Chapitre 28 : « Tu t'améliores. »
Alec fredonne doucement. Il attend toujours d'être seul avec Magnus pour le faire. Chanter dans une langue étrangère qu'on n'a jamais appris, c'est compliqué, et il ne veut pas que les autres se moquent de lui. Mais il sait ce que représente cette berceuse pour Magnus.
— Je ne suis pas sûre, je ne l'ai pas entendue souvent, a répondu Clary quand Alec lui a demandé plus d'informations sur la berceuse de Magnus.
— Je... Je l'ai entendue qu'une fois chantée par Magnus et une autre fois dans un de ses souvenirs.
Avec le temps, il a raconté à Clary les souvenirs que Magnus a partagé avec lui et comment c'est arrivé. Elle s'est montrée de plus en plus curieuse de ce qu'Alec sait et qu'elle ignorait. À tel point que ça a fini par agacer Jace. Elle continue de s'accrocher à son espoir, alors même qu'aucune solution ne leur apparaît.
— Tu saurais te souvenir des paroles ?
— Mais c'est de l'indonésien, comment veux-tu que j'ai seulement compris ce qu'il disait ?
— Ça va, pas besoin de t'énerver.
Elle a esquissé un sourire pour ne pas se mettre à rire à l'idée d'entendre Alec parler indonésien. Mais elle a quand même accepté d'essayer de chercher des berceuses indonésiennes pour qu'il puisse s'en souvenir. C'était important pour lui et tout est bon pour le faire un peu sourire.
Ils ont fini par trouver de quelle chanson il s'agit. « Kasih Ibu ». L'amour d'une mère. Bien sûr que Magnus est attaché à cette chanson. À force de l'écouter, Alec a fini par se mettre à la chantonner par moment avant de décider de la lui chanter vraiment. Magnus ne se moquerait pas de lui, même s'il était capable de le faire, il ne le ferait pas.
Encore une fois, il a espéré une réaction. Mais ça n'est pas arrivé.
Aujourd'hui est difficile. Même si tous les jours sont difficiles et que ceux à venir le seront plus encore. Dans quelques jours, cela fera un mois que Magnus est allongé là et rien n'a changé. Enfin, si, mais pas son état. Beaucoup d'autres choses ont changé. Comme il l'a annoncé à son père, même si c'était sous le coup de la colère, Alec a démissionné. Il y a longuement réfléchi mais tout ce qu'il a dit était vrai. Travailler pour des gens qui protègent Aldertree, il en est incapable. Il a cru qu'il serait puni pour les coups donnés à l'ex de Magnus, mais non. Parce qu'ils ont déjà étouffé trop de choses à Saint-Louis et que plusieurs personnes l'ont appris, ils ont simplement fait de même. Aucune plainte contre Alec. Et Aldertree peut reprendre sa vie, avec sa femme, à Washington. Comme si ce n'était pas un criminel.
Maryse et Robert se sont fortement disputés à cause de la décision d'Alec, que le père de famille a reproché à sa femme. Alors elle a demandé le divorce, pour de bon, avec le soutien de ses enfants. Le seul à n'avoir pas accepté la démission d'Alec, c'est Jace. Ils étaient proches, qu'il ne lui en ait pas parlé et qu'il abandonne comme ça ses ambitions, ça le dépasse. Il a commencé à s'énerver de plus en plus quand ils se voyaient, puis il a arrêté de venir à l'hôpital et de répondre aux messages d'Alec. Ensuite Clary et lui se sont séparés parce qu'elle passait trop de temps à continuer d'aider Magnus, pour la boutique mais aussi pour le sortir de son coma ce qui, d'après le blond, n'est qu'une façon de tourner le dos à son sentiment de culpabilité. La vérité, c'est qu'il n'a pas trouvé d'autre façon de gérer la douleur de ses proches – une douleur à laquelle il ne peut rien – que de s'éloigner d'eux.
Izzy est la seule à lui parler encore, mais elle pense aussi à démissionner depuis quelque temps. Elle attend le bon moment pour le faire. Elle file le parfait amour avec Simon, ce qui est un peu compliqué à conjuguer avec son besoin de prendre soin de son frère, lequel est revenu à leur appartement depuis un peu plus d'une semaine, ne supportant plus la solitude.
L'équilibre est précaire, Alec fait de son mieux pour ne pas se laisser engloutir. Parfois, il perd espoir, incapable d'imaginer que Magnus puisse revenir parmi eux. Il souffre, en permanence, et penser à l'avenir est un déchirement. Depuis quelques jours, sa mère commence à l'agacer avec ça, d'ailleurs. Cela fait trois semaines qu'il ne travaille plus, il ne sait pas ce qu'il va faire et il ne veut pas y penser.
