Chapitre 7 : « Tu n'es rien de tout ça. »
Les lendemains de soirée, c'est compliqué. Surtout qu'Alec n'est pas un habitué, il a tendance à devoir conduire tout le monde donc il ne boit pas énormément. Même si ça lui arrive régulièrement d'aller boire un verre dans un bar avec Jace ou des collègues, ses nuits d'ivresse se comptent sur les doigts d'une main. Autant dire que ce matin, ouvrir les yeux n'est pas un exercice facile, et une impression bizarre le tourmente. Il ne reconnaît pas l'odeur de son appartement, et il sent un poids sur son torse. Il se force donc à ouvrir les yeux pour découvrir qu'il n'est, effectivement, pas dans sa chambre, et que quelqu'un dort sur son torse nu. Il ne tarde pas à reconnaître Magnus, à la mèche bleue au milieu des cheveux de jais et à la main vernie de noir posée sur sa peau. Son ventre se tord brusquement, sa gorge aussi et il sent poindre la crise d'angoisse. Il s'empêche de bouger pour ne pas réveiller le médium et risquer de rendre la situation encore plus embarrassante. Il referme les yeux, mais la première chose qui lui revient, c'est un baiser. Ou plutôt une quantité infinie de baisers qu'il a échangés avec Magnus. C'était tantôt brûlant et sensuel, tantôt doux et tendre. Il ressent encore le bonheur qu'il a ressenti à l'embrasser, quand il a enfin eu le droit de capturer sa bouche après l'avoir désirée toute la soirée – et même davantage pour être honnête. Pour la première fois depuis qu'il s'est rendu compte qu'il est attiré par les hommes, la frustration a disparu.
Et finalement le reste de la soirée se déroule dans sa tête. Rien n'est oublié, ni les baisers, ni les caresses, ni les mots horribles qu'il a jeté au visage de l'indonésien, ni la façon dont il l'a observé toute la soirée comme un putain de stalker, et encore moins la façon dont il l'a supplié de le laisser l'embrasser.
Il soupire, l'angoisse a disparu ainsi que son envie de fuir, même si son esprit est encore confus. Il ne veut pas laisser Magnus, mais ça ne rend pas son attirance pour lui plus facile à gérer et à accepter. Encore que si ce n'était que de l'attirance physique, ç'aurait été encore gérable. Néanmoins, il sait que c'est plus profond que ça. Et si, pour une fois, il essayait ? S'il essayait de ne pas réprimer ces sentiments naissants ?
Il rouvre les yeux pour regarder l'homme dans ses bras et il se dit que, pour lui, ça vaut le coup. Ses doigts commencent à caresser l'épaule de Magnus, à travers la soie de sa robe de chambre, et le médium se réveille.
— Bonjour, murmure Alec.
Magnus relève les yeux vers lui, hésitant. Quand il croise son regard noisette, il se sent un peu rasséréné. Il lui offre un petit sourire.
— Bonjour.
Son sourire se fane quand Alec fronce les sourcils et commence à se redresser.
— Quelle heure il est ? Il faut que j'y aille.
— Oh...
Il baisse les yeux, perdu face au vide qui semble s'emparer de lui, là où l'espoir avait commencé à se montrer. Il se pousse pour laisser Alec se relever, mais celui-ci s'écarte simplement pour se tourner vers lui, un sourire amusé aux lèvres.
— Je plaisante.
Soulagé, Magnus se laisse retomber sur le lit et enfouit son visage contre l'oreiller une seconde, le temps de reprendre contenance.
— Tu pensais vraiment que j'allais partir ?
— Non, ment Magnus en passant une main sur sa nuque.
Sa bouche s'étire en un sourire heureux alors qu'il pose à nouveau son regard sur Alec, il se mord la lèvre.
— C'est pas gentil de se moquer, le réprimande-t-il.
— Je t'ai promis que je m'en irais pas.
— Je pensais que tu aurais oublié.
Magnus est honnête et Alec aime ça. Ça a quelque chose de rassurant. D'un regard, ils comprennent qu'aucun des deux n'a envie d'avoir cette conversation maintenant. Mais Alec sourit toujours et Magnus ne peut détourner les yeux de ce merveilleux spectacle.
— Alors tu sais sourire, le taquine-t-il.
— Bien sûr que je sais sourire, rétorque le brun en faisant mine de se renfrogner.
— Ah non, n'arrête pas. Ça te va bien.
