Avec un long soupir de lassitude, Magnus revient s'asseoir près d'Alec qui l'enlace, leur regard posé sur le petit garçon qui vient de s'endormir. Sa respiration s'est enfin apaisée mais son visage porte encore les traces de ses larmes, que son père a passé près d'une demi-heure à essayer de calmer. Ils ne sont pas surpris. Ils s'y attendaient, en fait. Après avoir discuté avec lui de la vie qu'ils vont avoir à New York, ensemble, – pour ne pas tout de suite aborder le mois qui vient de s'écouler – c'est comme si Micah avait à nouveau réalisé que sa mère est décédée. Comme s'il avait réalisé que, bien que sa captivité soit finie et qu'il a eu l'impression de se réveiller d'un cauchemar, sa mère ne reviendra pas. Magnus avait déjà ressenti son chagrin, mais le voir est encore pire. Le voir et ne pas réussir à le soulager. Comment le pourrait-il, après tout ? Tout ce qu'il faut à Micah pour faire son deuil, c'est du temps.

La chemise de l'indonésien est froissée et trempée de larmes, de son épaule droite à son torse, sans qu'il n'y prête une quelconque attention. Il a inconsciemment glissé la main dans sa poche, serrant l'enveloppe contenant la lettre de son ex alors qu'un frisson glacé le traverse.

— Je vais devoir lui dire que j'arrive à parler à Camille, murmure-t-il.

— Tu crois vraiment que c'est une bonne idée ?

— Je ne peux pas le lui cacher.

Alec soupire à son tour. D'accord, s'il ne le lui disait jamais, ce serait comme enlever à Micah la possibilité de dire au revoir à sa mère, lui enlever pour la seconde fois, et il sait bien que ce serait profondément injuste. Mais il est peut-être encore un peu jeune, non ? Peut-être qu'il faudrait lui laisser le temps de se remettre. Il entrouvre la bouche pour lui proposer d'attendre mais se ravise aussitôt. Vient de traverser son esprit la désagréable vision de l'ombre de Camille planant au-dessus d'eux pendant encore quelques semaines, voire quelques mois. Peut-être même plus ? Impossible. Il refuse que ça arrive. Ça ne fait que quelques jours que la lettre est arrivée et Alec a déjà l'impression qu'elle a vampirisé son fiancé. Comment ? Pourquoi ? Il n'en a aucune idée. Mais Magnus a changé d'une façon qui ne peut pas uniquement être liée à sa nouvelle paternité.

— Je comprends, finit-il par répondre. Mais ne le laisse pas imaginer qu'il pourra lui parler régulièrement ou qu'elle puisse toujours faire partie de sa vie.

— Bien sûr que non, pourquoi le ferais-je ?

— J'en sais rien... Elle pourrait te le demander.

Il craint qu'elle l'ait même déjà fait. Que Magnus refuse de lui dévoiler le contenu de leurs conversations a tendance à l'angoisser un peu et à le rendre – peut-être – légèrement paranoïaque. C'est pour ça qu'il doit parler avec Clary. Elle connaît assez bien le don de Magnus. En plus de ça, elle a régulièrement des contacts avec Lorenzo, le médium qui les a aidé à faire sortir Magnus du coma. Avec un peu de chance, elle saura le rassurer.

— Elle ne me demandera pas ça, ne t'en fais pas. Elle ne voudra pas voir la vie que l'on offre à Micah. Elle ne veut pas qu'on lui offre quoi que ce soit, d'ailleurs.

— Attends, tu... Elle ne veut pas qu'on le prenne avec nous ?

Alec se mord la lèvre alors que son fiancé fait lentement « non » la tête. C'est insensé et ça le met en colère. Il est en colère qu'elle ait osé lui dire une chose pareille, mais aussi après l'indonésien pour ne pas lui avoir dit tout de suite. Quand a-t-elle dit ça ? Cette nuit ? Ou même avant ? Ce qui le rassure un peu, c'est que Magnus n'a pas l'air de vouloir se plier à la volonté de son ex.

— On s'en fout de ce qu'elle pense. Elle n'est plus là, elle ne peut pas avoir son mot à dire !

— C'est cruel, Alec. Ce n'est pas de sa faute si elle n'est « plus là » comme tu dis.

— Pardon ? Tu la défends, en plus ?

— Non, je ne la défends pas... Mais elle n'a peut-être pas tort de s'inquiéter ?