Par la porte entrouverte, Catarina passe la tête pour attirer l'attention du jeune homme d'une voix douce.
— Tu t'améliores, le taquine-t-elle.
— Ah, c'est pas vrai, ronchonne-t-il, gêné d'avoir été surpris.
Bien sûr, Catarina arrive toujours à se montrer quand il est en train de chanter maladroitement. C'est comme un super-pouvoir. Elle, Ragnor et Raphael viennent tous les jours, même quand ils ne peuvent pas rester plus de quinze minutes.
L'infirmière échappe un rire et lui fait un signe de la main avant de poursuivre son chemin. Quelques minutes plus tard, d'autres voix de femmes retentissent dans le couloir, puis Izzy et Clary passent la porte. Elles le saluent avec une étreinte et une main pour ébouriffer ses cheveux bruns. Ce qu'elles font toujours pour l'embêter, quand elles voient qu'il ne va pas bien.
— Oh c'est quoi ça ? demande Izzy en attrapant une photo pliée et posée sur la table de chevet.
— J'ai retrouvé ça dans mon portefeuille tout à l'heure. J'avais complètement oublié que je l'avais.
— Eh mais c'est chez nous !
Elle plisse les yeux pour regarder. La photo date du week-end que Magnus a passé chez eux, en effet. En aidant Alec à chercher quelque chose, Magnus est tombé sur le vieux polaroïd d'Izzy. Il a d'abord pris une photo d'Alec pour voir si l'appareil fonctionnait. Puis, comme c'était le cas, il s'est approché d'Alec, l'a embrassé sur la joue et a pris une seconde photo. C'est cette photo qu'Alec a gardé, il l'a mise dans son portefeuille et n'y a plus pensé.
— Je pense la laisser là, explique-t-il en regardant lui aussi la photo. Il sera content de la voir quand il se réveillera. Au cas où ça arriverait quand je ne suis pas là.
Clary doit se mordre la lèvre pour se retenir de dire qu'il est toujours là. Il vient tous les jours, depuis plus de trois semaines, sans faillir. Mais ça n'aiderait en rien de faire remarquer ça. Elle croise le regard d'Izzy et se rend compte qu'elles pensent à la même chose.
— Maman continue de t'ennuyer pour que tu cherches du travail ? demande la petite brune avec un soupir.
— Non, elle m'ennuie pour que je recontacte Luke qui lui a proposé de m'engager.
Apparemment, le détective veut un associé parce qu'il a beaucoup de clients et, d'après lui, Alec ferait l'affaire. Mais Alec ne sait pas quoi faire.
— Si je commence à travailler, je ne pourrai peut-être plus venir tous les jours.
— Raphael et Ragnor y arrivent. Ne t'inquiète pas pour ça.
Il hausse les épaules. Peut-être. Mais les horaires d'un détective privé ne sont pas vraiment les mêmes que ceux d'un prof de lycée ou de... Que fait Raphael, déjà ? Il se lève pour aller vers la fenêtre de la chambre.
— Appelle-le, l'encourage Clary. Parles avec lui, vois s'il peut être arrangeant le temps que ça aille mieux. Je... Je voulais pas vous parler de ça, mais...
La petite rousse se met à jouer avec ses doigts et Alec se met à penser qu'il a une mauvaise influence sur elle. Elle cherche ses mots. Cela fait longtemps qu'ils n'ont pas abordé le sujet, depuis sa rupture avec Jace, il y a une dizaine de jours.
— J'ai reçu une réponse de Lorenzo Rey, finit-elle par dire en insistant de façon ridicule sur le nom de l'homme.
— Après tout ce temps ? s'étonne son amie.
— Ouais, et en plus il a osé me renvoyer une réponse complètement à côté de la plaque ! Si je ne savais pas de source sûre que ce n'était pas un charlatan, c'est ce que je croirais maintenant ! Je suis sûre qu'il n'a même pas lu mon mail !
Alec se passe une main sur le visage. Ce n'est pas comme s'il imaginait que cet homme puisse les aider après tout ce temps. Il se dit que si Magnus avait été en transe, il se serait mis à saigner du nez depuis longtemps. Non, il est juste dans le coma.
— Je compte y aller demain ! continue-t-elle.
— Pourquoi ? demande Alec.
— C'est où ? demande Izzy, plus enthousiaste.
— Boston.
— Stop, les filles. Stop.
— Non, Alec, écoute.
— Toi, écoute ! s'énerve un peu le brun. Ce type ne pourra rien faire. Magnus n'est pas en transe, son coma n'a rien à voir avec son don !
— Comment tu peux en être sûr ?
