Chapitre 16
Les heures s'étendaient si désespérément jusqu'à l'arrivée de Maman de son travail que je ne disposai pas d'autre option que de me résoudre à abandonner mes devoirs pour passer l'après-midi devant la Play. C'était la seule façon de faire accélérer le temps, car, deux heures sur des jeux-vidéos paraissaient moindres que cinq minutes sur des exercices de maths ou sur une dissertation de philo.
Mais, avant son retour, je désirai appeler Ivanie. Il fallait absolument que je lui annonce que j'allais m'inscrire dans une salle de sport, sans oublier de lui faire un résumé des derniers jours. Je n'avais pas l'impression de l'avoir fait, durant notre dernier échange.
Ainsi, nous parlâmes une trentaine de minutes et nous raccrochâmes après qu'elle m'eut annoncé qu'elle rentrait en France le week-end prochain afin de récupérer des vêtements supplémentaires.
En somme, ce fut doublement enthousiaste que je me précipitai vers Maman dès lors qu'elle fut rentrée.
Ivanie ! La salle de sport ! Ezra !
Que demande le peuple ? Ah, oui, une autorisation.
Pour cela, j'étais absolument confiant. Le fait que notre dernière dispute remonte à plus d'une semaine et demie maintenant constituait un élément favorable.
— Qu'est-ce que tu veux ?
Elle ne m'adressa même pas un regard lorsqu'elle déposa le sac de courses dans la cuisine. C'était sa façon à elle d'attendre que je crache le morceau, puisque j'étais absolument prévisible : je ne me précipitai jamais sur elle sans raison.
— J'aimerais m'inscrire à une salle de sport, dis-je en un souffle.
Cette fois-ci, elle me jeta un léger regard du coin de l'œil.
— Et pour quelle raison ?
— Pour être beau gosse, répondis-je naturellement.
À cela, je relevai la manche de mon tee-shirt et contractai mon biceps.
Elle leva les yeux au ciel.
— Plus sérieusement, rajoutai-je, pour quelle raison on veut s'inscrire à une salle de sport, généralement ? Pour faire des crêpes ?
— Tu sais bien que ce n'est pas du vrai sport.
— Mais, si ça me plaît ? Et peut-être que j'arrêterai de fumer pour augmenter mes performances.
Comme je pouvais m'y attendre, elle rit allègrement.
— Je ne crois pas à ton mensonge.
— Moi non plus, mais de quoi tu as peur, pour de vrai ? Même si c'est pas un vrai sport, c'est quoi le problème ? Ça me ferait une activité en plus, toi qui te plains toujours que je reste à la mais...
— D'accord ! C'est d'accord. Mais cherche la moins chère, je ne suis pas Crésus.
Elle sortit un RIB de son sac et écrivit une autorisation parentale, comme me l'avait demandé Ezra, en raison de notre statut de mineur. Le cœur battant, je ne manquai pas d'en informer ce dernier par message, et, faisant abstraction des étranges chatouilles au creux de mon ventre, je bouclai mes exercices de maths et de physique-chimie en deux heures.
Le cahier à peine refermé, je me jetai sur mon téléphone et débloquai le mode avion (sans quoi je n'arrivais pas à faire mes devoirs) ; il avait répondu. Pour la toute première fois, je vis son prénom affiché sur mon écran et je ne pus m'empêcher de sourire.
« Cool mec, prends le RIB et l'autorisation avec toi, dès qu'on peut, on s'y rend après le lycée. »
« Ça marche ! »
Ce n'était pas l'envie de lui proposer de nous y rendre dès cet après-midi qui me manquait, mais je craignais de paraitre totalement impatient ; aussi je supposai que s'il ne me proposait pas de sitôt, c'était parce qu'il n'était pas libre. Peut-être faisait-il ses devoirs ? En partant de cette supposition, je lui proposai de lui envoyer une photo de mes exercices terminés, ce qu'il déclina : il les avait déjà faits.
Évidemment, pensai-je. Et, rien n'excluait qu'il les avait même terminés la veille, au CDI, avec Anthony. Parfois, je me disais que ces gens-là avaient raison de prioriser la scolarité. Cela dit, je ne pouvais pas m'empêcher de considérer qu'ils passaient à côté de bons moments, et que la majorité des choses que nous apprenions ne serviraient à rien, si ce n'était qu'à obtenir le bac, une simple formalité pour accéder aux études supérieures.
