Chapitre 2 : « C'est quoi ce délire !? »
C'était le milieu de l'après-midi lorsqu'ils ont quitté la boutique ésotérique de Brooklyn et le reste de la journée a paru désespérément long à Alec. Notamment parce que Jace n'a pas arrêté de parler de Clary. Ses beaux yeux verts, son sourire, ses magnifiques cheveux roux, tout y est passé. Même ses regrets de ne pas lui avoir donné son numéro et Alec a envie de se cogner la tête contre les murs pour ne plus l'entendre.
— Mais arrête un peu ! finit-il par râler alors qu'ils sortent du parking souterrain du commissariat pour rentrer chez eux. Si tu veux mon avis, elle a l'air aussi barge que son patron.
À cette remarque, Jace tourne la tête vers le brun. Bon, qu'Alec ne se soit pas – lui non plus – remis de leur étrange entrée dans le paranormal, il comprend. Mais ce comportement-là, un Alec méprisant et insultant, ça cache quelque chose. Ils sont amis depuis longtemps, il le connaît par cœur ou presque et même s'il sait parfaitement se montrer grincheux, Alec n'a pas un mauvais fond.
— Tu es réellement...
Parce qu'il ne sait pas comment terminer cette phrase sans agacer Alec encore plus, Jace réfléchit un instant avant de continuer
— Tu n'y crois vraiment pas, n'est-ce pas ?
— Non, en effet. Je ne vois pas comment je pourrais.
— Alors pourquoi lui avoir donné ton numéro personnel ?
Alec grogne entre ses dents et essaie de se concentrer sur la route. Jace ne va-t-il pas arrêter de rabâcher ce détail comme si c'était l'information de la journée ? Oui, il a donné son numéro à ce... Ce... Il ne sait même pas comment qualifier Magnus Bane. Jamais il n'a vu quelqu'un de pareil, c'est en dehors de toutes ses conceptions. Il soupire longuement.
— Écoute, Jace. On a d'autres choses à penser et, surtout, une gamine à retrouver. Inutile d'attendre quoi que ce soit de ce...
— Barge ?
— Exactement ! Maintenant s'il te plaît, oublie cette fille et le fait qu'on est allés voir un médium. Parce que si ça se sait, ça ne nous apportera que des ennuis.
Jace lève les yeux au ciel sans répondre. Inutile d'insister, peut-être qu'ils ont simplement besoin d'un peu de repos. Quelques minutes plus tard, Alec dépose Jace en bas de son immeuble et repart pour rentrer chez lui, à quelques blocs de là.
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La respiration lourde et douloureuse, Magnus voyage dans ses pensées depuis de longues minutes et ce n'est pas la première fois qu'il s'y essaie depuis qu'il a quitté la boutique. Plusieurs heures sont passées, Clary est montée lui dire qu'elle avait tout fermé et qu'elle rentrait chez elle. Un papier est posé sur l'îlot de la cuisine, Magnus ne sait pas ce qui y est écrit, Clary s'est bien gardé de le lui dire. Mais il n'a pas bougé, tiraillé par la fameuse impression qui se fait plus douloureuse et urgente d'heure en heure. Maintenant qu'il tient la peluche de l'enfant dans les mains, il sait qu'il a réussi à établir un lien. Infime. Si faible. Avec les enfants, c'est compliqué. Leur esprit est tellement rapide et illogique. Bien sûr, son don n'a jamais été une partie de plaisir même s'il aime à le laisser croire, mais quand il s'agit d'enfant, entre ces difficultés et ses craintes de ne pas réussir à les trouver à temps, rien ne va.
Sortant d'une énième transe, en sueur, il se laisse tomber sur le côté, la tête sur le coussin. La fraîcheur est salvatrice et l'aide à ne pas s'évanouir. Il n'a pas encore réussi mais il ne s'arrêtera pas comme ça. La nuit est tombée, la lumière est allumée dans son salon. Depuis quand ? Est-ce Clary ou lui ? Peu importe. Il s'accorde quelques minutes de repos avant de se redresser. Il remonte les manches de sa chemise qui colle à sa peau, inspire profondément et se concentre encore. Il porte la peluche à sa bouche pour y déposer un baiser et se recentre rapidement sur son lien avec la petite.
Au prix de nouvelles minutes d'agonie, des images claires lui parviennent enfin. Des images d'une pièce, un sous-sol. À l'extérieur, il fait noir et on n'y voit pas grand chose. Avec un peu de concentration, Magnus aperçoit une lumière. Une enseigne illuminée ! Un bruit le fait sortir de sa transe, brutalement. La douleur dans sa tête s'intensifie quelques instants avant de stopper net, le laissant pantelant. Il se précipite sur son téléphone pour chercher le nom sur l'enseigne qu'il a aperçu. Une épicerie, une seule porte ce nom à New York. Dans le Queens.