— Il n'a pas saigné du nez une seule fois ! S'il était en transe depuis un mois, il...
— Ce n'est pas sa transe qui l'affaiblit, Alec ! C'est le retour !
Il souffle, excédé, et se retient de continuer ce qui va se transformer assurément en dispute. Si Magnus était en transe, il aurait essayé de revenir depuis longtemps et il... Alec en a assez d'y réfléchir. Il s'est trop trituré les méninges avec ça. Le seul qui pourrait savoir, c'est Magnus.
Si laisser son petit-ami n'était pas si difficile, il quitterait la pièce pour fuir cette conversation. Clary lui propose un espoir auquel il ne veut pas risquer de croire. Ils changent de sujet et les deux jeunes femmes repartent une demi-heure plus tard.
De nouveau seul, Alec observe la photo de Magnus et lui. Il caresse le papier et s'apprête à la reposer sur la table de chevet quand une idée lui vient. L'espoir. Il se mord la lèvre et attrape la main de Magnus pour glisser la photo contre sa paume.
— C'est la photo que tu as pris chez moi, tu te souviens ? Je l'ai retrouvée. Elle était dans mon portefeuille, elle a toujours été près de moi depuis tout ce temps. Tu penses que ça peut t'aider, bébé ?
Il le regarde quelques instants avant de fermer les yeux. Il tient la main de Magnus et essaie de se persuader qu'il n'y croit pas, pas même un peu. Après tout, ils ont déjà essayé ça avec des effets personnels de Magnus, ça n'a jamais rien donné. Les secondes s'écoulent. Puis les minutes. Sans que rien ne change. Les larmes lui montent aux yeux. Maudite Clary et ses idées à la con !
❖❖❖
Clary et Izzy repartent comme elles sont venues, ensemble avec la voiture de Clary. Il est un peu plus de treize heures, Izzy doit reprendre le travail et Clary doit passer à la boutique de Magnus pour honorer quelques commandes.
Comme à leur habitude, Clary se gare un peu plus loin pour ne pas risquer de croiser Jace et les deux jeunes femmes vont discuter sur un banc en attendant qu'Izzy doive partir.
— Tu étais sérieuse, tout à l'heure ? questionne Izzy.
— Oui. Je ne sais pas si ça a vraiment du sens de faire ça mais... J'ai quand même envie d'essayer. Ne serait-ce que pour m'occuper l'esprit.
— Je peux t'accompagner, si tu veux. C'est un long trajet.
— Mais tu travailles, demain, non ?
— J'expliquerai la situation à ma mère, elle comprendra.
— Qu'est-ce que c'est que ces cachotteries ?
La voix masculine fait lever la tête des deux jeunes femmes qui se mettent à sourire en voyant Underhill arriver.
— Andrew ! le salue Izzy. Tu écoutes aux portes maintenant ?
— Je n'ai pas vu de porte. Alors, vous préparez quoi ?
— Hm, on doit aller à Boston, demain. C'est important.
— C'est une longue route. Vous connaissez la ville, au moins ?
— Bah... Pas vraiment, avoue Clary. Et toi ?
— Ouais, j'y ai vécu quelques années, répond-il avec un haussement d'épaule.
Izzy et Clary se regardent et réfléchissent, avant de regarder le grand blond à nouveau.
— Ça te dit de nous accompagner ?
— Moi aussi, je suis censé travailler, répond-il en lançant un regard appuyé à Izzy.
— Je t'assure que Maman nous laissera la journée libre.
— Je ne pense pas que ta mère accepte de nous laisser partir en vadrouille, comme ça.
— C'est pour Magnus.
Andrew regarde la rouquine, elle est très sérieuse. Il se mord la lèvre, gêné. Il n'avait jamais été du genre à croire au surnaturel jusqu'à ce qu'Alec lui mette le nez dedans, presque un mois auparavant. Raj avait déjà essayé de lui en parler, notamment quand Magnus est venu au poste la première fois, mais il n'avait pas vraiment confiance en Raj, à ce moment-là. Non, jusqu'à Alec et Magnus, le surnaturel restait du domaine de la fiction pour lui. Et après les évènements qui ont suivi ces révélations, il a essayé de se tenir à l'écart. Difficilement, vu que Jace est son nouveau coéquipier et qu'il ne cesse de parler de Clary et de son inquiétude pour son le brun. Et pour le médium. Oui, malgré lui, Andrew est devenu le confident de Jace puisque dans le même temps, ce dernier a coupé les ponts avec son meilleur ami et sa petite-amie.
— C'est quoi le projet ? souffle-t-il pour se donner une journée loin du petit blond.
— Je veux me renseigner auprès d'un médium de Boston. Il n'a pas répondu à mes questions et c'est très important.
