Chapitre 8 : « Vous étiez habillé comme ça, samedi soir ? »

Plusieurs jours sont passés sans que Magnus ait pu voir Alec et leurs contacts se limitent à quelques messages envoyés. Alec n'est pas du genre à discuter toute la journée par sms, même en dehors du boulot. L'indonésien n'a même pas eu de réponse à son message de la veille, ou bien est-ce à cause de ce qu'il a écrit ? Repensant à quel point il avait aimé être avec lui, il lui a dit que ses bras lui manquaient. C'est peut-être déjà trop pour Alec. Tant pis Magnus s'adapte, il a juste hâte qu'ils puissent se revoir. Peut-être pourraient-ils faire une autre sortie au Pandémonium avec leurs amis le week-end suivant ? Sans pression. Il le lui suggérera sans doute ce soir.

Des bruits à l'extérieur de la boutique lui font relever la tête de son écran d'ordinateur. Ça aussi, ça fait plusieurs jours que ça dure. En fait, deux. Si au début il pensait que c'était des enfants qui s'amusaient, il a quand même fini par admettre qu'il n'y en avait pas tant que ça dans le coin. Ou alors leur présence près de la boutique d'ésotérisme ne serait-elle pas une coïncidence ? Il a déjà eu affaire, dans le passé, à des gamins venus vandaliser son échoppe juste parce qu'il s'agissait d'ésotérisme. Pour l'un d'eux, même pas le chef de la bande, Magnus était le diable. Les autres voulaient juste faire des conneries.

Pourtant ça lui semble différent cette fois, si c'était des gamins, ils seraient venus quand la boutique est fermée pour casser les vitrines, pas en pleine journée. Comme Magnus n'est pas vraiment du genre parano, son esprit passe rapidement à autre chose. Après tout, il n'est pas capable de voir l'avenir. Enfin, heureusement, parce qu'il a toujours pensé que ce genre de don devait être un véritable fardeau.

— Bonjour, Magnus !

Izzy vient d'entrer dans la boutique, un beau sourire accroché à ses lèvres peintes en rouge. Magnus se lève pour l'accueillir, un peu sur ses gardes parce qu'il n'a pas eu de nouvelle d'elle depuis qu'ils se sont parlés le samedi soir.

— T'inquiète pas, s'amuse-t-elle en comprenant son regard. Je viens pas t'embêter, j'attends juste Clary, on doit déjeuner ensemble.

— Et vous vous donnez rendez-vous dans ma boutique ?

— C'est ça ! Comme ça, ça te permet de voir des gens !

— Tu suggères que je n'ai pas de client ?

La demoiselle regarde autour d'elle et lève les bras, comme si c'était évident.

— Oui, exactement !

— Démon.

Elle éclate de rire, Magnus sourit, amusé. Il l'aime bien, cette jeune femme, même si sa tenue du jour est un brin austère. Un simple tailleur gris, totalement différent de ce qu'elle portait le samedi précédent.

— Et donc, tu sors dans cette tenue ?

— Ah, m'en parle pas ! Tenue professionnelle, bien obligée !

— Je veux même pas savoir ce que tu fais comme travail pour devoir t'infliger ça.

La petite brune secoue la tête sans cesser de sourire. Elle aussi, elle l'aime bien, et elle est contente qu'Alec se soit entiché de quelqu'un comme Magnus qui, malgré ses extravagances, est clairement bienveillant. Elle se retient de le lui dire, Alec lui a dit que leur relation est encore sur des débuts balbutiants. Cela dit, elle est curieuse, alors elle a lu leurs messages et a dû lutter pour ne pas secouer Alec et l'obliger à répondre à Magnus, la veille, après l'adorable message qu'il a envoyé. Comment son frère peut-il rester de marbre face à la candeur de Magnus qui – elle en est persuadée – ne doit pas s'exprimer si souvent ?

La porte de la boutique s'ouvre à nouveau, sur Clary cette fois.

— Si tu viens ici même pendant tes jours de congés, je vais te faire travailler plus, Biscuit !

— Tu sais que je n'attends que ça, t'aider à plein temps !

Le petit air de défi de Clary charme presque son beau patron mais il est persuadé qu'elle ne travaille pour lui que parce qu'elle pense avoir une dette, à cause de son frère. Magnus n'ose pas dire qu'il aide les gens gratuitement car certaines personnes trouvent ça louche, il se débrouille donc toujours pour demander quelque chose de dérisoire mais qui paraît important. En l'occurrence, il avait demandé à Clary de son temps, elle était sans emploi et avait laissé tomber ses études depuis plusieurs mois pour chercher son frère. Magnus était sa dernière chance, elle aurait tout donné pour retrouver son frère. Au début, elle venait faire le ménage et il lui donnait de l'argent de main à main, puis il lui a fait un vrai contrat et elle est devenue son assistante – c'est elle qui a choisi la dénomination du poste. Il se dit que dès qu'elle se rendra compte qu'elle ne lui doit rien, elle reprendra ses études. Il l'espère dans un sens, mais quelque part, il aime ne plus travailler seul.

