Chapitre 35 : « Tu n'es qu'une brute. »
Pour Alec, la nuit a été courte. Ou très longue. Sa conversation avec Clary et Jace s'est prolongée jusque tard, des heures durant lesquelles ils ont fait le point sur les choses que le détective a remarquées au cours des derniers jours. Les changements d'humeur, les attitudes étranges, sa façon de parler et, bien sûr, le premier vrai échange qu'il a eu avec Camille. Le soir où elle a voulu l'allumer. Le brun se sent bête de ne pas avoir compris. Bien sûr que Magnus n'aurait jamais agi de la sorte ! Mais comment aurait-il pu imaginer que Camille aurait une idée aussi tordue ?
Après ça, ils ont cherché une solution pour faire partir Camille, mais aucune n'est vraiment réalisable. L'emmener voir un prêtre pour le faire exorciser ? Il n'arrivera jamais à la convaincre d'aller où que ce soit. Trouver un médium capable de le faire ? Lorenzo est en Europe avec Andrew en ce moment et il n'en connaît pas d'autre qui puisse véritablement l'aider. Cependant, s'il est question d'aider Magnus à refaire surface, Alec sera probablement sa meilleure chance. Après tout, leur lien est particulier, l'indonésien n'a jamais cessé de le lui dire ! Il leur a déjà permis de le sortir du coma, alors pourquoi pas ça ?
À condition que Magnus soit encore là. Quelque part avec Camille. Apparemment, il est possible que ce ne soit pas le cas. D'après Clary, et ce qu'elle a appris de Lorenzo, certains esprits peuvent occulter entièrement la personne dont ils prennent la place. Parfois la personne reste là, en passager silencieux. Et il n'y a pas vraiment de façon de savoir ce qu'il en est avant qu'elle ne revienne à elle. Si elle revient à elle.
Deux. C'est le nombre d'heures de sommeil qu'Alec a pu avoir cette nuit. Et encore, pas en une seule fois. Il n'a cessé de réfléchir. Il doit trouver Camille, réussir à lui parler. Il ne se fait pas d'idée, il n'arrivera pas à la convaincre de partir. Mais il peut peut-être la forcer, en attendant que Lorenzo revienne et la... bannisse ? Qu'il l'envoie n'importe où, tant qu'elle les laisse tranquille. Il se fiche de ce qu'elle deviendra. Il aurait pu, éventuellement, réussir à avoir un peu d'empathie pour elle, un jour, malgré les choses blessantes qu'elle a pu dire à Magnus alors qu'il essayait de l'aider, il aurait pu parvenir à comprendre son chagrin et ses difficultés à passer à autre chose. Il aurait pu, si elle n'avait pas pris la place de son compagnon.
Dès huit heures, il attrape son téléphone pour appeler le lieutenant Branwell. Il ignore où est Camille, San Francisco est trop grande pour qu'il la cherche, en plus elle connaît la ville mieux que lui, et il ne peut décemment pas faire parvenir un avis de recherche, les choses pourraient être mal prises. En revanche, il sait qu'elle va devoir se rendre au poste de police avec Micah pour apporter les derniers papiers nécessaires. Elle n'attendra sans doute pas pour s'y rendre, afin de pouvoir commencer « leur » nouvelle vie. Donc, aujourd'hui.
Contrairement à ce qu'il craignait, Lydia se montre relativement compréhensive. Une chance qu'elle connaisse le don de Magnus et y croie. Il se rend donc aussitôt au poste et elle le fait patienter un peu à l'écart des bureaux, là où il peut voir l'entrée mais où les gens ne devraient pas faire attention à lui.
— Vous êtes vraiment sérieux ? lui demande-t-elle quand ils se retrouvent seuls.
— J'aimerais que ce ne soit pas le cas, mais Magnus a rompu avec moi hier soir sous prétexte que notre famille ne conviendrait pas à Micah. Sur le moment, j'ai été choqué et il a fallu qu'une amie me mette sous le nez que ça n'avait pas de sens. Il n'est pas du genre à partir sur un coup de tête, il cherche toujours à réparer ce qui ne va pas. Il doutait de lui mais il ne doutait pas de nous. Il ne doutait pas que l'on puisse donner à Micah tout ce dont il a besoin. J'ai été idiot de les laisser partir, hier soir. J'aurais dû comprendre...
