Chapitre 15

« Ce n'est que dans la nuit que les étoiles brillent. », Churchill

Céleste se figea instantanément lorsque la porte retomba dans ses gongs. Jamais, jamais, n'avait-elle vu un spectacle d'une telle beauté. Certes, la bibliothèque et les ornementations des pièces étaient spectaculaires : mais cette salle... Cette pièce... De hauts murs bleus à touches dorés s'allongeaient vers le haut, le haut où une coupole de verre laissait apparaitre les étoiles dans un ciel ténébreux – un spectacle reflétait dans le sol miroitant. La jeune femme secoua la tête. Elle avait l'impression de flotter dans un rêve. A côté d'elle, elle entendit brusquement la bête se racler la gorge.

« Vous... aimez ? », demanda-t-elle, d'une voix incertaine et Céleste tourbillonna sur elle-même, se tournant vers la bête.

« C'est... C'est magnifique ! C'est comme si... », elle ferma les yeux quelques secondes, « Je volais parmi les étoiles. Je me sens légère et ... C'est magique. »

L'être étrange émit un sourire en coin et soudainement, Céleste entendit de la musique résonner contre les murs. Elle chercha les instruments autour d'elle – il n'y en avait pas. Elle écarquilla les yeux un peu plus tandis qu'un léger rire quitta les lèvres de la bête. Cette dernière fit une révérence des plus élégantes avant de se relever doucement, les yeux verts clairs pétillants.

« Voulez-vous m'accorder cette danse ? », demanda la bête. La jeune femme hésita quelques secondes puis doucement, tandis sa délicate main blanche que la bête pris avec précaution dans sa patte, comme si elle avait peur de la briser. Céleste sentit ses joues rosir, comme des fleurs au printemps : elle baissa un peu les yeux.

« Je ne sais pas réellement danser. », murmura-t-elle, embarrassée, « Même les danses au village me posent problème. Je n'ai... Je ne pense pas que ce soit une bonne idée. »

La bête rit à nouveau mais ne lâcha pas sa main.

« Ne vous inquiétez pas, Mademoiselle. », elle pencha sa tête hideuse de côté, « Ai-je donc l'air d'un bon danseur ? Je ne vous ai pas amené ici pour me moquer de vous : je souhaitai seulement... » La bête inspira profondément, « J'ai si peu de compagnie. J'ai certes appris à danser mais je n'ai jamais eu réellement l'occasion de le faire : qui danserait avec une bête lors des bals ? » Sa voix était mélancolique, désespérée et Céleste sentit son cœur se resserrer un petit peu. Elle sourit.

« Alors dansons. », dit-elle presque silencieusement, « Montrez-moi ces talents que vous n'avez pu exploiter. »

La bête hocha la tête. Avec douceur, elle posa une main de Céleste sur son épaule et pris sa deuxième main dans la sienne, entourant la taille fine de la jeune femme. Elle approcha son visage de son oreille.

« Un pas après l'autre. », murmura la bête en commençant à bouger imperceptiblement, menant Céleste dans une danse agréable, le temps que ses pieds s'habituent et que ses gestes deviennent plus assurés et moins maladroits. La musique devint un peu plus forte et la bête se mit à bouger un peu plus vite, avançant, tournant, emmenant Céleste dans une danse magique, une danse durant laquelle les étoiles semblaient suivre leurs mouvements.

La jeune femme laissa retomber sa tête dans sa nuque, ses cheveux retombant librement contre son dos et virevoltant dans un rythme saccadé autour de son visage. Ses yeux se posèrent sur les lumières scintillantes dans le ciel et un sourire lui illumina les traits jusque-là encore un petit peu fatigués et les yeux bleus : son corps relâcha toute sa tension et elle se sentit fondre contre le corps presque grotesque de la bête qui bougeait avec une grâce fascinante, une élégance royale. Ses lèvres rougies et entrouvertes se mirent presque inconsciemment à entonner l'air du piano et bientôt, elle ferma à moitié les yeux avant de laisser échapper un rire libéré et heureux. Car elle était heureuse ; heureuse comme elle ne l'était que rarement. Emplie d'un bonheur si intense, d'une joie la submergeant totalement devant la beauté du moment, la beauté des étoiles, la beauté de la musique. Elle sentit la bête resserrer un peu resserrer son étreinte sur sa taille délicate et pencher son visage contre la nuque de Céleste qui y sentit son souffle chaud la chatouiller. Elle rit un peu plus.