— En parlant d'aide, s'il te plaît arrête d'essayer de trouver de nouveaux clients, demande Magnus en s'approchant de la vitrine. Depuis ce matin, ça n'arrête pas de passer et repasser devant, et ça me déconcentre !

— Euh... Izzy est la seule à qui j'ai parlé de la boutique, et de toi. Ces derniers temps, en tout cas.

— Vraiment ?

Ils se regardent, surpris. Si Clary n'a pas parlé de la boutique, qui peut bien se mettre à rôder autour de chez lui, comme ça ? C'est cette pensée qui lui fait réaliser que quelque chose ne va pas, vraiment pas. La veille, n'a-t-il pas vu une silhouette inconnue dans les couloirs qui mènent aux appartements. Toujours pas parano, il s'est juste demandé lequel de ses voisins s'est transformé en dealer.

Au même instant, le médium aperçoit quelqu'un s'arrêter de l'autre côté de la vitrine et brandir quelque chose. Par réflexe, il se décale d'un pas pour se placer devant les jeunes femmes et un pavé traverse la vitrine qui éclate. Quand il se retourne pour évaluer la situation, le coupable est toujours dans la rue et contemple son œuvre. Mais son sourire victorieux disparaît quand il voit que le pavé est tombé sur le sol, à un mètre du propriétaire de la boutique. Il détale alors mais Magnus est déjà sur ses talons.

Le médium l'attrape par la manche pour le retenir et un coup de poing s'abat sur sa tempe. Il serre les dents et donne un coup de pied derrière le genou de l'homme pour le faire tomber. Izzy arrive et pointe une arme de poing sur l'individu qui s'immobilise aussitôt.

— Police ! Ne bougez pas !

— Quoi ? s'exclame Magnus en la regardant tenir le vandale en joue. T'es flic, toi aussi ? Dire que je t'aimais bien !

— Oh je suis presque une secrétaire, élude-t-elle. Et je m'occupe des victimes plus que des méchants.

Essoufflé, Magnus s'écarte d'un pas avant de reporter son regard sur le visage de l'inconnu. Il le reconnaît, c'est le connard avec qui il a dansé le samedi précédent. Alors c'est vraiment lui qui était visé ? Il devrait apprendre à être plus parano. Clary arrive en courant à son tour et se précipite pour aider Magnus à retirer sa veste. Il n'y a même pas fait attention, mais il est plein d'éclats de verre. Il s'écorche même la main quand il la passe dans ses cheveux.

Un peu tremblante, Izzy sort son portable.

— J'appelle mon frère pour...

— Non, la coupe-t-il dans un murmure. Surtout pas lui, il ne doit pas venir.

Si l'homme reconnaît Alec, il sera impliqué lui aussi. Ils ne doivent pas se croiser. Il supplie Izzy du regard et elle accepte avant de demander à d'autres collègues de venir, puis elle envoie un message à Alec pour qu'il se tienne à l'écart pour la journée.

Bien sûr, Magnus doit se présenter au poste également. Mais pas avant d'être passé voir Catarina pour qu'elle soigne sa blessure à la tête et les coupures. Il doit porter plainte s'il veut que l'assurance lui rembourse sa vitrine. S'il avait les moyens de payer les travaux lui-même, il l'aurait fait. Parce qu'à présent, il est assis à un bureau, en face d'un des collègues d'Izzy, Alec et Jace, à essayer d'expliquer la situation.

— Donc, ce n'est pas juste un vandale, puisque vous le connaissez, reprend l'homme, d'une voix désagréable.

— Non, je ne le connais pas. On s'est juste croisés dans un club, samedi soir !

— Et il s'est passé quelque chose pour que cet homme vous en veuille ?

Le regard du policier glisse sur la tenue de Magnus, avise sa chemise quelque peu transparente comme si c'était la chose la plus provocante qu'il ait jamais vue. Sans compter ses nombreux colliers, ses bagues, ses boucles d'oreilles, le maquillage. C'est vrai, Magnus passe un peu plus de temps à se préparer depuis le début de la semaine et il n'a même pas ouvert la boutique en retard. Il ne l'avouerait sans doute qu'à Alec, mais s'il s'apprête autant c'est dans l'espoir de le voir entrer dans la boutique.

— Vous étiez... Habillé comme ça, samedi soir ?

— Oh, vraiment ? Vous croyez que ça vient de mes vêtements ?

