Chapitre 10 : « Je suis gay. »
Ses pensées ne le lâchent pas depuis qu'il a quitté l'appartement de Magnus. Il repense à ce qu'il lui a dit et il a envie de hurler. Il avait refusé de venir avec Izzy pour ne pas risquer de faire à nouveau de la peine à Magnus en lui disant de mauvaises choses et c'est exactement ce qu'il a fini par faire. Et il n'aurait pas pu le faire à un pire moment. Magnus était vulnérable, les marques sur son corps le mettaient mal à l'aise, c'était évident. Alec aurait dû le rassurer, pas s'énerver quand il n'a pas voulu en parler. C'est son droit le plus total ! Mais voilà, imaginer que quelqu'un ait pu un jour faire du mal à Magnus, ça le rend malade. Et encore une fois, sa réaction était complètement incohérente et disproportionnée. Comment a-t-il seulement pu se dire qu'il s'était fait ça lui-même ? L'indonésien n'est certainement pas quelqu'un qui cherche à se faire du mal, il ne cherche pas les drames, au contraire. Le fait qu'il se montre toujours aussi sûr de lui prouve que c'est un survivant.
Alec roule pendant peut-être une heure avant de décider de se rendre chez son meilleur ami. S'il rentre chez lui maintenant, Izzy pourrait l'entendre et elle saurait que quelque chose s'est passé. Elle semble beaucoup apprécier son nouvel ami, elle sera furieuse en apprenant ce qu'Alec a fait. Et puis, c'est à Jace qu'il a besoin de parler, tout de suite. Il trouve une place devant l'immeuble et monte jusqu'à chez son meilleur ami. Il se met à tambouriner sur la porte. Il est 3h du matin et ils sont censés travailler le lendemain, donc Jace doit être en train de dormir. Mais tant pis. Plus tard ce sera trop tard.
Il faut une dizaine de minutes à Jace pour émerger et se rendre compte que quelqu'un frappe contre sa porte d'entrée. Il va ouvrir, les yeux encore mi-clos. Voir Alec le réveille un peu, mais c'est surtout ce qu'il dit qui le sort complètement des bras de Morphée.
— Je suis gay.
Le blond s'écarte de la porte pour faire entrer Alec. Visiblement, il est agité, mais Jace ne comprend pas pourquoi il est venu faire son coming out en pleine nuit. Alec avance jusqu'au salon pour se laisser tomber sur le canapé, la tête dans les coussins, et il hurle. Pendant de longues secondes.
— Mes voisins vont me tuer, l'avertit Jace, quand il s'arrête enfin.
— Désolé.
Alec s'assoit finalement et Jace part dans la cuisine pour leur servir deux cafés. Quand il revient, son meilleur ami a l'air d'être sur le point de pleurer. Il fixe son téléphone, comme s'il hésitait à envoyer un message.
— Bon, tu veux bien m'expliquer ce qui se passe ?
— Je suis un connard, répond le brun en rangeant son portable. Non, en fait, je suis la pire des enflures.
— Ok, assez d'autoflagellation. Écoute, Alec, je sais pas si je peux te dire ça, mais j'étais déjà au courant que tu es gay. Je m'en doutais depuis longtemps. En plus, je t'ai trouvé bizarre tout le début de semaine. Mais quand je t'ai vu regarder Magnus avant-hier, ou hier ? Enfin, au poste, j'ai compris. Tu l'as dans la peau ce mec, c'est évident.
— Je sais que tu savais. Mais j'ai eu besoin de le dire à voix haute.
Jace fronce légèrement les sourcils et s'assoit sur la table basse, face à Alec. Il était persuadé qu'il avait au moins eu cette conversation avec Izzy même si, elle aussi, elle doit être au courant depuis un moment. Il met une des tasses dans les mains d'Alec, boire quelque chose de chaud ne lui fera pas de mal.
— Raconte-moi ce qu'il s'est passé. T'es pas allé chez lui avec Izzy, ce soir ?
— Non, enfin... Si, mais je les ai rejoint plus tard dans la soirée. Et je suis resté quand les autres sont partis. Comme tu dis, je l'ai dans la peau et... J'avais envie de lui montrer que j'ai vraiment envie d'être avec lui.
— T'as couché avec lui ?
— Non, parce que je suis un gros connard !
Sa colère contre lui-même revient le brûler, il pose la tasse car son poing se serre et qu'il n'a pas envie de causer une catastrophe.
— Sur son torse, il a... Des cicatrices. Beaucoup. Quand j'ai vu ça, j'ai vrillé et ce que m'a dit ma mère hier...
— Qu'est-ce qu'elle t'a dit ? demande Jace qui commence à comprendre d'où vient le problème.
