Chapitre 3 : « Je veux des réponses. »
Que vient-il de se passer ? Pour la seconde fois de la journée, Alec regarde Magnus s'éloigner de lui, la démarche féline malgré son état de faiblesse, et passer une porte qu'il referme derrière lui. Peut-être ne reviendra-t-il pas. La situation est un peu gênante maintenant. Peut-être est-ce une façon de lui signifier qu'il doit partir ? Mais Alec ne le peut pas. Il se pose des questions. Un tas de questions. Beaucoup sur le don de Magnus et sur la façon dont il a réussi à retrouver Abby alors que les enquêteurs en étaient incapables. Beaucoup d'autres sur Magnus lui-même et sa capacité à lui retourner la tête.
Il a l'impression d'entendre encore le soupir de l'homme qu'il avait au creux de ses bras deux minutes auparavant. Pourquoi a-t-il caressé son dos de cette manière ? Pourquoi l'avoir gardé contre lui de cette manière ? C'était agréable, oui, mais ça ne doit pas l'être. Pas s'il veut garder une santé mentale correcte. Il se sent troublé comme jamais alors qu'il s'est toujours interdit de l'être. Interdit de se laisser troubler par un homme. Et jusque-là, il avait réussi, et réussi à être le parfait fils que ses parents veulent de lui. Pour ses parents, l'image et la tradition sont tout. De plus, il est l'aîné de sa fratrie, il doit donner l'exemple et prendre sur lui pour que, avec un peu de chance, son frère et sa sœur aient un peu plus de liberté que lui. C'est un sacrifice auquel il s'est résigné assez jeune. Quand il s'est rendu compte qu'il était uniquement attiré par les hommes mais que ça ne pourrait jamais arriver. Non, ça ne doit pas arriver.
Il reste simplement debout, dans le salon, se refusant à partir et attendant que Magnus revienne. Il regarde autour de lui et observe finalement la décoration de l'appartement. Il y a des bibliothèques sur presque tous les murs, remplies de livres et d'objets divers, et sur ceux où il n'y en a pas sont accrochées des tentures colorées ou des tableaux. En baissant les yeux, Alec aperçoit un morceau de papier. Curieux, il le ramasse et reconnaît son écriture ainsi que son numéro. Magnus devait le tenir lorsqu'ils se sont téléphonés. L'avait-il gardé dans la main en s'évanouissant ? Le bruit de la porte le sort de ses pensées et il abandonne le papier sur la table basse au milieu du salon.
— Tu n'es pas parti ?
La voix de Magnus mêle surprise et soulagement. Après ce qui s'est passé, il était persuadé qu'Alec voudrait partir et a préféré s'éclipser dans la salle de bain pour ne pas alourdir l'atmosphère. Il a profité de ces minutes loin du regard noisette pour passer de l'eau sur son visage et sur sa nuque avant de troquer sa chemise noire pour une longue robe de chambre de soie bleue qu'il n'a même pas pris la peine de fermer, puisqu'il pensait être à nouveau seul dans son appartement.
— Je veux des réponses, répond Alec en essayant de ne pas laisser son regard s'attarder sur le torse négligemment dévoilé de Magnus. Je ne partirai pas sans savoir.
L'indonésien se tend mais fait de son mieux pour avoir l'air naturel quand il traverse à nouveau la pièce pour s'approcher du bar. Des réponses ? Ce n'est quand même pas compliqué de comprendre que Magnus n'a pas envie d'en discuter. Dos au jeune homme, il referme un peu les pans de sa robe de chambre et noue les extrémités de la ceinture avant de sortir une bouteille de whisky.
— Un verre, Alec ?
Un étrange pincement serre le cœur d'Alec à l'entente de ce surnom que Magnus n'avait pas l'air de vouloir utiliser. Lui qui n'aime habituellement pas qu'on l'appelle par son prénom entier, le trouve plutôt agréable quand c'est Magnus qui le fait rouler sur sa langue. Il aurait pu s'y faire. Apprendre à apprécier.
— Oui, merci, répond-il rapidement.
Magnus sert donc deux verres et en apporte un à Alec avant de se laisser tomber sur un fauteuil. D'un geste, il invite Alec à s'asseoir sur le canapé où il a passé l'après-midi. La peluche de l'enfant y est toujours posée et, sur la table basse placée au milieu, reposent une tasse de thé brisée et le papier. Un silence s'installe et Magnus avale une longue gorgée de whisky, pas certain que la brûlure dans sa gorge et l'alcool l'aident réellement à se remettre. Mais tant pis, tout de suite il a besoin de boire.
