Chapitre 49
— Cette fois, si.
Là-dessus, je m'extirpai du canapé afin de me diriger dans la cuisine et fouiller les placards, tout en réalisant avec effroi qu'il n'y avait pas grand-chose à se mettre sous la dent. Et, pour compliquer le tout, le dîner chez lui m'avait fait réaliser à quel point ses parents étaient doués en cuisine, et qu'à côté d'eux, mon piètre niveau culinaire risquait de lui provoquer un ulcère.
— Il faudrait aller faire des courses lui expliquai-je lorsqu'il m'eut rejoint, je n'ai rien qui puisse répondre à tes papilles intransigeantes.
Il pouffa.
— T'as même pas des fruits ?
Lui et ses fruits...
— Non.
— Alors, OK pour les courses. Tu voudras que je cuisine pour ta fête ?
— Ma fête ?
— C'est pas le réveillon ?
Un point de chaleur naquit au milieu de mon dos.
— Laisse tomber, je ne le fête pas, il n'y a pas vraiment d'intérêt.
— OK. Ça n'empêche pas que je peux cuisiner quand même. Tu veux bien ?
— Bien sûr que je veux.
Il me décocha un sourire. Nous nous observâmes un court instant sans rien dire, avant qu'il finisse par reprendre la parole :
— Mec ?
— Oui ?
— Pourquoi tu n'es pas allé chez ton père, au final ?
— J'ai... Je sais pas, balbutiai-je. J'avais pas trop envie, finalement. Ça dure super longtemps, et tout...
Comme je pouvais m'y attendre, il fronça les sourcils sans rien ajouter.
— Tu veux manger quoi, du coup, en attendant le dîner ? J'ai des céréales.
— Ça me va, t'inquiète, assura-t-il. Mais tu n'as rien à ce point-là ?
— Je te laisse vérifier.
Il s'exécuta, et puis après un bref état des lieux, il se tourna vers moi, presque effrayé :
— Mec, tu comptais te nourrir comment pendant l'absence de ta mère ? s'insurgea-t-il, les yeux rivés sur le font du placard.
— Ben, pourquoi je t'ai invité, à ton avis ?
Nous pouffâmes.
— Et toi, sinon, c'est quoi ta fête ? le questionnai-je.
Il parut surpris par ma question, à en constater ses sourcils qui se levèrent.
— Ça t'intéresse ?
— Oui.
— C'est Hanoukah. Elle dure huit jours.
— Mais du coup, tu la loupes pour moi, là ?
— Beh non, je rate seulement deux jours. Elle termine le vingt-six, je serai rentré pour le dernier soir.
— T'es sûr ? Tu ne veux pas la fêter, là ? Il faut faire quoi ?
— On allume un chandelier, entre autres.
— Tu l'as pas ramené ?
Il pouffa. Quant à moi, je me demandais bien ce qu'il y avait de si drôle.
— Eh bah ?
— Mec, tu crois vraiment que je vais m'amuser à me trimbaler avec un chandelier ? C'est pas grave, je te dis. Je l'ai fêtée les autres jours. Ce soir, je suis venu pour toi.
— OK, alors, ça va ! lâchai-je tout en lui tournant le dos.
« Venu pour toi... »
Le sujet des fêtes quitta nos lèvres pour un moment. Du moins, le temps que nous nous préparions pour sortir, que nous élaborions la liste des courses, que nous protestions du monde condensé dans le bus, que nous passions à Foot Locker et que nous nous extasions devant des paires de Jordan, pour ne rien changer.
Puis, il revint subitement. Lorsqu'Ezra, me fit remarquer, d'un air nonchalant, qu'il se demandait pourquoi j'étais bien plus préoccupé par son sort que par le mien.
— C'est-à-dire ? m'enquis-je, tandis que je déchargeai mes bras encombrés sur la caisse automatique.
En raison des fêtes, il était difficile de se frayer un chemin au milieu de la foule qui envahissait les rayons du supermarché. Non pas que les courses avaient été particulièrement longues (nous n'avions acheté que des fruits, des légumes en tout genre, des œufs, du persil et tout un tas d'épices qu'Ezra avait été outré de ne pas trouver chez moi), mais il ne fallut que quelques minutes pour que mes tympans se mettent à vibrer sous le brouhaha général.
— Eh beh. Tu t'inquiètes parce que je loupe deux jours de Hanoukah, alors que toi tu as annulé le réveillon avec ton père. Perso, je ne me vois pas passer une fête entière sans ma famille...
Ma mâchoire se contracta à m'en faire mal. Mon cœur, aussi, d'ailleurs. De quel droit se permettait-il de dire cela ? Je n'avais pas annulé le réveillon avec mon père ! Il n'en savait rien, de ma vie...
— On a peut-être pas la même famille, rétorquai-je sèchement.
Je posai nerveusement un article sur la seconde plateforme sans le scanner au préalable, ce qui déclencha la voix robotique exhortant l'intervention d'une hôtesse de caisse. À la recherche de cette dernière, je regardai autour de moi et ne pus que constater, avec agacement, qu'elle était occupée avec d'autres clients. La frustration d'avoir posé bêtement cet article à l'instant où je souhaitais sortir le plus vite possible me submergea soudain, engendrant un léger tremblement de mes mains qu'Ezra ne pouvait ignorer.