« Vous êtes... heureuse ? », marmonna la bête de sa voix rauque et Céleste hocha la tête.

« Oui. », murmura-t-elle, regardant la bête droit dans les yeux. « Vous êtes un danseur remarquable. » Elle vit la créature déglutir et baisser son regard, d'un air mal à l'aise. La jeune femme écarquilla ses prunelles.

« Mais enfin, ne vous l'a-t-on jamais dit ? »

La bête secoua la tête, ses bras relâchant leur emprise sur la jeune femme. La musique dans le fond ralentit puis cessa en douceur. La pièce fut alors bercée dans le silence.

« Je vous l'ai déjà dit. », grommela la bête, « Je n'ai presque jamais eu l'occasion de danser avec qui que ce soit. »

Céleste s'écarta de la bête mais garda une main sur son avant-bras.

« Vos quelques partenaires de danse ont bien du vous dire quelque chose. », dit-elle gentiment, « Votre... apparence ne vous prend pas votre talent. » La jeune femme se sentit brusquement rougir après avoir dit ces mots. Elle se sentait extrêmement maladroite : l'apparence de la pauvre bête ne devait pas être facile à vivre et elle faisait un tel commentaire déplacé ! « Pardonnez-moi ! », s'exclama-t-elle, « je ne voulais pas dire par là que vous soyez-»

La bête avait la tête basse et recula un pas de plus, la main de la jeune femme retombant ainsi de son bras. Lorsqu'elle se mit à parler, sa voix semblait presque déchirée, abattue.

« Ce n'est pas la peine de vous excuser, Mademoiselle. J'ai bien conscience de mon apparence et si elle n'influence pas mon talent, elle influence mon entourage. Mes quelques partenaires de danse avaient... bien trop peur de moi. Elles n'auraient jamais eu le courage de me complimenter – les seuls mots qui quittaient leurs lèvres après la danse étaient des insultes derrière leurs mains levées. »

Céleste secoua la tête.

« J'en suis si navrée, croyez-moi. Votre apparence est si trompeuse car derrière tout ça... Vous jouez divinement bien du piano et dansez tout aussi bien. »

La bête rit doucement, un rire rauque, un peu animal sur les bords mais sincère.

« Cessez de me complimenter ainsi, j'en rougirai presque. »

La jeune femme sourit.

« Tel était mon intention. »

La bête tendit ensuite un bras maladroit à Céleste qui le prit.

« Voulez-vous sortir, vous assoir sur le balcon ? »

La jeune femme hocha la tête, surprise.

« Il y a un balcon. »

La bête grogna, un bruit de contentement.

« Oui. Ce château... regorge de secrets. »

La bête avança ensuite jusqu'au mur arrondi de la pièce et doucement appuya sur une étoile peinte en or, un peu plus grande que les autres. Céleste fronça les sourcils. D'abord, rien ne se passa : seul un bruit sourd résonna, comme si le château se mettait à trembler. Un craquement, un roulement. Brusquement, le mur se mit à vibrer, de plus en plus fort, de plus en plus vite. La jeune femme s'écarta et s'accrocha sans réfléchir au bras de la bête qui lui jeta un regard surpris et se figea un instant.

« Que se passe-t-il ! », s'exclama Céleste.

Deux pans de mur se séparèrent soudainement et dans un énorme fracas, s'écartèrent jusqu'à dévoiler une petite porte blanche aux ornementations bleutées. La bête sourit et tendit une main, appuyant sur la poignée dorée. La porte s'ouvrit sans un bruit et brusquement, ils avaient devant eux un large balcon éclairé par de mystérieuses petites lumières placées tout autour. Les yeux de Céleste s'agrandirent à nouveau, un rire échappant à ses lèvres qu'elle recouvrit de ses doigts fins.

« Mon dieu, c'est magnifique ! Existe-t-il une seule pièce hideuse dans ce château ? », murmura-t-elle avant de se rappeler dans ses pensées submergées l'existence des appartements lugubres et ternes d'Orion. Soudainement, elle voulut savoir où demeurait la bête durant le jour, car elle ne pouvait pas apparaître au coucher de la lune et devait bien avoir un lieu pour passer son temps.

