33 ✦ Les Mots.
Dans les sentiments les plus purs, le cœur domine, et non la raison.
Et parfois, les choses les plus évidentes sautent aux yeux de tous, mais nos propres yeux sont voilés par cette tourmente indescriptible.
Admettre, c'est accepter que le voile qui obstrue cette réalité s'effondre enfin.
~
Seoul,
En pleine nuit
Il neige.
Il neige encore et toujours.
Il s'approche de la fenêtre comme un automate. De ses mains maigres, il en ouvre les battants, prenant soin de faire le moins de bruit possible.
Il vacille légèrement. Les calmants qu'on lui donne chaque soir commencent à faire effet. Il les déteste, en a horreur.
L'air froid s'engouffre dans la chambre ; il inspire à pleins poumons.
Il n'a pas le droit de s'approcher de la fenêtre. Et d'ailleurs, celle-ci devrait être verrouillée. Ils ont sûrement dû oublier.
Tant mieux, l'air lui manque.
Mais quelque chose lui manque davantage ; quelqu'un.
Quelqu'un à qui il ne cesse de penser, et de façon de plus en plus intense.
Ce prénom défile sans arrêt dans son esprit, à une vitesse telle que c'en est presque douloureux.
Quelqu'un qui n'est plus là ; parti, disparu à jamais.
Il l'a vu de ses yeux ; il ne peut en être autrement.
Ce visage, aussi blanc que la neige, sombrement ravivé par un tragique rouge écarlate.
Il semble que tout ait pris fin à cet instant.
Comme s'il était depuis au cœur d'une nuit perpétuelle interminable.
Et tous ces gens, ici. Ceux qui le nourrissent contre son gré, qui le soignent à la façon d'un malade. Pourquoi semblent-ils ne pas comprendre ? Pensent-ils que toutes ses pensées ne sont que folie ?
Et pour quelles raisons le font-ils ? Afin qu'il parle à nouveau ?
Rien de tout cela. Ce n'est rien d'autre qu'une répugnante stratégie pour le "soigner" de ce mal de vivre.
Il n'est pas malade.
Il n'a simplement plus de raisons de parler, plus de raisons d'exister encore dans cet univers, alors que lui n'en fait plus parti.
Peut-être qu'en ne parlant plus, il s'effacera peu à peu.
Et puis, même s'il le voulait, aucun mot ne pourrait franchir ses lèvres. Parce que sa gorge est si serrée, et son cœur si brisé, qu'il n'en a simplement plus la force.
Plus rien ne le retient ici.
La vie n'a plus de saveur, plus de valeur, plus d'intérêt.
Et ici tout est trop blanc, trop propre, sans texture, aseptisé. Et ces individus lui sourient, il ne sait pour quelles raisons ; il ne comprend pas.
Parce qu'après-tout, ce qui est arrivé est de sa faute.
Il n'est pas arrivé à temps. Pas suffisamment pour le sauver, pour le préserver du mal.
Pourquoi aurait-il le droit de vivre, lui qui a échoué à le garder en vie, et est celui-là même qui a provoqué sa mort.
Il ressent le froid, il voit la neige, la nuit, le vide.
Deuxième étage.
Serait-ce suffisant pour le rejoindre ?
~
Séoul,
Avant l'Aube.
Bien que la veille fut riche en nouvelles surprenantes et en émotion, tout le monde dort à poing fermé.
Jungkook a refusé de dormir dans son lit, alors c'est dans celui de Taehyung, aux côtés d'Hoseok, qu'il s'est installé.
Le silence imperturbable fait maintenant place dans le grand appartement.
Alors, quand le bruit téléphone vient le briser, les esprits endormis s'éveillent brusquement, affolés.
Une sonnerie, deux, puis une troisième retentit. Une main interrompt la quatrième, se saisissant du combiné.
- O-oui ? Balbutie Namjoon, à peine réveillé.
Parmi les centaines de raisons pour lesquelles se lever au beau milieu de la nuit en vaudrait la peine, celle-ci en serait sûrement la première.
Une voix grave et austère parvient de l'autre côté de la ligne.
- Navré de vous déranger ainsi en pleine nuit, mais il faut vous rendre au Centre. Maintenant.
Namjoon reste d'abord sans voix, assimilant les paroles de son interlocuteur. Les membres, y compris Jungkook, se sont également levés et attendent debout derrière son dos.
