Chapitre 4 : « On a menti. »

La matinée est déjà bien entamée quand Magnus se rend dans sa boutique pour ouvrir. Il n'est pas très ponctuel, la boutique est rarement ouverte à l'heure notée sur la porte – ceci dit les clients réguliers savent qu'il leur suffit de presser la sonnette pour que l'indonésien daigne descendre. Mais soit, aujourd'hui il a une bonne excuse. Et pourtant quelle n'est pas sa surprise quand, en poussant la porte qui donne sur le magasin, il y découvre Clary en train de lire le journal derrière le comptoir.

— Qu'est-ce que tu fais là, Biscuit ? T'étais pas censée ne venir que cet après-midi ?

La jeune femme lève le nez de sa lecture en souriant. Parce qu'elle est justement en train de lire l'article qui explique que la police a retrouvé la petite fille et elle ne peut s'empêcher d'être fière de son ami.

— Tu l'as fait, Magnus. Tu l'as retrouvée.

— Oh... Euh, oui. Mais comment tu sais que c'est moi ? Je doute qu'ils me mentionnent dans ton journal.

Tout comme il doute qu'Alec ou le blondinet, dont le nom ne veut décidément pas lui revenir, ait donné son nom à qui que ce soit.

Alexander. La soirée d'hier s'est terminée bizarrement. Après leur discussion dans la salle de bain, Magnus s'est simplement refermé, incapable de parler davantage, alors le brun est parti. Quels sont les derniers mots qu'il lui a dit d'ailleurs ? « Ne recommence pas » ? Ouais, ça doit être ça. Pour faire bonne mesure, Magnus a jeté le morceau de papier... Ainsi que le verre et la serviette qu'il a touché. Il aurait même été prêt à se jeter lui-même pour ne plus revivre cette situation très gênante. Ah, pourquoi a-t-il tant parlé ? De son don, de la douleur. Cette douleur béante qui le ronge depuis tant d'années.

— Non, il n'y a pas ton nom, en effet, rit son assistante. Mais je sais que c'est toi l'« informateur anonyme ». Ils auraient pu trouver mieux comme excuse, tu crois pas ?

— C'est même pas original. Mais tant qu'on ne les voit plus, peu importe.

Magnus cligne soudain des yeux, se rendant compte que son ton froid n'est pas habituel. Il sourit en regardant Clary qui lui rend un regard soucieux.

— Merci d'être venue ce matin.

— Pas de problème. Je vais nous chercher des cafés.

Il hoche la tête et, quelques instants plus tard, la jeune femme ressort de la boutique. Elle a beau avoir l'habitude de ses sautes d'humeur, ce n'est pas une raison pour se laisser aller. Du coin de l'œil, il aperçoit le journal posé sur le comptoir. Il hésite une seconde mais sa curiosité l'emporte et il lit l'article. Il n'y est pas fait mention de grand chose, si ce n'est que les enquêteurs ont reçu des informations de façon anonyme. Que deux jeunes agents se sont rendus où l'enfant était retenue, l'ont sortie de la cave où on l'avait enfermée et l'ont ramenée à sa mère, et qu'un suspect a été arrêté. Malgré lui, Magnus sourit. Il est heureux d'avoir pu aider cette petite fille, même s'il ne peut pas s'empêcher de penser qu'il est exposé à présent.

Il reste seul une demi-heure à s'occuper de sa boutique qui, il doit bien l'avouer, marche plus par internet qu'en physique. Il est donc en train de regarder les commandes en attente sur l'ordinateur de la boutique quand il entend des éclats de rire dehors. Il reconnaît d'abord la voix de Clary, mais une autre voix féminine et inconnue la rejoint. Elles passent toutes deux la porte, Clary n'apporte plus qu'un seul café puisqu'elle a bu le sien sur le chemin. L'autre jeune femme, une jolie petite brune, s'extasie déjà sur la décoration.

— Izzy, commence Clary. Je te présente Magnus Bane.

— Ah, enchantée !

Elle change de cap pour s'approcher de Magnus, qui se lève pour la saluer. Depuis quand Clary ramène des clientes ? Enfin, pas qu'il s'en plaigne, mais c'est quand même surprenant. Il observe la prénommée Izzy, quelque chose chez elle lui donne l'impression de l'avoir déjà vue, mais il s'en souviendrait si c'était le cas, vu le style flamboyant qu'elle arbore.

— L'enchantement est partagé, ma chère.

— Votre boutique est ravissante !

Magnus prend le compliment avec un sourire, puis son café des mains de Clary pour en boire une longue gorgée. Les deux jeunes femmes repartent dans leur conversation, ignorant Magnus qui repart s'écrouler sur son fauteuil où il était assis quelques instants avant. Il se reconcentre sur l'écran de l'ordinateur et se jure de ne pas y rester plus de quinze minutes car la lumière commence déjà à agresser ses yeux.

