeler ce qui lui était arrivée après. Où était la bête ? Pourquoi était-elle dans une maison inconnue ? Elle sortit de la petite chambre, passant sa tête par la porte. Elle ne vit personne et fit un pas de plus. Son corps vola en avant tandis qu'elle trébucha lourdement. Céleste n'eut pas le temps de tendre les bras et tomba lourdement au sol, un grognement sourd quittant ses lèvres. La douleur traversa son corps un court instant et elle grimaça un peu, se redressant pour jeter un coup d'œil à l'obstacle qui l'avait fait voltiger au sol.

Un cri de surprise quitta ses lèvres lorsqu'elle aperçut un homme allongé au sol. Son visage pâlit et elle s'approcha de lui à quatre pattes, secouant son épaule d'une main tremblante. Elle reconnut Philippe, un des hommes du village. Un bûcheron, si sa mémoire fut bonne.

« Monsieur Philippe ? Monsieur, tout va bien ? », s'exclama-t-elle d'une voix encore un peu rauque du réveil et paniquée. L'homme ne bougea pas et elle le secoua un peu plus fort. Il finit par ouvrir les yeux, un peu désorienté.

« Que... Qu'est-ce que... »

Il sembla reconnaître le visage de la jeune femme et s'assit instantanément.

« Bon sang, petite ! Tu nous as fait une frayeur hier soir ! On a cru que tu allais y passer, et cet homme étrange qui t'as apporté... »

« Hier soir ? », demanda Céleste, déboussolée. Si seulement l'homme pouvait lui dire ce qui lui était arrivée ! « Quel homme étrange ? »

« Oui. Un grand homme a toqué comme un fou à notre porte et lorsque je vins lui ouvrir, je ne vis que sa silhouette recouverte d'un large capuchon. Tout son corps était recouvert, des pieds à la tête, même ses mains étaient gantées. Il te portait dans ses bras et s'est exclamé t'avoir trouvé inconsciente. Tu étais dans un mauvais état, Céleste. Blanche comme les morts et la peau luisante de sueur. On a bien cru que tu ne survivrais pas la nuit. »

Céleste sentit ses lèvres tremblaient un petit peu lorsque son cerveau en désordre reconstruisit bout à bout des évènements dont elle n'avait aucun souvenir.

La bête semblait l'avoir emmené chez Philippe ; la bête qui avait pourtant si peur d'être vu et avait ainsi pris le risque d'être découverte. Un élan de tendresse caressa le cœur rapide de la jeune femme et elle ferma les yeux un court instant. Dans sa tête, elle entendit à nouveau la bête se traiter de monstre et un sourire triste caressa ses lèvres.

Non, la bête était bien loin d'être un monstre.

Il fallait qu'elle la retrouve pour la remercier. La bête lui avait probablement sauvé la vie.

« L'homme... Est-il... Où est-il ? », demanda Céleste. Elle espérait entendre que l'homme étrange soit resté dans les parages, attendant le réveil de la jeune femme. Philippe se racla la gorge et un mauvais pressentiment teinté de déception caressa Céleste.

« Cette nuit... Nous avons entendu un enfant crier. La bête... La bête est revenue et l'homme, cet homme fou et naïf, s'est mis en tête qu'il voulait sauver cette pauvre créature de la mort. Il n'est sûrement plus en vie. Personne n'échappe aux crocs du monstre. Paix à son âme. »

La jeune femme pâlit et porta deux mains devant sa bouche. La bête avait voulu sauver un enfant ? Pourquoi s'était-elle mise en tête une telle folie ?

« Etes-vous sûr qu'il s'agissait du monstre ? Peut-être... peut-être un enfant s'était-il seulement perdu dans l'obscurité et crier de désespoir, en espérant qu'on l'entende et le retrouve ? »

Philippe secoua la tête.

« Je suis désolé, Célestine. Les enfants ici ne se perdent pas et si l'on entend crier un gosse à la tombée de la nuit, c'est que la bête a ressorti ses crocs. »

Céleste inspira profondément.

« Espérons seulement que l'enfant et l'homme aient tous les deux survécus. », souffla-t-elle tandis que le visage de Philippe s'assombrit considérablement.

« Personne ne survit à la bête. », grommela-t-il d'un ton lugubre, « Crois-moi, personne. »

La jeune femme secoua la tête à son tour. Non. La bête n'était pas morte. Elle se passa la langue sur ses lèvres et hésita un instant avant d'ajouter d'un ton incertain :

« Je devrais rentrer. Mes parents... mes parents doivent s'inquiéter de mon absence. »

Elle vit Philippe froncer les sourcils.

« Que faisais-tu d'ailleurs à l'extérieur à une heure aussi tardive et aussi loin de ta maison ? Tu devrais faire un peu plus attention à toi, Céleste. Tu sais ce que les villageois disent de toi. Et puis qui sait qui rôde dehors pendant la nuit. »

La jeune femme déglutit. Elle ne pouvait pas dire la vérité à l'homme et elle sentit ses mains se mettre à trembler tandis qu'elle se sentait comme étouffer.

« Je voulais seulement prendre un peu l'air. », murmura-t-elle, « Je ne me sentais pas très bien. »

Philippe n'ajouta rien et hocha seulement la tête, un air préoccupé sur le visage doucement ridé.

« Fais attention à toi. », répéta-t-il ensuite et Céleste sourit faiblement avant d'hocher la tête.

« Au revoir, Philippe. », dit-elle finalement et l'homme lui rendit ses adieux. La jeune femme se retourna et sortit par la porte d'entrée. Immédiatement, elle fut accueillie par un froid mordant, un vent glacé, porteur de petits flocons blancs et humides. Céleste se passa une main ennuyée sur le visage. La neige lui brouillait la vue en virevoltant dans ses cils et elle cligna plusieurs fois des yeux. Elle grogna un peu et se mit à avancer vers sa maison, à travers les rues froides. Ses pieds claquaient sur le sol et à maintes reprises, Céleste sentit sa jambe glisser en avant et manqua tomber au sol en perdant l'équilibre. Elle jura silencieusement et se réjouit finalement de voir sa maison apparaître devant ses yeux, la cheminée fumante et les petits rideaux blancs aux fenêtres.

Pourtant, sa joie fut de courte durée.


Bonjour, bonsoir!

Encore un chapitre bien trop long pour vous le mettre en une seule partie.

Quelqu'un a cru que j'allais réellement faire mourir Orion?

Mais enfin.

Ce ne serait pas mon genre.

Enfin en tous cas, mon petit Orion n'a vraiment pas de chance. Pour ce qui va arriver à Céleste... La suite partie 2.

Des bisous♥

Blondie

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