Sentant le brun se tendre, l'asiatique s'écarte puis se lève. Il se détourne pour ne pas voir la dispute sur le point d'éclater. Alors qu'il s'approche de la fenêtre, les paroles de Camille lui reviennent en tête. Une part de lui sait bien qu'elle lui a dit ça pour le blesser, mais est-ce que ça veut nécessairement dire qu'elle a tort ?

— Tu as peur qu'on n'arrive pas à s'occuper d'un enfant ? lui demande Alec, agacé. Jusqu'à présent, ça ne t'avait jamais inquiété ! Qu'est-ce qu'elle t'a dit d'autre pour que tu te mettes à douter ?

Encore une fois, Magnus secoue la tête. Il n'a pas envie de lui répondre. Il n'a pas envie qu'Alec se dise que, finalement, Camille a peut-être raison et qu'il sera un mauvais père. Ça le tuerait que son fiancé ne croie plus en lui.

— Et voilà, tu me fais encore passer pour la méchante. Pas étonnant que ton mec ait une si mauvaise opinion de moi...

Le médium tourne la tête vers le lit de Micah, à côté duquel se trouve Camille, qui caresse le visage du petit garçon endormi. Il tressaille et retire brusquement la main de sa poche, le souffle court. Entre ses doigts, l'enveloppe est abîmée, même un peu déchirée.

Un gémissement quitte sa bouche alors qu'une douleur brutale se met à lui vriller les tempes.

— Mags ? l'appelle doucement Alec.

Les doigts du brun viennent chercher ceux du médium mais celui-ci l'évite, portant sa main à son visage. La douleur est à nouveau trop intense, il a peur de se mettre à saigner. Ou peut-être de s'évanouir. Il ne comprend même pas ce qui lui arrive. Il a pourtant dormi et le contact n'a pas dû durer plus de quelques minutes, sinon il aurait remarqué sa présence. Ça ne devrait pas faire si mal.

— Je... Je reviens, souffle-t-il en se dirigeant vers la porte.

Alec l'appelle une nouvelle fois mais l'indonésien ne se retourne pas et quitte la chambre. Le détective fixe la porte quelques instants, pas certain de comprendre ce qui vient de se passer, et passablement inquiet. Il est néanmoins dissuadé de le suivre par la perfusion accrochée à son bras et le bandage qui entoure sa taille. Et par la douleur sourde qui suit chacun de ses mouvements.

Il tend le bras pour attraper son téléphone. La surprise du médium quand il a compris qu'il tenait la lettre n'a pas échappé à Alec. Est-ce qu'il avait oublié qu'il avait cette lettre sur lui ? Magnus n'est pas si étourdi que ça. Alors quoi, ce serait un acte manqué ? Heureusement, Clary répond avant qu'il ne s'enfonce dans ses réflexions. Rapidement, elle s'enquiert de leur état à tous les trois. Elle a lu le message envoyé par Jace, il y a plusieurs heures, mais a préféré attendre pour avoir des nouvelles.

— Pourquoi m'appelles-tu ? finit par demander la rousse, quand la conversation commence à tourner en rond. Pas que tu me déranges mais... C'est assez rare pour que ce soit remarquable.

— Je m'inquiète pour Magnus.

Le léger rire soufflé dans le téléphone traduit bien l'absence de surprise de la jeune femme.

— C'est à cause de son don, continue-t-il en cherchant ses mots. Son comportement est bizarre à chaque fois qu'il établit le contact avec « elle ».

Il lève les yeux vers Micah, pour s'assurer qu'il ne s'est pas réveillé. Il n'a pas vraiment envie qu'il entende ce qu'il va dire ou, dans le doute, qu'il comprenne de qui il est en train de parler. Il explique à Clary l'état instable de Magnus, la façon dont son humeur change dès qu'il parle à Camille et le fait qu'il semble avoir de moins en moins confiance en lui-même.

— Je sais que, parfois, les souvenirs qu'il parvient à voir peuvent l'influencer, mais... Ce n'est pas ce genre de lien qu'il a avec les fantômes.

Disons que c'est plus difficile de garder une certaine joie de vivre quand, par exemple, on a passé des heures dans les souvenirs d'un gamin à qui quelqu'un a fait du mal et qui est devenu dépressif. Ça, Alec peut l'entendre, et il a toujours fait attention au comportement de son compagnon après qu'il a abusé de son don pour retrouver quelqu'un. Et encore plus lorsque l'histoire de la personne est problématique. Quelque part, il aurait aimé lui demander de choisir qui il accepte d'aider mais... Le sentiment de culpabilité deviendrait écrasant, pour tous les deux.

