Quand ils arrivent en bas de l'immeuble, les deux policiers voient une ambulance démarrer, sirène en marche. Le cœur au bord des lèvres, Alec se précipite à l'intérieur du bâtiment pour rejoindre son petit-ami, qu'il espère être en train d'attendre dans son appartement. Sois là, je t'en prie. Quand ils arrivent à l'étage, la porte est grande ouverte. Jace pose une main sur le bras d'Alec quand celui-ci manque de trébucher en haut des marches. Il déglutit difficilement et avance, au prix d'un effort qu'il n'aurait jamais cru nécessaire pour entrer chez son petit-ami.

À l'intérieur, Raj est assis sur le bord du fauteuil, la tête dans les mains. En entendant leurs pas, il lève aussitôt la tête. Il a un peu de sang sur le visage et, en voyant ça, Alec enrage. Il saute sur son collègue, l'attrape par le col et commence à le secouer.

— Qu'est-ce qu'il s'est passé ? Qu'est-ce que tu lui as fait ?

— Lâche-moi, Lightwood !

— Alec, stop !

Jace arrive à l'éloigner de Raj qui réajuste son t-shirt avant de passer une main dans ses cheveux. Il a l'air épuisé.

— Je l'ai réanimé, voilà ce que j'ai fait ! crie-t-il. Il s'est écroulé d'un coup alors qu'il était en train de... J'en sais rien ! Ses yeux étaient devenus blancs et il s'est mis à murmurer. Il parlait trop bas, je comprenais rien. Et puis du sang a commencé à couler de son nez. Mais après le coup de feu, il est simplement tombé. I-il respirait plus et son cœur s'est arrêté.

Sa voix n'est plus qu'un bruit de fond pour Alec quand il explique qu'il lui a fait un massage cardiaque pendant plusieurs minutes avant que son cœur ne reparte, mais qu'il n'est pas revenu à lui.

— Où est-ce qu'ils l'ont emmené ? Demande Jace.

— Saint Ambrose.

Alec regarde l'appartement vide. Lui aussi est vide. Il y a une tâche de sang sur le sol, à l'endroit où Magnus a dû tomber. Mais le reste du salon est en ordre. Ce n'est pas ici qu'il a utilisé son don. Ses pas l'emmènent vers la chambre, sans qu'il y pense. Là, le lit et le sol sont couverts de sang. Il n'a jamais arrêté. Magnus a cherché, sans relâche. Sans aucun repos. Il y a encore plus de sang que la dernière fois. L'horreur cloue ses pieds au sol, il regarde la chambre en essayant de deviner l'état de son petit-ami, quelques heures plus tôt.

— Putain ! s'écrie Jace en arrivant derrière lui. Il s'est passé quoi ici ? Raj !

— Non, c'est...

Alec n'a même pas la force d'expliquer, Raj arrive à son tour et semble tout aussi choqué que le blond.

— C'est quoi ce bordel ?

— Comment tu peux ne pas le savoir ? C'est toi qui étais avec Magnus depuis plus de vingt-quatre heures !

— I-il est resté dans sa chambre presque tout le temps et il passait par la salle de bain avant de revenir dans le salon.

Pour la première fois depuis qu'ils le connaissent, Raj a l'air contrit. Alec s'éloigne vers la salle de bain pour y découvrir encore du sang. Par terre, dans l'évier, imbibé dans les serviettes... Et il aperçoit le miroir brisé. Jace ne le quitte pas d'une semelle.

— Pourquoi le miroir est cassé ?

— Il a donné un coup de poing dedans tout à l'heure. Lightwood, je...

Il s'interrompt en voyant la fureur contenue d'Alec dans son regard. Il accuse le coup et repart vers le salon. Après avoir récupéré ses affaires, il quitte l'appartement et laisse Alec et Jace seuls.

— Eh mon pote, ça va aller. On devrait aller à l'hôpital, viens.

Alec fait « oui » de la tête et repart vers l'entrée. Il attrape le trousseau de clés accroché au mur pour pouvoir verrouiller la porte.

En silence, ils retournent à la voiture. En fait, ils restent silencieux jusqu'à l'hôpital. Les paroles de Raj reviennent en permanence dans l'esprit d'Alec. Son cœur s'est arrêté. Magnus a utilisé son don parce qu'il le pensait en danger et son cœur s'est arrêté. Alec ferme les yeux et pose sa tête contre la vitre de la voiture. Il va se réveiller de ce cauchemar. Il va se réveiller au côté de Magnus. L'enlacer. Lui dire qu'il l'aime. Allez, Alec, réveille-toi. Réveille-toi !

