Chapitre 12

« Un livre est un outil de liberté », Jean Guéhenno

Elle était vêtue comme il l'avait laissé la nuit précédente. Allongée au sol comme une poupée endormie, repliée sur elle-même, les cheveux blonds entourant le visage laiteux aux yeux fermés. Orion sentit sa respiration accélérer un instant. Que faisait-elle là ? Lentement, il s'accroupit à côté d'elle tandis qu'un élan de peur lui griffa le cœur à la vue de la figure immobile et blanche de la jeune femme à ses pieds. Il tendit une main et la posa délicatement sur le pouls régulier qui battait contre le creux de la nuque de Céleste.

Elle était bien en vie. Un soupir de soulagement échappa à ses lèvres. Orion lui tapota la joue, en tentant de la réveiller, mais la jeune femme ne broncha pas. Seuls ses cils virevoltèrent quelques instants contre ses joues blanches comme le marbre le plus pur.

« Céleste. », grommela Orion, la prenant cette fois par l'épaule pour la secouer un peu. Pourquoi ne se réveillait-elle pas ? Un léger soupir échappa aux lèvres de la jeune femme et elle tourna un petit peu sa tête vers la droite sans pour autant ouvrir ses yeux. Orion grogna doucement puis lentement, souleva le corps de Céleste pour le presser contre sa poitrine. Il se releva avec elle. Ses yeux tombèrent brusquement sur sa rose sous la cloche, rayonnante de beauté dans son éclat artificiel. Des pétales tombés entouraient son corps piquant et trompeur. Des pétales lui indiquant qu'il n'avait plus beaucoup de temps avant d'être à jamais transformé en monstre... Un tremblement parcourut son corps, involontairement, et dans un geste de désespoir, il serra Céleste un peu plus contre lui. Reculant, il ouvrit la porte et sortit le plus rapidement de la pièce où l'odeur des fleurs sur le mur lui donner la nausée. Il sentit Céleste bouger un petit peu et baissa son regard pour se retrouver nez-à-nez avec elle.

Elle avait les yeux grands ouverts, les pupilles dilatées, les lèvres entrouvertes.

L'agneau dans les bras du loup, pensa-t-il, plein d'ironie.

« Orion ? », demanda-t-elle, la voix rauque et brisée sur les bords, comme si elle n'avait pas parlé depuis longtemps, « Que... Que s'est-il passé ? »

Il secoua la tête, le visage fermé et dur, comme à son habitude.

« Je l'ignore. Je souhaitais seulement regarder quelque chose et quand je suis entré... Vous étiez inconsciente, allongée au sol. »

« Inconsciente ? », demanda Céleste, ouvrant ses yeux un petit plus et se passant sa langue sur les lèvres, « Que pouvais-je bien faire inconsciente dans cette pièce ? », grommela-t-elle, plus pour elle-même. Orion secoua la tête.

« A nouveau, je l'ignore. Cette pièce est à l'opposé de votre chambre : vous feriez mieux de ne d'ailleurs plus y mettre les pieds. »

La jeune femme fronça les sourcils.

« Et pourquoi donc ? »

Le roi serra les dents et secoua à nouveau la tête, irrité par le questionnement de la jeune femme. Il était le roi, bon sang, elle n'avait pas à le questionner encore et encore ! Pourtant, après quelques secondes de réflexion, il répondit.

« Cette pièce... était très chère à ma mère de son vivant. Personne n'est autorisé à y pénétrer depuis sa mort. Personne. »

Céleste pencha sa tête un peu de côté et s'apprêta à poser une question de plus quand une douleur perçante traversa son corps, une douleur partant de son cœur et étendant ses tentacules cruelles le long de ses membres déjà affaiblis. Un petit gémissement échappa à ses lèvres et Orion s'arrêta abruptement.

« Céleste ? Vous ai-je serré trop fort ? Avez-vous mal quelque part ? »

La jeune femme agrippa l'avant-bras du jeune homme et émit un demi-sourire forcé et candide qui dans sa douceur trompa le roi.

