Chapitre 34 : « Sur toutes les étoiles dans le ciel. »

Si Camille est à présent celle qui dirige le corps de l'indonésien, il n'a pas disparu pour autant et il n'est pas endormi. Il n'est pas enfermé dans un coin de la conscience de Camille – comme si elle en avait une ! –, laissé à l'abri des choix qu'elle fait pour lui. Non, il n'a même pas été préservé de cette terrible et douloureuse scène de rupture. Il a entendu sa propre voix dire à l'homme de sa vie qu'il ne l'aimait plus, il s'est entendu lui dire qu'il ne voulait plus de leur famille et qu'il a feint les derniers jours de leur relation. Il s'est vu resté froid et impassible devant le chagrin d'Alec.

Après qu'elle est sortie de la chambre pour récupérer leur fils, elle l'emmène jusqu'à l'ascenseur. Magnus essaye en vain de la ramener à la raison, mais elle ne l'entend pas, ou elle ne l'écoute pas. Les doigts de l'indonésien se resserre doucement sur ceux du petit garçon, Camille a presque envie de pleurer de tenir de nouveau cette petite main.

— Papa, pourquoi on s'en va ? demande Micah.

Il ne comprend pas ce qui se passe, hier encore Magnus et Alec lui parlaient de ce qu'ils feraient à New York. Et maintenant, son père décide qu'ils restent ici, juste tous les deux ?

— C'est des affaires de grands, Trésor, explique Camille. Mais t'inquiète pas, je resterai toujours avec toi.

— C'est promis ?

— Sur toutes les étoiles dans le ciel.

Camille attrape le petit garçon pour le soulever dans ses bras et lui faire un câlin, elle inspire longuement le parfum de ses cheveux. Elle était plus frêle de son vivant, il y a longtemps qu'elle ne pouvait plus porter son fils avec autant de facilité, alors même qu'elle a deux sacs sur le dos. Elle aurait peut-être pu trouver pire que le corps de son ex, finalement.

Le petit garçon n'ose pas poser plus de question, même s'il n'est pas certain qu'Alec ne va pas terriblement lui manquer. Mais son père est amoureux de lui, non ? Ça doit être pire pour lui, même si c'est lui qui est parti. Il se souvient comme il arrivait à sa mère d'être malheureuse quand elle rompait avec l'un de ses petits-copains. Il était fort pour sa maman. Il sera fort pour son papa.

❖❖❖❖❖

— Ce que tu es bruyant ! râle Camille.

Son fils vient de se coucher dans la chambre d'à côté. Ils ne sont pas retournés à l'appartement puisqu'il est clair que Micah ne s'y sent pas à l'aise sans elle, alors ils ont trouvé un hôtel de l'autre côté de la ville, ils chercheront un nouvel appartement encore mieux que l'autre. Visiblement, Magnus gagne bien mieux sa vie qu'elle.

Maintenant qu'elle est seule, elle peut se permettre de répondre à son ex qui ne cesse d'essayer de lui parler. Elle se masse les tempes, c'est douloureux d'être deux dans sa tête.

— Qu'est-ce que tu crois faire, Camille ? lui demande-t-il. Tu vas vraiment vivre ma vie à ma place ?

— Et je vais même la vivre mieux que tu l'aurais fait. Je sais ce que ça fait de mourir, de tout perdre, je ne gâcherai pas cette deuxième chance.

— Ce n'est pas ta chance ! C'est ma vie que tu gâches, celle de Micah... et celle d'Alexander !

Elle se met à rire et secoue la tête. Il se fichait bien de lui gâcher la vie en l'abandonnant alors qu'elle était enceinte ! Pourquoi devrait-elle se soucier de lui ? Et puis Alec...

— C'est vrai que c'est dommage, il est canon ton jouet. Et qu'est-ce qu'il embrasse bien ! Hmm !

Ses rires redoublent alors que Magnus lui crie de la fermer. Ça a déjà été assez pénible de la voir échanger un baiser aussi passionné avec son fiancé, elle n'a vraiment pas besoin d'en rajouter.

— Jusqu'à l'autre soir, j'ai cru que je pourrais jouer le jeu... mais il s'est montré difficile.

