CHAPITRE 2

♫ Is Everybody Going Crazy ?, Nothing But Thieves ♫ 


ETHAN 


— Ethan ?

— Hum ?

Les cheveux auburn de Sue Macbeth créent une sorte d'étoile de mer sur mon torse nu. C'est sur ce détail que mon cerveau a décidé de porter son attention la plus totale. Une étoile de mer un peu tordue, qui ondule de ma clavicule à mon bas-ventre. Je tortille même une mèche autour de mes doigts, m'attendant probablement à tomber sur un tentacule gluant.

Une étoile de mer, ça a des tentacules ?

— Je t'aime.

Je lâche la pseudo tentacule et dirige mes yeux exorbités sur Sue Macbeth. Elle est nue, allongée tout contre moi, ses taches de rousseur mises en valeur par la lumière de sa lampe de chevet. Son menton repose avec malice sur mon épaule. Ses prunelles brillent et quant à sa bouche, elle est divine. Vraiment. C'est pour cette raison que je n'arrive pas à croire la bombe qui vient de s'en échapper.

— Ethan ? Tout va bien ?

Je cligne plusieurs fois des paupières. Totalement déboussolé.

OK. Je crois qu'on a un problème. Que j'ai un problème. Et alors elle, n'en parlons pas.

— Tu as entendu ce que j'ai dit ?

Son accent écossais coule jusqu'à moi. Oui, j'ai entendu. Trop, trop bien entendu. Et c'est à cet instant que je regrette de l'avoir bousculée à la cafétéria l'an dernier. Je regrette de l'avoir complimentée comme un con. Je regrette de lui avoir fait visiter Londres tel un gentleman. Tout ça pour pouvoir rentrer dans son lit, celui a une place, et qui se casse la gueule sur les lattes de sa chambre universitaire. Sérieux, j'ai un problème. Un énorme.

— Ça te dit que tu me la refasses demain ?

Sue bat des cils.

— Pardon ?

Je me pince les lèvres en une moue songeuse. Même si je sais que de son point de vue, c'est une moue insupportable. Insolente, probablement. Une moue de connard. Mais je crois bien que ce soir, j'en suis bien un.

— Ouais, à demain !

Et sur ces mots, je dégage sa chevelure aux airs marins pour me redresser et quitter son lit. Bien sûr, sous mon poids, il s'affaisse et Sue se retrouve coincée entre le sommier et le mur.

— Désolé, articulé-je en remontant mon boxer sur mes hanches.

Sue m'insulte. Elle me balance mes fringues au visage. Elle s'agite, faisant trembler ses seins ainsi que la peau charnue de ses hanches. Mais je m'en fous. Parce qu'à présent, dès que je pose mes yeux sur son corps de sirène, je ne vois que ces mots qui s'illuminent dans ma tête comme un spot publicitaire.

« Je t'aime. »

Sue claque la porte derrière moi tandis que ces paroles tournent en boucle. Je n'ai même pas eu le temps de mettre mes chaussettes. Mes orteils s'enfoncent dans la moquette miteuse du couloir de la résidence universitaire. Et là, je me sens pathétique.

Je m'appuie contre le mur, mon regard dirigé sur cette porte close. J'imagine cette fille que j'ai fréquentée durant plusieurs mois pleurer dans sa couette, ses pouces frappant un texto plus qu'élogieux sur moi à ses amies.

Mais « je t'aime » ? Faut pas déconner !

Pourtant, je reste là une bonne dizaine de minutes, à guetter le moindre bruit. Une fille croise mon chemin. Jolie. Elle me sourit. Je lui souris. Elle me demande ce que je fais là. Je lui réponds que je viens de me faire jeter. Elle esquisse une grimace et se barre.

— Bien joué, mon pote.

Je pousse un soupir, enfile enfin mes pompes, et sans me retourner, je me casse. À mi-chemin de la sortie principale, mon portable vibre dans ma poche. Je l'en extirpe pour me retrouver nez à nez avec le prénom de Chance, un mec que j'ai rencontré via une application de rencontres. Tout en passant la porte, je décroche.

