Chapitre 1

« Il n'est pas de beauté sans fêlure. » Georges Bataille

Dans un village pas plus grand qu'un tour de main, on racontait aux enfants que rôdait une bête sauvage dans les parages qui viendrait les chercher et les dévorer s'ils n'étaient pas sages. Les petites maisons colorées se trouvaient à l'orée d'une forêt sombre et de montagnes sur l'une desquelles trônait somptueusement lugubre, le château royal. Lorsque l'hiver revenait et que la nuit se remettait à tomber plus tôt, on entendait alors les hurlements d'un loup sauvage et solitaire tandis que les lumières de la demeure majestueuse, que les villageois apercevaient en contrebas, s'éteignaient toutes, sans exception.

Céleste avait vécu toute sa vie au village. Céleste, aux cheveux dorés et aux yeux lumineux. Souvent, assise à sa fenêtre, elle regardait vers la montagne et admirait le château.

« Céleste », disait alors son père, « Céleste, arrête de rêvasser ! »

Souvent, elle sursautait alors, sortait de sa transe pour aider son père et sa mère à gérer la ferme dans laquelle ils habitaient et de laquelle ils vivaient. Trop occupée à travailler, ensuite trop fatiguée pour se préoccuper plus longtemps de ses rêveries, elle finissait toujours par aller se coucher, la tête vide, les traits creusés.

Un matin, on entendit la cloche du village sonnée tôt le matin, alors que le soleil venait à peine de se lever. Céleste se réveilla en sursaut et sortit de son lit pour voir ce qui se passait. Dehors étaient rassemblés hommes et femmes, enroulés dans manteaux et fourrures, parlant entre eux dans des chuchotements apeurés. Elle s'avança jusqu'à une femme qu'elle connaissait du marché.

« Céleste. », murmura l'une.

« Qu'est-il arrivé ? », demanda la jeune fille en observant les visages blancs autour d'elle, aussi blancs que la neige qui tombait du ciel. Elle sentit son cœur accélérer un peu.

La femme soupira.

« On a trouvé un corps, à l'entrée de la forêt. »

Céleste se figea un instant avant de pâlir à son tour, repoussant d'un geste fébrile ses cheveux en arrière.

« Un corps ? Quelqu'un du village ? »

La femme hocha la tête, un voile sombre se posant sur son visage.

« Oui. C'était le pauvre Étienne, paix à son âme. »

« Étienne ? », s'exclama Céleste en pâlissant un peu plus. Étienne, fils du bûcheron, venait à peine d'avoir neuf ans. Il venait tous les matins chercher du lait à la ferme. « Que lui est-il arrivé ? Comment un enfant si jeune a-t-il bien pu mourir ? »

La femme se passa une main sur la joue doucement ridée. Elle soupira à nouveau pourtant ses prunelles brunes avaient quelque chose de terrifiée. Elle se pencha en avant et murmura :

« Nous ne le savons pas exactement car les hommes qui l'ont trouvé ne veulent pas nous le révéler. Mais Jeanne a vu le corps et prétend qu'il était en lambeau, Céleste, en lambeau. La question du meurtrier ne se pose donc même pas. C'est la bête. »

« La bête ? Mais elle n'existe même pas ! », s'exclama la jeune femme. Comment cette villageoise pouvait-elle raconter une chose pareille dans une situation telle que la mort d'un enfant ?

« Tu te trompes », repris la femme, « La bête existe. Il y a quelques années, nous avons déjà eu des attaques dans ce genre... Et puis du jour au lendemain, cela a cessé pour reprendre cette nuit. Quel malheur ! »

« Mais quelle preuve avez-vous qu'il s'agisse de cette bête effroyable dont vous parlez tous ? Peut-être ne s'agit-il qu'un animal sauvage qui a faim. »

« Je l'ai vu, petite, c'est ça ma preuve. », la voix de la femme se met à trembler un peu, « Je me promenais une nuit d'automne quand j'ai aperçu une silhouette recroquevillée sous les arbres. Pensant qu'il s'agissait d'un homme souffrant, je me suis approchée : mais cette chose, n'avait rien d'humaine. Elle avait toutes les caractéristiques du loup sur un corps d'homme. Ses yeux jaunes et malsains ont croisés les miens et brusquement, elle a poussé un cri effroyable, s'est levée et m'a chargée dessus. J'ai couru aussi vite que j'ai pu, persuadée que j'allais y passer. Mais une fois que j'avais mis un pied hors de la forêt, la bête s'est brusquement arrêtée et m'a laissée partir. »

Céleste l'observa un instant sans rien dire, stupéfaite. Une histoire pareille lui semblait bien incroyable : pourtant, la femme semblait si sûre d'elle, si paniquée, qu'une partie d'elle-même commença réellement à y croire.