Le silence de l'indonésien fait comprendre à Camille qu'il ne sait pas de quoi elle parle. Et elle se souvient qu'Alec n'a pas reparlé de l'incident, alors pourquoi le ferait-elle ? Elle l'aurait fait volontiers si ce grand idiot s'était laissé faire et avait bien voulu coucher avec elle. Finalement, il n'y a rien à raconter et Alec se serait sans doute un jour rendu compte de la supercherie. Voilà pourquoi elle a mis fin à leur relation, ainsi, il ne posera pas de problème. Il va quitter San Francisco, honteux de s'être fait larguer et elle, en nouveau père célibataire, elle réussira à dénicher quelqu'un d'autre. Bien sûr, pas une femme puisqu'elle n'a jamais joué sur les deux tableaux – contrairement à son hôte – mais un bel homme fortuné. Un gay à San Francisco, ça devrait se trouver !

Magnus reste silencieux. Elle ignore s'il s'est simplement tu, si elle parvient à ne plus l'entendre ou s'il est parti. Elle ne sait même pas si c'est possible, mais s'il le faut, elle l'ignorera jusqu'à ce qu'il lui abandonne son propre corps.

Elle profite de cette tranquillité pour se rendre dans la salle de bain, bien décidée à se prélasser sous les jets massants de l'immense douche. C'est la première fois qu'elle peut se payer un hôtel de ce standing, alors elle ne s'est pas privée ! Tandis qu'elle se déshabille et découvre lentement le corps de son ex, elle l'entend à nouveau. Déçue qu'il soit encore là, elle se venge en prenant tout son temps et commente ce qu'elle voit. Si elle devait être honnête, elle ne saurait pas vraiment dire si elle est heureuse ou si elle enrage de le voir encore si beau. C'est injuste, c'est lui le méchant, pourquoi doit-il toujours être aussi séduisant alors que ça fait huit ans qu'il l'a quittée ? C'est vrai que les hommes embellissent avec l'âge... Alors qu'elle, elle pleurait sur ses premières ridules.

Elle continue son exploration en retirant entièrement la chemise qu'elle pose avec le foulard, sur le bord du lavabo. Surprise, elle se laisse attirer par une trace plus claire sur la peau caramel. Quand elle la caresse, elle entend Magnus lui dire d'arrêter. Elle remarque alors d'autres cicatrices qu'il n'avait pas quand ils étaient ensemble.

— Qu'est-ce que tu as fait pour avoir une cicatrice aussi dégueulasse ?

— La ferme...

— C'est une brûlure ? T'as toujours été tellement maladroit. Tu t'es brûlé avec ton lisseur ?

Son ton acide et moqueur énerve un peu plus Magnus qui se terre de nouveau dans le mutisme. La jeune femme soupire, satisfaite. Après s'être entièrement dévêtue et avoir admiré son nouveau corps encore un petit peu, elle entre dans la douche. Pendant de longues minutes, elle savoure le contact presque trop chaud de l'eau et la pression des jets dans son dos. Elle échappe de lourds gémissements. Ça fait du bien. Et ça fait tellement de bien d'être en vie ! Tant pis si c'est dans le corps d'un autre !

Les yeux fermés, elle se laisse sombrer dans une torpeur proche du sommeil quand son bras a un léger spasme. Elle se redresse et regarde son bras trembler. Un sourire se dessine sur sa bouche pour cacher l'élan de fureur qui fond sur elle. Il ose essayer de reprendre le contrôle ?

— Arrête ça tout de suite, Magnus. Surtout si c'est tout ce que tu arrives à faire !

Encore une fois, il ne répond pas. La vérité c'est que cette malheureuse tentative lui a demandé beaucoup plus d'énergie qu'il ne l'aurait cru. Et en tant qu'être immatériel, l'énergie, il n'en a pas à revendre. Camille le sait, parvenir à prendre possession de ce corps lui a demandé des journées d'entraînement. Mais elle est plus déterminée que lui, et même s'il réussit à reprendre le contrôle, elle attendra seulement qu'il s'endorme pour revenir. Plus forte. Plus enragée. Elle ne le laissera plus l'abandonner !

❖❖❖❖❖

— Allez, Trésor, il faut se réveiller.

