Chapitre 2

          Je pivotai en direction de la voix et vis Charlie s'avancer vers moi. Nous pouvions appeler ça un trottinement, courir étant socialement prohibé au lycée.
          Il me tendit la main que je m'empressai de serrer.

— Ça va ? Tu connais ta classe ? me demanda-t-il.

— Pas encore, et toi ?

— Ouais. T'y es pas.

— Ah, ouais, y a qui ? demandai-je tout en cherchant par dessus son épaule un visage familier.

         J'espérai qu'il ne cite aucun de mes meilleurs amis et ce pourquoi je ressentis un soulagement lorsque leurs noms demeurèrent absents de sa bouche.

—  ... et devine qui ? ajouta-t-il.

— J'sais pas ?

— Thalia.

        Thalia était une amie à nous, en plus d'être l'une des plus jolies filles du lycée, et, pour ainsi dire, la crush d'à peu près tous les garçons pouvant espérer être l'élu de cette dernière.

— Ah ouais, t'es content, hein.

          Il opina avec ferveur, et, tandis qu'il rejoignait un petit groupe situé non loin de là, je me retrouvai de nouveau seul. Entre-temps, d'autres connaissances vinrent me serrer la main, et, peu à peu, l'attroupement devant les fiches de répartition des classes se dissipa.
         Constatant cela, je m'apprêtais à aller les consulter lorsque je sentis deux mains m'agripper les épaules.

         Il ne me fallut qu'une fraction de seconde pour reconnaître ces bouclettes dressées au-dessus du crâne et ces yeux bruns. Victor. Nous ne nous étions pas vus depuis deux semaines puisqu'il était parti en Allemagne fin août chez ses grands-parents paternels. Le voir était absolument réjouissant, mais ce qui me plaisait davantage, c'était la bonne nouvelle qu'il m'annonça : nous étions bel et bien tous ensemble. 

        Nous allions ainsi continuer d'offrir au reste de la classe une ambiance festive et faire rougir de colère quelques professeurs dépassés par la même occasion. Mais, pour être tout à fait honnête, nous n'étions pas bien méchants, juste dissipés. Et, sans vouloir paraitre prétentieux, risquer de compromettre sa scolarité pour déclencher le rire chez autrui, n'était-ce pas là une sorte de sacrifice louable ? 

       — Frérot, faut que j'te raconte ! s'exclama-t-il avec énergie.

        Tandis qu'il me relatait vaguement ses vacances, je ne pus m'empêcher de sourire, tant j'étais heureux de me retrouver avec l'ensemble du groupe. Ce ne fut d'ailleurs pas bien long pour que je me retrouve encerclé par Olympe, Tasnîm, Abel, Léandro et quelques autres personnes dont je reconnaissais plus ou moins le visage, afin de nous diriger vers notre salle attitrée.

         Après avoir traversé les couloirs aux murs jaunis et défraichis, nous nous installâmes dans un fracas de raclement de chaises et dans le brouhaha des voix qui se disputaient les places, chose qui n'était pas franchement une source de préoccupation pour Victor et moi. Nos places habituelles figuraient naturellement au fond de la salle, là où nous avions passé la majorité de notre temps l'an dernier. Depuis notre poste d'observation, nous pouvions obtenir une vue panoramique de la classe, discuter sans trop se faire entendre, et, surtout, sortir nos téléphones sans se faire attraper. Détail d'autant plus important le jour d'un contrôle.

         Face au bruit persistant qui ne déniait pas de se dissiper, M. Sancier aboya un « silence ! » furieux, et ce fut en levant les yeux vers lui que je remarquai qu'il portait son éternelle et même chemise à carreaux remplie par son ventre bedonnant. Je ne pouvais que me remémorer avec amertume les douloureuses heures de maths vécues en sa présence durant toute l'année dernière. Particulièrement lorsqu'il se penchait sur notre table, nous faisant subir sa respiration buccale et sifflante et la vue de ses poils de nez gris qui ressortaient de ses narines.

        — C'est mieux, dit-il d'un air satisfait, en abaissant la voix.