— Elle a dit qu'ils cherchent les drames. Les gens comme Magnus, comme moi. Qu'ils n'arrivent pas à vivre sans drame, sans être des victimes.
Jace souffle. Alec n'avait jamais vraiment abordé le sujet auparavant, mais Izzy lui a déjà dit qu'ils ont grandi en entendant toutes sortes de propos haineux. Elle-même a parfois du mal à faire abstraction mais Alec, c'est à un tout autre niveau. Toute la haine de ses parents, il l'a intériorisée.
— T'as pas dit ça à Magnus, rassure-moi.
— Bien sûr que non ! Enfin, je ne crois pas. Je suis juste parti. Je lui ai dit que je pouvais pas et je me suis enfui. Je l'ai laissé seul alors que je sais qu'il ne va pas bien et, à cause de moi, ça doit être encore pire. Je sais même pas comment je pourrais lui faire face à nouveau... Je le mérite pas.
— Hé... Tu crois pas que c'est à lui de décider ça ?
Les yeux bordés de larmes d'Alec se posent sur le blond en face de lui. Il n'imagine pas que Magnus puisse lui pardonner ça.
— Alec, je crois que tu dois parler à tes parents.
— Quoi ? Comment je pourrais ?
— Je crois que, si tu ne le fais pas, t'arriveras pas à te sortir toutes leurs conneries de la tête.
— C'est pas eux, le problème...
— Mais bien sûr que c'est eux ! Et si tu veux avoir une relation saine avec Magnus, il faut que tu parles à ta mère, au moins.
Alec sait que son ami a raison, mais l'idée d'avouer à sa mère son homosexualité le terrifie. Il n'a déjà réussi à se l'avouer à lui-même que récemment, genre très récemment.
— Et même si tu es persuadé que tu ne pourras plus être avec lui, fais-le pour toi. Fais-le pour arrêter d'avoir peur qu'on le découvre. Il n'y a aucune honte à aimer les hommes. Aime qui tu veux ! Ça ne regarde que toi.
Jace se lève pour s'asseoir à côté d'Alec et pose une main sur son épaule, pour lui apporter un peu de réconfort, mais il n'est pas plus doué qu'Alec pour les démonstrations affectives. Ils restent silencieux un moment, longtemps, jusqu'à ce que leurs tasses soient vides.
❖❖❖
Il est environ 8h et Izzy marche d'un pas décidé à la recherche de son frère, ses yeux lancent des éclairs et elle serre son téléphone dans sa main. C'est dans un couloir qu'elle parvient à mettre la main sur lui. Jace est avec lui. Quand ils la voient, ils cessent de marcher et commencent à avoir peur.
— Qu'est-ce que tu as fait ? lance-t-elle, les mâchoires serrées pour ne pas crier.
Jace tourne aussitôt les talons et abandonne lâchement Alec. Il faut dire que s'il arrive à la jeune femme de se mettre en colère, voire très en colère, c'est rare quand c'est dirigé vers son frère.
— De quoi tu parles ?
— Tu sais très bien de qui je parle ! Et je veux que tu me dises ce qu'il s'est passé ! Et que tu m'expliques pourquoi j'ai reçu ce message de Catarina !
Les yeux d'Alec se baissent sur l'écran du téléphone que sa sœur lui montre pour lire le message, il craint le pire.
« Ne laisse plus ton frère s'approcher de Magnus,
ou c'est moi qui m'occupe de son cas ! »
Il hausse les sourcils, il avait cru comprendre que Catarina était protectrice envers Magnus mais il n'imaginait pas que c'était à ce point. Lui aussi, il se demande ce qui s'est passé, après qu'il est parti. Et Catarina n'a pas daigné répondre aux messages qu'Izzy a envoyés pour en savoir davantage.
— Pourquoi est-ce qu'elle m'a envoyé ça ? redemande Izzy, devant le silence de son frère. Que s'est-il passé hier soir ?
Alec soupire et attrape le bras de sa sœur pour l'emmener dans une pièce où ils pourront parler seuls. Puis il lui raconte la fin de soirée chez Magnus. Elle ferme les yeux, sa colère ne cesse d'augmenter.
— Dis-moi quelque chose pour que je ne te gifle pas.
— Je sais que j'ai merdé, Izzy.
— Non. Non, tu sais pas.
Elle ressort de la pièce sans lui accorder un regard. Elle cache quelque chose. Mais pourquoi cacherait-elle quelque chose à Alec ? En sortant à son tour, il aperçoit sa mère qui rentre dans son bureau. Il hésite, mais Jace est au bout du couloir et lui fait signe d'y aller. Il ne peut pas laisser passer cette occasion.