— Je ne sais pas. Et vous ? Dîtes-moi ce qu'il s'est passé, samedi. Et où.

Magnus souffle et roule ses yeux pour montrer son exaspération. De l'autre côté de l'immense pièce, Jace et Alec regardent la scène, le blond doit se retenir de rire mais Alec est quand même inquiet. En principe, il ne devrait pas avoir à croiser l'homme qui s'en est pris à Magnus, même s'il aimerait bien lui faire passer l'envie de l'approcher à nouveau. Mais plusieurs de leurs collègues semblent amusés par Magnus. Pas par son attitude, à l'instar de Jace, qui démontre clairement qu'il n'a pas envie d'être là, comme un enfant qu'on obligerait à aller voir sa grande tante, mais à cause de son apparence. Alec se giflerait mais il avoue que, là, il n'assumerait pas de connaître Magnus, alors qu'il le trouve plus beau que jamais. Oui, vraiment, il a envie de se frapper.

— J'étais dans un club, le Pandémonium, et je dansais.

— Vous dansiez ?

— Oui ! Ça vous arrive jamais ? Hm non, sans doute que non.

— Continuez.

— J'essaie, c'est vous qui m'interrompez. Je dansais et ce mec est arrivé. Après qu'il m'a embrassé, je l'ai frappé et je suis parti.

— Vous vous êtes embrassés ?

— Il m'a embrassé ! Lui !

— Vous avez dansé avec lui ?

— Ouais, sur une chanson. Peut-être deux.

— Pourquoi l'avoir frappé alors ?

— Mais... Le consentement, vous connaissez ?

Jace contient ses rires comme il peut et Alec a envie d'aller casser la gueule de Raj, leur collègue. Ce mec est non seulement sexiste, mais c'est aussi un putain d'homophobe et il est en train de faire à Magnus ce qu'il faisait aux femmes qui venaient se plaindre d'avoir été agressées avant que la plupart se plaignent et que la hiérarchie lui disent de changer de comportement, et d'état. Mais avec un mec, personne ne lui dira rien.

— Mais vous avez dansé avec lui, continue Raj d'un ton clairement accusateur.

— Oui, ça, c'est déjà établi, on peut avancer ? C'est pas parce que j'ai dansé avec lui que j'avais envie d'aller plus loin !

— Et cette danse était... Plutôt sensuelle ? Vous lui avez peut-être donné l'impression de vouloir aller « plus loin » ?

Sa façon de mimer les guillemets agace un peu plus l'asiatique qui se mord la langue avant de répondre.

— C'était une danse ! Dans un club ! Je ne l'ai pas touché, et...

— Et lui, il vous a touché ? Avant de vous embrasser, je veux dire. Vous l'avez laissé vous toucher ?

— Mais on... On dansait ! Oui, ses bras étaient autour de moi, mais...

— Hm.

— Quoi ?

L'homme l'ignore et se contente d'écrire. Magnus commence à trembler, son regard s'attarde sur les gens autour de lui, les quelques regards qu'il croise sont hostiles. Putain, c'est quoi son problème ?

— Et vous l'avez frappé, reprend le policier au bout de quelques minutes de silence.

— Oui, souffle Magnus d'une voix plus calme, étrangement éteinte, n'attendant qu'une chose, que cette conversation soit terminée. Je me suis défendu, parce qu'il ne voulait pas me laisser partir après que je l'ai repoussé, après qu'il m'a embrassé.

— Et il y a des témoins ?

— Non. Enfin, les gens qui dansaient, mais je ne les connais pas.

— Bon, l'homme a déjà avoué de toute façon. Je vais vous donner des papiers à remplir, pour l'assurance. On enverra le tout quand ce sera bouclé.

L'homme se lève et s'éloigne, en disant à Magnus de ne pas bouger. L'extralucide se cale contre le dossier de la chaise et passe une main sur son visage en soufflant, perdu. Pourquoi lui avoir posé toutes ces questions accusatrices si l'autre connard a déjà avoué ce qu'il s'est passé ? Enfin, le principal est sans doute qu'il n'ait pas évoqué le fait que quelqu'un d'autre s'est interposé. Au moins, Alec n'y sera pas mêlé.

— Magnus !

Il se retourne pour voir Clary arriver au pas de course. Elle fronce les sourcils devant l'expression décomposée sur le visage de son patron. Rapidement, il reprend contenance et lui sourit.

— Qu'est-ce que tu fais là ? Qui est à la boutique ?

— Personne, mais les voisins ont aidé à couvrir la vitrine. Je suis venue dès qu'on a eu terminé. Tu vas bien ? s'enquit-elle.

— Bien sûr, toujours ! J'attends qu'on me donne les papiers pour l'assurance.

