Chapitre 5 : « Ok, tombeur. »

Alec enfile un t-shirt noir avant de se regarder dans le miroir. Il se prépare à sortir et il ne comprend même pas pourquoi. Ce n'est pas vraiment son truc de faire la fête, il préfère de loin rester au calme ou alors s'entraîner au tir. Bref, des activités qui n'impliquent pas de se retrouver au milieu d'une foule d'inconnus. Mais Isabelle le lui a demandé et Alec ne peut rien refuser à sa sœur. Il faut dire qu'elle sait être persuasive, surtout après une demi-heure passée à le supplier. Là où il trouve ça bizarre, c'est que Jace lui a dit qu'il avait invité Clary à sortir et quelques heures plus tard il lui a suggéré de venir, vu que Izzy s'incrustait aussi. C'est évident que les deux femmes s'entendent bien, même si Alec ne sait pas trop comment elles se sont rencontrées. Enfin, connaissant sa sœur, elle est peut-être simplement allée à la boutique de Magnus parce qu'elle aime vraiment les trucs ésotériques et paranormaux.

Il passe une main dans ses cheveux en soupirant, avec un peu de chance cette soirée va vite passer et il pourra revenir s'étaler sur son lit pour regarder une série quelconque avant de dormir. Il ressort de sa chambre et, arrivé dans le salon, se rend compte que sa sœur est encore dans la salle de bain. Quand elle en sort quelques instants plus tard, maquillée et toute pimpante, il repense aux paroles de Magnus. Il se retient de lui demander si son maquillage et ses produits de beauté prennent vraiment tant de place que ça mais il se rappelle que c'est toujours le bazar dans la salle de bain, alors sans doute que la réponse est « oui ». Il se laisse tomber sur le canapé, le visage dans un coussin et pousse un cri de frustration qui fait sursauter Izzy. Mais pourquoi est-ce qu'il repense à lui, maintenant ? Il est pourtant bien décidé à ne plus le revoir. Qu'importe que Jace sorte avec son assistante, il ne retournera pas dans cette boutique.

— T'es prêt ?

Il regarde sa sœur – qui fait visiblement de son mieux pour ne pas se moquer de lui – puis il se relève. Elle s'approche de lui en trois pas et commence à toucher à ses cheveux. Il recule une première fois, puis une autre et finalement, il laisse faire puisqu'elle ne semble pas vouloir le laisser tranquille. Quand elle arrête, il regarde son reflet et voit quelques boucles noires retomber sur son front.

— Là, ça te donne un côté bad boy !

— Je suis flic, je peux pas avoir l'air d'un bad boy.

— Mais si ! En plus ça s'accorde à ta tête de grincheux.

Elle se détourne pour aller mettre des chaussures. Sérieux ? C'est quoi ce scud complètement gratuit ? Il part aussi dans l'entrée pour enfiler son blouson. Noir, aussi. Isabelle le regarde et soupire. Décidément, il ne réussira jamais à porter autre chose que du noir.

— On doit aller chercher Jace ? demande-t-il, ignorant son regard désapprobateur.

— Non, il a dîné avec Clary et elle a une voiture.

— Rappelle-moi pourquoi tu veux que je vienne si je sers même pas de chauffeur.

— Beh si, t'es mon chauffeur, répond-elle en riant. Oh allez, fais pas cette tête ! Faut que tu sortes t'amuser de temps en temps.

— Mais je m'amuse. De temps en temps.

— Et ce serait bien si tu... Si tu rencontrais quelqu'un, tu sais.

Instantanément, et alors qu'elle s'y attendait, le regard d'Alec se durcit et il quitte l'appartement sans l'attendre. Eh merde. Le trajet jusqu'au Pandémonium se fait donc en silence, Alec ne sort pas de son mutisme, même après qu'Izzy s'est excusée. C'est qu'elle s'inquiète pour lui et il en a conscience, mais elle ne peut pas comprendre. Elle ne doit pas avoir compris, ce serait trop dur à supporter pour lui. Si quelqu'un s'était rendu compte que... Il n'arrive même pas à y penser.

Ils retrouvent Jace et Clary à l'intérieur de la boîte et Alec commence à se détendre un peu. Ils s'installent à une table et commencent à discuter. Au grand soulagement d'Alec, aucun d'eux ne parle du boulot de Clary. Après une vingtaine de minutes, ils sont rejoints par un autre jeune homme qui trouve tout naturellement sa place entre Clary et Isabelle. Alec trouve ça étrange, même Jace ne semble pas surpris. Pourquoi personne ne lui a dit qu'il devrait socialiser avec un inconnu ? Clary présente alors Simon, son meilleur ami. Trop bien, un geek. Alec essaie de prendre sur lui et, du coin de l'œil, il voit Isabelle rougir en parlant à Simon. Oh non... je vais tenir la chandelle.