— Comment as-tu fait ? insiste Alec en détachant ses mots.
— Parce que tu ne penses plus que je suis un escroc ?
— Si je le pensais, tu serais en train de te faire interroger au poste !
Magnus détourne les yeux en se retenant de faire remarquer qu'il n'aurait pas osé dévoiler leur visite à sa boutique. Au lieu de ça, il note qu'Alec commence peut-être à croire en ses dons, finalement. Le policier ne le lâche pas du regard, mâchoires serrées. Pourquoi ne veut-il pas simplement répondre à ses questions ? Doit-il dire qu'il a foncé à l'adresse sans même regarder de quoi il s'agissait ? Certainement pas.
— Clary a dit que ce n'était pas la première fois que tu faisais ça.
— Je l'ai aidée à retrouver son demi-frère il y a quelques mois. Et j'ai... Il m'est arrivé d'aider des enquêteurs par le passé... Comme pour vous aujourd'hui.
— Comment ?
— « Comment » quoi ?
— Comment tu fais ? C'est de la télépathie ou... Ah mais qu'est-ce que je raconte ?
Alec passe une main sur son visage en soufflant et Magnus rebaisse les yeux sur son verre pour reprendre une gorgée. Il ne peut s'empêcher de sourire un peu, il doit bien avouer que c'est amusant de voir le policier se creuser les méninges. Alec boit à son tour et, quand il relève les yeux vers Magnus, il bloque sur sa bouche et le demi-sourire qu'elle dessine. Cela lui rend l'expression espiègle qu'il affichait l'après-midi.
— Si tu veux tout savoir, finit par répondre l'extralucide, je ne sais pas vraiment ce que c'est. Du plus loin que je me souvienne, j'ai toujours eu ce don étrange. J'ai appris à m'en servir et j'ai décidé d'aider les gens.
— Et ça t'apporte quoi ?
— C'est censé devoir m'apporter quelque chose ?
Alec remarque la surprise dans la voix du médium mais il a du mal à se dire qu'il le fait seulement pour la beauté du geste. Par gentillesse, comme un bon samaritain. On lui a appris que les gens comme ça n'existent pas, il y a toujours une raison et elle est rarement jolie, surtout quand elle est cachée avec ardeur.
Magnus se redresse un peu, il sent la défiance d'Alec et, à nouveau, son scepticisme. Même si, cette fois, c'est de ses motivations qu'il a l'air de douter.
— Écoute, tu m'as demandé, je t'ai répondu. Je me fiche que tu me croies ou non.
— Et ce don, comment il marche ? Tu m'as demandé un objet de la petite cet après-midi.
L'indonésien lève les yeux au ciel. Il va vraiment pas lâcher l'affaire. Il en est presque à se demander s'il ne devrait pas mentir pour finir par avoir la paix. La douleur dans sa tête n'a pas encore disparu, il se lève pour se servir un autre verre de whisky avant de répondre.
— Oui, j'ai besoin d'un objet de la personne. Quelque chose qu'elle a tenu dans ses mains dans les dernières heures ou un objet qui a une valeur émotionnelle pour la personne. Ensuite, je cherche... C'est comme si je réfléchissais sauf que... Sauf que j'arrive à penser les pensées ou les souvenirs des gens.
— Hm. Et tu fais souvent ça devant les gens ?
Alec est un peu mal à l'aise. Le médium comprend qu'il fait allusion à l'après-midi, quand il s'est assis sur le fauteuil rouge de la boutique pour essayer de se concentrer, et il pouffe doucement de rire avant de secouer la tête. Il s'appuie contre le bar.
— Pas vraiment, désolé. C'était juste pour vous mettre mal à l'aise toi et le blondinet.
— Quoi ?
— J'ai un peu de mal avec les gens sceptiques, dit Magnus en calmant son rire. Mais je pensais pas que j'arriverais à entrer en transe avec vous à côté. Enfin, pas que ça ait duré longtemps.
— Alors... C'était pas complètement fait exprès, tes yeux et l'indonésien...
— Non. C'est une berceuse que ma mère me chantait quand j'étais petit. Elle m'aide à me calmer et à faire le vide, j'imagine. En fait, je ne me rends pas compte que je chante.