Puis, l'alerte d'un nouveau message mit fin à mes pensées. Il s'agissait de Victor cette fois, qui me proposait de sortir fumer, ce à quoi j'assentis.
Moins d'une heure plus tard, nous étions allongés sur l'herbe, chacun un joint à la main. Le ciel était couvert d'un voile gris et une légère brise froide nous faisait frissonner, malgré nos vestes épaisses et nos capuches rabattues jusqu'à nos yeux. À plusieurs reprises, je fus tenté de lui parler de la salle de sport. Cela aurait été cool, qu'il vienne aussi, ainsi que Léandro et Adama. Mais, quelque chose m'en empêcha. À dire vrai, l'idée de me retrouver seul avec Ezra me plaisait. Peut-être parce qu'il n'y a rien de mieux d'être auprès de quelqu'un de silencieux, appliqué, méticuleux pour espérer avoir les résultats attendus, dans un domaine aussi rigoureux que le sport ?
Oui, sans aucun doute, pensai-je. C'est l'explication.
Cette interrogation ne me quitta cependant pas, ni durant cette fin d'après-midi auprès de Vick, ni lorsque je rentrai le soir. De fait, elle persista jusqu'au lendemain matin lorsque je le vis et lui adressai un sourire, et ne se rompit que lorsque la voix stridente de la prof d'histoire n'éclate la bulle dans laquelle j'étais plongée.
— Dépêchez-vous, allez, allez, glapit-elle en frappant des mains.
Lorsque le silence fut établi, elle reprit :
— Je vais vous rendre vos copies. Je peux vous dire que l'ensemble n'est pas fameux.
Vick poussa un grognement qui n'engageait rien de bon.
— Qu'est-ce qu'il y a ? demandai-je, amusé.
— Je pense avoir dix, pas plus.
— Tu abuses, frère, y avait trois pages à apprendre.
— J'arrive pas à me concentrer ! répliqua-t-il, une pointe d'énervement dans la voix.
— Arrête la beuh.
Il tourna la tête vers moi en fronçant les sourcils.
— C'est toi qui dis ça ? Je te signale que toutes les fois où j'ai voulu arrêter, c'est toi qui m'as fait retomber dedans.
Je fus offusqué par un tel mensonge.
— T'es sérieux, là ? m'exclamai-je.
Mais il ne répondit rien. Ainsi, je me jurai de ne plus lui adresser un regard de toute l'heure, mais c'était sans compter le rendu des copies et son malheureux 8/20 qui tomba sous ses yeux.
À la vue de son visage décomposé, je décidai de mettre fin à notre guerre froide. Elle avait, de toute façon, assez duré.
— Tu feras mieux la prochaine fois, dis-je en murmurant pour ne pas me faire entendre par quiconque pendant cet élan de compassion et d'affection.
Il se contenta de hocher la tête, sans trop de certitude, tandis qu'il analysait sa copie et les appréciations de la prof.
— Il est nul ce chapitre, de toute façon, rajoutai-je, je préfère la Seconde Guerre mondiale, moi.
Cette fois-ci, il releva la tête et me contempla.
— Y a eu quoi, déjà, à la Seconde Guerre mondiale ?
Je soupirai profondément avec l'intime conviction que son cas était désespéré.
— Bien, reprit la prof. La correction se fera à la fin du cours. En attendant, comme je vous l'avais signalé la dernière fois, j'aimerais que vous vous mettiez deux par deux pour l'exposé sur les personnalités qui ont joué un rôle important durant la résistance. Ce sera la deuxième note sur ce chapitre, avec un coefficient de 0,5. Vous êtes en nombre pair alors je ne veux pas entendre parler de groupe de trois. Ce sera à rendre avant les vacances de Noël.
Tandis qu'un brouhaha s'élevait dans l'ensemble de la classe, Vick me donna un léger coup dans le flan. Nul besoin d'être médium pour comprendre que ce simple geste indiquait que nous étions ensemble.
Je jetai un coup d'œil à Ezra qui semblait chercher du regard un élève disponible, sans oser faire une tentative d'approche. Mes yeux balayèrent la classe pour atteindre Anthony. Il était à côté d'Evan, et à en constater leur discussion énergique, ils s'étaient vraisemblablement mis ensemble. Il resterait logiquement Garance, une fille qui se trouvait tragiquement dans un trio composé d'un duo.
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