Alec rit, gêné. Il se rapproche de Magnus pour le reprendre dans ses bras et pouvoir cacher ses joues rosies au creux de son cou.
Ils restent comme ça un moment. Ça pourrait être une heure, ça pourrait être une éternité, ils n'ont de toute façon pas la notion du temps. Ils se frôlent du bout des doigts, des lèvres, s'enlacent, échangent parfois quelques mots et se sourient. Et puis l'estomac d'Alec se met à grogner.
— Je pense qu'on devrait se lever, s'amuse Magnus.
Un peu à contrecœur, Alec hoche la tête et ils sortent du lit. En marchant vers le salon, il tâte ses poches à la recherche de son téléphone.
— Tu saurais pas où est mon portable, par hasard ?
— Ah, si. Attends.
Il regarde, perplexe, Magnus s'approcher du fauteuil et soulever le coussin qui y est posé. Il en sort leurs deux portables et lui tend le sien. Alec réfléchit une seconde et décide de ne pas poser de question, préférant reporter son attention sur l'écran. Il s'attend à avoir au moins mille appels de sa sœur, mais quand il se rend compte qu'il n'y a qu'une dizaine d'appels manqués, sa culpabilité se calme un peu.
— Ta sœur a appelé, hier soir, commence Magnus, mal à l'aise. Je voulais pas qu'elle s'inquiète alors je l'ai rappelée pour lui dire où tu étais.
— Ah...
— Excuse-moi, j'aurais sans doute pas dû mais... L'ignorer ne me semblait pas correct.
L'indonésien baisse les yeux sur ses mains, incapable de supporter le regard d'Alec qu'il n'arrive pas à décrypter, puis il se dirige vers la cuisine pour faire chauffer du café. Est-ce qu'il va être en colère ? Est-ce qu'il va partir en claquant la porte ? Non, il l'entend simplement s'asseoir sur le canapé avec un soupir. Le silence s'installe jusqu'à ce que Magnus revienne au salon avec deux tasses fumantes. Il hésite et, finalement, s'assoit à côté d'Alec.
— Tu m'en veux ?
— Non, je t'en veux pas.
Alec prend la tasse que Magnus lui tend et s'approche un peu plus pour déposer ses lèvres sur sa tempe.
— Tu as bien fait de lui dire. Elle m'aurait tué en me voyant rentrer, si tu l'avais pas fait. C'est juste que je sais pas ce que je vais lui dire.
— Tu peux simplement lui dire qu'un ami, incroyablement généreux, t'a offert son canapé pour la nuit parce que tu n'étais pas en état de prendre la voiture.
— Oui, c'est une solution, admet Alec en riant à la modestie du médium. Mais elle ne me croira pas.
— Peut-être. Mais ce que je veux dire c'est que... T'es pas obligé de lui dire quoi que ce soit.
Alec se tourne vers Magnus, surpris et choqué, se demandant s'il est bien en train de suggérer que ce qu'il s'est passé ne signifie rien. Et Magnus ne met pas longtemps à comprendre ce qui se passe dans la tête du jeune homme, il pose sa tasse et pose une main sur son épaule.
— Écoute. Je sais que tu n'es pas prêt à vivre une relation au grand jour et je te le demande pas. Je voulais juste que tu saches que si tu veux que ça reste caché, c'est d'accord pour moi. Je le comprends.
— Mags...
Alec soupire de soulagement. Pourquoi s'inquiète-t-il tant alors que c'est Magnus qui faisait tout pour être raisonnable la veille ? S'il avait eu envie de jouer avec Alec, il n'aurait pas réagi comme ça.
— Et si je ne le dis qu'à Izzy ?
— Je suis pas certain qu'elle le garde pour elle, répond Magnus en repensant aux messages de Clary et Catarina. Mais c'est comme tu veux.
— Pourquoi tu dis qu'elle ne le garderait pas pour elle ? rétorque le grand frère protecteur.
— Eh bien... Il s'avère que ce n'était pas vraiment une coïncidence qu'on soit dans le même club, hier soir. C'est ma meilleure amie qui m'y a invité et j'ai appris qu'elle communiquait sur mon compte avec Clary.
Il montre les deux messages reçus la veille, après l'appel à Izzy, à Alec qui rougit quelque peu. Son cœur se met à battre plus fort, l'angoisse commençant à revenir. Il se lève et commence à arpenter la pièce.
— Ma sœur est une véritable commère, se lamente-t-il en essayant de respirer.
