Chapitre 11

« La vie est une rose dont chaque pétale est une illusion et chaque épine une réalité », Alfred de Musset

Céleste retourna dans sa chambre à petits pas, son cœur battant la chamade, ses pensées virevoltantes en train de réaliser peu à peu ce qu'il venait de lui arriver. Elle avait joué du piano. Elle. Céleste. La jeune femme papillonna des yeux quelques fois tandis que ses doigts semblaient encore sentir la sensation agréable des touches se réchauffant au toucher et s'abaissant dans une mécanique fascinante. Lorsqu'elle rentrerait... Lorsqu'on l'emmènerait à nouveau chez ses parents... Lorsqu'elle serait mariée à un inconnu... Jamais – jamais - elle n'oublierait ce souvenir étrange et presque onirique où elle avait joué sur un piano dans un château, avec comme maître de musique une bête maudite et comme spectateur, la nuit. Un rire léger échappa eux lèvres de la jeune femme et brusquement, elle fut devant la porte de sa chambre. Elle hésita pourtant quelques secondes et se décida alors subitement à se rendre à la bibliothèque. Il lui fallait seulement une bougie – car que lui serviraient des livres sans lumière : les lettres ne formeraient dans le noir que des rangées de pattes de mouches. Céleste entra dans sa chambre et avança jusqu'à la table de nuit dorée sur laquelle était placée une lampe allumée qu'elle attrapa délicatement. Un des baldaquins lui caressa la joue de son tissu de soie, comme le doigt timide d'un amant réservé et Céleste se mordilla la lèvre, surprise du contact et chancela un peu. Cependant, elle se reprit bien vite et sortit bien vite de la chambre à coucher, encore enveloppée dans l'odeur des roses.

Elle sourit doucement en s'enfonçant dans les couloirs.

Quelqu'un semblait changer les roses à chacune de ses absences, car en plusieurs jours, elle n'en avait vu une seule qui était fanée. Elle hésita un instant et fronça brusquement les sourcils. D'où pouvait bien provenir ces roses blanches à l'odeur si enivrantes ? Elles ne pouvaient très certainement pas pousser dehors car la neige les aurait déjà englouties et gelées jusqu'aux épines.

Céleste tourna à droite et ses pensées en revinrent à la bête étrange. Maintenant que l'euphorie du piano avait commencé à quitter son corps, elle sentit un frisson lui caresser l'échine. Elle n'était pas certaine si elle devait avoir peur ou non : la bête ne lui avait rien fait et contrairement à celle qui l'avait menacé la première nuit et qui lui avait dit qu'elle n'avait autre choix que de rester au château... elle semblait avoir une certaine humanité, dans ses traits grotesques et ses doigts animales qui avaient frôlés pourtant si tendrement les touches du piano à queue. La jeune femme se passa sa main libre sur le visage. Et cette ressemblance avec Orion... c'était ridicule. Ridiculement ironique. Comment un frère pouvait-il être d'une beauté pareil, chez qui le plus simple des battements de cils semblait lascif et adonisiaque tandis que l'autre frère était aussi révulsant que fascinant, d'une laideur animale et inquiétante. Pourtant, ils avaient tous les deux ces yeux hypnotiques d'un vert étrange, clair, comme la couleur des feuilles au printemps qui flottaient à la surface des eaux turquoise, des yeux légèrement tombant avec de longs cils noirs. Des yeux ornés du même mélange d'émotions, entre colère et désespoir, entre ennui et tristesse. Comment deux hommes pouvaient-ils avoir des yeux aussi similaires ?