La voix masculine prend de nouveau la parole, mais les membres ne l'entendent que trop faiblement pour en saisir le sens. Namjoon écoute quant à lui attentivement.
- Bien, merci. Nous serons là dans une heure.
Il raccroche le combiné puis se retourne vers le petit comité muet et inquiet.
Namjoon paraît chercher les mots et la manière de faire l'annonce sans que la panique remplace l'inquiétude.
- C'est le moment. Taehyung a besoin de nous. De .. de toi Jungkook.
Jungkook se raidit, puis ses jambes flanchent légèrement. Il manque de s'effondrer sur le sol, quand Yoongi réagit plus rapidement et parvient à le soutenir par la taille.
- Peu importe si c'est une bonne idée de vous le dire, ou non, mais il faut que vous sachiez... Taehyung a voulu en finir cette nuit. Les infirmières l'en ont empêché, de justesse. Le psychologue pense que c'est le moment, qu'il est impossible d'attendre plus longtemps. Il m'a dit que .. si Tae ne réagit pas maintenant, alors ça ne se passera jamais.
Personne ne répond ; pas un mot, pas une pensée n'émerge des figures épuisées et usées.
Alors, dans le silence ils scellent leur commun accord. Sans attendre d'explication supplémentaire, tous se dirigent vers les chambres, et entreprennent de s'habiller.
Jungkook vois trouble, n'entend plus très bien. Il sent comme un bourdonnement à l'intérieur de son crane, et comme si ses jambes étaient coton. Il s'approche de son placard, l'ouvre, et reste devant un instant, les yeux dans le vague.
Taehyung.
Son cœur commence à tambouriner dans sa poitrine à une allure si vive que cela lui donne la nausée.
Namjoon entre dans la chambre, et observe le plus jeune qui semble sur le point de vaciller. Avec hésitation, il s'approche et pose sa main sur son épaule.
- Jungkook... Dit-il d'une voix douce. Tu connais les raisons pour lesquelles Tae est là-bas. On en a déjà discuté hier... Tu sais aussi dans quel état d'esprit il se trouve par rapport à toi. Mais aussi ce que son esprit tente de lui faire croire. Maintenant, je pense vraiment que tu peux l'impacter. Tu peux parvenir à lui faire réaliser. On sera là, Kook'. Tu ne seras pas seul face à lui. Mais toi seul semble en être capable. Il faut qu'il renonce à cette fausse idée, qu'il revienne parmi nous.
Jungkook ressent cette angoisse, cette pression omniprésente. Elle s'insinue rapidement en lui, provoquant une peur panique impossible à maîtriser.
Et si rien ne pouvait le sauver, pas même lui ? Et si ça ne fonctionnait pas ? Si Taehyung persistait à penser que sa présence n'est que le fruit d'une hallucination ?
Cette idée est insupportable, alors il préfère la chasser de son esprit pour le moment. Et il se met à réfléchir. Il lui faut un moyen, une stratagème.
Mais rien ne vient ; c'est le néant le plus absolu.
Les battements de son cœur l'empêchent de penser.
L'ultime confrontation va avoir lieu, après ces nombreux mois ténébreux. Celle dont il sortira le cœur soulagé, ou bien celle qui le détruira.
Il a l'impression que sa vie ne tient maintenant qu'à un simple et fragile fil de soie.
Il est terrifié.
Il plonge son regard dans celui de son hyung, et hoche brièvement la tête. Il ne sait quoi répondre. Alors, ironiquement, il choisit de rester muet.
Namjoon presse son épaule, lui souri faiblement, puis quitte la pièce.
Jungkook attrape sans même y songer un pull de laine grise ainsi qu'un jean noir. Il s'empresse d'enfiler le tout tandis qu'il frissonne un peu à cause de la froideur ambiante.
Une vingtaine de minutes plus tard, la voiture chargée des six garçons file sur la route vide de monde. Il fait nuit noire ; la ville est calme.
L'atmosphère de l'habitacle est pesante, remplie de sentiments et de ressentiments.
Chacun sait qu'à l'Aube, tout sera différent.
Après quelques minutes de route, la voiture se gare sur le parking désert.
Ils traversent ensemble l'allée centrale, visages fermés, puis parviennent à l'entrée. Le bâtiment paraît plus glauque encore dans l'obscurité.
Namjoon se saisit d'une des mains de Jungkook, tandis qu'Hoseok enserre l'autre.
