Chapitre 42
NDA : pour rappel, Léa est la fille qui a été traitée de Satan en raison de son style vestimentaire par Léandro dans le tout premier chapitre. Gabriel sentait qu'il connaissait son prénom, sans savoir comment, jusqu'à ce qu'il la croise devant le bureau du principal et qu'elle lui avoue qu'ils étaient amis au primaire. De là, ils se sont échangés leur numéro et ont décidé de se voir.
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Ce jour-là, j'arrivai en premier, mais il ne s'écoula que quelques secondes avant qu'elle n'apparaisse au coin de la rue. Lorsque nous fûmes suffisamment proches pour que je distingue les traits de son visage, elle me décocha un sourire que je lui rendis aussitôt. À dire vrai, j'appréciais plutôt bien son style. Sa frange droite, ses cheveux en carré toujours coincés derrière ses oreilles, sans oublier les piercings sur chaque extrémité de sa lèvre inférieure.
Après quelques banalités échangées, nous décidâmes de nous abriter au chaud dans un café. Les premières minutes étaient cruciales. Je craignais à tout moment un blanc ou une situation gênante, mais, son aise déconcertante chassa mes craintes d'un revers de main.
Mais, quand même, quelle était cette étrange situation ? Que penserait Victor ?
Et, tandis que je me demandai ce que nous faisions ensemble, elle et moi, à prendre une boisson, bien que rien ne nous prédisposait à une telle conjoncture, elle attrapa la carte située sur la table. Ses ongles courts vernis de noir dépassaient du menu, ce qui me fit penser à toutes les fois où Ivanie disparaissait derrière la carte, laissant apparaitre ses doigts fins et parfaitement manucurés de longs ongles en gel.
Ivanie...
— Tu veux quoi, toi ? me demanda-t-elle en abaissant la carte.
— Un Coca.
— OK. Moi, j'vais prendre un thé.
Le fait que nous soyons servis donna le feu vert pour qu'elle lâche littéralement tout ce qu'elle avait en tête.
— Qu'est-ce que tu en penses, commença-t-elle, si je te dis que nous construisons une frontière entre nous qui n'a pas lieu d'être ?
— Nous ?
— Les élèves, en général. Tu sais, d'un côté les gens comme moi qui se contentent de vivre leur vie et les gens comme toi qui ont une façon insidieuse de nous persuader que nous valons moins que vous.
Tout en maintenant mon regard dans le sien, j'estimai que c'était le bon moment pour boire mon Coca. Ainsi, peut-être allais-je gagner un temps précieux afin de trouver une réponse pertinente.
— J'ai pas trop compris, dis-je finalement.
Elle roula des yeux.
— Vos comportements hautains là ! Vous prenez les gens de haut. Les gens qui ne sont pas assez beaux, pas assez bien habillés à vos yeux, ou simplement, qui ont un style différent.
— Ah ? Peut-être...
— Oui, fais l'andouille. Je ne vois pas comment on ne peut pas s'en rendre compte, mais bon, passons.
— Si, si, explique...
— Non, laisse tomber. Je suppose que tu n'as pas accepté de me voir dans l'idée de subir un procès. Je suis désolée, d'ailleurs.
— Non, mais explique quand même ! J'admets que tu as peut-être raison.
Elle soupira d'agacement.
— Rien... siffla-t-elle entre ses dents. Tu fais exprès de pas comprendre, de toute façon.
C'était cela, je faisais exprès. Car, au fond, je comprenais très bien. Mais ce procès n'était pas du tout agréable. Je sentais mes joues chauffer, et puis, de toute façon, j'avais décidé d'être lâche.
— Bon, comme tu voudras.
N'osant la regarder dans les yeux, je sortis mon téléphone à la recherche de notifications pertinentes auxquelles je pourrais éventuellement répondre. Là, tout de suite, même me retrouver au tableau afin de résoudre une équation de M. Sancier face à trente paires de yeux semblait être une situation plus confortable.
— Je pense que tu es une vieille âme, Gabriel.
Hein ?
— Quoi ?
— Je sais que tu te donnes un air plus arrogant que tu ne l'es vraiment. Pour te protéger. Tu ne peux pas avoir tant changé depuis le primaire.
— Hein ?
— Deux. T'as vraiment décidé de jouer l'idiot, aujourd'hui. Qu'est-ce que tu ne comprends pas ?
Étais-je sujet d'une vengeance pour ce que lui avait dit Léandro ? Se trouvait-il, autour de nous, des amies à elle qui filmaient toute la scène afin de m'humilier ?
— C'est pas péjoratif, hein, renchérit-elle, c'est juste les gens qui voient et vivent les choses plus profondément que les autres. Ils sont plus sensibles, aussi.
— Je suis pas sensible du tout, m'offusquai-je, dans un effort colossal de contenir ma rage : je détestais que l'on puisse me qualifier ainsi ou même le penser, cela me mettait terriblement mal à l'aise.
— Excuse-moi alors, je me trompe surement.
— Oui, tu te trompes. Tu peux parler de toi si tu veux mais ne parle pas de moi.