Céleste tourna à gauche et se demanda doucement si elle avait emprunté le bon chemin car elle ne reconnaissait pas les lieux. Elle cligna plusieurs fois des yeux. Ici flottait une odeur de rose extrêmement forte et les murs blancs et dorés devenaient rouges au fur et à mesure que la jeune femme avançait vers la porte en face d'elle. Non, décidément, elle n'était pas devant la bibliothèque. Avait-elle tourné au mauvais endroit ? Pourtant Céleste était certaine de ne pas s'être trompée ! Intriguée, elle s'avança jusqu'à la porte. Elle posa sa lampe au sol – la flamme fit quelques mouvements puis se stabilisa et illumina le couloir de son halo. Céleste fronça les sourcils et doucement, doucement, appuya sur la poignée et la porte s'ouvrit sans le moindre bruit. La jeune femme pénétra dans la pièce mystérieuse.

Immédiatement, sa tête se mit à lui tourner et elle porta une main à son front, les yeux plissés. La pièce était éclairée d'une lumière aveuglante et blanche provenant du centre où, sur une table basse, trônaient sous une cloche en cristal, une rose. La cloche était fissurée et la table bancale : cependant la fleur elle-même aveuglait Céleste. La jeune femme tourna un peu la tête et ses yeux tombèrent sur les murs autour d'elle. Un hoquettement surpris lui échappa. Partout, sur chaque centimètre, chaque parcelle, fleurissaient des fleurs rouges et roses, leur odeur forte, trop forte... La jeune femme tituba un peu en arrière. Elle eut vaguement conscience que derrière elle, la porte se referma sans un son. Une douleur perçante se fit sentir contre ses tempes et elle fit quelques pas en avant pour se maintenir à la table, pour maintenir son équilibre. Elle tendit une main, cligna plusieurs fois des yeux.

« Bonjour, Céleste. », murmura brusquement une voix.

La main de la jeune femme manqua la table de surprise et Céleste trébucha en avant, tombant sur ses genoux à peine protégés par sa robe de chambre fine. Son cœur se mit doucement à accélérer dans sa poitrine et elle tourna frénétiquement la tête, ne voyant personne dans la pièce hormis les fleurs et elle-même.

« Qui a parlé ! », s'exclama-t-elle, la voix plus forte que ses pensées paniquées.

Un léger rire féminin résonna contre les murs et la jeune femme déglutit, ramena ses mains près de son corps en redressant son dos.

« Seulement le vent dans les arbres. », souffla la voix, « N'est-ce pas ça que l'on raconte aux enfants ? »

Céleste serra ses poings.

« Qui êtes-vous ! Où êtes-vous ? ».

Quelque chose lui caressa la joue et elle fit un bond en arrière tétanisée.

Il n'y avait personne à côté d'elle.

Personne.

Pourtant, quelque chose lui avait touché la joue.

Elle se rappela soudainement avoir senti le baldaquin de son lit lui caresser la joue quelques instants seulement auparavant, comme s'il avait été poussé par une petite brise d'été : pourtant, ni la fenêtre, ni la porte de sa chambre n'avaient été ouvertes et elle ne s'était très certainement pas tenu aussi près du lit. Un tremblement hystérique parcourut le corps de la jeune fille.

« Montrez-vous ! », dit-elle, la voix aiguë presque un cri. Le même rire doux aux accents de folie perla le long des fleurs et parcourut le corps de Céleste d'un frisson glacé qui fit trembler ses mains et pâlir son visage déjà blanc.

« De quoi à tu peur, mon ange ? Je ne vais rien te faire. Du moins... presque rien. »

Céleste ne dit rien. Attendit.

« Te souviens-tu de cette rose, mon cœur ? », demanda la voix et Céleste lança un regard vers la rose rouge sous verre qui semblait vibrante de lumière. Elle hésita quelques instantes puis hocha lentement la tête.

« Je... je crois bien que oui. Il y a quelques jours, alors que j'étais sur le chemin du retour, il me sembla avoir cueilli une rose semblable dans la forêt : elle fleurissait dans la neige. », dit-elle d'une voix presque calme tandis que ses mains tremblèrent un peu plus fort et que l'odeur devenait de plus en plus forte et lui donnait un sentiment nauséeux. Un tremblement de colère sembla parcourir la voix car la pièce fut secouée d'un bruit de rage.