Il suit donc sa mère et entre après avoir à peine toqué à la porte pour attirer son attention. Elle se tourne vers lui avec un grand sourire et s'approche pour le prendre dans ses bras.
— Bonjour mon chéri, c'est rare que tu viennes me voir si tôt ! Tu as l'air fatigué.
— Oui, c'est le cas. Maman, je dois te parler de quelque chose. Tu as un moment pour moi ?
— Bien sûr, Alec. Ferme la porte, je t'écoute.
Il obéit alors qu'elle part s'asseoir derrière son bureau. Il prend place sur une des deux autres chaises, mal à l'aise.
— Si tu m'appelles Maman, c'est que c'est personnel. Je me trompe ?
— Non, tu ne te trompes pas. Et je voudrais que tu ne m'interrompes pas, c'est assez difficile comme ça.
Maryse fronce les sourcils, soucieuse, mais se contente de hocher la tête pour lui signifier qu'elle le laissera parler. Alec inspire profondément avant de se lancer. Il avait imaginé qu'il pourrait faire comme avec Jace, le dire vite comme quand on arrache un pansement, mais sa mère n'acceptera sans doute pas aussi facilement.
— Maman, il y a quelque chose que je vous cache depuis longtemps, à Papa et toi... Je me le cachais même à moi. Enfin, je m'empêchais de le voir, à tel point que je pensais qu'Izzy n'était pas au courant non plus. Mais elle le savait, et peut-être que toi aussi, mais que tu t'empêches de le voir, comme je l'ai fait. C'est pas facile pour moi, parce que je vous ai souvent entendu dire des choses comme si vous saviez tout, et que j'étais persuadé que c'était vrai. À cause de ça, je me suis détesté. À cause de ça, j'ai moi aussi dit des horreurs et je me déteste encore plus, parce que moi je sais que c'est faux. Et que j'ai fait du mal à une personne, beaucoup trop de mal. Mais ça peut plus durer. Maman, je suis gay.
— Alec...
Il s'était attendu à voir du dégoût sur le visage de sa mère, mais ce n'est pas le cas. Elle se redresse un peu pour tendre ses mains vers celles de son fils. Ses mains tremblent, leurs mains tremblent.
— Pourquoi tu me dis ça ?
— Tu n'avais peut-être pas envie de l'entendre, mais moi j'avais besoin de le dire. Je peux plus vivre comme ça, tu comprends ? Je peux pas continuer à me mentir et je veux pas me cacher, parce que ça ne fera qu'empirer les choses. Mais je suis toujours le même.
— Ne le dis pas à ton père. Surtout pas à ton père, pas tout de suite.
Il ne comptait pas vraiment se confier à son père, parce qu'il vit loin et qu'ils se voient peu, mais la réaction de sa mère le surprend. Comme si elle avait peur.
— Je lui dirai rien. C'était pas prévu. Écoute, je sais ce que tu penses des...
— Non, stop, le coupe-t-elle. J'ai... J'ai besoin d'un peu de temps, tu veux bien ?
— Oui, bien sûr.
Il se lève, elle fait de même et contourne le bureau. Elle prend à nouveau son fils dans ses bras, ce qui le rassure. Il avait peur qu'elle le déteste, tout à coup.
— Je t'aime mon chéri, murmure-t-elle.
— Je t'aime aussi, Maman.
Elle l'embrasse sur la joue puis le lâche pour qu'ils puissent tous deux se mettre au travail. Avant qu'il ne s'éloigne dans le couloir, elle lui pose une dernière question.
— Tu as rencontré quelqu'un ?
Alec reste silencieux mais son visage devient rouge. Des fois, il aimerait que sa mère soit moins perspicace. Maryse hoche la tête et il s'en va. Elle retourne dans son bureau en réfléchissant, elle s'inquiète.
Elle s'inquiète à cause de son mari, elle ne sait pas ce qu'il serait capable de faire s'il apprenait qu'Alec est gay. Contrairement à ce que son fils pense, elle n'avait rien remarqué. Si elle l'avait fait, sans doute aurait-elle mieux combattu l'influence de son époux, se serait-elle davantage retenue de faire des remarques désobligeantes. Elle est inquiète aussi à cause de cette personne qui est entrée dans la vie de son fils sans qu'elle ne le remarque. Qui ça peut bien être ? Et puis elle repense à l'avant-veille, cet homme qui est venu porter plainte et qu'Izzy semblait connaître. Et si Alec le connaissait aussi ? Elle ne l'a que croisé et les seules impressions qui lui reviennent à son égard sont accompagnées des remarques déplacées de ses hommes.
