Chapitre 1 : « T'es sûr qu'il est pas juste épileptique ? »
Une impression étrange flotte dans l'air. Magnus pousse doucement la porte, l'esprit occupé, alors que la jolie rouquine le regarde du coin de l'œil. Elle est toujours intriguée par ce personnage haut en couleurs qu'est son patron. Comment ne pas l'être ? Mais elle commence à le connaître, depuis le temps, et elle sait que quand il a cet air songeur, n'importe quoi peut arriver.
— Tout va bien ? s'enquit-elle après de longues minutes durant lesquelles il n'a pas bougé.
— Oh oui ! Bien sûr, toujours !
Il pose enfin sur elle ses beaux yeux chocolat et lui offre un sourire rayonnant qui la rassure un peu. Elle se replonge dans sa tâche alors qu'il fait quelques pas dans la boutique. Distraitement, il regarde autour de lui et, finalement, s'approche de la vitrine pour observer l'extérieur.
— Tu savais qu'une enfant a disparu hier, à Central Park ? lui demande-t-il soudain, la voix terne.
— Oui, j'en ai entendu parler aux infos. Elle a quatre ans, je crois. Pauvre chérie.
— J'espère qu'elle sera vite retrouvée.
Sa gorge est serrée. Une impression étrange flotte dans l'air. Une mauvaise impression. Cette fois, la jeune femme s'approche de lui. Cette fois, elle voit sur son visage que quelque chose va se passer.
— Tu as eu... ?
— Non, la coupe-t-il. Enfin, je ne sais pas trop...
Il soupire, exaspéré de lui-même. Si seulement il n'avait pas bu hier, son esprit aurait été plus clair à son réveil. Ses pas continuent de le promener dans la boutique, ses yeux glissent sur les étagères où des objets ésotériques sont posés, prêts à être vendus.
— Biscuit ?
— Oui, Magnus ?
— Peux-tu me faire un thé, s'il te plaît ? Tu serais un ange.
Sa voix de miel fait sourire Clary qui hoche la tête avant de sortir par l'arrière-boutique et d'emprunter les escaliers menant à l'appartement de Magnus. Arrivée en haut, quelque chose attire son regard par la fenêtre. Elle traverse rapidement le salon pour jeter un œil. Au coin de la rue, une voiture noire vient de s'arrêter. Elle se dépêche de faire bouillir de l'eau.
Au rez-de-chaussée, Magnus lorgne fortement le fauteuil rouge installé dans un coin, sur lequel il aime bien s'étaler habituellement, tel un chat. Il hésite, la folle impression grandissant, logée entre son cœur et son poumon gauche, comme un poing qui serre ses entrailles. Il serre le tissu de sa chemise entre ses doigts, cherchant un peu son air. Les pas de Clary à l'étage lui permettent de ne pas se laisser aller, comme un point d'ancrage. Il parvient à repartir derrière le comptoir, affichant une normalité toute relative. Il n'y a pas de normalité quand on s'appelle Magnus Bane.
❖❖❖
Alec est agacé, les doigts serrés sur le volant alors que son coéquipier essaie de le convaincre. Mais pourquoi sa sœur a-t-elle eu une idée aussi saugrenue ?
— Oh allez Alec, c'est toi qui as décidé de faire confiance à Izzy, tu te souviens ?
— Uniquement pour qu'elle cesse d'insister. Franchement, tu y crois, toi ?
— Bah, je sais pas. En tout cas, la mère de la petite avait envie de le contacter.
Les yeux noisette d'Alec se plissent, suspicieux. Pourquoi aller le voir, lui, alors que la police fait son possible pour retrouver cette enfant ? D'accord, les indices sont presque inexistants mais qu'est-ce que ce type pourrait faire de plus ? Il regarde la devanture de la boutique ésotérique d'un œil blasé. Y a que les hippies pour croire à ce genre de truc.
La portière claque et le sort de ses grincheuses pensées, il s'aperçoit alors que Jace est sorti de la voiture. Soupirant, il fait de même, autant l'accompagner ça évitera de trop laisser durer ces bêtises. Il rejoint le blond de l'autre côté de la route, devant la porte. Il lève les yeux au ciel en voyant que Jace attend qu'il entre le premier. Beh voyons. Il pousse donc la porte vitrée et, alors qu'il s'attend à être agressé par des odeurs d'encens entêtantes et une musique psychédélique, ce sont une playlist des années 80 et une douce odeur de livres qui l'accueillent. La boutique a même l'air normal, si on oublie les quelques attrape-rêves qui pendent du plafond et les meubles en bois massifs gravés de symboles étranges. Une partie de lui est déçue, il doit l'avouer, déçue de ne pas pouvoir se plaindre et battre rapidement en retraite.