« Oui ! », hurla la voix, « Tu l'as cueillie et tu as provoqué la malédiction ! »

Céleste se releva en poussant sur ses mains, ne sachant toujours pas où regarder.

« Quelle malédiction ?! », s'exclama-t-elle. Et après un court instant : « Je suis désolée ! Je ne voulais faire de mal à personne ! Je... S'il-vous-plaît, laissez-moi sortir d'ici ! »

La voix poussa un rire cruel.

« Oh mais mon cœur, tu ne comprends pas. Ce n'est pas la malédiction qui me dérange : non celle-ci m'amuse au plus haut point. Mais en mettant la machination en route, tu lui as offert une chance d'être libéré du sort. La rose ne devait pas être cueillie et il ne devait jamais être sauvé ! »

Céleste fit un pas désespéré en arrière, voulant atteindre la porte. Elle sentit brusquement quelque chose lui entourer les poignets, quelques chose de piquant et douloureux. Elle tourna la tête et vit que quelques roses d'un des murs glissaient doucement sur le sol pour s'enrouler autour de la jeune femme qui se mit à frénétiquement secouer ses poignets.

« Lâchez-moi ! Lâchez-moi ! », s'écria-t-elle dans un cri perçant, les yeux grands ouverts et paniqués, le visage livide. La voix se mit à rire plus fort.

« Je ne te laisserai pas le sauver ! Il ne l'a pas mérité ! », s'écria la voix, « Déjà ce soir, tu semblais commencer ne plus avoir peur de lui ! »

D'autres épines s'enroulèrent autour des chevilles de Céleste qui tomba douloureusement au sol, un bruit de désespoir quittant ses lèvres entrouvertes.

« Vois-tu, ma biche, il m'a fait beaucoup de mal et il a fait beaucoup de mal à d'autres aussi : même à toi. C'est pourquoi il ne doit pas être sauvé et doit finir sa vie sous la forme d'une bête car c'est ce qu'il est et doit rester. Pour échapper à son destin, il a un mois, un tout petit mois durant laquelle il doit aimer et se faire aimer par celle qui a cueillie la rose – il n'a cependant pas conscience de ce dernier détail car il pense pouvoir séduire n'importe qui pour résoudre le sort. Mais dans moins d'une semaine, tu quitteras ce château ... »

La voix laissa échapper un rire maniaque.

« Si jamais tu seras encore en vie d'ici-là. », ajouta-t-elle, « Car je n'ai nullement l'intention de laisser s'échapper celle qui a tué ma jolie rose. Mon petit oiseau, je vais te planter une petite épine, une toute petite épine dans la poitrine, juste au-dessus de ton tendre petit cœur: une délicate épine de rose qui propagera son venin dans tes veines innocentes. Ainsi, avant même que tu n'es la chance ou l'idée idiote de délivrer la bête... Ton cœur aura cessé de battre et la bête pourra finir ses jours maudits à contempler ton portrait livide. Le seul moyen d'éviter une telle chose serait qu'elle t'enlève l'épine... »

Céleste ouvrit la bouche pour se défendre, les yeux exorbités, mais une douleur perçante lui traversa le sein gauche et elle se recroquevilla au sol, un cri douloureux quittant ses lèvres tandis que son corps maintenu en place par les fleurs se tordit sous des spasmes. La voix éclata d'un rire plus cruel tandis que la rose sous sa cloche devint encore plus lumineuse, une lumière comme une explosion. Céleste était alors persuadée qu'elle allait mourir sur le champ et un sanglot étranglé quitta ses lèvres tandis qu'elle essayait encore faiblement de se défendre, tandis que les mêmes points noirs que le matin se remirent à danser devant ses pupilles.

La voix lui caressa le visage.