C'est Clary qui lui a appris qu'il chantait, quelques semaines auparavant. Mais, comme il l'a dit, rares sont les fois où il s'est donné en spectacle, il déteste ça... Enfin, quand il s'agit de son don en tout cas, parce que sinon, dans l'absolu, c'est plutôt son truc de se montrer. D'en faire beaucoup. Les couleurs flamboyantes, les bijoux, le maquillage. Les tigres ont des rayures, j'ai l'eye-liner. Un camouflage. Les prestidigitateurs diraient détourner l'attention. Pour rendre ses secrets plus faciles à cacher.
— J'ai une dernière question, commence Alec et Magnus se met tout de suite à douter de la véracité de cette phrase.
— Vas-y, répond-il en esquissant un geste de la main.
— Elle m'a appelé. Abby. Elle a prononcé mon nom et elle a dit qu' « on » lui avait dit que j'allais la sauver.
— C'est ce que tu as fait, non ?
— Tu as communiqué avec elle ? Après m'avoir raccroché au nez, tu es, quoi, entré en transe à nouveau ?
Perspicace. Magnus revient s'asseoir sur le fauteuil et entame son second verre. La voix d'Alec est sortie un peu plus fort sur la fin de sa phrase. Il n'y peut rien, au fond il le croit, mais le dire à haute voix c'est quand même fou.
— Oui, confirme finalement Magnus. Mais... Mais ce n'est pas quelque chose que je fais souvent. C'est même très rare que j'y parvienne quand je m'y essaye.
— Alors pourquoi avoir essayé ?
— Je ne voulais pas risquer que tu repartes parce que tu ne trouvais rien !
— Je n'aurais pas fait ça !
— Qu'est-ce qui me le prouve ?
Soudain, Magnus se met sur la défensive. Mais il a raison. Ou en tout cas, Alec ne se sent pas capable de le contredire. Tout comme il ne s'est pas senti capable, plus tôt dans la soirée, d'expliquer à Jace pourquoi il avait confiance en Magnus. Ses mains attrapent doucement la peluche, il va devoir la ramener à la petite fille, demain. Et il devrait partir, maintenant qu'il a ses réponses. Il porte son verre à sa bouche pour boire une autre gorgée, hésitant à finir son verre pour encaisser toutes les informations. Mais son regard accroche quelque chose sur la table basse tandis qu'il repense aux paroles de l'asiatique.
— Tu dois avoir un objet qui te lie à la personne, c'est ça ? Et le tenir, dans tes mains, pour que ça fonctionne ?
— Euh, oui, c'est ça, hésite Magnus, ne sachant pas où Alec veut en venir.
Et pourtant c'est simple. Tout droit devant le regard d'Alec se trouve le papier où il a écrit son numéro plus tôt dans la journée, le papier que tenait Magnus quand il est arrivé et l'a trouvé sur le sol. Il s'est demandé ce qui lui prenait, pourquoi il avait un besoin aussi violent de venir ici sans attendre. Il prend le papier pour le montrer à Magnus et, encore une fois, sa voix s'élève plus fort qu'il ne le voulait.
— C'est toi qui m'as fait venir ici ?
— Quoi ? De quoi... Tu parles ?
Les yeux d'Alec lancent des éclairs, il entend dans la voix de Magnus qu'il n'est pas surpris par son raisonnement. Sa logique en a déjà pris un coup au cours de cette soirée, mais imaginer que l'on puisse l'influencer, le manipuler comme ça, c'est trop. Il se lève et jette le papier au visage de Magnus dont la gorge se serre. Le médium pose son verre, pour ne pas trahir le tremblement de ses mains.
— Attends, je...
— Quoi, « tu » quoi ? s'écrie le jeune homme. Est-ce que tu m'as fait venir en utilisant ce papier, oui ou non ?
— J'en sais rien.
Magnus se mord la lèvre et se lève à son tour pour essayer de calmer Alec, même s'il ne sait pas comment faire. Et il ne sait pas non plus ce qui s'est passé. Il essaie de se souvenir. La dernière chose qui lui revient c'est qu'il a parlé à Abby, l'a rassurée, lui a donné le nom de son sauveur. Mais ensuite... Il s'est évanoui. Comment ça a pu arriver ?
Alec s'avance et franchit la distance qui les sépare, il est hors de lui. Est-il entré dans sa tête ?
— Réponds-moi ! crie-t-il. Maintenant !
— Je ne sais pas ! répond Magnus sur le même ton. J'en sais rien ! Je ne...