« Je me demandais... », commença-t-elle, l'air pensive en se tournant vers l'homme étrange, « Où sont vos appartements au château ? »

La bête eut un mouvement de recul. L'expression légère quitta ses traits déformés et un rire nerveux quitta ses lèvres, provoquant un frisson glacé le long du dos de Céleste.

« Mes appartements ? », grogna-t-elle, « Avez-vous donc envie de venir me voir la journée ? »

La jeune femme déglutit, ne comprenant pas le brutal changement d'humeur. Elle secoua la tête, reculant un peu sur le balcon jusqu'à sentir la balustrade contre son dos.

« Je m'excuse. Je ne voulais pas vous offenser. »

S'il s'était agi d'Orion devant elle, elle n'aurait pas reculé et ne se serait pas tue aussi rapidement : cependant, même si la bête lui avait semblait inoffensive quelques secondes auparavant, elle sentait ses mains trembler devant les crocs luisant à la lumière fantomatique de la lune pâle, devant les poils hérissés sur les avant-bras massifs : la bête n'avait qu'à tendre une seule de ses griffes et la lui passer sur la gorge pour que s'en soit fini d'elle.

« Je m'excuse. », répéta Céleste, voyant que le corps bestial ne se détendait pas. La bête avait la respiration lourde et semblait prise dans un combat intérieur, ses pattes tremblant imperceptiblement. Elle grogna.

« Vous... Vous avez peur de moi – n'est-ce pas ? » La voix de la bête était presque inhumaine, douloureusement pressée entre les larges dents serrées. Céleste sentit son cœur accélérer et elle se mordilla la lèvre, ne sachant pas comment répondre car elle ne pouvait deviner la manière dont l'être devant elle allait réagir. Avant qu'elle ne puisse réagir, la bête continua.

« Je ne vous en veux pas. » Elle poussa un rire amer « Regardez-moi, la bête pathétique qui essaie d'agir normalement. Les bêtes ne sont pas normales. Je n'arrive qu'à effrayer les gens autour de moi en ayant seulement l'air déconcerté. » Elle laissa tomber sa tête entre ses grandes pattes tandis qu'un bruit rauque quitta ses lèvres.

Un sentiment de remord pris Céleste au cœur. Ce qu'elle avait cru être de la colère n'était qu'un moment de choc, un moment où la bête n'avait pas su comment réagir.

« Ne dites pas des choses pareilles ! », s'exclama-t-elle et, prenant son courage à demain, avança jusqu'à la bête et d'un geste rapide, la pris dans ses bras, jusqu'à ce que la lourde tête repose sur son épaule. « Vous m'avez réellement effrayé. Ne m'en voulez pas. Je sais que vous avez seulement l'air d'une bête – je vous l'ai dit tout à l'heure, je ne pense pas que vous soyez monstrueux à proprement parler. », murmura-t-elle doucement, « Les monstres ne sont pas qui l'on croit être. »

La bête grogna, le corps toujours tendu mais se relaxant un peu entre les bras fins de Céleste.

« Personne ne m'a jamais...tenu. », souffla la bête en fermant tristement ses yeux.

« Même pas votre mère ? », demanda gentiment Céleste et elle secoua la tête avec mélancolie.

« Personne. »

La jeune femme déglutit tandis qu'un tremblement empathique lui traversa le corps. Elle avait tellement de peine pour cette étrange bête qui était si exclue du monde et si seule seulement pour son apparence. S'il était vrai qu'elle semblait effrayante, elle restait un être humain et presque fragile.

« Quelle horreur. », souffla la jeune femme, presque malgré elle. La bête ne dit rien. Ne bougea pas. De longues minutes, ils restèrent ainsi, jusqu'à ce que Céleste sente la fatigue la submerger. Ses jambes tremblèrent un petit peu et ses yeux se mirent à papillonner délicatement, dans l'espoir de rester ouverts.

« Vous devriez aller vous coucher. », marmonna la bête d'un ton bourru en s'écartant d'elle « Vous avez l'air de vous endormir sur place. »

Céleste rit doucement avant qu'un bâillement quitte ses lèvres.

