Chapitre 2

La frustration était un sentiment que Stiles avait l'habitude de ressentir. Souvent, c'était à petite dose, et pour des broutilles sans importance : un oubli, son téléphone sans batterie, un menu peu ragoûtant au self... D'incroyables banalités qui lui passaient rapidement au-dessus de la tête. Sauf que cette fois, c'était différent. La frustration qu'il ressentait ce soir le bouffait au point de le faire maugréer des paroles incompréhensibles tout le long du trajet jusqu'à chez lui. Il râlait, crachait sa colère contre ses amis, des gens qu'il aimait tant que s'il l'avouait de vive voix, on aurait bien du mal à le croire. Parce que Stiles était et avait toujours été un rigolo, le genre de personne qui avait tendance à rire de ses sentiments les plus profonds plutôt que d'exprimer ceux-ci réellement, sans peur aucune.

Le fait est que sa frustration, il n'avait aucune honte à la laisser voir, dans la mesure où elle n'avait rien de sensible : elle était simplement née d'une injustice. Elle était d'autant plus forte que Stiles savait d'instinct qu'il tenait quelque chose. Puis son intuition ne le trompait que rarement. Combien de fois avait-il eu raison lorsque la meute avait affaire à un potentiel ennemi ? Et ça, c'était quelque chose qu'il se répétait, et répétait, et répétait.

Parce qu'à force de se voir refuser la confiance qu'il pensait mériter, il en venait à douter légèrement de son instinct et de ses souvenirs, de toutes les perceptions dont il avait eu à souffrir jusqu'alors. Ainsi, le voilà faisant comme d'habitude : se répéter les choses avec acharnement pour mieux s'en convaincre et, en même temps, camper sur ses positions pour laisser le moins de place possible au doute. La vie lui avait appris à se méfier et souvent... C'était sur lui-même qu'il avait dû compter. Pas sur Scott, Lydia, ou Isaac. Lui et lui seul. Personne n'avait idée des moments qu'il avait passés à ressasser certains souvenirs, à affronter des dangers qui le dépassaient, à persister dans ses efforts pour faire en sorte que le moins de mal possible soit fait à sa famille de cœur... Et c'était sur cela qu'il s'appuyait pour ne pas flancher. Certaines douleurs continuaient de l'écraser de tout leur poids et peut-être qu'il gardait certaines rancœurs en lui... Mais ça, il pouvait le supporter.

Alors Stiles, une fois qu'il eut passé la porte de sa chambre, s'enferma dans un mutisme terrifiant. Un mutisme pas seulement sonore : l'on voyait à son visage qu'il s'était fermé à tout. Si son père rentrait à ce moment-là et tentait d'entrer en contact avec lui, il se heurterait à un mur de faire. Peu importe ses efforts, il n'arriverait à rien tant que Stiles ne serait pas sorti de cet état sombre et lourd, qui allait presque jusqu'à changer la couleur de ses yeux – ils paraissaient noirs.

Le jeune homme s'installa à son bureau après avoir balancé son sac par terre, près de son lit. Il avait besoin de réfléchir, d'établir une stratégie... Ou au moins un semblant de plan – quelque chose de suffisant qui lui permettrait d'agir et de prouver qu'encore une fois, il avait raison. Cet homme était dangereux et Stiles était capable de l'affirmer au point de mettre sa main à couper. Qu'importe ses doutes, auxquels il ne devait pas donner de crédit. Alors, il plancha sur son idée un long moment, jusqu'à en venir à une conclusion courte et concise : il allait devoir faire simple.

Pour piéger Wernardt Pinkett, il lui faudrait s'incruster chez lui. S'infiltrer pour récolter des preuves de son appartenance au monde surnaturel et plus précisément, au monde sorcier. Il ne pouvait pas être autre chose que cela, puis... Cela correspondrait parfaitement au profil de l'être dont ils avaient retrouvé certaines traces. Pas d'odeur ni d'empreinte digitale, juste quelques fioles brisées façon sorcière de Minecraft et des artefacts un peu étranges. Des poupées, des branches, de la mousse... Des choses qui faisaient vraiment penser à l'œuvre d'un sorcier.