D'emblée, la chaleur devint étouffante, le bruit encore plus accablant ; et, d'ailleurs, tous ces gens autour, pourquoi fallait-il qu'ils décident de faire leur course aujourd'hui, à la dernière minute ? Noël n'était-il pas prévu chaque année à la même date ? Qu'y avait-il de si appréciable à s'agglutiner de la sorte, s'arracher les derniers articles en rayon ?
— Viens, j'ai la flemme d'attendre, pestai-je à Ezra.
Il adopta un air décontenancé, haussant bien haut les sourcils.
— Mais non, attends un peu, on ne peut pas laisser ça comme ça.
Je m'apprêtai à me diriger vers la sortie lorsqu'il m'attrapa par le bras.
— Gabriel. Tu restes là.
Il avait employé un ton ferme et me regardait droit dans les yeux.
— Tu patientes. Elle va venir, la dame.
Il avait raison, puisqu'elle vint trente secondes plus tard nous libérer. Après quoi, Ezra me poussa doucement afin de se charger de scanner les articles et de payer.
Lorsqu'il eut terminé, il ramassa les courses et m'attrapa le bras, direction la sortie, direction la délivrance.
À peine dehors, le froid qui contrastait avec la fournaise dans laquelle nous étions me frappa au visage, si bien que mes yeux se mirent à me piquer. Au même moment, Ezra se positionna devant moi, ce qui me stoppa dans mon élan. Son regard plongé dans le mien n'exprimait ni colère ni incompréhension face au manque de patience dont j'avais fait preuve quelques minutes plus tôt. Je pouvais y lire une certaine empathie ; un regard conciliant, même, qui s'associait avec la douce odeur de guimauve qui émergeait du chocolatier non loin de là.
Soudain, il leva la main et la dirigea vers ma joue. Je sentis ses doigts tièdes l'effleurer dans un geste d'une grande délicatesse, laissant penser s'il souhaitait me débarrasser de quelque chose.
— Qu'est-ce que j'ai ? murmurai-je en la touchant à mon tour, inquiet de ce qui avait pu s'y trouver.
Il ne me répondit pas. Du moins, pas à ma question.
— Est-ce que tu veux un chocolat chaud ?
Je fronçai les sourcils. M'avait-il bien proposé un chocolat chaud ?
— Ça te ferait du bien, un chocolat chaud, rajouta-t-il. Avec de la cannelle, c'est super bon.
Non, mon ouïe ne m'avait pas fait défaut.
— Tu ne veux pas ?
Je réalisai que je n'avais toujours pas répondu à sa requête.
— Si, si, je veux bien ! finis-je par répondre après avoir retrouvé mes esprits.
Pourquoi avait-il supposé que cela me ferait du bien ? Aussi, je décidai de le suivre sans poser davantage de questions. À dire vrai, cette histoire de chocolat chaud ne constituait pas ma préoccupation première. Ma préoccupation première, et ce qui m'obséda tout le temps où nous dégustâmes notre boisson, était ses doigts sur ma joue.
— Fais attention de pas te brûler.
Je hochai la tête, ressassant toujours ce geste affectueux. Durant tout le trajet du retour, aussi, j'y pensais, jusqu'à ce que je m'asseye sur le canapé et attrape le plaid. À cet instant, la sensation de ses doigts sur ma joue était encore intacte. Je la vivais, encore et encore, comme un doux rêve.
La veille d'un Noël sans neige, en banlieue parisienne. Son froid, sa pluie hivernale. Les gens pressés. Les rues sales. Rien, plus rien n'avait d'importance. J'oubliais l'hostilité des lieux.
Pris d'un sursaut d'énergie et d'ardeur, je me levai pour le rejoindre et découvris avec effroi qu'il rangeait les courses.
— Mais ça va pas, Ezra ! Va t'assoir, c'est toi l'invité, déjà que t'as payé les courses...
Lorsqu'il me gratifia de son regard affable, ma rancœur quant à sa remarque s'envola définitivement. Il était impossible de ne pas pardonner sa maladresse, tant elle était dépourvue de mauvaise intention.
— Si tu ne fêtes pas Noël, c'est parce que ton Dieu te l'interdit ? lui demandai-je tout en rangeant nos achats.
Il se mit à rire.
— Mes parents ne l'ont jamais fêté, mais je ne sais pas si c'est pour cette raison, je t'avoue.
— Vous avez d'autres fêtes ?
— Plein. D'ailleurs c'est pour ça que j'ai pas mal été absent en début d'année.
— Ah bon ?
— Ouais. Vers septembre et octobre il y a toujours les fêtes de tishri, dont la fête la plus importante de toutes, Yom Kippour.
— Et vous faites quoi ?
— C'est avant tout un moment d'introspection. Mais, factuellement, on jeûne, on va à la synagogue, on demande pardon aux gens de les avoir blessés, tout ça, tout ça.
— C'est...joli, hésitai-je, dans l'incapacité de trouver quelque chose de plus pertinent à dire.
Il pouffa légèrement, puis, il eut un silence de quelques secondes avant qu'il renchérisse :
— Au fait, je suis vraiment désolé pour tout à l'heure. Je suppose que c'est ce que j'ai dit qui...
— Ce n'est pas grave, le coupai-je.
— Si. Je t'ai énervé, non ?
— Oui, mais ce n'est pas grave. De toute façon, elle est un peu bizarre, l'ambiance, depuis que t'es arrivé.
— Ah bon ?
— Fais pas genre que tu n'as pas remarqué.
— Non...
— Arrête, Ezra.
— Bon, OK. Qu'est-ce que tu imagines ?
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top