Chapitre 66
J'acquiesçai de la tête en guise de réponse. Il ne fallut pas davantage de temps avant que mes intestins se tordent dans tous les sens, me procurant cette sensation si désagréable, mais si souvent éprouvée d'avoir terriblement froid et terriblement chaud à la fois.
Lorsque je daignai de nouveau lever les yeux vers elle après quelques secondes silencieuses, je ne pus que constater sa contemplation calme du groupe. Face à cette placidité significative, je pensai à quel point elle ne s'était pas levée sous la stupéfaction, ni n'avait ricané ou mis les mains sur sa bouche. Mais, était-ce simplement un bref instant de déni ? Allait-elle tout décharger d'une minute à l'autre ?
En définitive, la déflagration ne vint pas, et à l'issue d'une longue observation, elle se tourna enfin vers moi.
— C'est lui, c'est ça ? C'est Ezra ?
J'acquiesçai, là encore, incapable de prononcer un mot. Et, peut-être dans un énième élan de lâcheté, je fermai les yeux.
Après un silence interminable, elle attrapa son sac à main qu'elle posa sur ses genoux d'un geste brusque et commença à fouiller. Malgré l'angoisse qui m'anéantissait, je ne pus m'empêcher d'être une nouvelle fois impressionné par la capacité de son sac à contenir autant de choses.
À la suite de plusieurs secondes agrémentées d'un bruit de cliquetis extraordinaire, Ivanie sortit enfin l'objet tant attendu : son miroir de poche. Elle le positionna devant elle, et, ne pouvant que constater l'étendue des dégâts causés par ses larmes, émis un grognement de désespoir. Dans un sursaut de profond agacement, elle extirpa divers objets qu'elle posa sur le banc jusqu'à atteindre sa trousse qui contenait du démaquillant.
Elle se frotta les yeux de ses cotons imbibés de produit et, contre toute attente, entreprit une troisième recherche infructueuse. Bien qu'il m'eût semblé vide, je pouvais encore entendre des objets s'entrechoquer à l'intérieur. Aussi décida-t-elle de le vider entièrement en le retournant d'un geste brusque tout en bougonnant entre ses dents.
— Qu'est-ce que tu ch...
— MON MASCARA ! hurla-t-elle d'une voix qui poussait dans les aigües.
— Il est tombé par terre, l'informai-je.
De là, elle le récupéra et me tendit son miroir. Je la regardai, hébété, ne sachant que faire de l'objet désormais dans ma main. Il fallut qu'elle m'attrape l'avant-bras et l'approche à hauteur de son visage pour que je comprenne qu'elle désirait que je lui tienne le temps qu'elle se maquille.
— Arrête de trembler, grogna-t-elle en m'attrapant de nouveau le bras pour le mettre à hauteur de ses yeux.
À cet instant, j'eus l'impression que mes dernières prouesses en matière de pompes étaient d'une inutilité totale.
— Bon, allez, on rejoint les autres, maintenant, ordonna-t-elle en ramassant tout ce qu'elle avait éparpillé.
C'était tout ? Notre discussion était terminée ?
— Mais... Déjà ? T'es pas choquée de ce que je t'ai annoncé ?
— Le seul truc choquant dans toute cette histoire, c'est que tu as fait des crêpes avec moi tout en prévoyant de me larguer.
À notre arrivée, Ezra se décala afin que nous puissions nous assoir côte à côte, Ivanie et moi. Étonnement, elle me laissa m'installer à côté de lui. Je me retrouvais donc entre les deux. Cette conjoncture se voulait pour le moins abracadabrante, et j'aurais été tenté d'appeler quiconque aurait vécu une situation similaire dans sa vie à en témoigner. Il était en revanche inutile de préciser qu'un blanc s'était installé depuis notre arrivée et s'éternisait un peu trop longtemps. À l'évidence, ils avaient deviné que nous avions eu une discussion pour le moins houleuse et, si les autres supposaient un simple règlement de comptes entre ex, Ezra, quant à lui, devait se sentir très mal à l'aise. Pour cette raison, je m'empressai de lui décocher un sourire rassurant qu'il me rendit aussitôt.
Et puis, Victor se mit à parler, et, peu à peu, les discussions reprirent comme si elles n'avaient jamais été interrompues. J'en profitai pour demander à Ivanie si elle souhaitait manger quelque chose.
— Un McFlurry.
— Mais, il fait froid ?
— C'est ton estomac ou le mien ? rétorqua-t-elle, un sourire taquin.