— D'accord, excuse, le mâle alpha.
Et tandis qu'elle aspirait son thé à grosses gorgées, je crus la voir glousser derrière sa tasse. Toutefois, ce fut avec un visage impassible qu'elle réapparut et prit parole.
— Bon, bref, en tout cas, j'ai dit ce que j'avais à dire. Sinon, raconte-moi un peu ta vie.
— Euh, bah...
— Je suppose que c'est au collège que tu as changé. Ne me dis pas le contraire !
— Roh, mais au lieu de tourner autour du pot, dis-moi directement ce qui te gêne dans ma façon d'être, là ?
— Là, maintenant, rien. Il suffit de t'éloigner trois secondes de ta bande de gros kékés aux chevilles enflées pour que tu redeviennes un humain convenable.
— Allez, toi.
Elle pouffa.
— C'est bon, j'arrête, dit-elle enfin. Vas-y, on se raconte des anecdotes du primaire, ça te dit ?
Mon cœur s'emballa et mes muscles se crispèrent.
— J'avoue que j'ai pas spécialement envie, lâchai-je sans vraiment réfléchir.
Elle fronça les sourcils aussi longtemps qu'elle me dévisagea, et puis, elle se contenta de me répondre :
— Bon, comme tu voudras.
Ce fut la dernière phrase de cette discussion pour le moins atypique, voire, perturbante. Que ne fut donc pas mon soulagement lorsque notre échange bifurqua enfin sur des sujets quelconques. Elle me montra son compte Insta où elle postait des photos de son art, principalement des peintures, mais aussi des dessins minimalistes.
Des corps. De femmes, exclusivement. De toutes corpulences. Avec des fleurs. Des fleurs en guise de poils, sous les aisselles ou sur les jambes.
Je pouffai, tant ces dessins étaient étranges. Cela dit, il était temps d'abolir l'idée que l'étrangeté était un problème.
— T'es un gros gamin. Mais bon, est-ce que je suis étonnée ?
Elle déroula en vitesse son feed et j'aperçus succinctement une peinture de deux femmes qui s'embrassaient.
— Mais nan, m'empressai-je de dire, ignorant l'image que je venais de voir. C'est stylé de ouf, en vrai. Tu comptes faire des études d'art, un truc comme ça ?
— Peut-être, je sais pas. J'espère surtout partir au Japon.
— C'est vrai ? Qu'est-ce qui te plaît, là-bas ?
— Tout. La nourriture, les paysages, la culture.
— Ah, comme moi et la Floride !
— La Floride ?
— Oui.
— Mais, y a des tornades, là-bas.
Je pouffai tant sa réponse me fit écho à celle d'Ezra.
— Aucun souci pour moi, au sous-sol de ma villa, j'aurai un bunker pour me protéger d'une apocalypse, même.
— Ah ouais... répondit-elle en hochant la tête d'un air faussement impressionné, t'as intérêt à trouver un bon taf, du coup.
— J'aurais pas besoin de trouver un taf, je serai mon propre patron.
Elle s'esclaffa si fort qu'elle manqua de recracher son thé.
Je me gardai bien de lui dire qu'en attendant d'aller en Floride, je me contenterais bien de l'Espagne afin de fuir, le temps de quelques jours, la bulle grise et bétonnée. J'étais presque tenté de lui demander si elle avait déjà envisagé un voyage de la sorte, sans nécessairement prévenir ses parents. Cela dit, il valait mieux se concentrer sur les discussions conventionnelles, et de préférence, impersonnelles, pour le reste de l'heure. Je craignais que nous repartions sur l'un de ces sujets fâcheux à consonances judiciaires.
Puis, à l'issue de cette heure écoulée et de deux pâtisseries commandées, je lui indiquai que je devais rejoindre un ami à la salle de sport.
— Lequel ? s'enquit-elle, curieuse.
— Ezra.
— Ah, je vois qui c'est. Y a plein de filles qui le kiffent, dans ma classe.
— Et alors, t'en penses quoi de lui ?
Je n'eus même pas besoin de constater son expression perplexe pour réaliser que ma question était pour le moins étrange.
— 'Fin, j'veux dire, tu traites mes potes de ploucs, tout ça, genre, tu l'inclus, lui aussi ?
Elle leva les sourcils tout en ramassant les miettes avec son pouce.
— À toi de me dire. C'est ton pote, pas le mien.
Voilà que je regrettais même la conversion laborieuse du début, à présent. De fait, il était difficile de trouver un point précis où poser les yeux tandis que mes joues se transformaient en brasier, et puis, je ressentais de la déception, aussi. Je souhaitais savoir ce qu'Ezra dégageait d'un œil autre que le mien. Étais-je vraiment le seul à le considérer de la sorte ? Étais-je le seul qui avait su percevoir, non pas la beauté de son apparence, qui, nul doute, faisait l'unanimité, mais celle que cette dernière enveloppait avec soin ?
— Non, c'est loin d'être un plouc. Il est même... incroyable, m'entendis-je répondre.
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