Chapitre 12 : « Je suis un aimant à catastrophes. »

L'inquiétude de Clary ne la lâche plus. Depuis la tâche de sang aperçue sur le papier la veille, son esprit ne veut pas se calmer, même ses heures de sommeil ont été agitées. En apprenant, ce matin, que grâce aux informations données par Magnus l'adolescent a pu être retrouvé, elle pensait que tout rentrerait dans l'ordre. Elle a aussitôt envoyé un message à son patron pour le prévenir, mais il n'a pas répondu. Il ne l'a même pas lu. Sur le moment, elle a décidé d'attendre quelques heures, il était sans doute en train de dormir, il n'était que neuf heures du matin après tout.

Il est treize heures à présent et elle vient de ressortir de l'immeuble de Magnus. Elle n'a pas pu entrer dans son appartement, la porte est bloquée par la chaîne. Tout ce à quoi elle a eu droit, c'est un énième petit papier, collé à la porte, sur lequel Magnus lui dit de le laisser dormir. Elle aurait voulu se rassurer, cela dit elle se doute qu'il a besoin de repos. Cela fait quatre jours qu'il recherche l'adolescent et peut-être même a-t-il continué jusqu'à voir son message, il y a une heure.

Plusieurs heures s'écoulent encore, l'inquiétude ne la lâche pas. C'est au bord des larmes qu'elle arrive chez Izzy, à dix-neuf heures. La brune la fait entrer et la prend dans ses bras pour la rassurer, avant même de la laisser parler.

— Tu trembles ! Qu'est-ce qu'il y a ?

— Magnus est injoignable. Il ne répond ni à mes appels, ni à mes messages. Je n'ai pas pu entrer chez lui ce matin, il avait bloqué la porte. Il m'a laissé un mot pour me dire qu'il voulait se reposer mais j'ai un mauvais pressentiment.

Avant qu'Izzy puisse répondre, Alec apparaît dans le couloir à son tour. Les deux jeunes femmes se tournent vers lui, brusquement silencieuses, ce qui étonne le brun. Quand il voit le visage inquiet de Clary, il fronce les sourcils.

— Que se passe-t-il ?

— C'est Magnus, lui répond Isabelle. Clary n'arrive pas à le joindre.

— Depuis quand ?

— Ce matin.

Il fronce les sourcils et passe une main sur son visage. Pourquoi s'inquiète-t-elle pour un silence de quelques heures ? Il est peut-être finalement sorti de chez lui et a oublié son portable.

— Non, tu ne comprends pas, Alec, reprend Clary, elle parle vite pour ne pas être coupée. Il y a quatre jours, un couple de Floride est venu pour lui demander de retrouver leur fils. Je suis allée chez lui chaque matin pour lui apporter de quoi manger et récupérer les détails qu'il voulait que je recherche. Cette nuit, il a été retrouvé, je l'ai dit à Magnus mais il n'a vu mon message qu'en milieu de journée et je n'ai pas pu entrer chez lui.

Alec sent le sang quitter son visage. Quatre jours ? Il a passé quatre jours à la recherche de ce môme ? Il se souvient trop bien de l'état dans lequel était Magnus après seulement quelques heures.

— Quand est-ce que tu l'as vu pour la dernière fois, face à face ?

— Il y a quatre jours. Hier, il y avait un peu de sang sur le papier qu'il m'a laissé.

Alec serre les mâchoires pour ne pas hurler sur la petite rousse. Comment peut-elle être aussi inconsciente ? Et puis il se souvient que Magnus ne lui a jamais parlé des conséquences de son don. Il tourne les talons, attrape son blouson dans l'entrée et quitte l'appartement. Clary et Izzy le regardent faire sans trop comprendre.

— J'ai raté quelque chose ? demande Izzy.

— Je crois que moi aussi... J'espère que Magnus ne m'en voudra pas d'en avoir parlé à Alec.

— S'il a de l'énergie pour t'en vouloir, c'est qu'au moins il ira bien.

❖❖❖

Alec appelle Magnus à travers la porte d'entrée et, à mesure que les secondes s'écoulent, silencieuses, son inquiétude augmente. Il finit par se décider à enfoncer la porte. Trois coups de pied et la chaîne s'arrache, le battant heurte le mur avant qu'Alec ne le referme brutalement derrière lui, une fois entré. Il ne lui faut pas longtemps pour apercevoir quelques tâches de sang sur le sol. Il continue d'appeler Magnus en suivant certaines des tâches qui le mènent à la salle de bain. L'espace d'une seconde, une vision de Magnus dans sa baignoire remplie de sang lui traverse l'esprit et manque de lui retourner l'estomac, mais la salle de bain est vide. Vide de Magnus, pas vide de sang. Des serviettes maculées ont été abandonnées dans le lavabo et des traces ont coulé le long du placard installé en-dessous.