« Oui. », murmura-t-elle, « Je... devrais. »

« Venez. »

La bête la fit revenir à la pièce aux étoiles où se trouvait, derrière un rideau caché, un large lit à baldaquin avec de larges voiles bleus foncés, dorés et blancs. Céleste sourit. Elle n'avait pas réellement le courage de retourner jusqu'à sa chambre et sans attendre l'accord de la bête, avança jusqu'au meuble et s'allongea sans un son entre les duvets étoilés.

« Bonne nuit. », souffla-t-elle timidement et ferma ses paupières délicates.

« Vous... Est-ce que nous nous reverrons ? », demanda la bête d'une voix hésitante.

« Demain soir, à côté du piano à queue. », répondit la jeune femme d'une voix imperceptible, un sourire aux lèvres auquel répondit la bête dans le noir avant de s'éloigner du lit en refermant le lourd rideau.

La bête – Orion – sortit à pas lourds de la pièce après avoir éteint les bougies et refermé la porte secrète menant au balcon. Il sortit de la pièce aux étoiles et lentement, lentement, descendit les escaliers pour rejoindre ses propres appartements, le cœur lourd.

Mis à part le fait qu'il faisait semblant de ne pas être le roi, Orion n'avait pas menti une seule fois durant la soirée. Il s'était senti... mis à nu. Comme si Céleste, avec ses grands yeux emplis de gentillesse, pouvait voir à travers son cœur sombre. Il n'avait pas menti sur la danse : ses partenaires avaient réellement étaient apeurées par ses remarques cinglantes et cruelles pour faire un compliment – la danse avec ces potiches idiotes avait fini par l'ennuyer et c'est pourquoi il ne dansait que rarement. De plus, personne ne l'avait jamais réellement tenu : même pas sa mère, comme l'avait remarqué Céleste. Orion avait passé une enfance triste et seule, entre leçons en tous genres et sans amis. Les rois n'avaient pas d'amis.

Les rois n'avaient pas besoin d'être tenu.

Les rois n'avaient pas à respecter ceux qui les entourent.

Mais ce soir... Orion grogna.

Ce soir il n'avait plus était le roi. Il avait réellement été la bête et de manière tordue il avait apprécié. Un rire animal sortit de ses lèvres déformées. Il en était au point de préférer être la bête parce que la bête avait droit à de la gentillesse, à de la compassion. Céleste acceptait de se laisser toucher par la bête : elle la prenait dans ses bras. Orion n'aurait jamais une chance pareille. Il se laissa tomber sur son lit, se souvenant de leurs danses. Sa taille fine entre ses doigts grotesques, l'extase sur son visage.

Elle avait été si belle, si maladroite, si... Céleste. Il sourit en sentant son cœur accélérer pathétiquement. Bon sang, que lui arrivait-il ! Oubliait-il qui il était ? Comment pouvait-il... Orion déglutit et se posa un coude bestial par-dessus les yeux. Elle partirait dans seulement quatre jours. Quatre jours et elle l'aurait oublié tandis qu'il serait à jamais maudit. Tandis qu'il finira sa vie en bête solitaire et qu'elle n'en saurait rien, la jolie, innocente, petite Céleste. Un gémissement rauque et incertain lui échappa.

Orion tenta de ne plus y penser.

De s'endormir.

Il n'y arrivait pas. Il sentit l'envie d'aller à nouveau observer la jeune femme dans son sommeil mais se retint. Il s'était juré de ne plus le refaire. Il n'était plus un adolescent, ciel ! De plus, qu'en attendait-il ? Céleste n'allait pas se réveiller soudainement pour lui jurer son amour éternel et le libérer de ce fichu sort ! Il serra les poings et émit un bruit de frustration. Son amour éternel... Comment faisait-on pour faire tomber une telle femme amoureuse ? Elle était compliquée, elle était bornée, elle n'était qu'une petite villageoise mais dieu, qu'elle avait la langue fourchue et des yeux... Des yeux bleuâtres, clairs et lumineux, comme l'eau sur laquelle se reflète le soleil.

Orion se retourna dans son lit.

Demain soir. Elle reverrait la bête demain soir. Il soupira et la frustration fit place à un sourire en coin.

Il avait jusqu'au lever du soleil pour trouver une nouvelle idée.

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