❖❖❖
Alec sort de sa salle de bain, s'essuyant les cheveux avec une serviette, alors que son téléphone vient de terminer de sonner. Évidemment, il a fallu qu'on l'appelle quand il était indisponible. En prenant l'appareil, il s'étonne de voir qu'il s'agit d'un numéro qu'il ne connaît pas, puis s'étonne qu'on lui ait laissé un message. Une seconde, il se dit que ça pourrait être... Non, impossible. Il écoute quand même et s'attend à une erreur, mais la voix nouvellement familière du bel asiatique lui parvient. Une adresse. Tout ce qu'il donne, c'est une adresse dans le Queens. Le policier part aussitôt s'habiller puis appelle son coéquipier.
— Elle est dans le Queens ! s'écrie-t-il quand Jace décroche.
— Hein ? Qu-quoi ?
— La petite ! Pose pas de question, sois en bas de chez toi dans cinq minutes !
Il raccroche et sort précipitamment de chez lui avec un « Je prends la voiture ! » à destination de sa sœur qui le regarde faire, surprise. Comme annoncé, cinq minutes plus tard il est en bas de l'immeuble de Jace et celui-ci s'engouffre dans la voiture qui repart sans attendre.
— C'est quoi ce délire ? demande Jace. Comment tu sais où elle est ?
— Ce... Bane, il a appelé et m'a donné une adresse.
— Sans plus d'information ? C'est quoi cette adresse exactement ? Et puis...
— Non, je n'en sais pas plus, l'interrompt Alec, à moitié concentré sur la circulation. Je l'ai pas eu directement, il a juste laissé cette adresse sur mon répondeur.
— Euh... T'as essayé de le rappeler pour savoir ?
— Il n'a pas répondu quand je l'ai fait, ment-il, incapable d'expliquer cette confiance aussi soudaine qu'aveugle. Tiens, écoute toi-même.
Il tend son téléphone à Jace qui grimace mais recherche l'adresse sur son propre portable pour découvrir à quoi ça correspond.
— C'est une épicerie, lâche-t-il.
— Qu- On y va quand même. Qu'est-ce que ça nous coûte ?
Décidément, Jace ne comprend pas le comportement de son ami. Cet après-midi encore, il les traitait de fous, Bane et son assistante, et là il suit aveuglément son indication. Il regarde Alec, tout en se rappelant les remontrances faîtes en fin de journée par leur patronne. La mère d'Alec et Izzy. Apporter satisfaction à Maryse peut-il pousser Alec à ce genre d'attitude ? Il n'en sait rien... Mais la pression qu'ils ont, que tous leurs collègues ont pour retrouver cette petite, peut-être.
Il leur faut une vingtaine de minutes pour arriver à destination. Une fois sur place, Alec se décide à rappeler Magnus, il leur faut des précisions, même si la voix de l'homme semble épuisée dans le message qu'il a laissé.
— Alexander ? s'étonne l'extralucide en décrochant.
— On est à l'adresse que vous m'avez donnée. Où est-ce qu'elle est ?
— Vous... Vous y êtes ? Euh... Elle est dans un sous-sol qui donne sur la rue, j'ai vu l'enseigne à travers... Un soupirail.
Le blond, qui écoute également, grimace à nouveau. Bien que l'information n'aide pas vraiment, il porte son regard sur les soupiraux alors qu'Alec presse Magnus d'en dire plus.
— Je ne sais pas, gémit ce dernier et Alec entend la douleur dans sa voix. Attends.
Il raccroche. Quoi ? Alec réessaie de l'appeler mais ne tombe que sur son répondeur. Jace se tourne vers lui, se demandant ce qu'il se passe.
— Il ne répond plus, l'informe le brun.
Il se passe une main sur le visage. C'est pas vrai, qu'est-ce qui se passe ? Magnus les laisse vraiment en plan ? Il ne comprend plus rien. Est-ce qu'il s'est moqué d'eux ? Pendant quelques instants, c'est ce qu'il se dit.
— Alexander ? Alexander !
Une voix retentit dans la rue. Ça pourrait être celle d'un ange tant l'écho et la situation la rendent presque surnaturelle. Mais ce n'est que celle d'une petite fille. Les deux amis se regardent, abasourdis, avant de reprendre furieusement leurs recherches. Elle appelle encore et encore. Jusqu'à ce qu'Alec trouve le soupirail à travers lequel s'échappe la voix. Dans la pénombre, il voit son visage étonnamment calme, barré de traces de larmes et encadré de boucles brunes.