Les tâches sur le sol conduisent à la deuxième porte. Alec se précipite dans la chambre baignée de la lumière du crépuscule et sa gorge se noue lorsqu'il aperçoit enfin Magnus, allongé sur le lit, les yeux fermés. Son teint est pâle et le bas de son visage couvert de sang. Il est immobile.

— Magnus !

La main de l'indonésien se lève pour lui faire signe de s'en aller. Le brun soupire de soulagement et s'approche, il s'assoit sur le bord du lit, si près de Magnus qu'il sent la température bien trop élevée de son corps. Magnus entrouvre les yeux et fronce les sourcils. La douleur dans sa tête l'accable et l'épuise mais il se force à se redresser et la couverture qui le recouvrait tombe un peu. La chemise qu'il porte est marquée de traînées de sang. Il porte une main à sa tempe, plongé dans un état second. Il n'est même pas certain que le policier soit bien près de lui, à cet instant. Ça pourrait tout aussi bien être une hallucination. Il a tellement mal depuis la soirée que son esprit serait bien capable de lui jouer des tours.

— Ne bouge pas, lui dit Alec en posant une main sur son épaule.

— Arrête.

Sa voix est rauque, tremblante. Il s'écarte, espérant qu'Alec retire sa main, mais celui-ci resserre sa prise pour l'attirer plus près de lui. Le plus jeune remonte ensuite ses doigts le long de la peau caramel, sur son cou, son visage, jusqu'à son front. Des frissons accompagnent ses doigts, mais il ne se concentre que sur la chaleur qui irradie de la peau couverte de sueur. Il est brûlant de fièvre.

Alec commence à passer ses bras autour du corps faible de Magnus mais celui-ci se dégage à nouveau.

— Magnus, s'il te plaît. Laisse-moi m'occuper de toi.

— Non, ça suffit ! Je n'ai pas besoin de toi !

— Moi, si !

— Tais-toi !

Magnus plaque une main sur la bouche d'Alec et quelques larmes roulent sur ses joues alors que ses yeux se voilent. Dans la tête d'Alec, des images se mettent à défiler, si vite que tout ce qu'il arrive à en extraire, c'est la douleur. La douleur de Magnus qui lui déchire le cœur. Ça ne dure que quelques secondes et, quand les images cessent enfin, l'extralucide se remet à saigner du nez. Alec comprend que Magnus a, comme l'autre fois, perdu le contrôle de son don. Mais s'il ne se calme pas, il va finir par se vider de son sang.

Déstabilisé par ce qu'il vient de faire, l'asiatique repousse la couverture pour s'écarter un peu plus du brun. D'une main vive, il essuie ses joues et son sang, sans se soucier que son lit devienne de plus en plus rouge. Merde, merde, merde. Il se lève, tournant le dos à Alec, ou son hallucination, il ne sait toujours pas ce qui est réel ou non. Et quand il regarde par-dessus son épaule, quelques secondes plus tard, il est seul dans la chambre. Sa respiration s'accélère alors qu'une boule se forme dans sa gorge, il se retient d'éclater en sanglots. Est-ce qu'il est en train de devenir fou ou c'est juste la fièvre qui le fait délirer ? Le sang qui pulse dans sa tête l'empêche d'entendre le bruit de l'eau venant de la salle de bain.

Alec revient après quelques minutes et, malgré l'urgence de la situation, il ne peut s'empêcher d'être troublé par la vision de Magnus, portant uniquement sa chemise blanche qui lui colle à la peau et un boxer qui laisse découvrir ses longues jambes. Quand l'indonésien tombe à genoux, épuisé, Alec se précipite vers lui. Passant un bras sous ses jambes et l'autre dans son dos, il le soulève pour l'emmener dans la salle de bain.

Pour la première fois depuis qu'il est arrivé, Magnus le regarde dans les yeux, rien qu'une seconde, et son cœur se met à taper beaucoup trop fort contre ses côtes. Il se débat alors, ce qui oblige Alec à le laisser poser les pieds par terre pour qu'il ne tombe pas, mais il garde un bras autour de sa taille. Les yeux du médium se posent sur la baignoire qui se remplit d'eau.

— Tu es brûlant, il faut faire baisser la fièvre.

La voix de basse trop proche de son oreille fait frissonner Magnus. Il secoue la tête, il ne comprend pas ce qu'il se passe. Il a juste envie de retourner s'enrouler dans sa couette pour ne plus avoir froid. Il se dégage à nouveau et tourne les talons mais Alec le retient et le remet face à lui. Les mains du jeune homme commencent à défaire les boutons de la chemise maculée, Magnus essaie de l'en empêcher. Une fois, deux fois. Puis, quand il veut soulever le tissu, Magnus le repousse brusquement alors que lui reviennent les souvenirs du dégoût sur le visage d'Alec et de son cœur en train de se briser.

