1. Objectif conscient et explicite : le désir

Dans chaque histoire, le personnage principal a un désir conscient et explicite. Ici, bien qu'il s'agisse d'une romance, le désir de Gabriel n'est pas de trouver l'amour. C'est de fuir ce qu'il nomme si bien la bulle grise et bétonnée, et par extension, s'émanciper. Si au début ce désir ne semble pas si évident et qu'il ne se devine que par son penchant aux rêveries le projetant en Floride, il devient davantage palpable dès lors qu'Ezra lui suggère de partir trois jours en Espagne et que cette proposition lui reste ancrée dans la tête.

Il y a tout de même deux lectures à cette volonté de quitter la bulle grise. En effet, ce désir peut aussi être interprété de manière métaphorique, cette fameuse bulle grise étant en fait dans sa tête. Gabriel souffre de dépression mais n'en a pas vraiment conscience, du moins au début. Il faudra attendre la fin du livre pour qu'il accepte d'aller voir un psychologue.

Ce qui l'empêche de prendre conscience bien plus tôt de son état est que sa tristesse est substituée par la colère. Chez l'adolescent, la dépression ne s'exprime pas de la même façon que chez les adultes. Elle tend plutôt à se manifester à travers de l'agressivité, et c'est ce que nous retrouvons chez Gabriel. Il présente également un manque de motivation, des insomnies, du désinvestissement scolaire et enfin, un symptôme non négligeable : sa consommation problématique de cannabis.

2. Objectif inconscient et implicite : le besoin

Ainsi, la représentation métaphorique de cette bulle grise nous mène directement au besoin de Gabriel qui revient à l'objectif inconscient et implicite du personnage, à savoir, ce qu'il lui faut réellement pour être heureux : guérir. Cet objectif est long, et il faudra trois tomes pour l'atteindre.

Ce qui freine principalement l'accès à ce besoin sont les faiblesses du personnage, à savoir, chez Gabriel, son fonctionnement psychique (cf chapitre la psychologie de Gabriel) mais également son environnement. Bien que son esprit d'adolescent le mène souvent à interpréter les comportements des autres de façon négative, il est vrai qu'il n'est pas ou peu compris par son entourage.

Sa mère, tout d'abord, bien que aimante, peine à le comprendre. Elle se retrouve très vite dépassée par ses agissements et a tendance à être sur la défensive. Elle-même en dépression, elle ne trouve plus l'énergie pour régler les conflits entre son fils et elle, comme elle le dit elle-même p.496 « Tu es trop en colère et moi, je suis trop fatiguée. »

Son père, lui, n'est tout simplement pas présent, ce qui fait beaucoup souffrir Gabriel, malgré son entêtement à justifier toutes ses actions par amour.

Quant à ses amis, Gabriel peine à se sentir en confiance avec eux. Il a bien compris que son meilleur ami Victor s'interdisait lui-même d'exprimer sa tristesse en raison de l'éducation misogyne de son beau-père, ce qui précipite Gabriel à s'auto-censurer à son tour.

Enfin, sa petite copine est, sans nuance, égocentrique, et ne se soucie que trop peu des émotions de Gabriel, minimisant parfois ses ressentis.

Finalement, il n'y a que Ezra qui semble l'entendre. Ce soutien sans faille l'aide à prendre conscience de son état. Finalement, à défaut d'avoir atteint son objectif de guérir, il a tout de même atteint une première étape : se sentir compris. Ce premier tome se focalise donc sur cette première étape de la guérison. Gabriel le souligne à la fin lorsqu'il dit « Tu m'as compris, Ezra. Dès le début. En tant qu'ami, et en tant que petit copain. Tu ne te contentais de m'entendre. Or, toutes ces années, j'avais seulement besoin d'une chose : que l'on me comprenne. »

La phrase en elle-même marque la fin du livre, malgré l'objectif principal non atteint. Cette non résolution se comprend par la fin du livre qui s'articule de la même façon que le commencement : par un fantasme. Or, comme le précise si bien Gabriel lorsqu'il s'adresse à Ezra, il sait qu'il ne sera guéri que lorsqu'il cessera ses rêveries.

C'est une volonté de ma part de marquer la stagnation, montrer que le processus de guérison peut être long et passer un message fort aux adolescents : l'amour ne guérit pas, encore moins en si peu de temps.

Toutefois, se sentir compris et épaulé, que ce soit par un ami, petit ami ou encore, un est la première étape vers la guérison. Il y a donc une première victoire.

Pour conclure, il y a le désir de Gabriel : fuir, s'émanciper. Son besoin : guérir de la dépression, être heureux. Le premier tome relate la première étape de la guérison : mettre des mots sur ses maux, trouver une oreille bienveillante en capacité d'écoute. Cet objectif sera freiné par les faiblesses de Gabriel (déni, clivage, méfiance, colère...) En revanche, il y a une prise de conscience de son état et cela demeure une première étape vers la guérison.

Bien qu'il soit sur la bonne voie, son désir prendra le dessus dans le deuxième tome puisqu'il décide coûte que coûte de faire ce voyage, ce qui le mènera a des (gros) ennuis. Des ennuis qui le serviront de leçon et par extension lui permettront de comprendre qu'il est dangereux de s'émanciper trop vite, trop tôt, pas assez armé. Il apprendra enfin qu'il vaut mieux d'abord chercher à se soigner, là où il se trouve, plutôt que d'espérer chercher des solutions bâclés et illusoires ailleurs.