Après quelques minutes, il se rend compte que les deux femmes parlent bas – très bas – et que Clary jette des regards vers lui de temps en temps. Mais qu'est-ce qu'elles sont en train de raconter ? Quand la rousse rencontre le regard de son patron, elle comprend qu'elles n'ont pas été aussi discrètes qu'elles le croyaient.

— Qu'est-ce qu'il y a ? demande Magnus, un peu amusé.

— Rien ! Je racontais juste à Izzy comment tu m'as aidé avec mon frère.

Et elle dit ça comme si c'était naturel ! Magnus écarquille les yeux, choqué. Il est au courant que certaines personnes qu'il a aidées par le passé ont partagé leur histoire même si, en général, ils ne sont pas crus. Mais il est gêné que Clary fasse pareil, dans la boutique, alors qu'il est à côté.

— Je m'intéresse beaucoup à ce genre de phénomènes, la défend Izzy. Et je sais pour hier soir.

— Hier ? demande innocemment Magnus. Qu'est-ce qui s'est passé hier ?

— Magnus...

— C'est moi qui ai...

Izzy est interrompue par la clochette accrochée à la porte de la boutique. Ils tournent tous les trois la tête, conscients que leur conversation ne doit pas être entendue par n'importe qui. Et la tension s'alourdit d'un coup quand le regard de Magnus croise celui d'Alec, qui vient donc d'entrer, accompagné de Jace.

— Izzy ? s'écrit celui-ci, attirant l'attention de son ami sur la petite brune.

— Salut grand frère ! répond-elle avec un immense sourire.

Ça y est, Magnus est perdu. Ses yeux font d'abord la navette entre Jace et Izzy, avant qu'il ne regarde Alec à nouveau, pour comprendre que c'est lui, le grand frère. Voilà pourquoi il avait l'impression d'avoir déjà vu la petite brune, la ressemblance est évidente.

— Qu'est-ce que tu fais ici ? demande Alec à sa sœur.

Sa voix sonne trop agréablement aux oreilles de Magnus, son cœur manque un battement. D'accord, il a toujours adoré les voix graves, mais là l'effet que ça lui fait est ridicule.

— Bah quoi ? répond Izzy. Je suis venue remercier Magnus pour ce qu'il a fait ! Même si je ne pensais pas que vous viendriez lui demander de l'aide.

— Pourquoi ça t'étonne ? demande Jace. C'était ton idée.

— Si vous écoutiez toujours mes idées, je ne serais pas obligée de vous surveiller.

— « De nous » quoi ?

Génial, il ne lui manquait plus qu'une dispute fraternelle pour que sa journée soit parfaite. Alec soupire et s'efforce de ne pas regarder à nouveau vers Magnus. Leur conversation de la veille ne lui est pas encore sortie de la tête, il a encore beaucoup trop de questions restées sans réponse.

Mais Magnus finit par se lever pour les interrompre.

— Attends, commence-t-il en regardant Izzy. Comment ça, c'était ton idée ?

— Hm... C'est moi qui leur ai donné ta carte.

— Toi ? Mais... Je croyais que c'était la mère de la petite Abby.

À contrecœur, il regarde Alec qui détourne aussitôt les yeux. Jace, lui, soutient son regard même s'il est clairement gêné.

— On a menti, répond-il en haussant les épaules.

— Quoi vous... Vous êtes sérieux ? Ok, c'est trop ! Je m'en vais !

Sur ces paroles, Magnus tourne les talons et part, attrapant son café en même temps. La porte claque. Clary hoche la tête avec un sourire. Une sortie dramatique, c'est tout lui.

— J'espère que vous ne vouliez pas lui demander un autre service, dit-elle à Alec et Jace. Parce que sinon ça risque d'être compliqué.

— Non, comme j'ai dit, on voulait le prévenir que tout s'est bien fini.

— On ne lui demandera plus son aide, de toute façon.

Les trois regardent Alec, surpris. Après ce qu'il a vu la veille, si Magnus doit être à nouveau dans cet état, ce ne sera pas de sa faute à lui. Et s'il finissait par s'évanouir sans plus pouvoir se réveiller ? Ou s'il perdait trop de sang et en mourait ? Cette idée glace le sang d'Alec.

— Qu'est-ce qui ne va pas, Alec ? demande Jace en sortant son ami de ses pensées.

— Rien, pourquoi ? C'est notre boulot de retrouver les gens... Pas celui de je-ne-sais-quel médium ou extralucide ou peu importe.

— Hé, je te rappelle que c'est toi qui t'es précipité à l'adresse qu'il t'a donné ! s'agace la brune. Alors fais pas celui qui n'y croit pas !