— Ouais ?

— Salut, retentit sa voix rauque. Je me demandais si tu serais libre ce soir...

À ces mots, mon sang fait le tour de mon corps en une sensation plus qu'agréable. Je lève les yeux vers la fenêtre éclairée de Sue et finis par hausser une épaule en parfait accord avec ma moue de connard.

— Le temps de prendre le métro, j'arriverai vers minuit et demi, ça te va ?

— Parfait, répond-il.

Et je souris comme un con. Comme un con qui va tirer un nouveau coup.

***

Ma vie est décomposée en deux temps. L'avant et l'après. J'avais huit ans quand l'après est arrivé. Il a commencé par cet escalier vertigineux, ce hall froid et haut de plafond, cet homme derrière son bureau, puis par ce stéthoscope sur ma poitrine et le regard inquiet de ma mère.

L'avant s'est rompu le jour où j'ai ouvert les yeux sur ma nouvelle vie, dans ce lit d'hôpital, entouré de machines et d'infirmiers qui me souriaient.

J'ai mis des années à me faire à mon nouveau quotidien, à cette routine. Des pilules, chaque matin et chaque soir. Deux visites par trimestre. Des risques, des gestes de prévention. L'impression de devoir céder une part de ma liberté en échange de la vie.

Mais l'abandon de quelques parties de foot en valait la peine.

À présent, je me focalise sur le maintenant. Une case que j'ai incorporée au après et qui me va plutôt bien. Je fais ce que je veux, quand je veux. Je prends mes décisions. Je décide. C'est moi le chef de mon propre vaisseau spatial.

Enfin, quand ma mère n'est pas dans les parages.

— Ethan Maxence O'Sullivan, debout !

Je ronchonne dans mon oreiller tandis qu'elle ouvre les rideaux de ma petite chambre.

— Dix-neuf ans et pas foutu de se réveiller tout seul, je te jure !

Je grogne de nouveau et ma mère pousse un soupir. Je ne la vois pas, pourtant je devine sans mal ses poings serrés sur ses hanches.

— Ton père t'a laissé un mot. Si tu t'étais réveillé plus tôt, tu aurais pu lui dire au revoir avant d'aller à l'aéroport.

L'aéroport. Et merde... Je savais bien que j'avais loupé un truc en revenant de chez Chance.

À savoir, mon départ pour la France. Pour une ville qui figurait sur la liste des universités européennes partenaires de la mienne. Ce n'était pas prévu que je postule à ce programme d'études, mais quand je suis sorti des W.-C. du troisième étage – ma planque pour sécher le cours d'éco – et que je suis tombé nez à nez avec l'affiche, j'y ai vu comme un signe. Une révélation. On aurait pu chanter Hallelujah et m'éclairer d'un halo que ça aurait été pareil. Soudain, je devais remplir un formulaire pour me barrer loin de Londres.

J'étais censé arriver à l'aéroport de Vours* la semaine dernière, sur les coups de midi. Mais je me suis trompé de date, la rentrée des étudiants Erasmus étant programmée plus tôt que celle des locaux. On est censé nous faire visiter un peu la ville, faire connaissance les uns avec les autres, toutes ces conneries. Finalement, je crois que mon inconscient m'a permis d'éviter tout ça pour une bonne raison.

— J'ai descendu tes valises hier, viens prendre ton petit déjeuner, tu vas être en retard.

— Hum...

Ma mère – Lizzie O'Sullivan, anciennement Elizabeth Duchemin, originaire de la région parisienne, qui a épousé mon père, Barry O'Sullivan, il y a bientôt vingt-quatre ans – pousse un énième soupir.

— Ethan...

— J'arrive...

— Il y a des haricots dans la casserole et des toasts sur le comptoir.

Pour lui faire plaisir, je trouve l'énergie de lui adresser un pouce en l'air. Geste auquel elle répond par un coup de pied dans mon matelas.

— Ethan. Debout. Maintenant. Et prends une douche, bon sang !