— T'as pu voir...

— Izzy ? la coupe-t-il. Non. Elle est retournée travailler.

Un autre policier arrive avec trois pages à remplir. Magnus attrape le stylo qu'on lui tend, mais sa main tremble toujours et il n'arrive pas à écrire. Sans rien dire, Clary prend le relais, prétextant que c'est son rôle d'assistante.

Vingt minutes plus tard, ils sont devant le poste de police, Magnus n'a pas l'air de se calmer.

— J'ai envie d'une cigarette.

— Tu ne fumes pas, Magnus.

— C'est vrai. Un verre ? D'alcool. Fort, si possible.

— Il est que deux heures et demie !

— Oh, c'est toujours l'happy hour quelque part, ma chère !

La jeune femme rit pour ne pas montrer son inquiétude et décide de l'accompagner quand même. Elle ne veut pas le laisser seul s'il veut boire en pleine journée.

❖❖❖

Le débrief de la journée vient de se terminer et Alec ne sait pas comment il fait pour réprimer sa colère. Pendant plus d'une demi-heure, cette bande d'abrutis a ressassé l'agression de Magnus, répétant comme c'est un homme provoquant, comme il a essayé de draguer Raj – n'attendant sans doute que de se faire prendre sur le bureau –, comme sa façon de s'habiller est ridicule, comme c'est une saleté d'homo qui se maquille et porte bien trop de bijoux. Franchement, qui peut s'étonner qu'il ait été agressé ? C'est sans doute pas la première fois.

Sa mère a fini par intervenir et expliquer que leurs propos sont déplacés, tout comme les questions qui ont été posées. Mais Alec sait qu'elle n'en pense pas moins. Quand il se retrouve avec elle dans son bureau après qu'elle a parlé à Izzy, elle ne cache plus son dégoût.

— Non vraiment, les gens que ta sœur fréquente sont de pire en pire ! Si ton père avait été là, il ne l'aurait sans doute même pas laissé entrer.

— Mais il a été... C'est une victime, quand même.

— Penses-tu ! Alec, mon chéri, tu es naïf. Ce genre de personne cherche toujours les ennuis, les drames, ils ne savent pas vivre autrement. Et ils cherchent à entraîner les autres. Regarde l'homme qui passe la nuit au poste à cause de lui. Il l'a sûrement aguiché avant de se faire passer pour une victime, pour qu'on le plaigne. Le seul tort de ce pauvre homme, c'est d'avoir été attiré par un autre... Ça me donne envie de vomir.

— Moi aussi, ne peut s'empêcher de dire Alec, se gardant bien d'ajouter que ce n'est pas pour les mêmes raisons qu'elle.

Elle le couve du regard et s'approche pour caresser sa joue. Son grand garçon. Comment réussit-il à l'écouter dire des horreurs sur Magnus et les gens comme lui ?

Les poings d'Alec s'abattent encore et encore sur le sac de frappe de la salle d'entraînement. Jace le rejoint, il a reçu un message inquiétant de Clary. Magnus a bu plus que de raison, elle préfère annuler leur sortie et s'occuper de lui. Il n'a pas voulu lui raconter sa conversation avec leur collègue.

— Eh Alec, commence Jace. Comment tu te sens ?

— Super ! Génial ! répond-il, chaque mot ponctué par un nouveau coup.

— Arrête ! Tu sais qu'il ne faut pas écouter ces mecs !

— Mais ils étaient tous...

— Non, ils étaient trois ! Que trois !

Trois ? Alec se tourne vers son meilleur ami en repensant à ce désagréable moment. Il a eu l'impression qu'ils étaient tous en train de rire et de se moquer de Magnus. Mais non, Jace a raison, seuls trois de leurs collègues s'esclaffaient, les autres étaient mal à l'aise, comme Jace et lui.

Il se calme enfin et retire les protections sur ses mains.

— Tu devrais peut-être appeler Magnus, lui suggère son coéquipier.

— Pourquoi ?

— Tu veux pas savoir comment il a pris l'entretien avec Raj ?

— Magnus est au-dessus de ça. Je suis sûr que ça ne l'a pas atteint.

— Je crois que tu te trompes.

Jace lui montre le message de Clary, son cœur se serre. Les mots de sa mère lui reviennent en tête, malgré lui. Encore des drames. Il secoue la tête et redonne le téléphone à Jace avant de partir en direction des vestiaires.

— Clary est avec lui, je peux pas faire grand-chose d'autre.

Il se déteste de ne pas pouvoir rejoindre Magnus. Mais il a peur d'empirer encore la situation, il a peur de ce qui va se passer. Il se contente de lui envoyer un message.

« Tu me manques, toi aussi. »

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