Assise sur le lit de Micah, Camille le réveille tendrement. Elle caresse ses cheveux, le dévore du regard alors que ses yeux noirs papillonnent. Le petit garçon lui sourit et se rapproche pour l'enlacer. Il a l'étrange sensation de retrouver sa mère, cela soulage son petit cœur meurtri.

— Bonjour Papa.

— Tu as bien dormi ?

Micah hoche la tête et referme les yeux alors que son père lui rend son étreinte et dépose un baiser sur sa tête. Il remarque que son comportement est différent, mais ce qui s'est passé la veille le bouleverse sans doute encore.

— Est-ce que ça va ? ne peut-il s'empêcher de demander.

Surprise, Camille s'écarte et regarde son fils, sourcils haussés.

— Alec te manque ? insiste-t-il comme son père ne semble pas comprendre.

— Non, répond aussitôt Camille. Je t'ai, toi, je n'ai besoin de personne d'autre !

Une petite moue se glisse sur la bouche du petit garçon et Camille se lève. Elle lui apporte des vêtements pour l'aider à s'habiller puis ses béquilles.

— On va aller prendre le petit-déjeuner dehors, d'accord ? Ensuite, on ira au poste de police pour voir le lieutenant Blondasse, et on passera le reste de la journée à chercher un nouvel appartement. Ça te va ?

L'enfant se mord la lèvre, quelques larmes perlent à ses yeux mais il bat vite des paupières pour ne pas le montrer.

— On va vraiment rester à San Francisco ?

— Bien sûr !

— Tu sais... Ça ne m'embêtait pas de partir à New York avec Alec et toi.

— Micah, ce n'est pas à cause de toi que j'ai quitté Alec, d'accord ?

— C'est parce que... il te faisait des marques ?

Camille est à nouveau prise de court, les doigts du petit garçon désignent le foulard rouge. Son cou est encore couvert d'ecchymose, principalement dû à son étranglement, mais en se regardant dans le miroir elle y a aussi découvert des suçons qui doivent dater de leur dernière partie de jambes en l'air. Est-ce que Micah les avait remarqués ?

— Oui, répond-elle après réflexion. C'est à cause de ça. Tu vois, je suis même obligé de porter un foulard.

— Mais hier matin, tu n'en portais pas.

— Parce que... je n'avais rien pour les cacher. C'est pour ça que j'ai emprunté un foulard à ta maman, quand je suis allé à votre appartement.

— C'était son préféré.

Elle sourit, attendrie que son petit garçon se souvienne de ce genre de détails malgré les traumatismes qu'il a dû endurer ces derniers mois.

— Comment oses-tu dire du mal d'Alec ? gronde Magnus. Il n'a jamais levé la main sur moi, il ne ferait jamais une chose pareille !

Il se fait encore ignorer, parce que si elle se mettait à parler seule devant son fils, il sera compliqué de lui faire croire que tout est normal. Elle ne peut même pas dire que c'est à cause de son don, elle n'a pas envie de lui faire peur !

Deux heures plus tard, ils se rendent au poste de police. Camille a récupéré les papiers prouvant l'identité de son fils et les résultats du test de paternité, puis elle se présente à la réception.

— Je voudrais voir le lieutenant B... hum...

Merde, si elle ne l'appelait pas « Lieutenant Blondasse » dans sa tête depuis le début, elle saurait se souvenir de son nom.

— Branwell ? demande l'homme, las.

— C'est ça !

Il les oriente vers le même couloir où Magnus et Alec ont attendu le lieutenant la première fois. Camille s'assoit et attire son garçon sur ses genoux. Des policiers passent près d'eux, l'un fronce clairement les sourcils et échangent quelques mots avec ses collègues mais ils continuent leur chemin. Décidément, Magnus s'entend toujours aussi bien avec les policiers !

Après seulement quelques minutes, ils sont rejoints par le lieutenant Branwell. La policière esquisse un sourire en les voyant et les emmènent dans son bureau. Elle les fait entrer et jette un œil vers le couloir, elle fait un léger signe de sa main et referme la porte. Quand elle se retourne vers le bureau, elle remarque le regard du petit garçon.

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