Je finis donc par descendre au salon, les cheveux dégoulinants, mon jean à peine bouclé, et une putain de migraine qui ralentit tous mes mouvements. Mon petit frère – Arthur, quinze ans, en classe de seconde, cheveux aussi blonds et hirsutes qu'un champ de blé – est assis en tailleur sur sa chaise, un toast plein de haricots à la tomate dans la bouche. J'en tire une avant de m'y affaler, la tête entre les mains.

— Lendemain de cuite ? demande Arthur, la bouche pleine.

L'ironie de sa question ne m'échappe pas.

— Non, bafouillé-je en une expiration lente, les doigts à présent sur mes tempes.

Il me lance un regard interrogateur. J'y réponds par un autre regard interrogateur. Nous sommes donc deux idiots qui se fixent pendant une trentaine de secondes. C'est Arthur qui finit par rompre le malaise.

— T'en veux ?

Je hoche la tête.

— Ouais.

Je me serre donc une bonne assiette de pain grillé et de beans. Mon frère profite de ce moment de grâce pour me lâcher sa petite bombe du matin :

— Sue a téléphoné.

Et merde !

— Elle voulait quoi ? osé-je demander en mordant dans mon toast.

— Te dire d'aller te faire foutre, se marre-t-il.

Je hausse une épaule, un sourire incontrôlable au coin des lèvres. Je n'en attendais pas moins de Sue. Enfin si, peut-être que j'en attendais moins. Genre, ne plus avoir de nouvelles. Du tout.

— Charmant. Tu lui as répondu quoi ?

Mon frère me lance un regard malin.

— Je lui ai dit que vu l'heure à laquelle tu étais rentré, il y avait de fortes chances que ce soit déjà fait.

Je reste un instant bouche bée face à sa répartie. Puis c'est plus fort que moi, j'éclate de rire. Dans mon euphorie, je renverse tout le contenu de ma tartine sur mon tee-shirt à l'effigie de Sirius Black.

Et merde, tous les autres sont dans la valise.

***

À l'instant même, je sais exactement ce que Harry James Potter a dû ressentir lors de son premier voyage à bord du Poudlard Express. À savoir, une incompréhension totale devant toutes ces voies qui se dressent devant vos yeux, mais ne correspondent en aucun cas au numéro inscrit sur votre billet d'embarquement. Ça fait bien une demi-heure que je cherche ma voie 9 ¾. Ma valise qui pèse une tonne à bout de bras, j'arpente le hall de l'aéroport comme un lion en cage.

Où est-ce qu'on trouve quelqu'un pour nous renseigner, bon sang ?

Puis il y a cette voix féminine qui claironne :

— Les passagers du vol à destination de Vours sont attendus en porte d'embarquement B2.

— Putain, c'est où ça ?

Je retire avec frustration ma casquette pour passer une main agitée dans le bordel que sont mes cheveux. Je crève de chaud. Je suis fatigué. Le goût des haricots me remonte dans la bouche. Et j'en ai marre. Mais marre !

Je finis par m'asseoir sur ma valise, dépité. Je fais dérouler mes contacts afin de trouver le numéro de mon meilleur pote, Malik. Il décroche à la dernière sonnerie. Je distingue mal sa voix, on dirait qu'il est perdu parmi une foule de gobelins.

— Malik ?

— Tu m'entends ? me gueule-t-il dans l'oreille.

J'éloigne le smartphone de mon visage avec une grimace.

— Ouais, c'est bon, je t'entends maintenant.

— Alors, c'est le grand jour ? Tu t'envoles pour le pays des grenouilles ?

Je roule des yeux. Bon sang...

— Malik, ma mère est française. Elle t'a déjà fait bouffer des grenouilles ?

— Négatif. Hé, mon pote ?

— Ouais ? réponds-je, les yeux rivés sur le tableau des vols.

— Tu vas me manquer, tu sais.

Je libère un souffle, suivi d'un sourire.

— Toi aussi, mon pote. Toi aussi.

— Pas de conneries, hein ?

— Je ne te promets rien.

Nous rions tous les deux, puis un ange passe. Les grandes déclarations d'amour, ce n'est pas trop notre truc, à Malik et à moi.