— Hé Abby, c'est moi, Alexander ! Je vais te sortir de là. Recule.
Elle obéit et le policier brise la vitre. Avec son pied, il casse chaque morceau de verre qui dépasse afin qu'elle ne se blesse pas, puis il lui tend sa veste et lui demande de s'enrouler dedans. Il attrape ensuite son bras pour la hisser à travers la fenêtre béante pendant que Jace appelle des renforts.
— Comment tu connais mon nom ? demande Alec à Abby, une fois qu'ils se sont éloignés de la maison.
— Je l'ai entendu dans ma tête, confie-t-elle comme un secret. Il m'a dit de t'appeler, que tu me sauverais !
Alec ne demande pas qui. Au fond, il croit savoir la réponse et n'a pas très envie d'en avoir la confirmation.
Une heure plus tard, Abby est de nouveau dans les bras de sa mère en larmes, alors que les policiers font de leur mieux pour recueillir des informations sur l'homme qui a été arrêté dans la maison. Alec et Jace font face à Maryse Lightwood, dans son bureau.
— J'aimerais vous féliciter, leur dit-elle. Mais pour ça, il me faudrait un peu plus d'informations.
— C'est impossible je regrette, lui répond son fils, nonchalant. C'était un appel anonyme.
— Chez toi ?
Il hausse les épaules. Ils se sont mis d'accord avec Jace : un appel anonyme leur a donné l'adresse du kidnappeur et, par acquis de conscience, ils s'y sont rendus et y ont vu l'enfant à travers le soupirail. Exaspérée, Maryse leur fait signe de sortir. Une nouvelle tape sur les doigts, mais ils ont retrouvé la petite, c'est le principal.
Appuyé contre son bureau, Alec regarde son téléphone. Il a réessayé d'appeler Magnus, encore en vain. Il a envie de le rassurer, lui dire que l'enfant va bien. Et il repense au ton qu'avait sa voix. Est-ce qu'il avait passé la fin de journée à essayer de... De quoi en fait ? Alec ne sait même pas comment il a fait pour trouver l'adresse.
— On ira le voir demain pour lui annoncer la bonne nouvelle, dit Jace en s'approchant. Il est près de minuit de toute façon.
— Ouais... Je vais te déposer chez toi et rentrer rassurer Izzy.
Le mensonge passe mal dans les oreilles de Jace mais il ne relève pas. Ils se quittent en bas de son immeuble et Alec prend la direction de Brooklyn. Il essaie encore d'appeler Magnus, sans plus de succès. Il finit par se garer devant la boutique. Le quartier est calme et la lumière de l'appartement au-dessus de la boutique est allumée. Il regarde ces fenêtres, attendant de voir passer l'ombre élégante de l'asiatique, mais les minutes passent et toujours rien.
La porte de la boutique étant fermée, Alec décide de passer dans la ruelle à côté pour trouver une autre entrée et, au même moment, quelqu'un en sort. Il se précipite sur la porte avant qu'elle ne se referme et s'y engouffre. Au bout d'un couloir sombre, il grimpe une salve d'escaliers pour se retrouver dans un second couloir. Pour ne pas avoir à frapper à toutes les portes, il décide d'essayer de rappeler. Et, pas manqué, une sonnerie retentit derrière l'une des portes et cesse une seconde après qu'Alec a raccroché.
Mais qu'est-ce que je fous là ? Les mains à plat sur la porte et la précipitation calmée, la question le rattrape enfin. Il a eu un mauvais pressentiment depuis que la pression causée par la disparition de la petite s'est éteinte. Il ne comprend pas pourquoi il a eu besoin de venir, comment même il a su qu'il pourrait monter jusqu'à son appartement. Enfin, maintenant qu'il est là...
Il frappe, sans grand espoir que qui que ce soit lui ouvre, et décide finalement de tourner la poignée pour entrer. L'appartement est grand, plus que ce à quoi il s'attendait dans ce bâtiment et ce quartier.
— M... Monsieur Bane ?
Après l'entrée s'étend une grande pièce séparée de la cuisine par un comptoir. Prudemment, il avance et cherche Magnus qui ne répond toujours pas. Arrivé dans le salon, il le découvre inanimé sur le sol, derrière le canapé. Le policier se précipite à son côté.
— Hé, Magnus !