Leurs regards se croisent encore une fois, furtivement encore, mais Alec a le temps d'apercevoir la souffrance dans les yeux chocolat. Sans un mot, l'indonésien enjambe le bord de la baignoire pour s'allonger dans l'eau qui se colore de rouge. Alec attrape une serviette propre et s'agenouille à côté de la baignoire. Magnus tourne la tête de l'autre côté. Leurs cœurs à tous deux se serrent.

— Des drames, hein, murmure Magnus, d'une voix blessée.

— Quoi ?

— C'est ce que tu as dit, l'autre soir. J'imagine que tu penses que les drames me collent à la peau.

— Non, Magnus. C'est pas ce que je pense.

— Menteur, tu crois que je connais pas ce genre de regard ? Toute ma vie, on m'a regardé comme ça. C'était quand j'allais à l'hôpital. Quand j'allais voir les flics. À cause de ce que je suis, à quoi je ressemble.

Le brun pose sa main sur la joue de Magnus pour le forcer à le regarder, cette fois l'indonésien ne lutte pas contre lui. Il ne savait pas que Magnus l'avait entendu, il ne savait même pas qu'il l'avait vraiment dit et il regrette que ses mots aient franchi sa bouche. Doucement, il passe la serviette sur le bas de son visage pour le nettoyer de tout ce sang.

— C'est peut-être vrai, remarque, recommence le plus âgé. Je suis un aimant à catastrophes... Soit je tombe sur des personnes qui me brisent, soit sur des personnes qui m'abandonnent quand je les aime le plus.

— Et moi, je suis dans quelle catégorie ?

— Je me suis pas encore décidé.

Il baisse les yeux, les sentant se remplir à nouveau de larmes. Il inspire profondément et se laisse couler quelques secondes pour échapper au regard d'Alec qui repose la serviette sur le bord de la baignoire, avec un soupir. Quand il remonte, il constate que le sang ne bouillonne plus dans sa tête et qu'il a arrêté de couler de son nez. Il passe une main dans ses cheveux pour les rejeter en arrière, son geste quelque peu entravé par sa chemise trempée.

— Tu ferais mieux de l'enlever, lui dit Alec.

— Non.

Il replonge ses mains dans l'eau pour cacher qu'elles tremblent et qu'il serait bien en peine de défaire les boutons. Malheureusement pour lui, Alec le remarque et se redresse un peu. Avec délicatesse, il approche ses mains de Magnus.

— Laisse-moi le faire.

Magnus détourne les yeux et hoche la tête. Alec fait de son mieux pour ne pas toucher la peau de l'asiatique, il sent son malaise et le comprend. Il aimerait tout lui expliquer, maintenant, mais il n'est pas certain que Magnus se souvienne de quoi que ce soit. Il n'est pas dans son état normal et Alec en est toujours inquiet.

— Je devrais t'emmener à l'hôpital, souffle-t-il après une courte réflexion.

— Non, ce n'est pas nécessaire. Ça va passer.

— Le problème n'est pas que ça passe ou non ! Le problème c'est pourquoi ça arrive !

Son cri fait sursauter Magnus qui se tend et recommence à repousser Alec. Eh merde, il lui fait peur maintenant. Alec termine de déboutonner la chemise et la lui enlève avant de la laisser tomber sur le sol.

— Tu devrais passer des examens.

— Ça ne servirait à rien, Alec. J'en ai déjà passé, plusieurs fois, et il n'y a rien à voir. C'est à cause de mon don.

— Alors à chaque fois que tu l'utilises, tu risques de mourir et on ne peut rien y faire ?

— C'est juste quand je l'utilise trop en peu de temps.

— Comme pour rechercher un ado disparu pendant quatre jours ?

Magnus le regarde à nouveau, surpris. Il a vu Clary. Pourtant il avait dit à la jeune femme de ne pas lui en parler. Cela explique sa présence ici. À condition que tout ceci soit réel.

— C'est Clary qui t'a dit de venir, n'est-ce pas ? Quel idiot... Pour quoi d'autre serais-tu venu, après tout ?

Même dans ses hallucinations, Alec ne vient pas le voir de lui-même. C'est quel niveau de désespoir ça ?

— C'est toi qui ne voulais pas me voir ! rétorque le brun, énervé. Enfin, Izzy m'a dit que tu voulais être seul.

— Évidemment ! Pourquoi aurais-je eu envie de te voir après ce qui s'est passé ?

Alors qu'il crie, la douleur dans sa tête s'intensifie en même temps que son désespoir et il échappe un gémissement étranglé. Il plaque ses mains sur ses tempes pour essayer de la gérer.

— Va-t'en, s'entend-il à peine dire à Alec.

