Chapitre 20


L'agréable surprise.

Ce n'était pas le prénom de Léandro ou d'Ivanie qui était affiché sur mon écran, mais celui d'Ezra. Sans m'en rendre compte tout de suite, un sourire se dessina sur mes lèvres.

« C'était un peu moins drôle, sans toi ! »

Je décidai de reposer le téléphone, poussé par ce plaisir déraisonnable de mettre un certain temps à répondre afin de paraître occupé.

Maman préparait désormais le repas et me dévisagea d'un air interrogatif lorsque je pénétrai dans la cuisine. Après m'avoir observé un instant, elle redirigea son attention sur les légumes, l'air sévère, la bouche pincée. Je m'appuyai contre le rebord du plan de travail sur lequel elle coupait les carottes, l'observant faire. Ses mains étaient si rapides, chaque geste méticuleux s'apparentait à un mouvement automatique.

Elle finit par relever la tête vers moi, ses yeux traduisant une profonde exaspération.

— Pourquoi est-ce que tu es comme ça, Gabriel ? À chaque fois que tu rentres, tu es dans tous tes états, on dirait que tu es extrêmement malheureux de me voir et qu'il te faut un temps d'adaptation dans ta chambre pour réussir à me supporter.

Mon cœur se serra et je cessai de m'appuyer afin de me redresser.

— Mais non...

— Chut, me coupa-t-elle. Tu fais tout le temps ça, tu ne t'en rends même pas compte.

Je restai silencieux.

Elle renchérit :

— Là, tu acceptes le dialogue, tu es venu me voir, c'est bien, je suis contente. Mais ce n'était pas le cas il y a dix minutes et ça ne sera plus le cas demain. Tu recommenceras.

Si seulement je me comprenais aussi.

 Je sais bien que lorsqu'on a seize ans, et qu'on est un garçon de surcroît, on n'a absolument pas envie de parler à sa chiante de mère, je le comprends tout à fait, et je ne te demande pas de me raconter chaque élément de ta vie. J'aimerais au moins que tu ne me remballes pas à chaque fois que j'essaye de t'expliquer les choses ou de discuter avec toi.

— Mais nan, t'es pas si chiante que ça, M'man, assurai-je.

Elle s'arrêta un instant, le couteau en suspension et me lança un de ses regards glaçant, avant de reprendre ses gestes mécaniques.

— Au fait, tu ne m'as toujours pas dit pour Mamie. Je te donne jusqu'à mercredi prochain pour te décider. Et je suis bien gentille. Les billets vont me coûter la peau des fesses.

J'acquiesçai, et après un long silence, je devinai qu'elle n'avait rien d'autre à dire, et moi non plus.

Après être retourné dans ma chambre, j'attrapai mon téléphone et ouvrit le message d'Ezra. Ne sachant que répondre, je restai planté devant mon écran, des palpitations frappant mes tympans, le sourire aux lèvres.

Pourquoi est-ce que je réfléchis à ce point ?

« C'est normal, je suis le plus drôle », écrivis-je finalement.

Je me rétractai avant d'envoyer. C'était trop prétentieux. J'effaçai les lettres une par une.

« Haha... Est-ce que tu veux jouer en ligne avec moi à GTA ? »

Envoyé.

***

Aujourd'hui était un dimanche pluvieux. Habituellement, je détestais les dimanches pluvieux, comme tout ce qui me rappelait que je vivais dans une bulle grise. Mais, cette fois-ci, j'avais l'impression que cela ne me dérangeait pas. C'était une excuse de plus pour jouer à la console et finir les devoirs avant notre séance de sport. Nous les avions faits ensemble, au téléphone, avec Ezra. J'étais si ravi !

À seize heures, nous nous rejoignîmes comme convenu. Je fus tout d'abord surpris par son aisance à manier les machines, mais surtout par sa force. Je me trouvais bien ridicule à côté de lui, mais il resta humble.

— Ezraaa ! hurlai-je à un moment, peinant à me relever d'un squat trop chargé.

Hilare, lui et un inconnu se précipitèrent à mon secours pour relever la barre.

Après un effort d'une heure et demie, les jambes tremblotantes qui semblaient menacer de démissionner de leur fonction, nous quittâmes la salle.