Il souffle en passant une main dans ses cheveux. Le lieutenant a conscience que cette histoire est invraisemblable et, si elle n'avait pas Alec devant elle, elle aurait encore des doutes. Sauf que l'homme en face d'elle est fatigué et désespéré. Ce n'est pas juste un mec qui essaie de faire passer son ex pour un cinglé pour lui remettre la main dessus – elle en a de nombreuses fois eu l'exemple. Et puis, ils sont au poste, croire Alec ne met pas Magnus en danger, elle ne les laissera pas partir avant que cette affaire ne soit réglée.
C'est la fin de matinée quand Magnus entre dans son bureau avec le petit garçon, qui a du mal à se déplacer avec ses béquilles et le gros plâtre qui mange sa jambe. Pendant qu'elle parle avec Magnus, Micah ne cesse de la regarder en fronçant les sourcils. Visiblement, il a vu le signe qu'elle a fait avant d'entrer. A-t-il vu Alec ? Lydia n'en sait rien. Peut-être pas, sinon il l'aurait dit, non ?
Elle regarde l'acte de naissance de l'enfant et lui pose quelques questions sur ce qui s'est passé, bien qu'elle ait eu les informations de la police de Kennewick. À plusieurs reprises, elle voit Magnus se tendre. Il croise les jambes et triture ses doigts, ses doigts vernis glissent sur le foulard puis jusqu'à sa nuque. Ce n'est pas flagrant, mais son attitude semble différente de celle de la dernière fois, en revanche, sa façon de parler n'est clairement pas la même.
La policière profite que Magnus doit remplir un dernier formulaire pour sortir de son bureau et faire des photocopies. Sans trop y croire, elle propose à Micah de l'accompagner pour avoir droit à un soda, si son père est d'accord. Avec un sourire sincère et une caresse tendre sur les cheveux de l'enfant, Magnus accepte et l'aide à se lever. Il les regarde quitter la pièce et se reconcentre sur le papier quand la porte se referme.
Elle se rouvre à peine une minutes plus tard. Camille termine de remplir le feuillet avant de tourner la tête.
— Déjà de...
Elle s'interrompt en voyant Alec contre la porte. Outrée d'avoir été piégée par le « Lieutenant Blondasse », Camille se lève et s'éloigne dans le bureau. Elle entend déjà Magnus s'affoler dans sa tête.
— Qu'est-ce que tu fous là, Alec ?
— Il me semble qu'on a à parler, toi et moi.
— J'ai tout dit hier soir, il te faut quoi de plus ?
— Tu as peut-être tout dit, Camille, mais pas moi !
La jeune femme bredouille légèrement avant de se reprendre. Comment ce type a pu comprendre son plan aussi vite ? C'est ridicule.
— Tu as conscience que tu es timbré, n'est-ce pas ? lui lance-t-elle. Ne pas accepter notre rupture ne te donne pas le droit de me suivre et de me harceler ! Putain mais on est chez les flics, tu crois qu'il va se passer quoi ?
— Tu n'avais aucun droit de rompre. Je me fiche de ce que tu as en tête, tu n'as plus ta place ici !
Elle soupire, obligée de constater que ça ne sert plus à rien de jouer la comédie. Alors elle part s'appuyer contre le mur opposé du bureau, les bras croisés sur son torse. Ses doigts jouent distraitement avec le tissu rouge, comme pour attirer l'attention dessus.
— Bien joué, monsieur le gros malin, tu m'as découverte ! Vas-y, dis ce que tu as à dire que je puisse partir avec mon fils !
— Tu ne vas pas quitter cette pièce, Camille. Je ne te laisserai pas faire. Je ne te laisserai pas m'enlever Magnus une seconde fois. Je sais que ce n'est pas ce qu'il veut, et tu le sais très bien aussi.
— Et alors ? Et ce que je veux, moi, pourquoi ça n'intéresse personne ?
— Camille, tu es décédée. Ta vie est terminée, tu n'as plus rien à faire ici.