— Alec ? On est arrivés.

Le brun rouvre les yeux. Il est toujours dans sa voiture. Jace est sorti, il l'attend. Il inspire longuement avant de sortir à son tour. Il suit son ami jusqu'à l'accueil, puis dans un dédale de couloir, jusqu'à une salle d'attente.

— Ils sont en train de l'examiner, l'informe Jace en le faisant asseoir sur une chaise. On doit attendre.

Lentement, au milieu de ces murs blancs, Alec commence à revenir à lui. Son corps se met d'abord à trembler alors qu'une sensation de froid l'envahit. Son cœur commence à battre plus fort, douloureusement, et sa respiration devient difficile. Magnus.

Des bruits de pas détournent son attention de son début de crise d'angoisse et font lever la tête des deux jeunes hommes. Ils voient Izzy et Clary arriver en courant. La petite brune écarquille les yeux en voyant son frère blanc comme un linge. Elle se précipite sur lui et pose ses mains sur ses épaules pour le regarder.

— Comment ça se fait que vous êtes là aussi vite ? demande Jace.

— Maman a été prévenue par Underhill dès qu'il a compris qu'il s'était passé quelque chose, et Raj nous a appelé pour nous dire que Magnus avait été emmené ici, et que vous alliez aussi vous y rendre. Il s'est pas trompé pour une fois, cet idiot.

Jace prend sa petite-amie dans ses bras, Alec détourne aussitôt les yeux et croise ceux de sa sœur. En même temps, ils repensent aux paroles qu'ils ont échangées pas plus tard que le midi. De quoi commencer à lacérer le cœur d'Alec. Izzy vient s'asseoir à côté de lui, elle prend sa main. C'est la première fois qu'elle le voit dans cet état. Elle avait eu peur de le trouver effondré, en train de pleurer ou de hurler sur le personnel de l'hôpital. Mais en fait, le voir comme ça, qui réagit à peine, c'est encore pire.

Les trois plus jeunes discutent d'une voix lente et basse, pour ne pas laisser le silence s'installer. Alec garde son regard fixé sur le mur en face de lui pendant de longues minutes, avant de fermer les yeux. Il ne les entend pas. Tout ce qu'il entend, ce sont ses pensées, ses craintes. Comment va Magnus ? Depuis combien de temps je suis là ? Quand est-ce que je vais pouvoir le voir ? Qu'est-ce qui s'est passé ? Pourquoi est-ce que tout a dégénéré ?

— Ah ! Vous êtes là pour Magnus Bane ?

Les quatre visages se tournent vers la femme en blouse blanche. Elle les regarde avec un visage doux, compatissant.

— Oui, c'est ça, répond Clary en s'approchant d'un pas. Nous sommes ses amis. Comment va-t-il ?

— Monsieur Bane est dans le coma, certainement provoqué par son arrêt cardiaque.

— Certainement ?

— Eh bien, en dehors d'une côte fêlée à cause du massage cardiaque qui a été pratiqué par le policier et des quelques coupures sur sa main qui datent de plus tôt dans la soirée, il n'y a pas de trauma. Et nous n'avons pas pu déterminer la cause du saignement abondant qu'il a présenté avant de faire son arrêt cardiaque.

— Un saignement... À cause d'une côte fêlée ? demande Izzy, qui a du mal à suivre.

— Non. Le bas de son visage était couvert de sang, la personne qui a appelé les secours a dit qu'il a saigné du nez abondamment, sans raison apparente. Nous aurons les résultats de ses analyses de sang dans quelques heures, peut-être en saurons-nous plus à ce moment-là.

Les deux jeunes femmes se regardent, sans comprendre. Jace décide de prendre le relai alors qu'Alec encaisse toutes les informations qui viennent d'être données.

— Est-ce qu'on peut le voir ?

— Bien sûr. Il est dans la chambre 238, au bout du couloir. Est-ce qu'il a de la famille, quelqu'un, que l'on doit prévenir ?

— Il n'a pas de famille. On préviendra... On préviendra ceux qui doivent l'être.

Ragnor, Raphael. Catarina. Le médecin les conduit jusqu'à la chambre avant de continuer son chemin en leur souhaitant bon courage. Après avoir jeté un regard à son frère, Izzy s'avance vers la porte pour l'ouvrir. Elle lui laisse le temps d'entrer dans la chambre le premier mais il ne bouge pas. Ils ne bougent pas.

— Alec, il faut y aller. On ne peut pas le laisser seul.