— Bienvenue !
Les deux jeunes hommes regardent au fond du magasin. Un homme d'une trentaine d'années les salue depuis l'autre côté du comptoir. Alec est surpris, à nouveau, et un peu malgré lui il observe celui qui doit être Magnus Bane. Il est grand, moins qu'Alec cela dit, mais il a l'habitude de dominer tout le monde d'au moins une tête. Ses yeux sont maquillés de noir, ses cheveux de jais dressés sur sa tête, une mèche bleu électrique retombe un peu sur son front. Sa peau est d'une délicieuse couleur caramel. Délicieuse ? Alec se racle la gorge.
— Vous êtes Magnus Bane ? demande-t-il d'une voix grave et un peu sèche.
L'interpellé arque un sourcil, amusé par sa nervosité évidente, et fait le tour du comptoir pour les rejoindre au milieu de la boutique. Amusé mais pas moins captivé par le jeune homme dont la voix fait vibrer sa gorge jusqu'à son estomac.
— Lui-même, répond-il avec emphase. Et, à qui ai-je l'honneur ?
— Alexander Lightwood. Et voici Jace Herondale, mon coéquipier.
Magnus semble enfin prendre conscience de la présence dudit Jace, il le gratifie d'un léger regard et d'un sourire. Jace avance d'un pas et lui tend une carte. Il reconnaît aussitôt l'une des cartes de visite que Clary a imprimées pour la boutique. Magnus la prend prudemment, attendant une explication. Il comprend que les deux hommes sont des policiers. Même s'ils ne sont pas en uniforme, cela se voit dans leur posture et dans leur phrasé. Et Magnus n'aime pas les policiers.
— On nous a donné cette carte, continue Jace. Une femme qui est à la recherche de sa fille.
— J'ai vu l'affaire aux informations, ment l'asiatique. C'est malheureux.
Il soutient le regard d'Alec qui attendait une réponse un peu plus complète et plus franche. Mais Magnus a l'habitude, il sait quand les gens ne croient pas au surnaturel. La façon qu'ils ont eu de regarder la boutique en entrant, ou de le regarder lui, comme s'il était un illuminé.
— Cette femme pense que vous pouvez retrouver sa fille, reprend Alec sans réussir à cacher son agacement.
— Oh, vraiment ?
— Elle nous a dit que vous êtes une sorte de... De médium.
Magnus fronce les sourcils en voyant la grimace d'Alec alors qu'il prononce ce dernier mot. Sceptique. Flic. Ça commence à faire beaucoup, même pour un si beau visage. Il ne répond pas, se contente de regarder Alec. Ce n'est pas déplaisant, certes, mais il s'efforce de ne pas se laisser succomber. Il attend simplement qu'ils lâchent l'affaire et quittent la boutique pour ne plus revenir. Il trouvera un autre moyen d'apporter son aide à la petite fille et sa mère.
Jace se gratte la nuque, un peu mal à l'aise à cause de l'échange verbal et l'échange de regards qui n'en finit pas. Il est même surpris qu'Alec n'ait pas encore tourné les talons.
— Alec... commence-t-il.
— Je t'avais dit que c'était une perte de temps, crache finalement le grand brun. Il ne peut pas nous aider, c'est sûrement un escroc.
Les regards des deux hommes, qui ne se sont toujours pas lâchés, se durcissent. Alec irrité d'avoir perdu son temps et Magnus blessé qu'on le traite encore de profiteur.
— Il peut vous aider !
La voix douce et féminine retentit quelques secondes avant que Clary n'apparaisse dans la boutique. Une tornade rousse qui capte aussitôt le regard du blond. Elle dépose la tasse de Magnus sur le comptoir et s'approche en regardant son patron.
— Magnus, s'il te plaît. Tu sais que tu peux le faire.
Il évite soigneusement le regard de la jeune femme qui l'implore. Bien sûr qu'il a envie d'aider, mais ces hommes ne veulent pas de son aide, c'est évident. D'ailleurs, il se demande pourquoi ils sont venus jusqu'ici s'ils sont aussi réticents. Clary décide de se présenter à eux alors que le regard du blond ne la quitte pas.
— Clarissa Fairchild, dit-elle en lui tendant une main. Mais appelez-moi Clary.
— Enchanté, répond-il, serrant sa main en retour. Moi c'est Jace et le grincheux, c'est Alec.
Le grincheux regarde son coéquipier, se demandant s'il était vraiment obligé de le traiter de grincheux. Et Jace l'ignore, préférant se concentrer sur l'assistante de Magnus.
— Magnus est un voyant extralucide, poursuit-elle. Et ce n'est pas la première fois qu'il aiderait à retrouver une personne disparue. Il est vraiment doué pour ça et...
