Chapitre 18 - Partie 1
« Quand les brebis enragent, elles sont pires que les loups. », Proverbe français
La lumière fantomatique de la lune filtra à travers les rideaux de la chambre et Orion sentit son corps traversé d'un étrange picotement presque douloureux, convulsif. Il ouvrit ses yeux. Le sommeil lui avait pris son orientation et il regarda frénétiquement de droite à gauche, tentant de comprendre ce qui lui arrivait, tentant de comprendre où il était. Il se leva en titubant du lit, ignorant la silhouette paisible à côté de lui et avança jusqu'à la fenêtre. D'un geste maladroit, il tira le rideau et plissa les yeux, la lune se trouvant juste en face de lui telle une déesse vengeresse. Il recula d'un pas, un gémissement sourd quittant ses lèvres lorsque le picotement de son corps devint un craquement, un craquement intense traversant chacun de ses os. Sa tête se mit à tourner et il trébucha en arrière, tendit une main vaine pour se retenir et s'écroula au sol, posant sa tête entre ses mains tremblantes, la lumière de la lune se moquant de lui par sa clarté malsaine.
Il sentit son corps changer, ses os semblaient se briser et se régénérer en une position nouvelle, les poils habituels sortant de sa peau, son visage se métamorphosant, ses yeux changeant de couleurs. Un feulement de douleur quitta ses lèvres nullement humaines tandis que ses pensées étaient éclipsées par un désir charnel et primitif, sanguinaire et désespéré. Un autre hurlement de douleur quitta ses lèvres.
Dans le lit, jusque-là endormie, Céleste se réveilla lorsqu'elle perçut ce bruit et fit un bond dans son lit, encore affaiblie : l'adrénaline dans ses veines lui donnait de la force. Elle ouvrit grand ses yeux et chercha frénétiquement autour d'elle d'où venait ce son : elle aperçut brusquement une créature au sol, une créature qui n'avait rien à voir avec la bête qu'elle avait aperçu les soirs précédents et qui sous son étrange apparence semblait humaine. Ce qu'elle avait là devant ses yeux était la bête qui l'avait menacé le premier soir, la bête que la voisine avait décrite au village.
« J'ai aperçu une silhouette recroquevillée sous les arbres. Pensant qu'il s'agissait d'un homme souffrant, je me suis approchée : mais cette chose, n'avait rien d'humaine. Elle avait toutes les caractéristiques du loup sur un corps d'homme. Ses yeux jaunes et malsains ont croisés les miens et brusquement, elle a poussé un cri effroyable, s'est levée et m'a chargée dessus. »
Un cri effroyable échappa à ses lèvres et sans attendre une seule seconde de plus, Céleste se projeta à l'extérieur du lit. Sans se retourner, elle courut jusqu'à la porte, l'ouvrit en grand et courut le long du couloir, dévala les escaliers, le plus rapidement possible, entendant derrière elle le martellement des pattes du monstre contre le sol, sa respiration haletante, ses grognements. Céleste avait la respiration erratique, le corps secoué de peur. Elle devait partir d'ici, partir le plus vite possible ! Elle jeta un coup d'œil à l'arrière, le monstre était près, bien trop près et un nouveau hurlement d'effroi sortit de ses lèvres tandis qu'elle poussa sur ses jambes et sur ses bras, descendit les dernières marches jusqu'au hall d'entrée. Elle courut jusqu'à la large porte métallique et pria qu'elle puisse l'ouvrir rapidement, elle posa ses deux mains sur les poignées et tira aussi fort qu'elle put. La porte s'ouvrit dans un grincement perçant et Céleste se jeta à l'extérieur, claquant la porte ensuite derrière elle. Elle continua à courir, courir le long du chemin menant à la forêt, courant à travers les arbres, descendant la pente menant au village, les pieds douloureux, les jambes lourdes, la gorge brûlante de sa respiration erratique. Derrière elle, le monstre était toujours là, courait encore, avec une facilité angoissante. Céleste se sentit devenir hystérique, le village n'approchait pas, elle ralentissait au fur et à mesure que la force la quittait à nouveau, au fur et à mesure que son cœur ratait un battement et lui faisait tourner la tête et trébucher sur les branches éparpillées au sol.