— Je vais nous chercher des verres, dit-il en se levant soudainement.

Il s'éloigne d'un pas rapide vers le bar même si, arrivé à un mètre, il se met à progresser beaucoup plus lentement à cause du monde qui attend de se faire servir. Il lui faut plusieurs minutes pour atteindre le comptoir, il s'y accoude en soupirant. Encore. Il a l'impression de ne faire que ça ce soir, soupirer. Il se fatigue un peu lui-même.

Il regarde autour de lui, attendant que la barmaid vienne prendre sa commande. Son regard se pose sur une silhouette un peu plus loin et il ne met malheureusement pas de temps à savoir à qui elle appartient. Magnus. Il reconnaît son visage, sublimé par de l'eye-liner, et ses cheveux coiffés en pics sur sa tête dans une coiffure plutôt unique. Il est en train de discuter avec un autre homme, plus petit que lui, de type latino. Ou de flirter. L'homme attrape le tissu de sa chemise entre ses doigts et Magnus lui tape sur la main sans cesser de sourire. Alec se sent brusquement mal à l'aise de les regarder comme ça. Mal à l'aise et en colère. Ce sentiment le heurte de plein fouet et il se retourne vers le mur derrière le comptoir pour ne plus les voir. Il a toujours détesté ça, voir deux hommes ensemble. À chaque fois c'est comme s'il entendait les paroles haineuses de ses parents. Mais cette fois, c'est différent. Il aurait voulu être à la place de l'homme avec Magnus.

La barmaid arrive enfin, il commande cinq bières et un shot de tequila qu'il avale tout de suite avant de rejoindre son groupe avec les bières. Quand il s'assoit, Isabelle voit que quelque chose ne va pas avec son frère. Elle regarde, curieuse, vers le comptoir. Elle se demande encore s'il s'est prit la tête avec quelqu'un quand, derrière elle, elle voit passer Magnus avec le latino. Lui ne les voit pas, mais les quatre jeunes les regardent passer et un silence s'installe, lourd. Clary et Isabelle s'échangent un regard alarmé et se lèvent dans un même mouvement en annonçant qu'elles vont aux toilettes.

— Il se passe quoi, là ? demande Simon, un peu perdu.

— Rien, pourquoi ? répond Alec, la voix rendue rauque par la colère.

Les filles s'affolent et, une fois seules, Clary veut envoyer un message à Cat, mais Izzy l'en empêche. Elle se sent coupable d'avoir monté ce plan, elle voulait aider son frère, mais si Magnus s'est trouvé quelqu'un si vite, ce n'était sans doute pas une si bonne idée.

— Ça lui ressemble pas, souffle Clary. D'après Cat, quand il sort ces derniers temps c'est surtout pour boire. Pas pour rencontrer des hommes. Ni des femmes.

Elles décident de ne rien envoyer à Cat et retournent auprès des garçons, qui sont toujours silencieux. Mieux vaut sans doute laisser les choses là, de toute façon Alec a l'air en colère maintenant, ça n'étonnerait Izzy qu'à moitié s'il les plantait dans peu de temps.

Oui, Alec est en colère. En bonne partie contre lui-même pour être aussi transparent – y compris devant un mec qu'il connaît depuis moins de vingt minutes. Alors il décide de boire sa bière et quand les autres partent danser ensemble, il reste seul sur la banquette. Après quelques chansons passées à ruminer, il retourne au bar pour demander une autre bière qu'il boit encore plus vite que la première, au point que la barmaid le regarde, les yeux écarquillés. Clairement, celui-là, il passe pas une bonne soirée.

— Alexander ?

L'interpellé se fige, reconnaissant trop bien la voix veloutée et cette façon de l'appeler par son prénom entier. Il se tourne vers Magnus. Bordel, il est encore plus beau de près. L'indonésien – la peau couleur caramel parsemée de paillettes qui la rendent presque irisée et la chemise bordeaux ouverte sur les cinq premiers boutons – regarde Alec, un sourire surpris sur les lèvres, mais pas trop, comme s'il s'attendait à le voir ici.

— Qu'est-ce que tu fais assis tout seul ?

— Qui te dit que je suis seul ? répond Alec, grincheux, rebaissant les yeux.

— Euh... C'est vrai. Excuse-moi.

Douché par la réaction d'Alec, Magnus se détourne et commande quelques verres à la barmaid. S'il devait être honnête, il dirait que la réaction d'Alec l'a blessé, même s'il n'y a pas de raison. Ce n'est pas comme s'ils étaient amis après tout. Une fois servi, il repart, laissant Alec qui était sur le point de trouver le courage de s'excuser.