« Ne vous inquiétez pas, j'ai seulement la tête qui me tourne un petit peu : j'ai dû tomber au sol et me cogner la tête en perdant conscience. », dit-elle calmement, aussi calmement que possible tandis que la douleur sourde continuait à traverser chacune de ses veines. Son cœur accéléra silencieusement et Céleste sentit ses lèvres trembler un petit peu. Orion ne vit rien : il hocha la tête, la mine distancée et avança jusqu'à la chambre de la jeune femme dont il ouvrit la porte d'un tour de main. Il pénétra à l'intérieur et l'installa sur le lit maladroitement. Céleste lui lança un regard en coin.

« Orion... Je suis tout à fait capable de m'allonger dans ce lit par mes propres moyens. »

Le roi releva lentement la tête et une rougeur inhabituelle lui colora les joues. D'un geste mal à l'aise, il se passa une main dans ses cheveux sombres et désordonnées.

« Oui... Oui, évidemment. J'essayais seulement de...de... », dans un grognement, il s'interrompit et Céleste ne put s'empêcher de pousser un petit rire.

« Et bien ? Le roi aurait-il donné sa langue au chat ? »

« Le roi », siffla Orion, « se réjouirait d'un peu plus de respect. »

La jeune femme releva un peu le menton et resserra ses poings sur les draps soyeux sous son corps.

« Vous n'en avez pas assez de réagir comme un enfant boudeur à la plus petite des remarques ? Je n'essayais pas de vous insulter, il s'agissait seulement d'une plaisanterie ! Alors si vous êtes incapable de seulement sourire pour cinq secondes, cinq secondes où vous pourriez mettre votre égocentrisme de côté, je vous prie de me laisser me reposer ! »

Orion resta bouche-bée quelques instants, ne sachant pas quoi répondre. Finalement, il baissa son regard vers le sol, hésitant.

« Je... »

Céleste souleva un sourcil et il poussa un grognement énervé, relevant la tête dans un geste de rage impuissant.

« Je m'excuse ! Je n'ai pas l'habitude qu'on me réponde et je n'ai pas l'habitude de faire la conversation. »

Ce fut au tour de la jeune femme d'être surprise. Elle s'était attendu à une autre foulée de mots crus, à une exclamation haineuse et colérique, à des remarques dégradantes comme le roi les faisait si souvent. Pour rien au monde ne s'était-elle attendue à des mots d'excuses, quand bien ils avaient semblé lui brûler la langue. Céleste secoua lentement la tête et un sourire honnête apparut au coin de ses lèvres.

« Vous moquez-vous de moi, Mademoiselle ? », grommela Orion en la fixant à travers ses cils. Cette fois-ci, aucune once de colère n'était contenue dans ses mots et le sourire de Céleste s'agrandit un peu plus.

« Seulement un petit peu. », dit-elle doucement. Le roi sourit lentement.

« Je l'ai bien mérité. », répondit-il calmement et la jeune femme sentit ses joues rougir à son tour. Elle se racla la gorge et le roi, sentant sentir sa gêne, se passa une main dans les cheveux.

« Souhaitez-vous que j'appelle quelqu'un pour vous aider à vous préparer ou préféreriez-vous vous reposer encore un peu ? Faut-il que j'appelle un docteur -»

« Je saurai me débrouiller, merci. Je souhaite seulement m'habiller et me rendre dans la bibliothèque. Pourriez-vous revenir pour m'y mener ? Je ne suis malheureusement pas sûre de m'être mémoriser le chemin. »

Orion hocha abruptement la tête et fit une légère révérence de la tête.

« Très bien. », grommela-t-il, « Je vous attendrai devant la porte. »

« Vous ne devez pas-»

« Ne prenez pas trop de temps. », l'interrompit-il et sortit de la pièce. La lourde porte retomba dans ses gonds et Orion s'adossa contre le marbre froid. Il laissa sa tête retomber en arrière et ferma les yeux, les longs cils noirs lui chatouillant les joues. Un soupir quitta ses lèvres et il se repassa la main dans les cheveux. Derrière la porte, il pouvait entendre Céleste se lever du lit, ses pas sur le sol. Elle semblait avancer jusqu'à son armoire qui s'ouvrit en grinçant doucement : Orion ferma ses yeux un peu plus.