— C'est pas le problème que j'y croie ou pas. Si on apprend que c'est un médium qui nous a aidé à retrouver Abby, Maman nous tuera ! Tu le sais, ça !

L'interpellée fait la moue. Bien sûr qu'elle le sait, mais c'est pas comme si elle comptait le crier sur les toits. Elle soupire, il lui est difficile de voir à quel point son frère se laisse contrôler par ses parents. Souvent elle a essayé de le pousser à se rebeller, mais en vain.

— Bon ben, autant partir maintenant, reprend Alec en tournant les talons.

— Euh vas-y, je te rejoins.

Les deux hommes échangent un regard puis Alec part en levant les yeux au ciel, Izzy sur les talons. Dehors, elle l'attrape par la manche pour attirer son attention.

— C'est avec Magnus que tu étais hier soir, hein ?

— C'est quoi cette question ? Je suis allée chercher la petite, hier soir.

— Mais oui, prends-moi pour une idiote. Tu crois que je sais pas que tu as déposé Jace près de deux heures avant de rentrer à la maison ?

— Et alors ? Je me suis baladé, j'avais besoin de réfléchir. Crois-le ou pas, mais apprendre que des gens ont réellement des dons... Comment tu dis ?

— Psychiques ? Paranormaux ?

— Ouais, « psychiques ». Bref, ça m'a poussé à réfléchir, c'est tout. Et je compte pas renouveler l'expérience.

Quelque chose dans sa voix empêche Izzy de continuer à le taquiner, même si c'est tentant. Elle sait qu'il ment, Jace sait aussi qu'il ment. Mais il ment pour tellement de choses et Izzy ne peut rien y faire. Ils attendent ensemble que Jace ressorte, sourire jusqu'aux oreilles et les deux amis repartent.

La brune retourne à l'intérieur de la boutique où elle trouve une Clary aux joues rouges. Elle ne peut s'empêcher de sourire à sa nouvelle amie, taquine.

— Alors ? commence-t-elle. Jace t'a dit quelque chose de particulier ?

— Hein ? Oh euh... Il m'a invitée à sortir ce soir.

Izzy hoche la tête sans cesser de sourire. Jace est clairement plus entreprenant que son idiot de frère. Clary a l'air de comprendre ce qui passe par la tête d'Izzy et, après un regard coulé vers la porte arrière de la boutique, elle demande :

— Tu saurais pas ce qui se passe entre Magnus et ton frère, par hasard ?

— Tu crois que Magnus est intéressé ?

Quitte à en discuter, autant aller à la pêche pour savoir si elle devait pousser son frère un peu ou pas du tout. Clary se met à rire.

— J'en sais rien. Magnus est... Il sort pas beaucoup depuis qu'il a emménagé à New York, mais j'ai entendu dire que ça n'a pas toujours été le cas.

— Comment ça ?

— Eh bien... J'ai rencontré des amis à lui une fois ou deux, alors qu'il n'était pas à la boutique. Et comme je suis curieuse, je me suis renseignée sur lui !

Les deux jeunes femmes rient ensemble cette fois, se rendant compte qu'elles sont pareilles. Mais il n'est pas difficile de se rendre compte que Magnus a souvent l'humeur changeante et Clary l'apprécie beaucoup, alors elle s'inquiète pour lui. Elle ne sait pas s'ils sont réellement amis, mais après tout ce qu'il a fait pour elle et sa famille, de façon complètement désintéressée, elle espère pouvoir lui rendre la pareille un jour.

— Je sais pas s'il est intéressé, reprend-elle. Mais il est clair qu'ils n'agissent pas comme ils l'ont fait hier.

— Alec est passé le voir hier soir, avoue enfin Izzy.

— Quoi ? s'exclame Clary, surprise.

— Dis-moi, Jace, il t'a invitée où ce soir ?

❖❖❖

Magnus descend du taxi et sort son portable de sa poche. Il envoie un message à son amie Catarina pour la prévenir qu'il est arrivé au Pandémonium. Elle lui répond aussitôt qu'elle est déjà à l'intérieur et l'attend à une table. Il rentre alors dans le nightclub et se fraie un chemin jusqu'à leur table habituelle. Il y retrouve non seulement Catarina, mais aussi Ragnor. Et rien qu'en les voyant, il sent le poids de ses questionnements s'envoler aussitôt.

Catarina et Ragnor sont les amis d'enfance de Magnus, ils étaient inséparables jusqu'à ce que Magnus parte après le lycée. Et c'est bien pour eux qu'il est revenu à New York, la distance devenant de moins en moins supportable d'année en année.

Il les enlace l'un après l'autre puis se laisse tomber à côté de Cat qui passe un bras autour de ses épaules.

— Tout va bien Magnus ? demande-t-elle aussitôt.