Le brun se retient de se retourner pour le regarder, c'est bien assez difficile comme ça. Il sait que son comportement est puéril, mais il ne peut pas s'en empêcher. Il est en colère. En colère contre cet homme qui arrive trop bien à le troubler et à mettre à mal ses remparts. En colère contre cet homme qui flirte avec d'autres hommes. Et pourquoi pas avec lui, hein ? Mais oui, mais peut-être que s'il était moins froid, Magnus pourrait être intéressé. Seulement voilà, Alec repousse tout le monde et reste seul avec sa colère et sa frustration.

Il finit par commander deux autres shots et une bière à la barmaid. Comme plus tôt, il avale d'un trait les shots avant de repartir à sa table avec sa bière. L'alcool commence à faire effet et ça lui fait du bien. Petit à petit, son cœur s'engourdit et se remet à battre correctement, ou presque. Finis les pincements provoqués par un certain médium. Et fini le ventre noué par des émotions qu'il se refuse d'avoir. Finies ces émotions maudites et cette attirance contre-nature.

Et pourtant, malgré lui, il le surveille du coin de l'œil tout en buvant sa bière. Il a repéré sa table et le regarde, de loin, s'amuser avec trois personnes. Puis, le temps et les chansons passant, le groupe se lève pour aller sur la piste de danse. D'abord, ils dansent ensemble, ensuite la femme et l'homme qui parait le plus âgé s'éloignent sous les regards amusés de Magnus et du dernier homme, celui avec lequel Magnus flirtait plus tôt. Ou l'inverse. Il ne sait plus. Mais ces deux-là finissent aussi par se séparer et Alec continue de porter son entière attention sur l'asiatique. Il n'aperçoit que sa silhouette dans la foule, mais il sait que c'est lui, son foutu cœur sait que c'est lui.

Quand un groupe de personnes se place au bord de la piste, pile devant Alec, il décide de se diriger vers la piste à son tour. Sur le chemin, il croise sa sœur qui essaie d'attirer son attention mais il ne pense qu'à une chose : se rapprocher, regarder Magnus et ses gestes élégants danser.

Non, Alec ne danse pas. Il se contente de s'accouder sur une des tables hautes qui entourent la piste. Il prête à peine attention au métal collant d'alcool sous ses doigts, parce que ses yeux ont à nouveau trouvé Magnus. Son coeur se gonfle, il observe. À son grand désespoir, Magnus ne reste pas seul longtemps. Un homme ne tarde pas à se rapprocher de lui et pose ses mains sur sa taille fine, froissant la chemise bordeaux entre ses doigts. Leurs mouvements s'accordent, se synchronisent. Leurs corps se collent et les bras de l'inconnu passent plus jalousement autour du torse de Magnus. Dans le brouillard de l'alcool, Alec met quelques instants à comprendre ce qui se passe ensuite. L'homme retourne Magnus vers lui pour plaquer leurs lèvres ensemble. Mais Magnus s'écarte et l'homme le retient par le poignet, l'empêchant de partir.

— Lâche-le !

Il ne sait pas à quel moment il s'est décidé, ni comment il a fait pour fendre la foule aussi vite, mais toujours est-il qu'il se trouve sur la piste à présent, entre Magnus et son prétendant. Sa main agrippe le poignet de l'homme pour le forcer à lâcher Magnus.

— T'es qui toi ? s'écrie l'homme, énervé. T'es avec lui ? Désolé de te le dire, mais ton mec est un allumeur !

— La ferme !

Alec resserre un peu plus ses doigts sur le bras de l'homme qui ouvre enfin sa main pour libérer Magnus. Qui s'empresse de lui asséner un coup de poing au visage, n'aimant pas vraiment se faire embrasser par surprise ou encore traiter d'allumeur. L'homme part sans riposter, trop intimidé par le regard meurtrier qu'Alec pose sur lui.

Les gens autour ont peu à peu arrêté de danser pour regarder la scène, alors Alec prend la main de Magnus pour l'entraîner plus loin. Il hésite à retourner à sa table, avant de se souvenir que Izzy et les autres pourraient y être retournés et il n'a pas envie de les voir. Pas maintenant, pas dans cet état, alors qu'il est ivre et que la colère le consume à nouveau.