— Si tu peux sortir les gens du coma avec l'aide d'un médium, tu vas devenir riche.
Underhill est sarcastique, ça ne lui ressemble pas. Mais c'est pour cacher son malaise.
— Non c'est... Tu viens ou pas ? Si c'est le cas, on t'expliquera demain, dans la voiture.
— D'accord, d'accord, je vous accompagne ! Izzy, t'auras qu'à m'envoyer vos adresses. Je conduis et on prend ma voiture.
Il s'éloigne avant d'avoir l'esprit embrouillé pour le reste de la journée. La brune ne tarde pas à le suivre, autant prévenir Maryse rapidement. Elle va sans doute les prendre pour des folles, comme Alec, mais Clary a raison. Il faut essayer.
❖❖❖
La nuit est tombée depuis longtemps et Alec fixe le plafond de sa chambre. Le sommeil est long à venir mais il en a pris l'habitude à présent. Ses pensées ne cessent de le distraire dès qu'il ferme les yeux pour s'endormir. Elles le ramènent toujours vers Magnus. Et ce soir, en plus, il ne cesse de se traiter d'idiot. Pourquoi a-t-il fallu qu'il écoute sa sœur et Clary ? Pourquoi est-ce qu'il s'est mis à imaginer qu'ils pouvaient faire quelque chose ? Il n'y a rien à faire, à part attendre, et ça le tue un peu plus chaque jour.
Énervé contre lui-même, il se redresse d'un bond. Quand le sommeil le fuit, il lui arrive de retourner dans le salon pour regarder la télé une heure ou deux... Parfois il s'endort devant. Alors qu'il apprête à sortir de sa chambre, son téléphone se met à sonner dans la poche de son pantalon, abandonné par terre. Il fronce les sourcils et va le récupérer pour y voir s'afficher le nom de Cat. Il décroche aussitôt.
— Il faut que tu viennes... J'ai peur qu'on le perde, cette nuit !
Les larmes qui transparaissent dans la voix de Catarina terrifient Alec. Il raccroche sans répondre, de toute façon elle ne s'attendait sûrement pas à ce qu'il réponde quoi que ce soit, et il s'habille en vitesse. En traversant le salon, il se prend les pieds dans le tapis et renverse une table et son contenu. Simon apparaît alors à la porte de la chambre d'Izzy. Il se précipite sur Alec en le voyant pâle comme un linge.
— Oh Alec, ça va ?
— Je dois y aller... À l'hôpital.
— Je t'emmène, bouge pas.
Il l'aide à se relever avant de retourner dans la chambre. Il s'habille sans réveiller Isabelle et ressort, ses clés de voiture et son portable dans la main. Honnêtement, il s'attendait à devoir courir après Alec, mais celui-ci l'a simplement attendu dans le salon. Tendu, tremblant. Ils partent dans la foulée.
Le trajet est silencieux. Simon a demandé à Alec ce qui se passait, mais il n'a pas eu de réponse. Le geek l'a entendu renifler à plusieurs reprises et a compris qu'il pleurait.
Dès qu'ils posent le pied par terre, ils se mettent à courir vers la chambre de Magnus. Elle est vide, mais Catarina les rejoint quelques instants plus tard, prévenue de leur arrivée par ses collègues. Elle s'approche aussitôt d'Alec pour essuyer ses joues, sans se préoccuper des siennes.
— On peut me dire ce qu'il y a ? demande Simon, inquiet aussi.
— Magnus a... Il s'est mis à saigner du nez, beaucoup. À cause du masque, le sang a commencé à envahir ses poumons. Et il a eu des convulsions et...
Sa voix s'étrangle dans sa gorge alors que ses larmes redoublent et Alec la prend dans ses bras. Le silence s'installe, à peine troublé par leurs sanglots retenus. Simon se laisse tomber sur une chaise, ébranlé. Qu'est-ce qui a pu se passer ?
Après quelques minutes, Catarina s'écarte et sort quelque chose de sa poche.
— C'est toi qui lui as donné ça ? demande-t-elle à Alec.
— O-oui, j'ai dû l'oublier dans sa main. Quel idiot, maintenant elle est fichue...
Il prend la photo, elle est recouverte de sang. Il la fixe et se fige. Magnus a saigné du nez. Avec la photo dans la main.
— Comment est-ce qu'il va maintenant ? interroge Simon.
— Ils sont en train de drainer le sang de ses poumons mais il est redevenu stable. Ils vont sûrement lui faire passer de nouveaux tests pour savoir pourquoi c'est arrivé. Et... Ensuite, on avisera.
Des tests. Oui, Alec, reste logique. Tout ça a forcément une explication logique. La photo n'y est pour rien.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top