Chapitre 21


     Les jours qui suivirent, mon moral tendait à être positif, et ce, malgré les journées froides et humides de cette fin d'octobre. Maman ne manqua pas de le relever, par ailleurs : elle s'étonnait de mon entrée plutôt chaleureuse, et elle n'était pas la seule. J'étais moi-même surpris de supporter si bien les huit heures de cours.

     Huit heures certes, mais huit heures en compagnie de mes amis qui étaient logés à la même enseigne, dont Ezra, avec qui les séances de sport constituaient une des raisons pour lesquelles je me levais le matin avec enthousiasme. Durant chaque instant à ses côtés, il m'était difficile de ne pas le regarder. J'aimais inlassablement observer son visage fin, son nez droit qui lui conférait un charme méditerranéen, ses yeux d'un noir perçant qui contrastaient avec sa peau lumineuse, mais surtout, surtout, ses ondulations qui se glissaient sur son front et derrière ses oreilles.

— Gabriel, t'as pas oublié pour ce soir ?

La voix de Vick s'éleva faiblement à ma droite, tandis que nous entamions notre dernière heure de cours.

— Hein ?

— L'anniv' de Charlie, trouduc !

     Soudain, tout me revint. Lundi, Charlie était venu nous voir à la cafétéria pour nous convier à son anniversaire. Et au vu des détails qu'il nous avait présentés, j'ignorais comment une telle information avait pu m'échapper : ses parents nous laissaient la maison.

     L'idée de devoir sortir par ce temps pluvieux ne m'enchantait guère, mais je ne pouvais me résoudre à manquer une soirée avec autant de potentielle que celle-ci. Il était rare que nous puissions nous retrouver seuls quelque part et Charlie nous avait tous invités, et tous, excepté Ezra « qui devait réfléchir », avaient répondu instantanément présent.

— Nan, t'inquiète, j'ai pas oublié, répondis-je.

— Viens me récupérer chez moi et on y va ensemble.

    Sans écouter davantage les instructions de Vick, je me tournai vers Ezra qui se situait sur la rangé de gauche, une table devant nous.

— Oh, Ezra, lui lançai-je.

    Il pivota vers moi, l'expression perplexe. Il était rare que je l'interpelle en classe, conscient que lui parler durant un cours le dérangeait fortement.

— Tu vas chez Charlie ce soir ? chuchotai-je suffisamment fort pour qu'il m'entende malgré la faible distance qui nous séparait.

   Il fronça les sourcils et je devinai un « quoi ? » se dessiner sur ses lèvres silencieuses. Anthony, assis à ses côtés, avait visiblement suivi la discussion puisqu'il lui chuchota quelque chose à l'oreille ; à la suite de quoi, Ezra me fit non de la tête. Je lui esquissai un sourire en guise de réponse.

Tant pis.

— Y aura Thalia, en plus, m'informa Vick avec un clin d'œil.

— J'ai une copine, frérot.

— Oh, c'est bon. Tu la vois une fois par an, ta copine, depuis qu'elle est partie à l'étranger.

— On a pas tous pour vocation d'être un gros charo comme t...

     Soudain, sans répondre, il tourna la tête vers le tableau, l'air inquiet. Je suivis son regard.

     Le prof nous fixait depuis un moment. Le silence anormal qui planait depuis quelques secondes et les regards rivés vers nous auraient pu nous alerter plus tôt.

— Bien. Nous pouvons reprendre maintenant que les deux du fond se sont enfin tus.

    Je ravalais avec difficulté un rire, et, ignorant aussitôt le rappel à l'ordre, je me penchai discrètement vers Vick afin d'élever la voix le moins possible.

— D'ailleurs, je l'ai vue y a pas longtemps.

    Il pouffa. Me voir ainsi sur la défensive l'amusait peut-être. Ivanie avait toujours été un sujet sensible entre mes amis et moi. Ils m'en voulaient à chaque fois que je m'absentais pour aller la voir, et aimaient affirmer sans aucune preuve qu'elle se fichait de moi.

— Elle est déjà rentrée ?

— Oui. Je lui manque, me ventai-je, avec un sourire en coin.

    Il gloussa en gonflant ses joues et en mettant son poing devant sa bouche afin de me faire comprendre qu'il n'avait pas cru un mot de ce que je venais de dire. Simulant d'être agacé, je lui donnai un coup sur la cuisse et feignis de porter mon attention sur le professeur.

   À peine la sonnerie eut retenti, je me précipitai vers Ezra sans prendre le temps de finit de ranger mes affaires.

— Bro, pourquoi tu peux pas ? le questionnai-je.

    Il scruta mes mains qui enfournaient sauvagement mon cahier de SVT dans mon sac, tandis que je m'impatientais d'entendre la justification de son absence.

    Après quelques secondes, ses yeux se posèrent sur les miens.

— Je reçois de la famille.

— Ah, OK.

    Là-dessus, une main m'agrippa le pull. C'était Vick qui me faisait signe de sortir, je lui emboitai donc le pas.

    Le froid nous frappa la figure à peine sortis du bâtiment D. Sans doute pour se réchauffer, Victor tapota la poche de sa veste et sortit un paquet de cigarettes.

    Comme à l'accoutumée, nous nous arrêtâmes quelques minutes devant la grille du lycée en compagnie de Léandro, Abel, Olympe et Tasnîm.