— M'en parles pas, marmonne Magnus. Catarina est pareille...
Magnus se lève et s'approche d'Alec, il attrape ses mains pour l'obliger à le regarder.
— Alexander, ce n'est rien. Elle t'aime et je doute que Clary et Cat aillent parler de notre relation en dehors de nos groupes d'amis. D'accord ?
— On a une relation ?
— Euh... Oui ? J'imagine qu'on en a une, quelle qu'elle soit. Je ne sais pas trop quoi te dire pour que tu ne paniques pas davantage.
Alec secoue la tête, lui-même ne sait pas ce qu'il a besoin d'entendre. Il retire ses mains de celles de Magnus et s'éloigne à nouveau. Sa sœur sait qu'il est chez Magnus et elle s'est empressée de se faire des idées. Enfin, pas des idées puisqu'il s'est bien passé quelque chose. Mais pourquoi y a-t-elle pensé ? Bien sûr qu'il sait pourquoi ! Il voulait juste continuer à se voiler la face !
— Izzy me connaît par cœur, lance-t-il en se tournant vers Magnus. Je sais qu'elle se doutait, au moins, de mon... De mes préférences. Mais je voulais pas le voir. Tant qu'elle savait pas, j'étais le seul à devoir faire avec mes déviances.
— Quoi ? Alexander, stop.
— Magnus, j'ai grandi avec un père qui pense que tant qu'un homme a pas cassé la gueule à un autre, c'est pas un homme ! J'ai grandi en entendant combien être attiré par un autre homme est dégoûtant et honteux. Que ceux qui le sont, sont des dégénérés, qu'ils ne valent rien et qu'ils ne méritent que de...
Il arrête de parler quand ses yeux rencontrent le regard horrifié et bordé de larmes de Magnus. Celui-ci franchit le mètre qui les sépare et attire Alec contre lui.
— Alexander, souffle-t-il. Tu n'es rien de tout ça. Tu n'es pas dégoûtant ou dégénéré, et il n'y aucune honte à ressentir ce que tu ressens.
Alors que quelques larmes lui échappent, Alec enlace Magnus et s'accroche à lui. Comment peut-on seulement dire une chose pareille à un enfant ? Oh, le père de Magnus n'a pas été mieux, certes, et c'est à coups de poings et de ceinture qu'il a essayé de remettre Magnus sur le droit chemin. Mais ses discours n'atteignaient pas Magnus qui est parti dès qu'il a été en âge de vivre seul. Sa mère, elle, ça faisait longtemps qu'elle n'était plus là.
— Je sais que c'est difficile, crois-moi. Et je ne te demande pas de faire face à ça maintenant, surtout pas avec ce que tu as bu hier soir.
Il rit doucement, et le rire d'Alec lui répond, ce qui le rassure. C'est vrai qu'avec la panique, le mal de tête qu'Alec avait réussi à mettre de côté grâce à leur réveil si doux, se fait à nouveau sentir. Le jeune homme hoche la tête et se redresse. Ils retournent sur le canapé pour reprendre le cours de leur petit-déjeuner, ou en tout cas de leur café. Dans un silence à peine moins tendu que le précédent, l'indonésien ne peut s'empêcher de guetter une nouvelle crise d'angoisse, il redoute les réflexions d'Alec.
— Au fait, je suis désolé pour ce que je t'ai dit hier soir, lâche finalement ce dernier en esquissant un vague regard vers le médium.
— Qu'est-ce que tu as dit ?
— Quand je t'ai reproché d'avoir flirté avec des mecs.
Alec a l'air gêné et Magnus décide de le laisser dire ce qu'il a à dire, il ne comptait pas en reparler. Il n'y a pas grand chose à en dire, en réalité, et il ne s'attendait pas vraiment à ce qu'Alec s'excuse.
— J'étais jaloux et en colère, répond le brun. Mais c'était pas contre toi.
— T'étais jaloux ? C'est mignon.
Magnus sourit et s'appuie contre son épaule. Il lui arrive aussi d'être jaloux, parfois, et il sait que le plus dur est de l'admettre. Il décide de lui expliquer ce qui se passe avec Raphael.
— Le mec avec qui tu m'as vu en début de soirée et qui s'amusait avec ma chemise, c'est un ami à moi et il n'y a rien entre lui et moi.
— Mags, t'as pas besoin de te justifier.
— Je sais, mais si on continue à se voir, tu risques de le croiser et je veux pas que tu te sentes mal à l'aise.