« Et que peut-on faire, contre un être pareille ? », murmura-t-elle. La femme baissa les yeux et secoua la tête.

« Rien. Il n'y a rien à faire : nous pouvons seulement nous protéger en n'allant pas dans les bois. »

« Et le roi ? N'est-il pas censé nous protéger aussi ? », s'exclama Céleste. Des années de ça, le roi, un bon vivant joyeux, descendait tous les ans de son château du haut de la montagne pour venir au village. Mais depuis que sa femme était décédée, il semblait décider à abandonner ses sujets, ignorant les plaintes et les supplications. Devant les deux femmes, un homme se retourna, de la haine plein les yeux.

« Le roi n'en a rien à faire de nous ! On pourrait tous crever qu'il ne s'en rendrait même pas compte, tout ce qui l'intéresse, c'est de récolter nos impôts ! »

D'autres cris fusèrent pour ensuite finir en cacophonie paniquée générale.

« Nous devons essayer de lui parler ! », dit Céleste. Une femme rit.

« Et comment tu comptes faire ça ? On n'entre pas dans le château comme ça, et même si tu y rentrais, tu ne pourrais pas parler au roi ! »

Céleste serra les poings. Ils avaient besoin de l'aide du roi. Il avait les armes et l'armée nécessaire pour abattre la bête qu'eux, villageois, n'avaient pas. Et même s'il semblait s'être retiré du monde, elle ne voulait pas, pouvait pas croire, que le destin de ses sujets l'intéressait si peu. La jeune femme inspira profondément.

« Je vais aller le voir », annonça-t-elle. Le brouhaha cessa instantanément pour laisser sa place à des murmures indistincts.

~***~

Il faisait encore nuit lorsque Céleste se dirigea vers le château à dos de l'âne que sa famille possédait. La route était désagréable, s'enroulée dans des virages et des montées vertigineuses. Au-dessus de la cime des arbres, le soleil finit peu à peu par pointer son nez. La jeune femme frissonna, la tête lui tournait un peu par le froid et la fatigue.

A l'heure de midi, elle arriva au château. Il semblait désert. Pas un bruit ne troublait l'ambiance lugubre qui entourait les murs de pierre. Elle déglutit, redressa sa natte et sa robe puis passa le pont. Elle traversa le portail et pénétra dans une cours immense où à nouveau, il n'y avait personne. Elle attacha son âne et après quelques hésitations, se décida d'entrer à l'intérieur. Elle poussa une porte en bois et se retrouva dans un grand hall, amplement décoré avec des dorures, des peintures et des ornementations partout, si bien que Céleste se trouvait minuscule par rapport au lieu.

« Il y a quelqu'un ? », demanda-t-elle dans le vide. Pas de réponse. Elle posa sa question à nouveau, d'une voix un peu plus forte et soudainement, elle entendit un bruit de claquement puis des pas qui semblaient en colère.

« Que fais-tu ici ? », rugit brusquement un homme et elle laissa tomber sa tête en arrière pour lever les yeux vers lui. Son cœur manqua un mouvement. Elle avait devant elle un homme qui semblait aussi sauvage qu'il était beau : les habits et les cheveux défaits, le visage déformé en un rictus de rage, contrastaient avec le reste. Céleste recula d'un pas, un peu intimidée, mais bomba néanmoins son torse pour se donner un peu plus de contenance.

« Je cherche le roi ! », s'exclama-t-elle. L'homme resta un instant inerte, presque surpris de la question puis éclata d'un rire bruyant.

« Le roi ? Tu cherches le roi ? »

Elle hocha la tête, serra les dents et sentait la colère peu à peu prendre possession de son corps. Qui était cet homme pour lui parler de telle sorte ? Il n'avait pas l'air de faire partie de la famille royale – son accoutrement le laisser apparaître comme le mendiant ou le fou du coin. L'homme se pencha un peu au-dessus de la rambarde et sourit de toutes ses dents, la surprenant avec sa remarque suivante.

