Chapitre 22
« Une lecture m'émeut plus qu'un malheur réel. », Flaubert
Elle se racla la gorge et commença d'une voix douce.
« Il y avait une fois un marchand qui était extrêmement riche. Il avait six enfants, trois garçons et trois filles, et comme ce marchand était un homme d'esprit, il n'épargna rien pour l'éducation de ses enfants et leur donna toutes sortes de maîtres. Ses filles étaient très belles ; mais la cadette surtout se faisait admirer et on ne l'appelait, quand elle était petite, que la Belle Enfant ; en sorte que le nom lui en resta, ce qui donna beaucoup de jalousie à ses sœurs... »
Elle tourna les pages, les unes après les autres
«Tout d'un coup, en regardant au bout d'une longue allée d'arbres, il vit une grande lumière, mais qui paraissait bien éloignée. Il marcha de ce côté-là et vit que cette lumière venait d'un grand palais, qui était tout illuminé. Lemarchand remercia Dieu du secours qu'il lui envoyait et se hâta d'arriver à ce château (...) il y trouva un bon feu et une table chargée de viandes, où il n'y avait qu'un couvert. »
« Le bonhomme, après avoir pris son chocolat, sortit pour aller chercher son cheval et, comme il passait sous un berceau de roses, il se souvint que la Belle lui en avait demandé, et cueillit une branche où il y en avait plusieurs(...)»
Céleste sourit un peu et lança un regard en coin à la bête qui fixait d'un air fasciné non pas les pages du petit roman mais son visage à elle. Elle se sentit rougir.
« Vous ne continuez pas ? », demanda la bête d'une voix ronronnant et Céleste se passa une main maladroite dans la chevelure, baissant à nouveau les yeux sur les pages du livre. Elle reprit après s'être passé la langue sur les lèvres dans un geste nerveux.
« – Vous avez bien de la bonté, dit la Belle. Je vous assure que je suis contente de votre cœur. Quand j'y pense, vous ne me paraissez plus si laid.
– Oh ! Dame, oui ! répondit la Bête. J'ai le cœur bon, mais je suis un monstre.
– Il y a bien des hommes qui sont plus monstres que vous, dit la Belle, et je vous aime mieux avec votre figure, que ceux qui, avec la figure d'homme, cachent un cœur faux, corrompu, ingrat. »
Céleste cligna plusieurs fois des yeux et referma le livre sur ses genoux. La bête lui lança un regard interrogateur et après avoir bâillé, la jeune femme lui sourit faiblement.
« Je suis un petit peu... fatiguée. », murmura-t-elle. La bête rit, un son entre grognement et rire humain.
« Un petit peu ? Mademoiselle, vous me semblez sur le point de vous endormir sur place. »
Céleste sourit un peu plus.
« Vous avez bien raison. Je suis navrée. Je ne pourrais pas continuer à vous faire la lecture ce soir. »
La bête hocha calmement la tête.
« Ce n'est pas grave. Seulement.... »
La bête ne finit pas sa phrase et Céleste haussa un sourcil.
« Puis-je... Puis-je revenir demain soir ? Ici même. Vous continuerez à me lire le livre et je continuerai à vous écouter. »
Céleste pencha un peu la tête de côté.
« Vous ne trouverez pas ça ennuyant ? Entendre une jeune femme à peine éduquée lire des phrases et des phrases sans la moindre intonation ? »
« Vous êtes bien trop dure envers vous-même, Céleste. Votre lecture n'est ni monotone, ni ennuyeuse. Vous semblez comme emportée dans le flot des mots, entraînée dans le livre même. Vous me fascinez. Je n'ai jamais su développer une passion pareille - à vous entendre, on comprend bien vite que vous aimez les livres comme un homme aime sa femme de tout son cœur. »
La jeune femme rougit un peu plus. Elle se sentait étonnement timide – peut-être était-ce sa fatigue, peut-être l'obscurité de la pièce qui ne lui permettait pas de voir en détail le visage étrange de la bête. Peut-être était-ce la sincérité étonnante de cette dernière. Céleste n'apercevait dans ses traits voilés par le manque de lumière seulement distinctement ses yeux qui brillaient à la petite flamme de la lanterne d'un éclat vibrant.
« Merci. », souffla-t-elle et sentit la bête se relever derrière elle.
« Céleste, vous ne venez pas ? », demanda-t-elle et la jeune femme déglutit, fermant les yeux. Elle n'avait pas encore réfléchi à son retour chez elle. Elle ne souhaitait pas être à nouveau confrontée aux yeux de son père et aux pleurs de sa mère, ne souhaitait pas devoir à nouveau subir les flots d'insultes et d'injustices s'abattre sur sa tête innocente.