« Et puis ce corset, mon ange... Lui aussi... Il est si beau mais plein d'épines ! » Céleste eut la sensation qu'elle lui embrassa la joue et elle tourna la tête dans un geste de dégoût, sa tête douloureuse, et puis ces points noirs qui ne s'arrêtaient pas...

« Au réveil, tu ne t'en souviendras pas. », susurra la voix à l'oreille de la jeune femme et dans une explosion de lumière phénoménale, Céleste perdit conscience avec le sentiment de sauter à pieds joints d'une falaise, la respiration erratique et le cœur battant la chamade.

~***~

Au-dessus du château presque plus haut que les montagnes elles-mêmes, se leva doucement le soleil, ses rayons se tendant à l'infini et éclairant le paysage de sa lumière divine. Allongé sur les touches d'un piano à queue, le roi se réveilla lentement. Il ouvrit d'abord les yeux puis se frotta le visage. Ses habits avaient été déchirés par la transformation de la nuit précédente et ce fut dans un état lamentable qu'il se retrouva vêtu. Il se leva faiblement et tituba un peu avant de sortir de la pièce. Il régnait à l'extérieur un silence oppressant, un silence qualifiable de mort. Orion, encore incertain sur ses jambes à nouveau humaines, décida de ne pas appeler immédiatement Adrien, ni de se rendre à l'abri dans ses appartements lugubres aux meubles détruits, portraits déchirés et fenêtres voilées.

Après une courte hésitation, il s'était décidé à aller voir sa rose, sa rose maudite sous sa cloche fendue, pour voir combien de temps il lui restait avant de se transformer complètement en animal. Le roi traversa les couloirs jusqu'à arriver aux murs rouges, le passage des roses, comme l'avait si joliment, un jour il y a très longtemps, appelé sa mère. Il soupira puis appuya sur la poignée : la tête lui tournait encore un peu, un mélange des rêves de la nuit et de l'appel du jour. La porte s'ouvrit et il fut accueilli par l'habituelle odeur florale de la pièce. Il avança à pas lourds jusqu'à la plante sous son dôme de verre derrière laquelle était accroché un portrait de lui-même. Un portrait maudit qui reflétait toute son arrogance et sa beauté, un portrait qu'il n'arrivait pas à détruire, même avec la plus pointue de ses griffes, et qui semblait lui envoyer un sourire moqueur.

Orion baissa les yeux.

Brusquement, il se figea en voyant la créature à ses pieds.

Il écarquilla les yeux et recula d'un pas incertain.

Céleste.


Bonjour, bonsoir les cocos!

Et bien voilà, des complications. Parce que serait une histoire sans un personnage bien méchant qui apprécie détruire tout ce qui l'entoure! En tous cas, espérons qu'Orion découvre l'épine à temps parce que sinon...

Pour ce qui en est de la musique: elle est tout aussi importante que la description du château, parce que pour le coup, elle représente Céleste où le château est à l'image d'Orion. En tous cas, je ne sais pas si vous appréciez ou connaissez Mendelssohn: en tous cas, l'air que vous pouvez trouver un peu plus haut et a) un morceau que j'aime beaucoup, 2) "l'air" de Céleste.

Ah, et puis le moment "la minute dans le monde": comme pas mal de choses semblent tourner au vinaigre je voulais juste vous transmettre un petit message d'amour mutuel (oui, après avoir effacé mon coup de gueule):

Je ne sais pas où va le monde mais que vous soyez turquoise ou violet, que vous aimiez les femmes, les hommes, les deux ou les éléphants, que vous voulez avoir des enfants, que vous en avez, que vous n'en voulez pas ou que vous préférez adoptez un caniche, vous êtes tous géniaux alors aimez-vous, faites-ce que vous voulez faire et ne vous laissez pas entraîner par toute cette haine qui flotte tranquillement dans l'air.

Sur ce, des bisous ♥

Blondie

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