         Il marqua un arrêt comme pour savourer la fermeté dont il venait de faire preuve, avant de reprendre :

         — Pour ceux qui ne me connaissent pas encore, je suis M. Sancier, votre professeur de mathématiques et votre professeur principal. Ceux qui m'ont eu l'an dernier le savent, je suis intransigeant sur certaines choses, notamment les absences, et je tâcherai de toujours vérifier vos exercices...

        — Il parle beaucoup le poto, chuchota Victor à ma droite.

         J'étouffai à grande peine un rire ; il me fallait éviter que l'année ne commence mal. Ainsi, je lui donnai un coup de coude léger pour lui signaler de ne pas recommencer et l'entendis discrètement glousser.

         — ... le bac semble loin, mais je peux vous garantir que ça passe très vite. Si vous voulez vous éviter de vous retrouver dans le jus d'ici-là, je vous conseille d'avoir un travail rigoureux tout le long de vos années de première et terminale, et ce, dès le premier jour.

        Il s'arrêta et nous observa, un par un, tandis que le silence planait. Sans doute pensait-il nous impressionner avec son air sévère qui n'avait nulle autre fonction que de nous convaincre d'une quelconque autorité.

        Quoi qu'il en soit, en attendant qu'il daigne retrouver sa langue, je balayai la classe du regard à la recherche d'autres potentiels acolytes. J'aperçus alors un garçon inconnu, assis à la rangée côté fenêtre. Je ne voyais que son profil mais je pouvais affirmer que je n'avais jamais vu ce visage auparavant.

         — Il était au lycée, lui, l'an dernier ? demandai-je à Victor en faisant un signe de tête en direction de l'intéressé.

        — Nan, j'crois pas.

         Je continuai de l'observer. Son visage me procura une sensation étrange. Je fus avant tout surpris par ce que j'apercevais de ma place : une touffe dense d'ondulations noires qui lui tombait sur le front et un nez absolument droit.

          — Bien. Je vais vous distribuer vos emplois du temps.

          Sur ces mots, je cessai de regarder le garçon en question et me redressai sur ma chaise, empressé de connaître ce qui nous attendait. 

          J'espérais par-dessus tout que l'emploi du temps serait moins terrible que l'an dernier. J'avais encore un souvenir amer de ces journées interminables, presque toutes rythmées d'un huit heures-dix-huit heures avec un tas de trous au milieu qui nous incitaient à sécher. Le lundi était le pire des jours de la semaine avec la pause déjeuner à onze heures et une reprise à midi avec deux heures de maths implantées en pleine digestion durant lesquelles je luttais contre le sommeil terrassant. Après quoi, nous avions deux heures de permanence et à seize heures, deux heures d'anglais que je ne m'étais pas gêné de sécher régulièrement afin de retrouver Ivanie.

          Un soir, excédé de ne plus voir la lumière du jour depuis chez moi, je m'étais renseigné sur les systèmes scolaires de nos pays voisins. Que ne fut pas ma stupeur lorsque j'avais découvert que la plupart des lycéens terminaient à quatorze heures ! S'était ensuivi une dispute avec Maman à qui je reprochais d'avoir quitté son pays natal, l'Italie, peu après sa rencontre avec Papa. J'entendais encore sa voix monter dans les aigus pour me dire qu'ils finissaient certes à quatorze heures mais qu'ils avaient cours le samedi, et que de toute façon, s'ils étaient restés là-bas, je ne serais vraisemblablement pas né. (Comme si ce fait aurait constitué une mauvaise chose.)

      J'observai avec attention le regard des élèves ayant déjà le papier tant attendu en leur possession afin de deviner à leur expression quel était le degré d'atrocité qui nous attendait.
         Abel, situé juste devant nous, me passa les deux derniers papiers de la rangée, destinés à Victor et moi. J'eus enfin le précieux papier entre les doigts et mes yeux se posèrent en premier sur les dernières heures.
         Verdict : nous ne finissions jamais à dix-huit heures, cette année. Toutefois, il n'y avait pas mal de cours dispersés et donc, beaucoup d'heures de trous propices au manquement de certains.

         Manifester ma présence lorsque mon prénom fut prononcé lors de l'appel et tendre l'oreille pour entendre celui du nouveau constituèrent les derniers instants d'attention que je portai à cette heure de cours. Pour le reste, je jugeai préférable de me projeter de nouveau dans ma villa de Floride. 

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