Impossible de laisser un homme dont elle ne sait rien tourner autour de ses enfants. Il faut qu'elle sache qui il est, exactement.
❖❖❖
— C'était un accident, Cat, ça va !
Magnus essaie de calmer sa meilleure amie qui, encore une fois, l'oblige à rester assis sur le canapé pendant qu'elle range. Toutes les fenêtres de l'appartement sont ouvertes pour permettre aux odeurs d'alcools de disparaître. Elle est en colère, elle a eu peur. Il aurait sûrement eu peur aussi, s'il l'avait trouvée allongée par terre, les mains en sang et du verre brisé partout. En réalité, elle est tombée de haut parce qu'elle pensait qu'Alec et lui avaient passé la nuit ensemble et qu'elle trouverait son ami sur un petit nuage à 7h ce matin en revenant chercher son portable qu'elle avait oublié la veille.
— Je veux bien que ce soit un accident, parce que tu es beaucoup trop maladroit pour ta survie. Mais tu ne vas pas bien, regarde-toi !
— Pas besoin de me rappeler que je ressemble à rien.
Il souffle et repasse une main sur son visage. Ses yeux sont rouges et comme il n'a pas pris la peine de se démaquiller, la veille, son maquillage a laissé de grandes traces noires le long de ses joues. Dire qu'il pensait que ses produits étaient waterproof. Il ne ressemblerait plus à un clown triste s'il pouvait aller se passer de l'eau sur le visage, mais Catarina lui a interdit de se lever pour l'instant.
Il se souvient trop bien du sentiment de rage qui a grandi en lui petit à petit, à mesure qu'il repensait à ce qui s'est passé. Pour se défouler, et ne pas être tenté de boire, Magnus a fini par exploser toutes les bouteilles de son bar. Puis il a voulu ramasser les dégâts, sauf qu'il s'est coupé à de nombreuses reprises et que la vue du sang, couplée à sa fatigue et aux trois heures qu'il venait de passer à pleurer, lui a fait tourner de l'œil.
Catarina va jeter les derniers morceaux de verre et regarde son ami, depuis la cuisine. Il triture ses mains pleines de pansements. Elle voudrait l'emmener à l'hôpital, au cas où il se serait cogné la tête lors de sa perte de connaissance, mais il refuse. Il refuse toujours, il déteste les hôpitaux.
En s'approchant du canapé, elle décide d'envoyer un message à Izzy. Alec n'a pas mis beaucoup de temps à faire ce qu'elle était certaine qu'il ferait. Magnus n'a pas de chance, il faut toujours qu'il s'entiche de mecs compliqués. Il est sensible et aime aider les gens, ça le rend vulnérable à toute mauvaise personne. Magnus la regarde faire mais n'arrive pas à l'arrêter à temps.
— Catarina, je t'en prie.
— Ce mec n'est pas bon pour toi !
— Tu ne le connais pas. Sa sœur est peut-être un ange de compréhension, mais ce n'est apparemment pas le cas de ses parents. Et il a grandi avec ce genre de modèle, c'est pas facile pour lui.
— Tu n'es pas en colère contre lui ? Pour ce qu'il a fait hier soir ?
— J'en sais rien.
— Alors pourquoi tu le défends ?
En réalité, il s'empêche d'y repenser, parce que s'il y repense, il va se remettre à pleurer. Bien sûr qu'il en veut à Alec, à cause de lui il se sent à nouveau seul et monstrueux, et ça fait tant de temps qu'il lutte contre ça.
— Magnus, il n'est pas le seul à avoir eu une adolescence difficile. Tu lui as dit ce que tu as vécu, toi, après le suicide de ta mère ? Tu lui as raconté comment était ton père ? Et tu lui as parlé de ton ex ?
— Mes cicatrices n'ont rien à voir avec Alec, Cat. Il n'est pas responsable de mon passé, ni de mes insécurités.
— Magnus...
Pour la troisième fois, le téléphone de Cat vibre, mais elle l'ignore. Il lève les yeux au ciel.
— Mais réponds-lui, elle va se faire un sang d'encre et elle ne mérite pas ça ! Dis-lui que je veux être seul. Et toi, tu devrais aller travailler.
— Tu es sûr ?
Il hoche la tête, alors elle obéit. Elle l'embrasse avant de quitter l'appartement, mais elle préfère attendre pour répondre à Izzy. Ce n'est pas contre elle, mais elle sait qu'elle risque de montrer ses messages à son frère et elle veut le faire mariner. Ce n'est qu'un peu plus tard dans la matinée qu'elle rassure la jeune femme sur l'état de Magnus. Bien sûr, elle était toujours inquiète, mais au moins, il n'a plus de quoi se saouler.
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