Pour la première fois, les mots semblent atteindre Camille, elle tressaille et ses yeux s'emplissent de larmes qu'elle refoule du mieux qu'elle peut. Instinctivement, Alec fait quelques pas dans sa direction, voir des larmes dans ses yeux chocolat est tellement difficile, même si ce n'est pas Magnus.
— Ce n'est pas juste ! s'exclame-t-elle. Oh tu crois qu'il a plus sa place que moi ? Tu crois qu'il est tellement mieux que moi ? Magnus n'est pas ce que tu crois. Je l'ai connu avant toi, il n'est pas quelqu'un de bien ! Il m'a quittée alors que j'étais enceinte !
— Il ne le savait pas, rétorque le brun.
— Ça, c'est ce qu'il dit ! Et toi, bien sûr, tu y crois ! Comme s'il allait admettre qu'il avait abandonné son fils avant même qu'il naisse !
Elle porte une main à sa tempe en entendant Magnus s'énerver contre elle, et elle secoue la tête.
— Il m'a quittée ! Et si je ne l'avais pas fait à sa place, il t'aurait quitté, toi aussi ! C'est ce qu'il fait, c'est comme ça qu'il est !
— C'est faux, tu ne sais rien de lui. Magnus ne m'aurait jamais quitté, parce qu'il m'aime.
Le pas de plus est cette fois complètement délibéré, destiné à provoquer le fantôme en face de lui. La colère traverse une nouvelle fois les iris chocolat et Camille se redresse.
— La belle affaire, comme si ce genre de chose durait ! Je t'ai fait une fleur en partant, en emmenant Magnus avec moi. Tu n'auras plus à subir ses geignements incessants à propos de son don et de la douleur que c'est. Bouhou, pauvre Magnus, il souffre tellement pour les autres ! Bouhou !
— Je l'aime, souffle simplement Alec. Tu peux déverser ton fiel autant que tu veux, j'aime Magnus et tu n'y changeras rien.
— Oh la ferme ! Ne me fais pas croire que la vie est facile avec lui ! J'ai vécu avec lui, moi aussi, je l'ai enduré pendant un an ! On se disputait tout le temps et je sais à quel point il peut rendre la vie compliquée ! Rien n'est jamais simple ou facile avec lui ! Ose me dire le contraire !
Une partie d'elle commence déjà à jubiler quand elle voit Alec détourner la tête. Évidemment que leur relation n'est pas aussi belle et parfaite qu'ils veulent le faire croire ! Ça ne l'est jamais !
— Je te déteste, grogne Magnus.
— Tu as raison, Camille, répond Alec. Ma vie avec lui n'est pas « facile », elle est évidente !
Le brun fait un dernier pas alors que Camille essaie de passer près de lui, sans doute pour pouvoir partir. Au lieu de ça, il l'attrape par le poignet.
— Tu n'es qu'une brute, Alec.
— Rends-moi mon fiancé. Laisse-nous en paix.
— Que veux-tu que je te rende, exactement ? Il n'y a plus rien.
— Quoi ? Non ! Tu mens !
Réprimant un sourire sadique, Camille se débat pour échapper à la poigne d'Alec qui la plaque contre le mur. Il doit la retenir, il doit faire revenir Magnus. Elle ne peut pas dire la vérité !
— Il a disparu, continue-t-elle. Dès que j'ai pris sa place, il s'est éteint. Je suis plus forte que lui, et si je pars, son corps va mourir. C'est ce que tu veux ? Tu veux qu'il meure ?
— Tais-toi ! Je sais que tu mens, il n'aurait pas abandonné si facilement !
— Alec !
La voix de Micah leur fait tourner la tête vers la porte qui vient de s'ouvrir à la volée. Appuyé sur ses béquilles, l'enfant regarde le brun, ses sourcils sont froncés. Il s'approche le plus vite qu'il peut malgré ses béquilles et repousse Alec pour se placer entre lui et Camille.
— Je te laisserai plus lui faire du mal !
— De quoi tu parles ? Micah, je n'ai jamais...
— Et ça, alors ?
Camille retire lentement le foulard pour dévoiler les marques violacées sur sa peau. Il lui faut, de nouveau, toute sa volonté pour ne pas afficher un sourire dément. En face d'elle, Alec serre les dents et semble prêt à lui sauter au visage. C'est à peine s'ils entendent l'exclamation étouffée de Lydia.
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