Leur présence lui fait du bien, aussi mal en point soit-il.
Le psychologue les attend dans le hall principal. Après de rapides salutations, il les invite à le suivre, ce qu'ils font en silence.
Ils gravissent les étages, parcourent plusieurs longs couloirs, puis arrivent devant une salle pour le moins perturbante.
En effet, le mur de celle-ci n'est autre qu'une immense vitre d'un verre épais, offrant une parfaite vison sur l'intérieur de la pièce.
Il est là.
Au centre de cette sorte de chambre, dénuée de meubles et de fenêtres.
Des lanières de cuir, scellées aux accoudoirs de sa massive chaise, maintiennent ses poignets, le privant de toute liberté de mouvements.
Sa tête baissée et ses cheveux masquent son visage.
Le cœur de Jungkook semble sur le point de cesser de battre.
- Nous avons été contraints de l'attacher, il est devenu bien trop dangereux pour lui-même. Dit-il dans le plus grand sérieux. M. Jeon Jungkook, il va vous falloir entrer, et lui parler. Nous ne devons pas vous accompagner, il faut que vous soyez seuls. Cependant, nous assisterons à vos échanges par le biais de cette vitre. Ce n'est de l'autre côté qu'un simple miroir. Nous pourrons ainsi intervenir à tout moment si nécessaire. Etes-vous prêt ?
Jungkook le fixe quelques secondes, puis reporte son regard sur Taehyung.
- Libérez ses poignets. Enlevez-lui ces lanières. Dit-il d'une voix blanche.
- Vous .. Vous êtes sûr ? Il peut devenir incontrôlable à tout instant...
- Certain.
L'homme aux cheveux grisonnants fait un signe à l'infirmière à ses côtés, puis celle-ci pénètre dans la pièce sans attendre.
Tous l'observe défaire les liens de gestes fébriles. Une fois chose faite, Taehyung reste parfaitement immobile.
Elle ressort à la hâte puis reprend place aux côtés de son responsable.
- Vous pouvez y aller.
Jungkook se retourne vers les membres qui l'observent avec attention. Namjoon s'adresse à lui dans un demi-murmure.
- On sera là quand tu sortiras Kook' ... Courage.
Son esprit est embrumé, et il prie de toutes ses forces pour que cette brume s'estompe. Il le faut. Dès l'instant où ses pieds franchiront le seuil de cette porte, il faudra que tout soit limpide.
Il s'avance et abaisse doucement la poignée. Puis il entre sans le regarder, et referme soigneusement derrière lui.
Et soudain, plus rien ne compte. Rien hormis Taehyung, et lui-même ; à nouveau réunis dans une même pièce.
Plus rien ne traverse son esprit, mis à part la pleine conscience de l'importance que celui qu'il a devant lui représente. Une conscience qui est étroitement mêlée à cette peur intense que tout puisse soudainement s'effondrer.
Il s'approche lentement de lui ; Taehyung reste immobile.
Il est maintenant si près de lui, que sa main pourrait aisément se porter à sa joue.
Seulement là, tout de suite, la force de le faire l'abandonne.
Alors, il s'accroupit simplement devant lui, et lève son regard sur son visage le dominant désormais.
Son visage ...
Malgré des traits tirés et fatigués, des joues creuses et blêmes, ce visage est définitivement le plus beau qu'il eut vu. Il avait oublié à quel point il le trouvait beau, à quel point il était attiré par lui. Il observe ce faciès, à l'affut du moindre signe. Soudain, ses trait fins et ses yeux sombres se crispent légèrement, sûrement dû à cette subite proximité.
- C'est moi, Tae. C'est moi, Jungkook.
Sa poitrine est oppressée ; sa voix tremble, mais ne se brise pas.
- Regarde-moi.
Il ne s'attendait pas à ce qu'il l'écoute, pas le moins du monde. Et contre toutes attentes, son visage bouge légèrement, et ses yeux se plongent dans les siens.
Et puis tout s'éclaire. Il sait quoi dire, il sait quoi faire.
Plus rien n'existe, plus rien, sauf Taehyung.
Il lève sa main et l'avance doucement vers son visage. Ne voyant aucun mouvement de recul de sa part, ses doigts poursuivent leur course et s'échouent dans le creux de son cou.
Sa main est si froide, que des frissons apparaissent là où elle vient de se poser.
- Sens cette froideur... Tu la sens Tae ? Sens-tu comme ma peau est froide ?