Il tourne doucement l'extralucide sur le dos et s'assure qu'il n'est pas blessé. Il secoue son épaule pour essayer de le faire revenir à lui et, après quelques instants, les yeux chocolat de Magnus se posent sur lui. L'asiatique fronce les sourcils et porte une main à sa tête douloureuse en échappant un grognement. Dans le même temps, il laisse tomber le bout de papier qui était encore entre ses doigts.
— Alexander...
— Tout va bien ?
Alec l'aide à se redresser, mais la sensation chaotique quoiqu'habituelle dans sa tête ne rend pas la chose facile. Magnus regarde le papier par terre. Quoi, est-ce qu'il a appelé Alec sans s'en rendre compte ? Dans sa demi-inconscience ? Ça expliquerait pourquoi il a plus mal que jamais. Mais pourquoi ? Il laisse sa tête retombée sur le torse d'Alec, elle semble peser une tonne.
— Ça va aller, articule-t-il. Ça va passer.
— D'accord...
L'incertitude dans la voix d'Alec le pousse à prendre un peu plus sur lui et, cette fois, il se redresse seul. Il tend la main vers le canapé et prend appui pour se lever, comme sa tête tourne un peu, il raffermit sa prise pour ne pas retomber. Il n'a pas l'habitude d'être dans cet état devant quelqu'un et encore moins un inconnu. Alec, levé à son tour, observe Magnus. Il pourrait presque croire qu'on a remplacé l'homme de cet après-midi par un sosie tant il semble différent à présent. Il paraît frêle et fragile, là où cet après-midi son attitude et sa façon de bouger le rendaient juste... Grand, son aura embrasait la boutique entière.
— Comment as-tu fait ?
Les mots sortent de la bouche d'Alec sans qu'il essaie de les retenir ni qu'il remarque sa soudaine familiarité.
— Comment as-tu trouvé la petite ? Et elle m'a appelé... Elle connaissait mon prénom.
— Je ne sais pas. Comment ai-je bien pu faire ?
Malgré la fatigue évidente, Magnus recommence à se montrer taquin, loin de vouloir expliquer ses dons à un homme qui va remettre en doute le moindre de ses mots. Il se redresse pour essayer de retrouver un peu de sa superbe et décide de se rendre dans la cuisine. Il a chaud, pourtant des frissons courent sur son dos à cause de la sueur et de sa chemise un brin humide, boire un verre lui fera sans doute du bien. Mais à peine fait-il un pas que ses jambes protestent et il trébuche pour se cogner contre le torse d'Alec. Celui-ci referme rapidement ses bras sur l'indonésien pour ne pas le laisser tomber.
— Ça n'a pas l'air d'aller, non, souffle-t-il alors, agacé.
— Oh et qui te dit que je n'ai pas fait exprès de me jeter dans tes bras ?
Le souffle brûlant de Magnus contre sa peau le fait frissonner et il s'efforce d'ignorer ses paroles visiblement faites pour le provoquer. Parce que ça marche. Une part du brun veut repousser le médium, cette part qui ne supporte ni l'inquiétude ni le trouble qu'il suscite en lui. Une part qui se tait dès qu'il pose ses yeux noisette sur la nuque de Magnus, laissant place à quelque chose qu'il se refuse d'accepter depuis longtemps. Il essaie de s'empêcher de penser à quel point cette vision est sexy quand il sent les mains de Magnus s'agripper à son t-shirt alors qu'il pose son front sur son épaule. Les cheveux de jais chatouillent légèrement sa joue. Depuis combien de temps n'a-t-il pas été aussi proche physiquement de quelqu'un ?
Magnus se pose la même question. Sa vie a été un tel merdier depuis bien avant qu'il ait besoin de déménager. Il a tellement d'autres choses en tête, tout le temps. Parfois, il ne réussit même plus à se protéger de ses souvenirs et tout le submerge. Alors se lier à quelqu'un, c'est au-dessus de ses forces. Les histoires sans lendemain sont plus simples. Enfin même ça, depuis quelque temps, c'est fini. Mais là, tout de suite, son corps est incapable de bouger. L'air qu'il respire est saturé de l'odeur de cet homme, clairement plus jeune que lui, qui lui donne pourtant une impression de sécurité salvatrice.
Les minutes s'écoulent, dans un silence qu'aucun d'eux n'ose briser. Magnus sent la main d'Alec remonter le long de son dos, doucement, son pouce traçant une ligne plus appuyée le long de sa colonne vertébrale. Il se mord brusquement la lèvre pour retenir un gémissement, mais son soupir fébrile ne peut passer inaperçu. Alec le lâche et s'écarte de lui, surpris, perdu.
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