Continue !
Céleste serra les poings. Elle devait continuer, devait courir, encore un peu, un tout petit peu, juste assez pour arriver au village. Encore une pente, encore des virages. Encore des arbres sombres et intimidants, encore des arbres qui l'empêchaient d'avancer plus vite et lui bloquait la vue... Brusquement, au tournant d'un sapin, elle aperçut une petite maison. Une maison de chasseur. Prenant son courage à deux mains, elle courut avec toute la force lui restante et cogna contre la porte en bois en s'époumonant, espérant de toutes ses forces qu'on l'entende et qu'on l'aide, espérant qu'on empêche la bête de lui faire du mal...
« Ouvrez-moi ! Ouvrez-moi ! Au secours ! Au secours ! »
Derrière elle, le monstre hurla à la lune et brusquement, la porte de la maison s'ouvrit et un homme armé s'y tint dans le cadre, l'air ahuri.
« Que se passe-t-il, nom de dieu ! », s'écria-t-il et Céleste montra la bête d'un doigt tremblant, la bête qui dans le noir grognait et se rapprochait d'un pas rapide. L'homme écarquilla les yeux.
« Rentre, gamine ! », il poussa brutalement la jeune fille à l'intérieur de la maison et d'un geste précis et violent tira sur l'animal qui, surpris, poussa un cri de douleur et s'écroula au sol. L'homme tira une deuxième fois.
« Dégage ! Monstre ! Dégage ! Et si tu remets les pieds ici, c'est pas dans les jambes que j'te tire ! »
La bête poussa un grognement plaintif et se releva en titubant, levant ses yeux jaunâtres vers la porte dans laquelle se tenait l'homme et Céleste qui l'observait de ses grands yeux bleus. Soudainement, la jeune femme sentit son cœur manquer un battement. Là, à la lumière de la lune pâle, dans le visage de la bête, il lui semblait avoir aperçu le reflet des yeux verts clairs d'Orion qui étaient aussi les yeux verts clairs de la bête. Elle se mit à trembler, trembler si fort qu'elle plia ses mains entre elle et fit un pas titubant en arrière, la tête lui tournant, la respiration forte et erratique. L'homme fixa la bête quelques instants de plus, tira dans le vide et claqua le porte. Il posa ensuite son arme à côté de la porte et accouru aux côtés de la jeune femme recroquevillée sur elle-même.
« Bon sang, comment allez-vous ! Est-ce qu'elle vous a mordu ? Etes-vous blessée ? »
Céleste secoua frénétiquement la tête, des larmes lui roulant le long des joues.
« Non... non. », souffla-t-elle et le chasseur lui posa doucement une main sur l'avant-bras.
« Que faisiez-vous dans la forêt à une heure aussi tardive ? Ce n'est pas un lieu pour les jeunes femmes de votre âge. La forêt est dangereuse. »
Céleste se passa une main fébrile sur le visage.
« Je n'étais pas... » Elle s'interrompit, car à ce moment précis, elle se remémora tout ce qui lui était arrivée en moins d'une journée. Les souvenirs tourbillonnaient violemment dans sa tête, un afflux d'image, de sons et de couleurs entremêlés. Le bain. La servante. Il avait fait trop chaud, elle avait voulu sortir, n'avait pas pu et s'était allongée. Elle avait tout fait pour rester consciente, tout, et elle avait réussi. Elle se souvient d'un pas lourd, brusquement Orion la tenait et avançait rapidement, un lit, un homme que le roi appelait docteur. Orion contre elle, elle s'était endormie, s'était réveillée, était face à la bête. Céleste déglutit. « La bête était dans ma chambre. », murmura-t-elle simplement, « Le seul chemin pour lui échapper était de passer par la forêt. »
Le chasseur secoua la tête.