Alec écarquille un peu les yeux, Magnus redoute à nouveau la crise. Mais cette fois, ça va. Alec est troublé, pas angoissé, les mots de Magnus lui font un effet étrange. Continuer à se voir ?
— Tu veux qu'on se... Qu'on se revoie ?
— Beh oui. Pas toi ?
— Si, bien sûr ! s'empresse-t-il de le rassurer. Évidemment que oui !
Il pose une main sur la joue de Magnus et plonge dans son regard chocolat. Cet homme, là, qui doit littéralement avoir le monde qui se jette à ses pieds, le veut lui ? Et il ose lui dire ça de façon si naturelle ! Comment peut-il avoir cette chance ? Il se mord l'intérieur de la joue pour se retenir de lui sauter dessus. Au lieu de ça, il se contente d'un chaste baiser sur sa bouche et préfère continuer leur conversation pour ne pas perdre le contrôle de lui-même.
— A-alors cet ami ?
— Il s'appelle Raphael et je le considère comme mon petit frère, explique Magnus. Quand Ragnor l'a rencontré, un jour où il était venu chez moi sans y être invité, Raphael avait dix-sept ans et je l'hébergeais parce qu'il avait des problèmes avec sa famille.
— D'accord, mais... Si vous êtes comme des frères, pourquoi il flirte avec toi ?
— C'est pour faire enrager Ragnor, répond Magnus en levant les yeux au ciel, sans retenir sa moue amusée. La scène qu'il nous a fait parce qu'il a cru qu'on était ensemble était tellement ridicule que même lui ça l'a embarrassé après coup. Depuis, Raphael s'en sert pour le faire taire quand il l'embête trop. Hier soir, c'était le cas.
Il hausse les épaules, pour lui ça n'a pas d'importance même si ça l'agace parfois. Mais ça agace encore plus Ragnor alors c'est amusant, dans un sens. À côté de lui, Alec enlève sa main qui était descendue sur celle de Magnus et il regarde ailleurs.
— Et ça t'embête pas qu'il fasse ça ?
— J'ai pas dit que je trouvais pas ça puéril, mais je lui ai déjà fait la leçon et Raphael n'écoute personne.
Alec n'aime pas cette réponse, mais il ne peut quand même pas critiquer les amis de Magnus, d'autant qu'il semble tenir à eux, à lui. Il soupire et hoche la tête pour signifier qu'il comprend, ce qui n'est pas tout à fait vrai. Mais si ça ne veut rien dire, ni pour Magnus ni pour ce Raphael, ce n'est sans doute pas la peine de continuer à y penser.
Il termine son café en quelques gorgées et se cale contre le dossier du canapé, en se collant à nouveau contre son... Son quoi ? Partenaire ? Petit-ami ? Il aimerait bien, mais rien que les mots le font angoisser.
Une heure plus tard, les deux hommes sont sur le pas de la porte. Alec s'est décidé à rentrer, il est presque midi et sa sœur commence à le harceler. Mais ils sont là depuis plusieurs minutes déjà, les mains de Magnus accrochées au t-shirt d'Alec, les mains d'Alec posées sur la taille de Magnus, sans pouvoir se lâcher.
— Appelle-moi si ça va pas, après avoir parlé à ta sœur, souffle Magnus. Ou même si ça va. Tu peux juste m'appeler quand tu veux... S'il te plaît, arrête-moi avant que je commence à dire n'importe quoi.
Alec rit et embrasse Magnus. Pour l'un comme pour l'autre, se séparer maintenant est difficile. C'est comme faire éclater la bulle dans laquelle ils ont réussi à faire quelques pas l'un vers l'autre alors que, dehors, c'est juste l'angoisse d'imaginer que chaque chose peut les pousser à faire le chemin inverse.
Les mains d'Alec glissent dans le dos de Magnus et l'une d'elle remonte jusqu'à sa nuque pour l'inviter à approfondir leur baiser. Timidement, Magnus laisse la langue d'Alec rejoindre la sienne et c'est dans un soupir qu'elles se trouvent et se caressent. L'une des mains de Magnus vient se perdre dans les cheveux d'Alec, un geste tendre qui réussit pourtant à enflammer un peu plus leur échange. Et puis le téléphone du plus jeune sonne encore.
— Je vais tuer ma sœur, murmure-t-il en quittant la bouche de Magnus.
— Mais non dis pas ça. Tu pourrais avoir besoin d'un rein un jour.
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