Le jeune homme obéit. Il sort de la salle de bain pour ne pas s'énerver davantage, ni énerver Magnus, car cela ne fait qu'empirer son état. Mais il se refuse à quitter l'appartement. Hors de question qu'il le laisse seul, il ne refera pas cette erreur. Il décide de lui laisser un peu de temps pour se calmer et, en attendant, il s'attèle à nettoyer le sang dans les autres pièces. S'il reste inactif, il va réfléchir et il vaut mieux qu'il ne le fasse pas. Il n'y a que quelques traces dans la cuisine et le salon, mais la chambre ressemble à un champ de bataille.

Une vingtaine de minutes après qu'il s'y soit mis, son téléphone se met à sonner dans sa poche. Il décroche en soupirant.

— Qu'est-ce qu'il y a, Izzy ?

— « Qu'est-ce qu'il y a » ? s'écrie sa sœur à travers le téléphone. J'espérais avoir des nouvelles de Magnus, ça fait plus d'une heure que tu es parti et nous on se fait un sang d'encre, avec Clary ! Alors désolée si je dérange pendant que vous vous faîtes des mamours, mais...

— Arrêtes, Izzy, c'est pas le cas, l'interrompt-il. Mais il va bien, il est juste fatigué. Je vais rester avec lui pour m'assurer qu'il se repose.

— Bon. S'il va bien, tant mieux. Appelle-nous si vous avez besoin de quelque chose. Et dis-lui qu'on pense à lui.

— D'accord, je lui passe le message.

Il raccroche. Pour un peu, il serait jaloux de l'affection que sa sœur porte à Magnus, mais la vérité c'est qu'il est heureux qu'ils s'entendent bien, parce qu'une partie de lui ne peut s'empêcher d'espérer que les choses se réparent entre eux.

Il retourne finalement dans la salle de bain, pour voir que Magnus est sorti de l'eau et a enroulé une serviette noire autour de sa taille. Du coin de l'œil, Alec aperçoit le boxer trempé sur le sol, à côté de la chemise. Ce qui veut dire que Magnus est nu sous sa serviette. Putain mais pourquoi doit-il penser à ça alors que Magnus est encore à deux doigts de s'évanouir ? Il n'a plus l'air d'avoir de fièvre pour l'instant mais ses yeux peinent à rester ouverts et sa peau est toujours trop pâle. Alec se met à penser que sa délicieuse couleur caramel lui manque cruellement. Son regard commence à se perdre sur le torse de l'indonésien quand celui-ci se tourne vers lui et Alec baisse la tête, gêné d'être pris en flagrant délit. Magnus se mord la lèvre, méprenant l'embarras d'Alec pour du dégoût.

— Izzy vient de m'appeler, dit Alec après s'être raclé la gorge. Clary et elle se font du souci pour toi.

— Ok.

— Elle dit qu'elles pensent à toi.

Un léger sourire éclaire le visage de Magnus. Il s'en veut de les inquiéter, mais il ne peut pas dire la vérité à Clary, plus maintenant. Il la connaît trop bien, elle se sentirait coupable de l'avoir aidé dans ses recherches plutôt que de s'y opposer comme le fait Alec.

Le regard de Magnus se pose sur le cadet un instant avant de revenir sur son reflet.

— Rentres chez toi, lui dit-il d'une voix ferme. Je vais pas recommencer à utiliser mon don aujourd'hui, alors j'ai pas besoin de baby-sitter.

— Je ne compte pas partir. En plus, j'ai dit aux filles que je restais avec toi.

— T'as qu'à leur dire que t'as changé d'avis. Ce serait pas la première fois.

— Mags...

Alec se rapproche un peu, il entend la rancœur de l'homme près de lui, et il sait qu'il mérite qu'il soit en colère contre lui. Magnus a été patient et Alec en a trop profité, au point de le faire souffrir. Il tend le bras vers le médium qui s'esquive une fois de plus et repart dans sa chambre. Alec le suit du regard et le voit se recoucher dans la couverture tâchée de sang. Il soupire et va reprendre sa place au bord du lit. Il tire sur la couverture pour voir le visage de Magnus. D'abord, il pense qu'il s'est déjà endormi, ou peut-être évanoui, mais les beaux yeux sombres s'ouvrent de nouveau.

— Je suis fatigué, murmure Magnus. Si tu continues à m'apparaître tout le temps, j'y arriverai pas.

— Hein ? De quoi tu parles ?

— Disparais, s'il te plaît. Je t'aime tellement que je rêve de toi, même éveillé, mais ça me tue. Alors tu veux bien arrêter de hanter mes pensées ? Pour que je puisse me remettre de toi...

Ses yeux se bordent de larmes, mais Alec les essuie délicatement avant de déposer un baiser sur son front. Est-ce que Magnus vient de dire qu'il l'aime ?

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