Contrairement à la dernière fois, et bien que nous ayons cours le lendemain, il parut moins pressé de rentrer chez lui. Il me proposa même que nous nous asseyons et ce fut ainsi que nous nous retrouvâmes tous deux assis sur les marches d'une pharmacie fermée à manger nos barres protéinées.

Je ne pouvais être plus heureux.

— Au fait, frérot, tu as trouvé quelqu'un pour l'exposé d'histoire ?

Il fronça d'abord les sourcils puis se mit à rire.

— Non.

Sur ces mots, je tentai de ravaler le moindre signe de peine qui aurait raisonné de façon disproportionnée.

— Ah, mince. Tu vas faire comment si tu trouves personne ?

— Je le ferai seul. Même si je suis pas sûr de réussir à surmonter cette terrible épreuve.

Je comprenais son inquiétude. Il n'y avait pas plus pénible que les exposés. Effectuer les recherches. Ne pas trop pomper sur Wikipédia. Préparer le diaporama. Parler devant toute la classe. Mais, seul, cela était pire.

Je lui proposerais volontiers de se joindre à Victor et moi si la prof n'avait pas précisé qu'elle refusait les groupe de trois.

— Mais non t'inquiète, assurai-je, ça n'arrivera pas, on est en nombre pair. Il y a forcément quelqu'un de dispo.

Pour toute réponse, il pouffa. Gêné de ne pas en comprendre la raison, je supposai qu'il valait mieux changer de sujet.

— Hé, est-ce que je peux te demander ton avis ? demandai-je.

— Oui ?

— J'ai une colle. Ma mère me propose de rendre visite à ma grand-mère le week-end prochain. Pour que je t'explique le contexte, elle habite à Naples, elle est en Ehpad et elle a Alzheimer. Elle ne me reconnait plus, tu vois ? Avant, elle me prenait pour son fils alors qu'elle n'a pas de fils, mais maintenant elle réagit même pas en me voyant, et en plus, l'Ehpad il pue la pisse, et tout, bref, ça me déprime de ouf d'y aller, mais d'un côté, si elle meurt, je vais culpabiliser, tu vois ? Et tous les autres, ils me disent d'aller la voir, que je vais regretter si je le fais pas, et tout, et tout. Mais le truc, c'est que je suis incapable de savoir si je veux ou non y aller.

S'il avait suivi sans faille chaque détail de mon monologue, je lui tirai mon chapeau. Moi-même, je m'étais ennuyé avec mon discours. Et avec le recul, je me trouvais ridicule de lui confier tout cela.

— Hum... Laisse-moi réfléchir.

— OK, répondis-je simplement.

Il y avait besoin de réfléchir ? J'aurais juré qu'il répondrait d'instinct.

— Qu'est-ce que tu ferais, toi ? ajoutai-je, soucieux de lui faciliter la tâche.

— C'est compliqué. Je ne suis pas dans cette situation. Tous mes grands-parents vivent encore chez eux.

Après un dernier temps de réflexion, il ajouta :

— Si à l'unanimité, les gens trouvent logique que tu ailles la voir, mais que malgré ça tu ne te sois toujours pas décidé à le faire, c'est que tu ne dois pas vraiment le vouloir, tu vois ?

Je voyais tout à fait. C'était vrai. Je n'avais aucune envie d'y aller, sans en déterminer la raison. Et, ce fut juste avant de diner, le soir même, que j'annonçai à Maman que je ne l'accompagnerai pas. 

Elle parut légèrement déçue, mais n'insista pas une seconde. Comme pour me faire pardonner toutefois, profitant de mon excellente humeur, je décidai de manger à table avec elle et Cécé et non pas seul dans ma chambre comme lorsque mon état d'âme m'indiquait de le faire. Les bruits de mastication avaient don de m'insupporter en général, et d'autant plus quand mon humeur n'était pas joviale. Cela provoquait en moi des pulsions violentes et si ma petite voix intérieure me chuchotait qu'il n'y avait rien de si abominable, qu'il n'y avait pas à se mettre dans des états pareils, je ne l'écoutais pas. En conséquence, je finissais par prendre mon assiette et terminer mon repas dans ma chambre, sous les yeux fusillant de ma mère. 

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Note de l'auteur : si vous êtes arrivés jusqu'à là, sachez que vous avez déjà lu l'équivalent de 140 pages ! Je vous remercie pour votre intérêt :)

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