Magnus se demande s'il est en train d'halluciner. Il n'a pourtant pas tant bu que ça, en fait, il a même été plutôt sage. Mais c'est certain que son esprit est ailleurs depuis un moment déjà. Quand il a senti cet homme se glisser derrière lui, il n'a pas compris ses intentions avant qu'il ne l'embrasse. Pourquoi ? Parce qu'un seul homme traîne dans sa tête depuis deux jours ! Et il a du mal à croire que cet homme, justement, l'ait tiré d'affaire et soit en train de l'emmener avec lui. Où ? Il n'en sait rien et Alec ne semble pas dans son état normal.

Il sort de ses pensées quand son dos heurte brutalement quelque chose. Surpris, il regarde Alec qui vient de le plaquer contre un mur dans un coin où ils sont seuls.

— Qu'est-ce que tu fais ? parvient-il à souffler.

— J'en sais rien.

Comme rarement, Alec est sincère. Il ne sait pas ce qu'il fait et Magnus le voit, dans ses beaux yeux noisette. Magnus se rend compte, aussi, qu'Alec est ivre et il se déteste d'avoir le cœur qui bat si fort pour un homme qui ne le trouve attirant que quand il est ivre. Il pose une main sur le torse du plus jeune pour essayer de le repousser, mais celui-ci résiste et ne bouge pas.

Les yeux d'Alec font la navette entre le chocolat chaud des yeux de Magnus et sa bouche si tentante. Elle le tente depuis qu'il l'a vu, derrière le comptoir de sa boutique, la veille. Ah, pourtant Alec était certain que l'alcool avait réussi à faire disparaître son trouble. Mais il était là, personnifié en la personne de Magnus, comme pour le narguer. Il fronce les sourcils et porte une main à son visage, tandis que l'autre se pose sur le mur, juste à côté de la joue de Magnus.

— Je n'ai pas supporté que ce mec te...

— Me quoi ? demande Magnus devant l'hésitation d'Alec. Me brutalise ? J'ai l'habitude, ne t'en f...

— Qu'il te touche, le coupe Alec en grognant presque. Qu'il t'embrasse, qu'il pose ses mains sur toi comme ce... Comme cet abruti qui flirtait avec toi tout à l'heure.

Magnus hausse les sourcils, perdu. Et l'expression de dégoût sur le visage d'Alec lui serre le cœur. Qu'est-ce qui se passe ? Il lui demande des comptes ? Il veut quoi ? Lui dire qu'aimer les hommes c'est une honte ? Il a déjà remarqué qu'Alec est encore dans le placard et certainement pas près d'en sortir, mais il n'est pas obligé de le juger pour ce que lui n'ose pas faire.

Il réfléchit néanmoins à ses paroles, il n'a flirté avec personne avant d'être abordé par l'autre gros lourd. Et puis la réponse s'impose enfin à lui. Raphael. Vraiment ? Il l'a vu avec Raphael et s'est dit qu'ils flirtaient ? Ok, Raphael est du genre tactile, mais ça fait des années qu'ils se connaissent maintenant et Magnus y est tellement habitué qu'il s'en rend à peine compte.

L'espace d'une seconde, Alec a espéré que Magnus le détrompe mais il reste silencieux, gêné. Voilà qu'il s'est entiché d'un coureur, génial. Et pourtant il ne peut pas s'en empêcher. Quand il voit Magnus tout près de lui comme maintenant, il veut juste oublier tout le reste. Désinhibé par l'alcool, il s'approche un peu plus de Magnus et il enfouit doucement son visage contre son cou. Ses lèvres caressent sa peau pailletée, la goûtant presque tendrement, appréciant les frissons qu'elles font naître. Son ventre se tord, il se rappelle l'effet que ça faisait, la veille, de l'avoir contre lui. Les mains de Magnus, fébrile, réussissent enfin à le repousser.

— Ok, tombeur, commence-t-il d'une voix qu'il veut assurée pour cacher qu'il est à deux doigts de flancher. Je vais chercher ta sœur, il vaut mieux que tu rentres chez toi.

Sa sœur ? Non ! Tout mais pas ça ! Alec se redresse et, sans répondre, il prend la direction de la sortie du club. Magnus a raison, il faut qu'il rentre avant de faire n'importe quoi. Une fois dehors, il sort ses clés de voiture sous l'œil suspicieux du videur. Les clés quittent ses mains avant qu'il puisse les retenir. Il se retourne pour voir Magnus, qui les tient entre ses longs doigts fins.

— Tu crois que tu fais quoi, avec tout l'alcool que tu as bu ?

— Tu m'as dit que je dois rentrer chez moi, faut savoir ce que tu veux !

— Mais tu vas pas conduire dans cet état !

Alec essaie de reprendre ses clés et Magnus doit faire signe au videur que tout va bien pour qu'il n'intervienne pas.

— Viens, je t'emmène chez moi.

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