Il entendit la jeune femme pousser un bruit de mécontentement et quelques secondes plus tard, il perçut le bruit d'un tissu qui glissait le long de sa peau et qui finit par délicatement s'étaler sur le sol. Un tissu aussi blanc que les pétales de rose autour de lui. Aussi pur que la jeune femme dans la pièce. Le jeune homme ne put s'empêcher d'imaginer son corps aussi blanc et presque irréel que les quelques pans de peau qu'il avait été amené à apercevoir. Orion serra les poings en sentant son cœur accélérer sa cadence. A nouveau, le grincement de l'armoire résonna dans la pièce : Céleste sembla en sortir quelques habits. Le roi se passa sa langue sur les lèvres et lentement, lentement, fit un tour sur lui-même et avança son visage de la serrure. Son corps fut parcouru d'un tremblement et il eut subitement l'impression d'être à nouveau un adolescent sans expérience, un adolescent maladroit et désobéissant. Il entrouvrit un œil.

Sa vision eut d'abord du mal à s'ajuster : mais subitement, une silhouette devint visible. A la lumière faible filtrant par la fenêtre à carreau, Céleste apparaissait comme une nymphe d'une nudité laiteuse, les yeux mi-clos, ses habits pressés contre elle, tandis qu'elle avança jusqu'à son lit pour s'habiller. Elle tendit une jambe puis l'autre et y passa délicatement des bas : elle enfila ensuite une couche après l'autre, gardant cette expression rêveuse sur le visage encore un peu fatigué. Orion déglutit, espérant seulement qu'aucun des serviteurs ne se déciderait à passer par ici pour le voir dans une telle position. Un rire silencieux quitta ses lèvres. Il dévorait la jeune femme du regard comme s'il n'avait jamais vu de femmes dans sa vie. Il la vit soupirer : elle ouvrit à nouveau l'armoire et en sortit une paire de chaussures auxquelles elle jeta un regard des plus méprisants. Regardant en arrière, elle sourit subitement et souleva ses jupons et se mit à tourbillonner sur elle-même ; les yeux fermés, les boucles virevoltant autour de sa tête dans une danse incohérente. Doucement, elle se mit à entonner une petite mélodie : doucement, de peur que quelqu'un ne l'entende. Orion s'approcha un peu plus de la porte, dans l'espoir d'entendre ce qu'elle chantonnait : brusquement, il reconnut l'air et se figea.

Céleste fredonnait l'air que la bête avait joué le soir précédent.

Un frémissement parcourut le corps du jeune homme. Il se releva abruptement et pressa son dos contre le marbre, les yeux à nouveau clos. Il entendit un juron, le bruit des jupons qui retombent aussitôt suivit du cliquettement maladroit de ses pieds chaussés. Orion s'éloigna un peu de la porte et seulement quelques secondes plus tard, cette dernière s'ouvrit, dévoilant Céleste à sa vue. Elle avait les joues rougies et d'un geste rapide se tressa la chevelure en désordre. Le roi lui tendit un bras.

« Venez. », grommela-t-il, espérant qu'elle ne pouvait lire sur son visage qu'il l'avait observé auparavant comme un vulgaire gamin à travers le trou de la serrure et qu'il lui était maintenant impossible de se persuader du fait que Céleste n'était qu'une laide et banale petite paysanne-

« Ça ne va pas ? », l'interrompit la jeune femme. Orion lui lança un regard surpris.

« Pourquoi me posez-vous une telle question ? », rétorqua-t-il sans réellement répondre. Céleste haussa les épaules.

« Vous aviez l'air si perdu dans vos pensées que j'ai cru... », elle s'interrompit, embarrassée, « Excusez-moi. C'était présomptueux de ma part. »

Le roi secoua la tête et émit un sourire en coin.

« Je vais bien, merci. » Sa voix était rude, un peu plus rauque que d'habitude.