« Dans votre chambre ? Mais où étiez-vous, enfin ? »
Elle sourit faiblement.
« Au château. Je devais y rester une semaine pour tenir compagnie au roi. »
Le chasseur l'observa quelques secondes, sidéré, puis éclata d'un rire dur.
« Tenir compagnie au roi ? », cracha-t-il presque, « Que vous a-t-il fait pour qu'une jolie jeune femme comme vous accepte de faire une chose pareille ? Je n'ai vu cet homme que quelques fois mais il n'est que cruauté, arrogance et bêtise. N'avez-vous d'ailleurs pas entendu toutes ces histoires qui circulent sur son compte ? » L'homme se tut un instant avant de continuer, les sourcils froncés. « D'ailleurs où était-il, lorsque vous avez fui la bête ? N'a-t-il rien fait pour arrêter un monstre pareil dans son propre château ? »
Céleste pâlit un peu dans le noir et se mordilla la lèvre. Orion s'était endormi à côté d'elle et à son réveil, il n'était plus là. La bête lui avait-elle fait quelque chose ? Elle sentit son cœur trembler un peu tandis qu'un élan presque protecteur la prit en entendant ce chasseur parler avec tant de haine d'un homme qu'il ne connaissait pas. Certes, Orion était arrogant et semblait cruel : mais il lui avait sauvé la vie plusieurs fois et dans les derniers jours, elle avait pris plaisir à être dans la compagnie de ce roi étrange et renfermé. Elle grogna intérieurement. Elle ne laisserait pas un inconnu juger un homme sur lequel il n'avait entendu que de vulgaires ragots.
« Le roi », dit-elle, la voix un peu plus forte, « m'a sauvé la vie suite à un malaise en forêt. Il n'est pas un homme facile mais bêtise et cruauté ne sont pas des mots pouvant le décrire. J'ignore cependant ce qui lui ai arrivé suite à l'arrivée de la bête – j'espère seulement qu'il n'est pas blessé.» Elle dit le dernier mot doucement et le chasseur devant elle fronça un peu plus ses sourcils noirs comme ses cheveux longs qui lui cascadaient jusqu'aux épaules.
« Il pourrait bien crever et ce serait une joie pour tout le monde. Je ne sais pas ce qu'il a pu vous dire ou faire mais cet homme n'est pas quelqu'un qui mérite votre respect et votre gentillesse. Il a ruiné des femmes, beaucoup de femmes, tout ce qui l'intéresse est l'argent qu'il récolte de son peuple sans que celui-ci ne puisse le voir une seule fois. »
Céleste déglutit et ne dit rien. Que pouvait-elle répondre ? Elle ne connaissait pas Orion depuis si longtemps et ne connaissait pas la teneur en vérité de ces affirmations. Elle espérait seulement qu'elles n'étaient du moins pas totalement vraies et sentait son cœur se resserrer un peu en pensant à Orion. Cet homme semblait, malgré son jeune âge, maudit de tous ; les puissances environnantes le surnommant avec méchanceté le « roi maudit ».
« Demain matin », murmura-t-elle, « Je dois retourner au château. Je dois y rester encore trois ou quatre jours. »
Le chasseur poussa un rire surpris.