— Ne joue pas les infirmières avec moi, lui répond-il en souriant. Tu n'es pas de garde.

— Oh, avec vous je le suis toujours un peu ! Il faut bien que quelqu'un veille sur vous.

— Occupe-toi seulement de Ragnor, moi ça va.

Catarina répond par un sourire gêné et Magnus lève les yeux au ciel. Comme s'il était pas au courant que ces deux-là se tournent autour. Enfin, eux-mêmes n'ont pas l'air d'être très au courant. Ragnor se lève pour aller leur chercher des verres.

— Bon, dis-moi plutôt pourquoi tu as soudainement eu envie de sortir. C'est rare que tu me préviennes à la dernière minute.

— Il s'avère que j'ai échangé ma garde de ce soir avec une autre collègue qui avait des plans pour demain.

Magnus ne détecte pas le mensonge et Catarina retient un soupir de soulagement. Dévouée à son ami, elle n'a pas hésité en recevant un message de Clary. Et aussi parce qu'elle aime bien se mêler des affaires des autres, tout comme Ragnor. Ils savent bien qu'avec son don, Magnus a souvent du mal à se lier vraiment avec les gens et que depuis son retour à New York il a changé. Bien sûr, il est toujours cet homme doux qui semble éprouver un amour sans borne pour les gens autour de lui, mais c'est comme si la part d'ombre qui est en lui depuis son adolescence s'était mise à grandir brusquement.

Leur troisième tiers revient avec trois cocktails quelques minutes plus tard. Heureux de se retrouver, ils trinquent.

— Alors, quoi de neuf à ta boutique ? demande Ragnor, surprenant Magnus.

— Depuis quand ça t'intéresse ? Je croyais que tu n'aimais pas l'idée que j'ouvre une nouvelle boutique à New York ?

Pourtant loin de connaître les contraintes de son don, Ragnor a toujours été persuadé que Magnus avait tort de se donner autant pour les autres. Si ça avait été de lui, il aurait fait fortune avec un don pareil !

— J'ai bien le droit de changer d'avis, non ?

— Je suppose... Il n'y a pas grand chose de nouveau. Clary m'aide beaucoup pour tout tenir en ordre, vu que c'est pas vraiment mon fort.

— Et tu as des... Clients ? demande Cat en appuyant le dernier mot.

Magnus fronce les sourcils. C'est rare qu'ils évoquent cet aspect de sa vie et encore moins en public alors qu'il essaie d'être discret. Accessoirement, il a pour le moment plus peur que, si quelqu'un a entendu Cat, on le prenne pour un gigolo ou un prostitué.

— J'ai vu l'article sur la petite qui a été retrouvée, finit par dire Cat. J'ai trouvé leur explication bizarre. Un « informateur anonyme » ?

— Tu es perspicace. Mais toute cette affaire était bizarre. Et même pour moi, ça a été compliqué de la trouver.

— Qu'est-ce qui était bizarre ? insiste Ragnor, l'air de rien. Ce n'est pas la première fois que ça te demande beaucoup d'efforts.

— Non, je sais. Mais c'est à cause des enquêteurs qui sont venus me voir... J'ai appris qu'ils m'avaient menti quand ils m'ont demandé mon aide. Qu'ils avaient menti sur comment ils ont eu ma carte, en fait. Et... L'un des deux était clairement sceptique dès le départ.

La voix de Magnus baisse un peu alors qu'il se met à penser à Alec. Il a passé toute la journée à essayer de comprendre à quoi tout ça rimait et aussi à se demander pourquoi il n'arrive pas à se le sortir de la tête.

— Il est mignon ? demande Cat en pouffant de rire.

C'est trop pour elle. Et la tête ébahie de Magnus vaut tout. Tant pis, elle ne sait pas mentir longtemps à son meilleur ami et puis elle veut savoir si quelqu'un a réellement réussi à l'atteindre à nouveau. En vérité, ça l'inquiète autant que ça la rassure.

— Mais de quoi tu parles ? Ce sont des gamins, répond finalement Magnus en levant les yeux au ciel.

— C'est-à-dire ? Ils embauchent des lycéens dans la police maintenant ? se moque Ragnor.

— Non mais... Ils doivent avoir autour de 25 ans, je dirais.

— Et depuis quand tu te soucies de l'âge de tes conquêtes ? Ou alors tu te soucies du tien ? Trente-deux ans, c'est pas si mal.

— Mais stop, c'est pas..! J'ai pas encore trente-deux ans ! Et puis qui vous a parlé de ça ?

— À ton avis ? lance Cat en montrant son téléphone.

Magnus l'attrape et soupire longuement en voyant que Clary et Cat échangent des messages qui parlent de lui. Est-ce qu'elles se sont entendues pour le faire sortir ce soir ? Mais quelles commères !

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