Je l'ai connu à l'école primaire. Avant. C'était un gosse étrange. Sa chevelure plus grande que sa tête. Sa mère avait décidé qu'il devait apprendre à s'habiller tout seul, donc il arrivait toujours en classe avec son haut à l'envers. Quand l'après est survenu, Malik est venu s'asseoir sur le banc de la cour avec moi. Nous regardions tous les deux les autres jouer au foot. Toujours en silence. La première semaine, j'ai remarqué que son pull était à l'endroit, qu'il avait abandonné les scratchs pour des lacets.

Sans le voir venir, nous venions de grandir.

***

Après un énième appel de ma mère – qui n'est pas censée passer des appels personnels au bureau –, une série de contrôles sans fin, le dépôt des bagages, j'avance enfin dans la file de la porte B2. L'hôtesse me sourit en me demandant mon billet. On me sourit encore quand on me fait signe d'embarquer. Et aussi quand je rentre dans l'avion. C'est quoi leur problème à sourire comme ça ? Je suis flippé. Certes, ce n'est pas la première fois que je prends l'avion, mais je suis quand même complètement flippé, car c'est la première fois que je vole seul. Et cet engin est particulièrement gros. Genre énorme. Ce n'est pas un sourire glauque qui va me rassurer. Bien au contraire.

Je crois que je vais vomir...

— Je vais vous conduire à votre place, jeune homme. Suivez-moi, m'indique une hôtesse beaucoup, beaucoup trop souriante.

À peine installé, je sors le médoc que m'a filé ma mère pour me détendre. Un médicament que mon médecin m'a prescrit, de cet air dont je me suis habitué depuis que je lui ai annoncé mon voyage, celui qui signifie : ce n'est pas raisonnable.

Je l'envoie se faire voir, le raisonnable, moi. Sauf quand l'avion se met en mouvement.

Oh. Putain.

Le docteur Fabricini et moi avons établi un compromis : il me laisse partir et je promets en retour de faire un bilan sur place. Nous nous reverrons pendant les vacances de Noël pour déterminer si je peux repartir pour le second semestre. Cela fait onze ans que nous nous connaissons, et je me demande encore pourquoi il ne me fait pas confiance.

Allez savoir !

Une nouvelle secousse fait trembler l'appareil.

Mon estomac se soulève. Je crois que j'ai crié le prénom de ma mère. Je crois même que j'ai demandé Sue. Quoi qu'il en soit, ça ne restera pas un secret, car l'homme en costard à mes côtés a assisté à toute la scène. J'ai honte, alors je me cache de son regard sévère derrière ma casquette. Appuyé contre l'appui-tête, j'évite soigneusement le hublot – j'ai le vertige.

Une à deux heures de vol, ça devrait le faire, non ?

Et puis, je m'endors en pensant à mon meilleur ami. À toutes les possibilités qui m'attendent. À toutes les galères aussi. Mais même ça, ça me fait rêver.

***

— Jeune homme ?

On me secoue. La nausée me prend lorsque j'ouvre les paupières. Un sourire figé plane au-dessus de moi.

— Il faut se réveiller.

Je me frotte les yeux et regarde un peu partout.

— Quoi ? bredouillé-je, complètement paumé.

Le doc a mis la dose...

— Vous êtes arrivé.

Et merde. Déjà.


* Vours est une ville fictive imaginée par l'autrice. 


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Le chapitre 2 introduit donc le second personnage de ce roman ! Ethan ! Eh oui, F.A.L.L est narré des deux points de vue ! Chouette, n'est-ce pas ? Je me suis vraiment beaucoup amusée à écrire du point de vue d'Ethan ^^

Que pensez-vous de lui ? 

Avez-vous toujours envie de découvrir la suite ? 

Les deux derniers chapitres exclusifs de F.AL.L arriveront demain ! (Mardi 24 août) 

A demain donc ! <3 

J'espère que cela vous fait plaisir de découvrir gratuitement les premiers chapitres de mon nouveau roman <3 


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