Il s'interrompt sentant un liquide chaud couler sur le bas de son visage et la colère d'Alec disparaît instantanément, remplacée par la surprise et l'inquiétude. L'asiatique se détourne en portant sa main à son nez, il essuie grossièrement le sang qui s'en échappe.
— Merde, marmonne-t-il.
— Magnus, qu'est-ce qui se passe ?
— Ça va, laisse-moi...
— Quoi ? Non, viens..!
Alec attrape la main libre de Magnus et l'entraîne dans la pièce qu'il a identifiée plus tôt comme étant la salle de bain. Magnus retient un sarcastique « fais comme chez toi ». Une fois dans la salle de bain, il aperçoit furtivement son reflet sanguinolent avant qu'Alec ne le fasse s'asseoir sur le bord de la baignoire d'angle.
— Qui a besoin d'une aussi grande salle de bain ? grogne-t-il en fouillant dans les placards à la recherche d'une serviette propre.
— T'es un mec, tu peux pas comprendre, raille Magnus. Et au cas où tu l'aurais pas remarqué, j'aime bien me maquiller. Tu demanderas à ta copine si tout ce bazar ne prend pas énormément de place !
Il essaie de se relever pour attraper une serviette mais Alec, levant les yeux au ciel, l'en empêche. Il lui désigne alors le dernier placard. Evidemment. Alec en sort une serviette noire qu'il passe rapidement sous l'eau avant d'essuyer le visage de Magnus.
— J'ai pas de copine, dit-il sans trop savoir pourquoi.
— Oh... Un copain peut-être ?
Alec se redresse brusquement et ses doigts se serrent sur la serviette. Magnus voit à nouveau la colère qui baigne ses pupilles. Oups. Il ne s'attendait pas vraiment à une réaction aussi vive, d'autant que sa question ne portait aucun jugement de valeur. Fébrile, il tend une main vers Alec pour essayer de le calmer avant que les mots que celui-ci semble retenir ne fusent et que la situation ne dégénère encore. Alec attrape presque brutalement ses doigts, comme pour l'empêcher de le toucher. Mais le sang qui les macule a, à nouveau, raison de son emportement. Qu'est-ce qu'il fait ? En face de lui, Magnus saigne encore et le regarde avec une légère appréhension dans les yeux. Il ne va quand même pas se battre avec lui. Pourquoi doit-il toujours réagir comme une brute quand il est question de ses préférences ?
— Sujet sensible, souffle Magnus, la voix tremblante. J'ai compris.
— Tais-toi et tiens-toi tranquille, tu saignes toujours.
Magnus lève les yeux au ciel, supportant mal qu'on le brusque, mais il n'est pas en état de se disputer avec Alec. Il sent la serviette qui passe avec douceur sur le bas de son visage et refuse de trouver agréable que quelqu'un prenne soin de lui. La situation est surréaliste et la tension toujours palpable dans la pièce, ce qu'il décide de changer en reprenant la conversation qu'ils avaient dans le salon.
— J'ai peut-être... Je t'ai peut-être fait venir, je me souviens pas. Mais c'est vrai que j'avais le papier dans les mains en me réveillant.
— Tu le contrôles pas, ton don ?
— Si, en principe. C'est la première fois que ça arrive, je suis désolé.
— Tu veux dire que c'était inconscient ?
Leurs yeux se croisent et Magnus sent ses joues rougir malgré tout le sang qu'il a perdu. Il n'aime pas se dire que son inconscient a appelé Alec à l'aide. Il se relève et prend la serviette des mains du brun avant d'aller se placer en face du miroir. Le sang a enfin arrêté de couler.
— Je ne suis pas au top de ma forme après avoir utilisé mon don. Et encore moins quand je rentre en contact directement avec l'esprit de quelqu'un d'autre.
— Attends... Ça t'arrive souvent de saigner du nez, ou de t'évanouir ?
Magnus soupire et efface les dernières traces de sang sur son visage, puis il entreprend d'essuyer son torse en voyant que du sang y a aussi coulé. Mais il ne répond pas. Qu'est-ce que ça peut faire ? Alec doit lutter contre lui-même pour ne pas suivre des yeux les gestes de Magnus, alors il se concentre sur sa non-réponse.
— Est-ce que ça t'arrive souvent ? redemande-t-il.
— Ça soulage la douleur.
Le sourire désabusé de Magnus enfonce une pointe brûlante dans la gorge d'Alec.
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