— OK, répondis-je en me levant.
— J'ai pas besoin de te préciser les toppings, je suppose.
Je secouai la tête.
« Caramel, Oreo », pensai-je sur le chemin.
Environ cinq minutes plus tard, tandis que je commandais les glaces à la borne, mes scénarios catastrophe habituels émergèrent, comme à chaque fois que mon cher cerveau voulait me torturer. À tout moment, pendant mon absence, Ivanie pouvait crier aux autres qu'Ezra et moi étions en couple.
D'emblée, je regrettai d'avoir proposé de lui acheter la glace. Pour ne rien arranger, la commande s'éternisa beaucoup trop à l'instar du feu du passage piéton qui tardait à passer au vert, si bien que je me résignai à m'engager sur la chaussée.
En fin de compte, lorsque j'arrivai à leur hauteur, les deux glaces à la main, le coulis de caramel de l'une d'elles dégoulinant sur mes doigts, je devinais au manque de réaction du petit groupe, que non, elle n'avait pas profité de mon absence pour dévoiler notre secret. Soulagé, je lui tendis une des glaces, et l'autre à Ezra, dont les yeux jonglèrent un court instant entre Ivanie et moi avant de l'attraper et de la poser directement sur la table, tel un cadeau empoisonné.
Plus tard, Léandro interpella Tasnîm afin de lui demander à quel moment avait-elle considéré que c'était une bonne idée de mettre une salopette.
— Tu connais rien à la mode. Avec des Converses blanches, c'est trop stylé. Et, est-ce que je suis du genre à prendre mal les remarques d'un mec qui porte encore des jeans skinny ? Absolument pas.
— Tu me sembles sur la défensive, pourtant, Bob Le Bricoleur.
Il n'en fallut pas plus pour que Tasnîm pousse un cri de stupeur (son léger rictus indiquait cependant qu'elle ne prenait pas la chose avec tant de sérieux) et un échange très animé débuta sous les exclamations de Charlie et Victor qui ne refusaient jamais un peu d'animation.
Voilà un moment propice à la confection un joint. Tout en m'appliquant à la tâche, je lançai des regards à la dérobée tantôt à Ezra qui observait le reste du groupe en riant, tantôt à Ivanie. À cet instant, une envie de les prendre tous les deux dans mes bras et de les enlacer le plus fort possible me vint.
J'avais perdu Ivanie comme petite amie, mais également en qualité d'amie, et je croyais bien que le second élément constituait la principale cause de ma profonde peine. Par ailleurs, je me questionnai : Ivanie le détestait-elle en ce moment même ? Elle auraitdû, mais elle n'en avait pas l'air. Elle ne le regardait pas avec mépris, ni nele regardait tout court.
Soudain, une violente bourrasque fit voler les gobelets vides. Voilà qu'il n'en fallut pas plus pour que la température semble chuter de plusieurs degrés. Après m'être assuré qu'Ezra paraissait à l'aise, je posai ma tête sur mon bras, bénissant à ce titre ma doudoune qui constituait une forteresse aux rafales âpres. Mes doigts, toutefois, ne furent guère épargnés par une paralysie progressive et temporaire.
Au bout d'une heure environ, Ivanie nous annonça qu'elle devait rentrer chez elle. Lorsqu'elle se leva, je fis de même, sans savoir s'il s'agissait là d'une bonne chose à faire, dans l'éventualité où il y en aurait une. Lorsqu'elle posa les yeux sur moi, il était presque impossible de déceler l'état d'esprit dans lequel elle était à cet instant.
— Bon, eh bien, bonne continuation dans ta vie, me lança-t-elle finalement.
— Merci, toi aussi, lui souhaitai-je à mon tour, ignorant la sensation de brûlure au creux de mon sternum.
Elle baissa les yeux en direction d'Ezra qui était toujours assis. Allait-elle soudain l'insulter, ou pire, se jeter sur lui afin de l'étrangler ?
— Bonne soirée, lança-t-elle au reste du groupe, sans pour autant quitter Ezra du regard.
Tous répondirent en chœur, sauf Ezra. Il ne le savait pas encore, mais elle le contemplait toujours, et lorsqu'il finit par lever les yeux vers elle, certainement afin d'analyser la source de ce silence soudain, il parut presque effrayé. Aussi, décida-t-il de lui esquisser un sourire humble, léger, presque imperceptible, mais qu'elle remarqua et qu'elle lui rendit, avant de s'éloigner vers l'arrêt de bus, sans un dernier regard pour moi.
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