Alec regarde sa sœur. Comment Magnus pourrait-il savoir ? Il est dans le coma. Il n'est pas là. Il ouvre la bouche pour le lui dire mais les mots ne sortent pas. Sa gorge est nouée, à l'idée que s'il tourne la tête, il verra Magnus allongé sur ce lit d'hôpital, immobile.

À nouveau, des bruits de pas les interpellent. Quelqu'un court dans les couloirs comme si sa vie en dépendait. Enfin, ils voient une infirmière arriver.

— Cat ! s'exclame Clary.

— Qu'est-ce qui s'est passé ? hurle Catarina. Dites-moi !

Son regard se plante dans celui d'Alec. Ses yeux noirs sont bordés de larmes qu'elle retient à grand peine. Elle attend. Elle attend qu'il lui réponde. Mais il en est incapable, à nouveau.

— Alec ! Dis-moi !

— Aucun de nous n'était avec lui ! le défend Jace.

Non, aucun. Alec n'était pas près de lui. Cette vérité lui fait serrer les poings. Quand Magnus s'est effondré, il était avec un homme qui le méprise. C'est à ce moment qu'il était seul et il n'aurait jamais dû. Alec aurait dû être avec lui. Pas Raj. Pas Raj ! Son cœur se serre, il a l'impression que son corps entier se rebelle contre ce qui est en train d'arriver. Il a l'impression que même sa peau lui fait mal, n'attendant que de pouvoir retrouver celle de Magnus. Brusquement, il sent quelque chose de brûlant inonder ses joues.

— Cat, je suis désolé, articule-t-il difficilement.

Ses larmes s'échappent enfin et il s'écroule dans les bras de l'infirmière. Ses sanglots sont virulents, déchirants. De désespoir et de culpabilité. Il tombe à genoux alors que Catarina continue de le serrer dans ses bras, quelques larmes roulant sur son visage à elle aussi.

— Alec, murmure-t-elle, prise de court.

— J'aurais dû être près de lui !

— Est-ce que ça aurait changé quelque chose ?

— J'en sais rien.

Si Alec avait été avec Magnus, Aldertree n'aurait pas pu lui dire qu'il était en danger. Mais Magnus aurait utilisé son don pour sauver n'importe lequel des agents dans cette maison. Non, qu'Alec ait été là, n'aurait rien changé.

Il lui faut de longues minutes pour enfin calmer ses larmes. Il essuie son visage puis Catarina pose une main sur son bras avec un sourire douloureux.

— Viens avec moi. On va le voir.

Ils entrent ensemble, Izzy, Clary et Jace les suivent. Dans la pièce blanche résonne le bruit des machines. Magnus est allongé dans un lit blanc, branché à des fils, des perfusions, un cathéter. Un masque couvre sa bouche et son nez. Alec s'approche de lui et prend sa main. Les larmes menacent encore de le submerger, mais il les retient.

La pièce reste silencieuse pendant plusieurs minutes. Chacun dans ses pensées, s'inquiétant de ce qui va se passer, s'inquiétant pour Magnus et Alec.

— Est-ce que vous savez pourquoi il saignait du nez ? demande Catarina en lisant le dossier accroché au lit.

— Non. Les médecins ne savent pas non plus.

— Moi, je sais.

La réponse d'Alec surprend tout le monde. Parce qu'il n'en avait rien dit jusque-là. Il soupire et caresse le dos de la main de son petit-ami.

— Excuse-moi, Mags. Je peux pas garder le secret plus longtemps.

— Alec, quel secret ?

La voix de Clary trahit ses craintes. Alec se tourne vers elle, il sait que Magnus ne voulait pas le lui dire pour ne pas l'inquiéter, pour qu'elle ne culpabilise pas.

— Son don, commence-t-il. C'est à cause de son don. L'utiliser n'est pas si anodin qu'il le dit. Le jour de notre rencontre, après qu'on a retrouvé la petite fille, je suis allé chez lui. Je l'ai trouvé évanoui. Il est vite revenu à lui mais un peu plus tard, son nez s'est mis à saigner abondamment. Il m'a alors fait comprendre que c'était normal.

— Qu'est-ce que tu racontes ? lance Catarina. Il ne m'a jamais parlé de ça !

— Il ne voulait pas vous inquiéter. Mais ça arrive à chaque fois qu'il l'utilise trop longtemps.

— A-alors l'autre fois, quand il s'est enfermé chez lui..?

Alec acquiesce sans oser regarder la petite rousse et les larmes de la jeune femme se mettent à dévaler son visage. Elle sort de la chambre, Jace à sa suite.