« Je... »
Elle sentit les bras de la bête s'enrouler autour d'elle et brusquement, elle se retrouvait presser contre le torse de l'homme étrange dans un geste réconfortant et chaleureux, le livre comme seul obstacle entre leurs deux corps. La bête rapprocha sa bouche de son oreille.
« Ne vous inquiétez pas », murmura-t-elle de sa voix rauque, « Je sais ce que cela signifie d'être mis à l'écart et jugé. Je connais la douleur que cela provoque ainsi que le désespoir. Mais ne vous laissez pas faire, Mademoiselle. Vous êtes plus fortes que ces rumeurs, ces mots stupides qui ne sont que là pour vous briser pour le plaisir d'un public cruel. Vous êtes plus forte que ça. »
Céleste ferma les yeux et se pressa un peu plus contre la bête. Sa large figure semblait à nouveau la protéger, elle qui se sentait si fatiguée et si petite face aux décisions qu'on prenait pour elle et qu'elle ne pouvait influencer pas aucun moyen. Elle tremblait un peu, doucement, comme une poupée de chiffon exposée au vent.
« J'ai peur. », souffla-t-elle soudainement. Elle ne savait pas pourquoi elle racontait ça à la bête, ne savait pas pourquoi elle se sentait si rassurée par sa présence. Ce dont Céleste avait cependant eut brutalement conscience en entendant les villageois croire le chasseur, en entendant les insultes crachées à son égard sans le moindre respect pour sa personne, c'était sa solitude. Elle avait besoin que quelqu'un la tienne. Elle avait besoin que quelqu'un la rassure et non la juge et la condamne. Elle sourit amèrement.
Quel meilleur confident pour le condamné qu'un homme partageant le même destin ?
La bête vivait dans le noir, au clair de lune. La bête était jugée pour son apparence, devait être rejetée par une société fixée sur le paraître et jugeant l'être comme secondaire et inintéressant. Elle sentit la bête hocher la tête.
« Je sais. », murmura la bête, « C'est normal. C'est humain. Ne laissez pas ce sentiment prendre ce dessus. Ne le laissez pas diriger votre vie et votre personne. Vous êtes bien plus que là, Céleste, bien plus. »
La jeune femme sourit doucement et releva la tête, un air triste voilant ses pupilles clairs alors qu'elle s'écarta un peu des bras de l'homme.
« Demain soir, au clair de lune ? », demanda-t-elle presque timidement d'une voix doucement silencieuse. La bête grogna et hocha la tête.
« Soyez à l'heure », grommela-t-elle « Et n'oubliez pas le livre. »
Céleste déglutit et hésita un instant.
« Je ne peux pas emmener le livre chez moi. », dit-elle lentement, « Si mes parents me voyaient en train de le lire... Ils le prendront et en feront dieu sait quoi, peut-être le brûleraient-ils, même ! Je ne veux pas risquer ça. Je préfère... Je préfère cacher le livre ici. »
La bête hocha la tête.
« Très bien. Il y a assez de placards et de lieu pour le mettre à l'abri de la pluie et du vent. »
Céleste s'écarta de l'homme et serra le livre un instant contre sa poitrine avant d'ouvrir les placards uns à uns pour trouver un lieu approprié. Finalement, elle trouva un petit tiroir dont la peinture doré s'était écaillée, caché derrière une petite porte recouverte de dentelle jaunie. La jeune femme sourit, un léger sourire en coin, tandis qu'elle se retourna vers l'homme.
« Voilà. Ce sera notre petit... secret. »
La bête rit doucement et effectua une petite révérence élégante.
« Très bien, Mademoiselle, je n'en dirais pas mot. »
« Je n'en attendais pas moins. », répondit Céleste. Elle bâilla à nouveau. « Je pense qu'il est réellement temps pour moi d'aller dormir. Les évènements m'ont achevé. »
La bête hocha silencieusement la tête et la jeune femme avança jusqu'à la porte délabrée avant d'hésiter encore une fois, juste au moment où ses doigts entouraient la poignée pour appuyer et sortir, retourner au monde réel. Elle se racla la gorge.
« Votre frère... J'ai omis de vous le demander, mais votre frère, comment va-t-il ? Il était à mes côtés avant que le loup fut dans ma chambre au château mais eut disparu à son arrivé. Lui est-il... Lui est-il arrivé quelque chose ? »
Elle tourna un peu la tête et vit que la bête était mal à l'aise. Elle sentit un mauvais pressentiment faire battre son cœur plus fort – néanmoins, cette sensation cessa lorsque la bête secoua la tête.