La jeune femme n'ajouta rien et avança silencieusement à ses côtés jusqu'à atteindre la somptueuse bibliothèque du château. Orion lui ouvrit la porte et elle entra à l'intérieur, à nouveau intimidée par la grandeur et somptuosité des lieux. La porte se referma doucement et elle s'avança à travers les rangées de livre. Elle se retourna vers le roi, debout à côté de la porte, l'air mal à l'aise.

« Vous ne lisez pas ? », demanda-t-elle et après avoir grommelé quelques mots la tête baissée, il releva la tête vers elle.

« Je n'ai pas lu depuis longtemps. Un homme comme moi n'a pas besoin de littérature : ainsi, j'ai seulement appris à lire dans ma jeunesse et je n'ai depuis plus touché au moindre papier. La littérature n'est qu'une perte de temps et pour un roi, le temps est précieux. »

Céleste secoua la tête et se retint de lever au ciel.

« Ce que vous dites, ce sont les mots de vos précepteurs, les mots qu'on vous a mis en bouche. Je ne puis croire que vous n'aillez toucher à un livre depuis si longtemps : après tout, vous n'aurez pas fait sculpter l'enfer de Dante sur la porte de votre salle à manger si c'était le cas, car une œuvre pareille ne se lit pas si jeune et vous avez bien dû en prendre connaissance. Alors laissez-moi répéter ma question, Orion, aimez-vous lire ? »

Le roi soupira, exaspéré.

« Laissez-moi répéter ma réponse, Mademoiselle : j'apprécie certes lire et il m'arrive de me pencher sur certaines œuvres. Mais je ne lis pas car ce n'est pas ce qu'on attend d'un homme et que suis-je face à la société ? »

Céleste grogna.

« Mon cher roi, vous me parlez de société, pourtant vous m'avez l'air bien seul. De plus, la société dit aussi que les petites paysannes laides et stupides ne sont pas faites pour être éduquée, ne sont pas faites pour lire et ne doivent pas répondre quand un seigneur leurs parlent : pourtant regardez-moi. Je me trouve dans une bibliothèque, prête à lire pour m'éduquer un peu plus, répondant à mon roi – et croyez-moi, j'ai conscience de mon manque de politesse et de bonnes manières. » Souriant imperceptiblement, Céleste fit une petite courbette : « Je m'en excuse royalement. »

« Savez-vous que pour cette insolence constante je pourrai avoir votre petite tête et plantée sur un joli pic en bois ? »

Le visage de la jeune femme se durcit.

« Et bien – faites ! Mais vous n'aurez plus jamais de compagnie dans votre château lugubre. », cracha-t-elle. Orion se racla la gorge et secoua la tête, se giflant intérieurement. Il garda pourtant une mine distancée et neutre.

« Je n'étais évidemment pas sérieux. »

« Vous avez un drôle d'humour. »

Il poussa un soupir exaspéré et fit un geste de la main.

« Allez lire, Mademoiselle. »

Céleste ne se le fit pas dire deux fois : d'un pas rapide, elle se retourna et disparut dans un couloir rempli de livres et de bibliothèques majestueuses.

Bonjour, bonsoir, les choupinets !

Un nouveau chapitre qui se termine – je m'excuse mille fois pour l'absence mais avec mon emploi du temps, j'ai réellement du mal à prendre du temps pour écrire. Mais j'y suis enfin parvenu !

J'ai eu énormément de problème avec ce chapitre, premièrement parce que j'ai eu des doutes quant à la suite de l'histoire, deuxièmement, parce qu'avec l'évolution de la relation entre Céleste et Orion, je veux qu'une certaine sensualité s'installe – je ne parle pas de vous faire des scènes pornographiques ou quoi, mais à toutes les âmes innocentes : dans une relation, il y a une dimension corporelle que j'ai envie d'incorporer à l'histoire mais de manière un peu plus subtile et poétique. Ce n'est pas facile, facile.

En tous cas, je voulais aussi vous remercier pour tous ces retours positifs que j'ai reçu pour Face cachée! Je suis toujours très heureuse d'entendre que mon travail vous plaît.

Alors promis, je vais essayer d'écrire à l'avance pour que vous ayez une suite plus régulièrement.

Sur ce, des bisous, des bisous ♥

Blondie



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