Le rire déconcerté de Magnus l'interrompt. Il ne s'attendait pas à ce que Clary se montre si élogieuse à son égard. Quand bien même il l'a aidée à retrouver son frère quelques mois auparavant, il n'est pas habitué à ce qu'on l'encense.
— Oui, je peux vous aider, soupire-t-il après un instant.
Il se détourne des trois jeunes gens et, de sa démarche chaloupée, il s'éloigne pour aller finalement chercher sa tasse de thé. Alec ne peut s'empêcher de le suivre du regard. Ses yeux descendent dangereusement le long du dos de l'asiatique, dont les muscles se laissent à peine deviner à travers le tissu fin de la chemise irisée. Le policier détourne vivement les yeux en découvrant, avec un plaisir inavouable, les courbes de ses fesses dessinées dans un pantalon de cuir moulant. Jace et Clary notent la teinte rouge que prennent ses joues et échangent un regard amusé.
Le sujet de cette concupiscente attention, loin de s'en rendre compte, s'installe sur son beau fauteuil rouge. Il tire la table basse pour la placer devant lui et y dépose sa tasse après avoir bu une gorgée. Il repose ensuite son regard sur les deux enquêteurs.
— Est-ce que vous avez quelque chose qui lui appartient ? Un jouet, un doudou ?
— Euh oui...
Alec ouvre sa veste où il avait rangé un petit lapin en peluche de couleur crème. Quand il le donne à Magnus, celui-ci attrape ses doigts une seconde mais Alec recule comme s'il s'était brûlé. En réalité, il a vraiment l'impression que c'est le cas, un brusque frisson est parti du bout de ses doigts pour remonter le long de son bras. Comme de l'électricité. Il se recule d'un pas, l'air de rien, devant le sourire en coin de l'extralucide.
Les deux mains posées sur le petit animal en peluche, Magnus se concentre. Il a beau être rompu à l'exercice, la concentration n'est pas toujours facile à trouver. Lentement, la boutique disparaît. Ses occupants disparaissent. Ne restent que lui et cet objet qui a été chéri par une adorable enfant. Inconsciemment, Magnus commence à chantonner dans sa langue natale, c'est presque un murmure. Et...
— Qu'est-ce que..?
Une voix agréablement grave le rejoint dans sa transe. Il secoue doucement la tête pour la faire partir.
— C'est de l'indonésien, chuchote Clary qui sait que son patron a besoin de calme.
— T'es sûre qu'il est pas juste épileptique ?
Cette fois, Magnus revient à lui. Il adresse un regard lourd de sens à Alec qui n'a pas pu s'empêcher de réagir à l'incongruité de la situation. Jace donne un léger coup de coude à son coéquipier. Le médium se lève et quitte la pièce par la porte d'où est entrée Clary, emmenant le lapin avec lui.
— Désolé, souffle Alec à l'intention de la jeune femme. C'est juste que...
— Tu n'y crois pas ? le coupe-t-elle, blasée. J'avais pas remarqué...
Il reporte ses yeux sur la porte close et repense à ceux de Magnus voilés de blanc. De l'indonésien ? Il est curieux de savoir ce que peut bien vouloir dire ce qu'il a chanté. C'était doux et étrange. Autant que peut l'être une langue qu'on entend pour la première fois.
— Il ne redescendra pas tout de suite, continue la jeune femme. Comme vous l'avez vu, il lui faut du calme et de la concentration. Vous pouvez attendre là ou me donner un numéro où il pourra vous contacter.
En croisant le regard vairon de Jace, elle pique un fard et se détourne rapidement. Inutile de préciser qu'il lui a tapé dans l'œil. Alec attrape un stylo dans sa poche et demande un bout de papier pour y écrire son numéro. Jace hausse un sourcil, silencieux, en regardant par-dessus son épaule.
— Dites-lui de m'appeler dès qu'il a une information utilisable, lance le brun en donnant le papier à Clary.
Elle ne fait pas de remarque et hoche simplement la tête, soulagée qu'ils partent. Elle ne souhaite pas garder les deux hommes ici plus longtemps que nécessaire alors que Magnus n'était pas à l'aise.
Arrivés à la voiture, Jace ne peut s'empêcher d'interroger son comparse.
— Tu lui as donné ton numéro personnel ?
— E-euh... Tu voulais que je fasse quoi ? répond Alec, pris de cours.
— Tu pouvais donner le numéro du poste... Ou même d'Izzy...
Comme si j'avais pu. Alec secoue la tête, si ce Magnus appelait directement au poste ça paraîtrait bizarre et leurs collègues les prendraient sûrement pour des fous. Non, ça ne peut pas se savoir.
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