— J'ai rien acheté comme cadeau. On est d'accord qu'il fallait rien acheter ? s'interrogeait à ce moment-là Olympe, inquiète.

— Ben nan, grommela Léandro. Par contre tu peux ramener des boissons et des apéritifs.

— Ah ouais, pas bête.

     Au même instant, Ezra passa le portail et se joignit à nous, me faisant réaliser que nous ne l'avions absolument pas attendu et une pointe de culpabilité naquit au fond de ma gorge. En guise d'excuse, je lui adressai un sourire qu'il me rendit.

— En tout cas, j'ai dit à mes parents que j'allais à une soirée pyjama chez Olympe, gloussa Tasnîm. Ils veulent pas encore que j'aille à des anniversaires. Ils disent que je suis trop jeune, alors que j'ai quinze ans, quoi !

— C'est vrai ? intervint Ezra, avec un étrange enthousiasme.

— Oui, pourquoi ? demanda-t-elle les sourcils froncés – certainement elle aussi avait-elle ressenti la presque-gaieté qui avait teinté sa voix.

— Comme ça. Bon, je rentre. Amusez-vous bien.

    Nous le remerciâmes et il s'éloigna en direction de l'arrêt de bus. Je pouvais mettre ma main à couper que son dernier regard m'était adressé.

— Chelou, le poto, murmura Léandro.

Nous pouffâmes en chœur.

     Quelques minutes plus tard, je ne tardai pas à rentrer à mon tour. En cours, je m'étais empressé de demander la permission par SMS, ce à quoi Maman m'avait répondu « on verra » ; ce qui s'apparentait davantage à une réponse affirmative que négative. Bien souvent, ne pas répondre « oui » était simplement une façon de ne pas paraître trop permissive pour la simple et bonne raison qu'elle n'aimait pas que je la prévienne au dernier moment, et elle voulait me le faire comprendre. Mais, tout n'était pas totalement gagné.

— J'suis là, M'man, lançai-je en refermant la porte derrière moi.

J'eus un bref moment de stress en ne la voyant pas greffée à son fauteuil, mais cette petite dose d'adrénaline fut bien vite dissipée dès lors que je la vis sortir de la cuisine, une poêle à la main.

— Ah ! T'es là ! Je fais la vaisselle.

Elle repartit aussitôt vaquer à sa tâche et je la suivis, impatient d'entendre son feu vert.

— Pourquoi tu fais la vaisselle alors qu'on a un lave-vaisselle ?

— Ce n'est pas la vaisselle à proprement parlé, je rince les assiettes et les couverts avant de les mettre dedans, sinon, ça ne se nettoie pas.

— Ah...

Silence.

— Du coup... commençai-je, timidement.

— Du coup, quoi ?

— Ben l'anniversaire...

— Ah, oui. C'est de qui ?

— Charlie.

— Connais pas.

— Mais si roh, je t'en ai déjà parlé, il est même venu une fois avec Léandro.

— Ah.

     De sa main gauche, elle frotta frénétiquement la poêle huileuse qu'elle tenait par le manche, la bouche pincée. Je connaissais cet air intraitable qu'elle aimait parfois adopter pour me faire comprendre que rien n'était forcément acquis dans la vie, que pour obtenir certaines choses, il fallait se battre.

    Je me retenais de rire tant bien que mal mais les prémices de mon esclaffement arrivèrent inévitablement à ses oreilles.

— Qu'est-ce qui te fait rire ?

— Rien, je repensais à une blague de Léandro, mentis-je.

     Mon pied tapait frénétiquement le sol tandis que je m'accoudais à la poignée du frigo. La tâche se révélait plus difficile que dans mes prévisions. Il ne fallait pas que j'insiste trop avec des « alors ? » car cela déclencherait à coup sûr sa colère. Toutefois, il me fallait ma réponse. Mon autorisation. Le rendez-vous était à vingt heures. Il était déjà dix-huit heures. Cela pressait. Je regrettai à ce moment-là d'avoir trainé devant le lycée après les cours plutôt que de m'être précipité afin d'obtenir son assentiment.

     Non, Gabriel. Ne dis pas « alors ? ». Patiente encore un peu. Ça ne fait que trente-six secondes qu'il y a du silence. Elle fait semblant de réfléchir. Elle veut juste te faire manger du suspens afin que tu comprennes que les choses se méritent et qu'elle sait se montrer autoritaire, quand elle veut.

    Elle lança enfin un regard dans ma direction.

— Ne t'appuie pas comme ça sur la poignée du frigo, enfin ! Je te l'ai déjà dit !

— Pardon.

Ses yeux se posèrent de nouveau sur moi, accompagné d'un froncement de sourcils, cette fois.

— Et qu'est-ce que tu fais, à rester là ? Cinq minutes que tu es rentré et tu ne t'es toujours pas réfugié dans ta chambre en envoyant paître ta mère ? Ce n'est pas normal. – Elle fit mine de réfléchir en tapotant son index sur sa bouche et en levant les yeux vers le plafond – Ah, attends, je sais ! C'est parce que Monsieur a besoin de mon accord.

— Ben, dis le si tu ne veux pas, c'est plus rapide.

— C'est pas que je ne veux pas, Gabriel.

— Ben, c'est quoi, alors ?

— Je ne sais pas ! rugit-elle. Allez, file te préparer ! 

Désarçonné par sa soudaine réaction, je quittai la cuisine à la hâte.

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