— Il m'a demandé de ne rien dire, dit Alec à Catarina.

— Je comprends. Ne t'en fais pas, je comprends. Je l'engueulerai quand il se réveillera.

Une petite sonnerie aiguë retentit et elle baisse les yeux sur sa montre avant de souffler. La nuit va être très longue.

— Je dois retourner aux urgences, ils ont besoin de moi. Je reviendrai plus tard. Et je vais prévenir Ragnor et Raphael.

Avec un sourire encourageant, elle laisse le frère et la soeur seuls avec Magnus. Izzy s'approche à son tour du lit.

— Ça va, Alec ? demande-t-elle en regardant Magnus.

— Non. Je... Je m'en veux, si tu savais.

— Catarina l'a dit. Tu n'aurais rien pu faire. Et ce n'est pas ta faute si ce taré t'a visé avec son arme.

Alec se tourne enfin vers elle, pour la première fois de la soirée il la voit vraiment. Il fronce les sourcils en se demandant de quoi elle parle. Puis il comprend. Ils n'étaient que tous les trois, et Alec et Jace sont partis de la maison sans rien dire pour aller chez Magnus.

— Alec ?

— C'est Jace que le tueur visait, pas moi, rectifie-t-il.

— Mais Aldertree a dit que...

Elle arrête sa phrase, se rendant compte qu'elle a naïvement cru les paroles d'Aldertree, alors qu'ils savent tous que c'est un foutu menteur. Mais la question reste. Pourquoi ?

— Raj avait aussi un talkie-walkie, explique Alec. Quand c'est arrivé, Aldertree voulait que Magnus entre dans la tête du tueur. Il a réussi à le forcer à lâcher l'arme. J'ai cru que c'était pour le faire réagir vite qu'il a menti, avant qu'il ne tire sur Jace, mais...

— Mais quoi ?

— Et s'il avait tout prévu ?

— Comment aurait-il pu prévoir que le tueur vous surprendrait ?

Il soupire. C'est vrai qu'aucun d'eux n'aurait pu le prévoir. Mais Aldertree en voulait à Magnus et il l'a menacé. Ils ne se sont pas méfiés sur le moment mais c'était bel et bien une menace. Ses yeux s'écarquillent alors que tout se met en place dans sa tête. Comment a-t-il su ? C'est encore une énigme, mais à cet instant, Alec est certain qu'Aldertree savait qu'en tirant dans la tête du tueur alors que Magnus était lié à son esprit, ça l'atteindrait également.

Izzy attrape ses mains qui se sont mises à trembler. Elle essaie de suivre son raisonnement, mais c'est tellement tordu et malsain. Est-ce qu'Aldertree est capable de faire une chose pareille ? Elle sait qu'il a blessé Magnus par le passé mais... Mais elle ne sait pas tout.

— Calme-toi, s'il te plaît. T'énerver maintenant ne sert à rien du tout.

— C'est à cause de lui que Magnus est allongé sur ce lit !

— Non, ce n'est pas possible ! Comment est-ce qu'il aurait su que ça pouvait être dangereux alors que même toi, tu l'ignorais ? Même un homme comme Aldertree ne peut pas être aussi...

— Aussi quoi ? Aussi calculateur !? Je vais le...

Sa voix se bloque alors qu'il regarde le visage de Magnus. Il se souvient de sa réponse, la dernière fois qu'il a dit qu'il voulait tuer Aldertree. Sa respiration s'accélère et il retire ses mains de celles de sa sœur pour ne pas lui broyer les doigts sous sa poigne qui se referme. Il faut qu'il lui parle. Maintenant.

Il se lève et sort précipitamment de la chambre, Izzy le suit mais s'arrête, à peine sortie de la chambre.

— Eh qu'est-ce qui se passe ? demande Jace qui revient, seul.

— Alec est... Il est persuadé qu'Aldertree a tout manigancé. Qu'il a tiré pour blesser Magnus.

Comme la petite brune, Jace est d'abord dubitatif. Mais alors que son regard repart à l'intérieur de la chambre, il se rappelle de ce que lui a raconté Alec, des cicatrices sur le corps du médium, infligées en partie par Aldertree. Par colère. Par jalousie. Et même par vengeance. Est-ce qu'Aldertree n'a pas découvert que Magnus et Alec sortaient ensemble alors même qu'il voulait revenir dans sa vie ? Oui. Oui. Aldertree aurait pu faire une chose pareille, Aldertree aurait pu vouloir tuer Magnus, parce qu'il ne pouvait plus l'avoir.