Chapitre 6
Pour ce deuxième jour de rentrée, je m'étais juré de parler à Ezra, dans l'objectif que notre échange ne se résume plus à mon « bon courage. » Au milieu des passages du bus plein à craquer, je cherchais donc ce qui serait pertinent à lui dire, en vain. Pourtant, bien que désagréable, ce moment demeurait toujours moins éprouvant que le cours de M. Sancier qui le succéda. Il semblait encore culpabiliser d'avoir perdu du temps à nous parler de règlement intérieur plutôt que d'entamer le programme puisqu'il démarra son cours sans attendre, cette fois.
De la même façon, l'absence de devoir n'aura pas duré longtemps : nous sortîmes de cette heure cuisante avec trois exercices à faire pour le lendemain.
Je ne pouvais que conclure qu'il était de nouveau là.
Le train-train.
Le funeste train-train quotidien maison-bus-lycée-bus-maison avait commencé pour ne plus s'arrêter jusqu'à l'été suivant, et seuls mes rêveries diverses et les écouteurs que j'enfonçais dès que je pouvais dans mes oreilles contribuaient à rendre ce quotidien moins pénible.
Je n'avais pas demandé à Tasnîm ce qu'elle qualifiait de bonnes résolutions, mais je m'interrogeais déjà si les miennes, dans le cas où c'en était, n'avaient pas été trop ambitieuses. Je n'étais pas sûr d'être prêt à réviser tous les soirs. Encore que, tout ceci serait plus ou moins supportable s'il y avait matière à se réjouir de quelque chose en parallèle du lycée, ce qui n'était plus le cas maintenant qu'Ivanie était partie à l'étranger.
En vérité, supposer un quelconque épanouissement était utopique. Une nouvelle année encore, nous allions avoir le cul vissé sur une chaise durant des journées entières, pour construire un avenir dans lequel, là aussi, notre cul resterait posé sur une chaise à longueur de temps. Même si, au moins, ces chaises-là seraient molletonnées, avec des roues, pour nous permettre d'attraper notre sixième café, laissé à l'extrémité du bureau, sans avoir à se lever.
J'espérais alors qu'il arrive quelque chose de spéciale cette année, qui s'extirpe du commun, de sorte que ma survie ne dépende plus uniquement de mes rêveries en Floride, ou encore des quelques petits évènements exceptionnels contribuant à casser la monotonie du quotidien. C'était d'ailleurs un peu pour cette raison qu'avec Léandro, nous avions décidé, un jour, de faire sonner l'alarme incendie. Malgré notre course effrénée qui avait suivi cet impair, nous avions été repérés par un élève qui n'avait pas manqué de nous dénoncer. Nous avions été exclus un jour et Maman s'était tant énervée qu'elle m'avait privé de Play pendant un mois.
Depuis, il n'était plus question pour moi de m'adonner à ce genre de conneries aux répercussions bien trop importantes pour le peu de plaisir qu'elles procuraient.
Mais quelle solution, alors ? Comment distinguer un jour d'un autre, quand rien ne nous anime ?
Rien, ou personne...
Soudain, la sonnerie m'extirpa de mes pensées, et je n'attendis pas davantage pour me précipiter vers lui.
— Frérot ! lançai-je.
Il pivota vers moi, les sourcils froncés. Son regard sombre était quelque peu intimidant, mais rien ne justifiait cet étrange ressenti, comme une impression d'y être aspiré.
— Ça va ? lui demandai-je, captivé par ses yeux.
— Oui et toi ?
— Ouais. Tu peux rester avec nous, hein !
Sans attendre sa réponse, ni observer sa réaction, je tournai les talons et me dirigeai vers Victor.
Lorsque nous nous retrouvâmes à la cafétéria, nous fûmes rejoints par Charlie accompagné d'Adama. Il me parla une nouvelle fois de Thalia ; il se réjouissait de l'intérêt qu'elle lui portait. Je fus surpris qu'il puisse émettre une conclusion après seulement une journée, mais je me modérai et n'émis aucun commentaire.
Quelques instants plus tard, lorsque l'intéressée accompagnée de son groupe de copines entra, Charlie se recoiffa d'un geste de la main et adopta une posture tout à fait millimétrée, à en deviner ses jambes soudainement écartées et son dos avachi. Je tournai la tête vers Thalia afin de relever de mes propres yeux si ses efforts pour rassembler tout son potentiel masculin avaient leur effet, mais force était de constater qu'il n'y avait pas grand-chose de significatif.
— Ça va, les gens ? nous demanda-t-elle après avoir fait la bise à tout le groupe.
Nous répondîmes presque en même temps, et elle se tourna vers moi :
— T'as toujours le même num, au fait ?
— Oui pourquoi ?
— Comme ça. Et il est où le mec qui était avec vous hier ?
Je tournai la tête à la recherche d'Ezra, persuadé que Thalia avait un problème de vue et qu'il était parmi nous, mais il n'en était rien. N'avait-il pas compris qu'il était le bienvenu auprès de nous ? Je le lui avais pourtant rappelé, tout à l'heure !
— Il nous a pas suivi, expliqua Victor à Thalia, et puis, un sourire aux lèvres, il rajouta : pourquoi, il te plait ?
— Il est mignon, mais c'est Chloé qui le kiffe.
— Ah, on lui fera passer le message, t'inquiète, gloussa Victor.
Il ne manqua pas de le faire, au cours suivant. Sans même prendre la peine d'être discret, par ailleurs, lorsqu'il l'informa, à travers la salle, que Chloé Ségur avait le béguin pour lui. Pour toute réponse, outre ses joues qui rosirent légèrement, il se contenta de regarder Victor, puis moi, les sourcils légèrement relevés, avant de s'asseoir et de se mettre à discuter avec son voisin de table, Anthony.
Il me fallut quelques minutes pour réaliser que son expression aux sourcils arqués était sensiblement la même que celle qu'il avait affichée la veille, lorsque je lui avais souhaité bon courage. Devais-je conclure qu'il l'adoptait lorsqu'il était gêné et qu'il ignorait que dire ?
Était-il nécessaire de préciser que cette pensée fit éclore un sentiment de honte et qu'il fut d'autant plus palpable lorsque je me retrouvai face à moi-même le soir venu ?
Parmi toutes les façons de souhaiter la bienvenue à quelqu'un, pourquoi seule la phrase « bon courage » m'était venue à l'esprit ?
Et, pourquoi, avais-je tant envie de lui parler, par ailleurs ? Était-ce dans le but désespéré de lui prouver que ma personnalité ne se résumait pas à cette phrase saugrenue ? Assurément, ce désir ne s'éteindrait pas tant que je n'aurais pas échangé davantage avec lui. Au moins plusieurs minutes. Pourtant, il ne me facilitait pas la tâche.
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