« Mais enfin, Mademoiselle, vous ne pouvez pas retourner là-bas ! Vous venez de vous faire attaquer par un monstre dans votre chambre ! »
« Je dois y retourner ! »
« Non ! Je refuse de vous amener dans cet endroit maudit ! Je ne veux pas votre sang sur mes mains ! »
«Il ne m'arrivera rien ! » Céleste se releva, le visage blanc maintenant rougit, ses yeux grands ouverts et les poings serrés. Elle n'était pas certaine elle-même pourquoi elle tenait autant à retourner au château après ce qui lui était arrivé mais une petite voix dans sa tête lui soufflait qu'il s'agissait là de la bonne décision. Elle avait eu le sentiment de s'être rapproché d'Orion. Elle avait eu, la nuit, en compagnie de la bête, l'occasion de jouer du piano, de danser sous les étoiles sur une mélodie enchanteresse, chose que jamais elle n'aurait pu faire au village. Elle aimait ses parents : néanmoins ils ne la comprenaient pas et détestaient ses rêveries, son étourderie, sa passion pour la littérature et pour la liberté. Au village, elle n'était que la petite Célestine, pas plus jolie ou plus laide qu'une autre, un peu trop étrange, un peu ennuyante, énervante avec ses réparties qu'elle lançait sans y réfléchir et auxquelles on ne secouait que la tête en levant les yeux au ciel et en grommelant « Fais attention à cette grande bouche, petite, elle ne t'attirera que des ennuis ». Elle se passa une main dans les cheveux en désordre et leva ses yeux vers ceux du chasseur dont le visage s'était refermé.
« Vous n'irez pas. »
Céleste se sentait comme une enfant, une enfant sans pouvoir et faible devant les yeux durs de son père. Comment cet homme pouvait-il lui interdire de se rendre au château, comment osait-il ? Elle avait envie de lui crier à la figure, de lever sa petite main tremblante sur son visage masculin mais se retint et réfléchit. S'il ne la laissait pas partir volontairement, elle irait sans qu'il ne s'en rende compte. Il n'était pas son père, il n'était personne et n'avait aucun droit sur sa personne. Elle lui était seulement redevable pour l'avoir sauvé du monstre.
Un élan de culpabilité la pris et elle relâcha ses poings.
Elle lui devait sa vie.
Malgré tout, elle devait retourner voir Orion et Adrien, elle leur avait promis de rester une semaine. La jeune femme tenait aussi à s'assurer que les habitants allaient bien, que la bête n'avait blessé personne.
Elle regarda le chasseur et hocha la tête, lentement.
« Bien. », dit-elle doucement, « Vous avez raison. Je ferai mieux de rentrer au village, chez mes parents. »
Le chasseur eut l'air soulagé et lui posa à nouveau une main sur le bras, souriant en coin.
« Vous prenez la bonne décision. » Il hésita un moment « Je vous emmènerai demain matin. En attendant... Vous devez être fatiguée. J'ai un lit vide, vous pouvez y passer la nuit. »
Céleste hocha à nouveau la tête et suivit l'homme lorsqu'il s'enfonça un peu dans sa maison, allumant une bougie au passage pour montrer le chemin. Il ouvrit une porte en bois qui grinça un peu et montra un lit du menton. Il se gratta le menton.
« Il y a des chemises dans l'armoire. », marmonna-t-il, « Faites comme chez vous. »
Céleste le remercia et il referma la porte derrière elle, la laissant seule dans la chambre sombre, éclairée par seulement une bougie. Elle soupira et avança jusqu'à l'armoire qu'elle ouvrit avec difficulté avant de sortir une chemise blanche, longue et rugueuse qui n'avait rien à voir avec les robes de nuit en satin qu'elle avait porté au château. Elle se dévêtit et se passa l'habit par-dessus la tête avant de s'allonger sur le matelas dur du petit lit en bois. Il grinça sous son poids et elle ferma les yeux en soupirant.
Demain à l'aube, elle retournerait au château.
Prise de fatigue, sans même qu'elle n'eut le temps de s'en rendre réellement compte, Céleste s'endormit.
Bonjour, bonsoir!
Eh bien voilà. Dites bonjour au grand méchant loup - si méchanceté il y a. Comme ce chapitre est relativement long, je l'ai coupé en deux.
En tous cas, j'ai beaucoup réfléchi à la suite de l'histoire pendant quelques jours de vacances, j'ai hésité, j'ai préparé de nombreux scénarios en tous genre mais maintenant, je pense savoir comment tout ça va se finir: et pendant un moment, le conte de fée va se noircir, préparez-vous!
...
Allez, on se retrouve pour la partie 2 de ce chapitre!
Bisous, bisous,
Blondouille ♥
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