Stiles n'avait aucun doute quant au fait qu'il trouverait quelque chose lors de sa future expédition car oui, il irait. Seul, sans doute, et sans prévenir la meute... Parce qu'il savait fort bien ce qu'elle penserait de son entreprise. Peut-être tenterait-elle-même de l'en empêcher, ce qui ne le surprendrait pas le moins du monde. Le meilleur moyen pour être libre de ses mouvements et de ses déplacements consistait donc en un secret total quant à son idée.

L'hyperactif griffonna son plan – qui tenait en quelques lignes seulement – sur une feuille blanche, qu'il prit le temps de relire pour s'en imprégner et voir ce qu'il pouvait lui changer. Mettre ses idées sur papier était une chose qu'il avait toujours faite tant il lui trouvait des avantages : il s'agissait de la seule méthode qui avait, jusqu'alors, montré ses preuves le concernant. Elle lui permettait de réfléchir on ne peut plus posément à ce qu'il voulait faire, à mettre ses émotions au ban – sa frustration fut reléguée au second plan –, à appréhender au mieux toutes les dimensions de son plan. Il raya certains mots, en corrigea des étapes et s'efforça de le réduire en quelque chose de petit, de minimum. Il partait du principe que plus une stratégie était simple, moins il serait aisé de la mettre en échec. Il s'agissait d'un mantra qu'il suivait depuis longtemps et qui avait plus ou moins bien porté ses fruits jusqu'à présent.

Stiles travailla longuement et s'imagina annoncer ses futures trouvailles à la meute, un air non pas fier mais froid collé au visage. Parce que celle-là, il ne l'oublierait pas de sitôt. On avait souvent mis sa parole en doute, mais jamais de cette façon, jamais en l'humiliant ainsi. Cela avait été subtil, certes. Néanmoins, Stiles n'en revenait pas de la manière dont on avait discrédité ses ressentis, son idée. Et puis il y avait eu dans les regards de certains et les mots d'autres une forme d'infantilisation qui lui avait fortement déplu. Il faudrait qu'il pense à leur rendre la pareille un de ces jours, de sorte à ce qu'ils voient ce que cela faisait, d'être rabaissé de la sorte... Peut-être qu'à ce moment-là, et Scott et Lydia se rendraient compte que ce n'était pas du tout agréable. Stiles était à la limite de leur souhaiter de ressentir ce que lui vivait chaque fois que l'on se comportait ainsi avec lui.

Enfin, il ne s'éparpilla pas et mit le point final à son petit plan sans prétention quelques heures plus tard. Il se redressa, s'étira sur sa chaise et tourna la tête vers sa fenêtre. Il faisait nuit noire, tant et si bien que même la lune ne semblait pas éclairer son velours. Stiles roula des épaules et s'étira encore pour soulager son dos et ses muscles endoloris, avant de se rassoir convenablement. Il zieuta sa feuille, en constata les nombreuses ratures et, tout aussi silencieusement, relut ce qu'il y avait marqué. Une fois qu'il fut satisfait de son idée, il attrapa un briquet dans son tiroir et regarda, l'air absent, la flamme naissante consumer ses mots écrits, desquels il ne gardait rien d'autre qu'un souvenir. La précaution qu'il prenait n'était pas nécessairement utile mais Stiles n'avait pas envie de prendre le moindre risque que son plan soit connu et, par extension, avorté.

Il ne laisserait personne se mettre sur son chemin. Que l'on choisisse de porter des œillères, soit. Lui n'avait pas l'intention de laisser le déni l'aveugler.

Il irait chez Pinkett le lendemain, dès que la lune aurait pris ses quartiers dans le ciel de jais.

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