« Et bien parle alors petite, car le roi, c'est moi. »

Céleste eut un moment de recul. Cet homme ne pouvait pas être le roi. Il était trop jeune. Pas assez distingué, pas assez imposant... Lorsqu'il vit son expression, celle de l'homme se durcit. D'un pas enragé, il descendit les escaliers jusqu'à elle. Il s'avança jusqu'à la jeune femme et la força à le regarder dans les yeux.

« Je suis le roi. J'ai hérité le titre de mon père qui est décédé il y a à peine quelques mois. »

Céleste pâlit.

« Le roi est mort ? Mais... Pourquoi personne ne nous a prévenus ? Pourquoi n'y a-t-il pas eut de cérémonie pour le nouveau couronnement ? Pourquoi- »

« Tu poses trop de questions. », rétorqua l'homme dans un sifflement, « Maintenant dis-moi pourquoi tu es venu avant que je ne te jette dehors. »

Céleste ne put s'empêcher de lui lancer un regard mauvais.

« Vous n'avez pas de gardes pour ça, Votre Majesté ? »

L'homme serra les poings puis ordonna à nouveau, sans répondre à la provocation : « Parle ! »

La jeune femme inspira profondément pour reprendre ses esprits, puis se mit à raconter.

« Ce matin, nous avons découvert un enfant mort à l'orée de la forêt qui borde le village. Cet enfant a été tué : néanmoins, ce n'est pas la main d'un homme qui l'a fait mais celle d'une bête qui semble roder dans les environs. Nous avons besoin de votre aide, mon roi, nous avons besoin de vos armes, vos hommes et votre expérience pour s'occuper de cette bête féroce qui – j'en ai bien peur – risque sinon de faire encore d'autres victimes. »

Pendant le discours, différentes émotions avaient traversé le visage de l'homme jusqu'à ce qu'il finisse par la regarder avec un mélange de mépris et de colère.

« Tu viens ici pour me demander de chasser une bête imaginaire ? », rétorqua-t-il et surprise par la violence du propos, Céleste recula d'un pas.

« Mais mon roi ! Un garçon est mort par cette bête ! »

Quelque chose de violent traversa les yeux verts du jeune homme.

« Il n'y a pas de bête ! », hurla-t-il, faisant frissonner Céleste, « Il n'y a pas de bête et il n'y en a jamais eu ! Tout ce qu'il y a, c'est votre imagination de villageois stupide et des animaux affamés ! »

Les lèvres de la jeune femme se mirent à trembler et elle se passa une main dans les cheveux, papillonnant un peu des cils tandis que ses pensées en émois cherchaient désespérément quelque chose à répondre.

« Bien. Si vous le dites, Votre Majesté. », finit-elle par dire de la voix la plus calme possible. L'homme avait la respiration haletante et les dents serrées. Un instant déstabilisé par sa réaction, il ne répondit rien pendant quelques instants.

« Si vous ne pouvez rien faire pour nous, permettez-moi de me retirer. », dit Céleste et fit encore un pas en arrière. Elle ne souhaitait que sortir, partir de ce château qui de loin lui avait semblé si beau et de près n'était que façade désagréable. Le roi sembla se reprendre. Il ferma les yeux quelques secondes et se passa une main dans les cheveux foncés, doucement ondulés.

« Excusez-moi. », marmonna-t-il, « Je m'emporte trop facilement. Je vais appeler quelqu'un pour vous escorter. »

Céleste hocha la tête tandis qu'il fit un tour sur lui-même pour s'engouffrer dans les couloirs. Avant de disparaître, il lui jeta encore un regard.

« Si je peux te donner un conseil : ne remets plus jamais les pieds ici. Ce n'est pas un endroit pour les petites innocentes en ton genre. », dit-il et sur ceux, disparu dans le noir.

Bonjour, bonsoir!

Cette histoire est bien plus compliquée à écrire que je ne le pensais - j'hésite entre rester proche de l'histoire originale ou donner une tournure relativement différente (en gardant l'idée de base, évidemment), je ne sais pas si je dis concrétiser le contexte en donnant une ambiance plus historique ou vous laissez le choix d'imaginer l'époque et le lieu, je ne suis pas sûre si je dois garder ce ton un peu formel qu'on trouve dans les contes ou si je dois donner un ton plus moderne - en bref, que de problèmes, mais je pense que je vais tenter un mélange de tout sans en faire trop. J'espère que ça vous plaît malgré tout et que vous ne serez pas déçu.

Enfin voilà. Si quelque chose n'est pas clair, que vous comprenez carrément rien, n'hésitez pas à me le dire, je suis un peu paumée aussi.

Des bisous ♥

Blondie

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