« Non. Je ne sais pas exactement ce qu'il a fait pour disparaître de...de votre chambre » Il grogna les derniers mots, « Mais Orion est sain et sauf. Voulez-vous que je lui transmette un message ? »
Céleste réfléchit quelques instants, cligna des yeux. Le roi, Orion, était arrogant et certainement insupportable, cependant il lui avait permis de s'échapper pendant quelques jours dans un monde qui n'était pas le sien. Il lui avait permis l'impossible- lire à sa guise, se vêtir d'habits luxueux et bouger en toute liberté, sans sentir la pression du regard des autres sur chacun de ses faits et gestes. Pour tout ça, elle lui était réellement reconnaissante. De plus, elle avait étrangement apprécié les échanges verbaux avec lui. Il était différents des hommes au village, il ne lui ordonnait pas de se taire avec comme seul argument qu'elle fut une femme et qu'une femme n'était pas faite pour parler et donner son avis. Elle inspira profondément et ferma les yeux.
« Dites-lui que malgré qu'il soit un homme arrogant, hautain, profondément narcissique et terriblement impoli et désagréable, il y a au fond de lui quelque chose de bon. Remerciez-le de ma part. Cet homme insupportable m'a fait voir de nouvelles choses et m'a permis d'être moi-même pendant ces quelques jours et je souhaite l'en remercier de tout mon cœur. Je sais qu'il est rongé par ses propres démons mais je lui souhaite le meilleur pour l'avenir. Qu'il se libère des contraintes sociales qui moi, me retiennent en place. Dites-lui que je suis navrée d'être partie avant la semaine. Je n'ai pas respecté ma part du contrat. »
Elle vit la bête sourire tristement.
« Je lui transmettrai. Je sais que malgré les apparences, il vous appréciait énormément Céleste, et pour lui... C'est quelque chose de très rare. Le roi n'apprécie personne mis à part lui-même et de temps à autre Adrien. C'est pour ça que je voulais vous demander – auriez-vous un souvenir pour lui ? Quelque chose pour remplacer la part du contrat que vous n'avez pu tenir ? »
Céleste fronça un peu les sourcils à cette étrange requête et secoua faiblement la tête.
« Je suis navrée, je n'ai pas de richesses, pas de bijoux avec mon portrait, pas de-» Elle se rappela brusquement de l'évènement au village arrivé quelques heures auparavant.
« Mais... La nuit dernière, la bête a perdu quelque chose. Nous pensons... Nous pensons que si le roi ne nous aide pas à éliminer la bête, c'est parce qu'elle lui appartient et que c'est lui-même qui nous l'envoie. »
Elle déglutit.
« J'oubliais », souffla-t-elle d'une voix cassée, « Dites-lui aussi qu'il est en danger. Le peuple pense qu'il est le meurtrier – on a trouvé un miroir avec son portrait sur le lieu d'un crime. »
« Un miroir avec son portrait ? », demanda silencieusement la bête et Céleste hocha sombrement la tête.
« Oui. »
La bête se passa une main sur le visage. Céleste se mordilla un peu la lèvre et eut soudainement une idée quant à un présent pour le roi.
« Attendez-moi quelques secondes. », souffla-t-elle et la bête acquiesça en fronçant les sourcils. Céleste sourit un peu et sortit de la maison qu'elle contourna avant de s'approcher d'un petit cabanon abandonné derrière l'habitation. Il avait été pendant un temps, la petite serre de Charlotte, une petite serre où elle faisait fleurir des plantes à tout moment de l'année. Après sa mort, tout avait dépéri mis à part les roses, qui avaient tenu bon. Céleste s'en était occupée en secret, avait réparé du mieux qu'elle avait pu la serre.
Doucement, elle s'approcha du rosier et d'un geste rapide, en faisant attention à ne pas se piquer, coupa d'un geste nette une fleur. Avec la rose à la main, elle rentra dans la maison. Elle la tendit à la bête qui avait écarquillé les yeux.
« Une rose pour une rose. », murmura Céleste et sourit. La bête prit précautionneusement la fleur dans ses doigts gantés.
« Merci. », souffla-t-elle. Céleste hocha la tête et cette fois-ci, elle ouvrit la porte d'entrée grinçante et disparut dans la nuit, avançant d'un pas rapide jusqu'à chez elle, une ombre invisible dans les limbes de la nuit.
Du moins était-ce son impression.
Car au coin d'une maison, une silhouette avait tout observé. Céleste, la bête, la rose, le départ. Tout.
Au coin d'une maison, tel le loup dans les contes de fée, la silhouette souriait.
Ses dents luisaient à la lumière macabre de la lune.
Bonjour, bonsoir les cocos!
Voilà, deux chapitres mignons se finissent et Céleste&Orion semblent heureux dans leur malheur. Mais jusqu'à quand?
Prochain chapitre?
Prochain, prochain chapitre?
Qui sait.
En tout cas, remarquez ma mise en abîme de leur faire lire la belle et la bête en étant eux-même la belle et la bête (ce sentiment de puissance en tant qu'auteur). Bref. Les passages en italique proviennent de l'œuvre originale de Jeanne-Marie Leprince de Beaumont.
La bise ♥
Blondouille
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