Cependant avec les fantômes, c'est différent. Magnus n'entre pas dans leur esprit puisque lorsqu'il parvient à établir le lien, ils apparaissent « simplement » devant lui. Le brun ne se souvient d'ailleurs pas que son fiancé ait parlé d'un quelconque danger et, malgré le nombre de fois où il s'est lié à Camille, il n'a pas subi de contrecoup. Enfin sauf... Sauf peut-être juste avant qu'il ne sorte de la chambre précipitamment.

— Je t'avoue qu'on n'en sait pas grand chose, répond Clary. Camille est la première avec qui il interagit régulièrement.

— Donc... Ce lien pourrait avoir un effet délétère ?

— Peut-être. Ou pas.

Alec lève les yeux au ciel en retenant du mieux possible un gros soupir. S'il l'a appelée, c'est pour avoir des réponses. La connaissant aussi curieuse qu'Izzy, il a du mal à se dire qu'elle n'a pas cherché à se renseigner partout où elle a pu.

— Je croyais que Lorenzo t'apprenait plein de trucs sur le surnaturel. Ne va pas me dire que tu n'as jamais cherché à te renseigner sur le don de Magnus.

— Un peu, admet-elle. Mais Mags n'a jamais eu l'air de vouloir en savoir plus alors je n'ai pas insisté. Cela dit, de ce que je sais des esprits, généralement, ils n'aiment pas trop être dérangés.

— Dérangés ? Mais c'est elle qui lui a demandé de l'aide. Et je doute qu'il se serait entêté si elle lui avait dit qu'elle ne voulait plus qu'il la contacte.

Certes, il a dû jouer les obstinés pour qu'elle réponde à ses questions, mais il n'avait pas vraiment le choix puisqu'ils n'arrivaient pas vraiment à obtenir d'information autrement. Est-ce que tout rentrerait dans l'ordre s'il cessait de toucher à la lettre ?

— Elle ne veut peut-être pas repartir, suggère soudain la rouquine.

— Comment ça ?

— Eh bien... La façon dont elle est morte a été terriblement brutale. Même si elle est passée de l'« autre côté » – ou quoi que ça puisse être – avant que Magnus ne se lie à elle, elle ne veut peut-être pas y retourner. Et encore moins maintenant que vous avez retrouvé son fils. Elle doit avoir tellement de regrets... Je veux dire... Elle ne le verra pas grandir, c'est triste.

Le brun se cale contre son oreiller, en se retenant de soupirer encore une fois. N'importe qui en face de lui verrait à quel point éprouver de la sympathie pour Camille lui est compliqué. Ce n'est pas juste une histoire de jalousie ou quoi que ce soit de ce genre. Mais, elle a fait du mal à Magnus, dans le passé, et elle continue à lui en faire alors même qu'elle est morte ! Bien sûr que c'est tragique... Ça ne fait pas d'elle quelqu'un de bien pour autant.

— Tu crois qu'elle pourrait faire du mal à Magnus ?

— J'en sais rien. Mais il vaut mieux qu'il ne se lie plus à elle.

— Plus du tout ?

— Maintenant que vous avez trouvé Micah, ça ne devrait plus être nécessaire.

— Oui, mais... Il pense que puisqu'il peut communiquer avec elle, il doit le dire à Micah, pour au moins lui permettre de lui dire au revoir.

— Je vois. C'est tellement lui, ça.

Un sourire se trace sur la bouche d'Alec. Penser outrageusement aux autres en dépit de lui, oui, c'est totalement Magnus.

— Difficile de lui dire que c'est une mauvaise idée, continue Clary. Je vais appeler Lorenzo et lui demander ce qu'il pense de tout ça. Peut-être qu'il me dira que j'ai regardé trop de films de fantômes.

Elle rit mais Alec n'arrive pas à se rassurer. Quand il raccroche, il se demande comment il va réussir à subtiliser la lettre. Est-ce qu'il pourrait convaincre Magnus de la lui laisser ? Il n'est pas vraiment naïf, il sait d'avance que son amant n'aimera pas qu'il le traite comme un gamin irresponsable. Il se sent déjà mal d'avoir caché la lettre une première fois. À moins qu'il se sente surtout mal de ne pas l'avoir assez bien cachée. Qui sait ?