Sa main redescend vers sa clavicule, et l'effleure doucement, provoquant de nouveaux frissons.
Taehyung cligne des yeux, une indescriptible expression sur son visage.
- Vois-tu comme j'ai froid, sans toi ? Semble-t-il supplier. Comme le vide que tu laisses rend ma vie glaciale ? Je suis encore là, Taehyung. Je suis en vie, parce que tu l'es aussi.
Sa main quitte sa clavicule et redescend en parcourant lentement le long de son bras.
Puis il saisit la main de Taehyung, et la dépose sur son torse.
- Sens-le. Sens-le se battre contre ton absence. Sens comme il s'épuise à vouloir combattre cette douleur. Sans toi.
Les yeux de Taehyung s'écarquillent peu à peu tandis qu'un éclair de lucidité les traverse. Alors Jungkook devient de plus en plus fébrile, les yeux brillants, plus concentré que jamais.
- Si tu décides de conclure que ces battements n'existent pas, alors ils s'éteindront. Taehyung... Je t'en supplie, écoute ma voix, aies confiance en moi...
Puis Taehyung tressaute légèrement ; il les sent, ses battements. Il les sent dans le creux de sa main, battre la mesure contre sa peau.
Ses sourcils se froncent, et son regard semble captivé par celui de son vis-à-vis.
Taehyung baisse les yeux sur sa propre main, que Jungkook maintient toujours contre son torse.
Et ce qui se passe alors relève du miracle.
Taehyung entrouvre les lèvres, lentement, avec peine, et puis cela arrive comme personne n'aurait pu le prévoir.
- Prouve-le.
Il a la sensation que le monde vient de s'arrêter de tourner.Jungkook perd pied, son cœur s'étouffe sous ses battements bien trop violents, bien trop puissants.
Sans attendre davantage, il approche son visage du sien, et écrase ses lèvres sur les siennes.
C'est passionné, et chaotique. C'est brûlant, destructeur, grisant. C'est, amer, mais si doux. C'est triste et beau, et tellement terrifiant.
C'est ce trou béant que ce baiser vient combler.
Et Jungkook est incapable de savoir combien de temps ce sentiment de plénitude à pu durer. Leurs lèvres finissent simplement par se détacher, alors qu'il a l'impression d'avoir plongé son corps dans du coton. Il regarde son visage, ses yeux baignés de larmes ; il y voit un bonheur pur et démesuré, semblable à une émotion revenue d'un autre temps, oubliée.
Taehyung lève lentement ses mains, en encadre le visage de Jungkook.
- J-Jungkook ?... Balbutie-t-il faiblement, cliguant des yeux tel un enfant.
Il avait oublié cette sensation, comme une vague de chaleur à l'entente de son prénom ; à l'entente de cette façon qu'à Taehyung de prononcer chaque syllabe.
- Oui Tae, je suis là, je l'ai toujours été... Dit-il, sans plus pouvoir retenir ses larmes.
Taehyung se lève brusquement, et le saisit par les épaules en l'élevant face à lui. Il entoure son torse de ses bras. Il le serre et respire son odeur, autant qu'il le peut, l'étouffant presque. Jungkook lui rend l'étreinte au centuple, l'enveloppant contre son torse.
- J'ai cru t'avoir perdu à jamais ... Marmonne Taehyung d'une voix tremblante.
En réponse, Jungkook se contente d'effleurer sa nuque du bout de ses doigts, puis enfouit son visage dans le creux de son cou. Sans amoindrir cette proximité désormais vitale, il atteint de nouveau ses lèvres. Il l'embrasse avec douceur, tentant de retenir l'ardeur de ses sentiments ne demandant qu'à perdrent le contrôle.
- Je t'aime, Taehyung.
Jungkook réalise qu'il a rêvé de cet instant des mois durant. Et ils ont oubliés le monde. Ils ont oubliés les membres un moment, le centre, l'agence, leur carrière ; le monde entier.
- Jungkook... Souffle t-il entre deux sanglots. Je t'aurais suivi, je le jure... même dans l'au-delà. J'aurais fait n'importe quoi, j'en suis devenu fou...
Il inspire, semble submergé.
- Je t'aime aussi, de toute mon âme.
~***~
"Only fools
fall for you, only fools
Only fools do what I do, only fools fall"
[NDA : Il ne reste plus qu'un seul chapitre les enfants ~]
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