Chapitre 24 : « Hors de question. »
Ça a commencé environ une heure après qu'ils ont pris la route ou, en tout cas, c'est à ce moment-là que le médium l'a sentie. La sensation désagréable dans sa poitrine. Instinctivement, il porte sa main à son torse en cherchant un peu son air tandis qu'une nouvelle angoisse s'infiltre dans ses veines, encore plus vivace que les précédentes. Il n'a même pas besoin d'avertir Alec, car le brun a tout de suite perçu le changement d'attitude de son fiancé.
— Un pressentiment ? lui demande-t-il, inquiet.
Magnus hoche la tête en continuant de fixer, à l'extérieur, la route qui défile. Comme s'il n'avait pas déjà assez peur, comme si les heures qui passent ne le terrifiaient pas. Certes, ses pressentiments ne sont pas toujours un mauvais signe, c'est l'annonce d'un bouleversement, ce qui n'est pas nécessairement négatif. Ceci dit, dans ses souvenirs, ça l'est, le plus souvent. Donc il ne peut s'empêcher de craindre le pire. Il avait déjà peur qu'il arrive un malheur à Micah avant qu'ils ne le trouvent mais à présent, il ne peut s'empêcher de se dire que la question n'est plus « si » mais « quand », et des frissons glacés remontent le long de sa colonne vertébrale.
Il ne tarde pas à allumer la radio, surpris que ça n'ait pas été fait plus tôt. La musique emplit l'habitacle et l'indonésien s'efforce de se concentrer là-dessus plutôt que sur ses pensées angoissées. Et Alec fait la même chose, incapable de trouver un moyen de rassurer l'homme qu'il aime.
Lorsqu'ils arrivent en Oregon, après environ six heures de route, il est vingt heures et il fait presque nuit. Faire de longs trajets en voiture n'a jamais dérangé Alec, pour peu qu'il soit dans un bon jour. Malheureusement, entre ses craintes qu'il a du mal à refouler et le pressentiment de Magnus, ce n'est pas vraiment ce qu'on appelle un « bon jour ». L'asiatique a dormi un peu, mais s'est réveillé en sursaut comme s'il avait fait un cauchemar.
Le détective soupire longuement en dépassant la limite de l'état et, à la ville suivante, ils décident de s'arrêter dans un motel. Magnus s'assoit sur le lit et baisse les yeux sur ses mains. Cela fait plusieurs minutes qu'il se retient de dire quelque chose, Alec en est certain.
— Magnus ? À quoi tu penses ?
L'indonésien secoue simplement la tête. Il n'a pas envie qu'Alec pense qu'il lui fait des reproches, mais s'arrêter pour dormir lui semble presque trivial, compte tenu de la situation.
— J'aurais pu conduire, finit-il par souffler, le ton incertain.
— Ce n'est pas prudent de conduire de nuit.
— J'ai dormi dans la voiture, je ne suis pas fatigué.
— Dis ça à tes cernes, rétorque le brun en lui caressant la joue.
Magnus détourne la tête, une moue boudeuse sur les lèvres. Son sommeil de la nuit n'a pas été très efficace, c'est vrai, mais s'il doit être harcelé par des images macabres, comme tout à l'heure, il préfère ne pas fermer l'œil. Il sait bien que c'est l'angoisse qui a troublé son sommeil et qui mêle ses craintes aux souvenirs qu'il a piochés dans l'esprit de Micah, mais c'est quand même perturbant.
— Je vais chercher de quoi manger, j'ai vu un restaurant au coin de la rue, dit Alec après un silence un peu trop long. Tu m'attends là ?
Il n'obtient qu'un hochement de tête comme réponse, alors il dépose un baiser sur la joue de son fiancé et ressort de la chambre. Le médium ouvre le sac de voyage posé à côté de lui, à la recherche d'un câble pour recharger son téléphone, et tombe sur la boîte colorée. Il en sort la petite voiture orange et se laisse tomber en arrière sur le lit. Il est un peu étonné qu'elle ait simplement été là, alors qu'Alec n'a même pas voulu lui dire où la lettre est rangée – il fait un effort pour ne pas penser « cachée ».
Il lève l'objet pour le mettre dans son champ de vision et fixe la paire d'yeux rieurs dessinée dessus. Sans trop savoir comment, il remarque qu'il se sent un peu mieux. Le pressentiment est toujours là, comme un poing oppressant calé entre son cœur et son poumon gauche, mais l'angoisse se calme légèrement. Il n'essaie pas de se concentrer sur son lien avec Micah, il n'est pas en état de le faire de toute façon, alors il se contente de faire tourner la voiture entre ses doigts, en réfléchissant.
Où est Micah, maintenant ? Que fait-il ? Est-ce qu'il est enfermé dans une pièce ou bien, est-il docile parce qu'il a confiance en elle ? Elle lui ment certainement, et c'est pour cela que son petit-ami reste à l'écart. En tout cas, Magnus ne se rappelle pas de l'avoir vu dans aucun souvenir, en dehors de celui où il l'a enlevé. Alors que s'est-il passé après que cet homme a enlevé Micah ? Comment ont-ils fait pour le duper ?
Après de longues minutes de réflexions frustrantes, il pose la voiture sur son torse et lève les yeux vers le plafond blanc. Enfin blanc sale. Puis il observe la chambre. Tout pour arrêter de se poser ce tas de questions auxquelles il ne trouve aucune réponse satisfaisante. Et Alec semble mettre une éternité à revenir...
Quand, enfin, la porte s'ouvre, Magnus se redresse et pousse rapidement le jouet. En le voyant faire, le détective plisse les yeux et pose la poche contenant leur repas sur la commode.
— Tu as utilisé ton don ? demande-t-il, suspicieux.
— Oui, ment l'indonésien. Enfin, j'ai essayé.
Parce que, pour quelle autre raison aurait-il pris la petite voiture ? Alec semble le croire. En tout cas, il ne pose pas davantage de questions et ils se mettent à manger.
Le lendemain, ils partent dès huit heures du matin et c'est Magnus qui se met derrière le volant. Évidemment, il a dû insister longuement pour qu'Alec le laisse faire. La nuit a encore été chaotique, l'indonésien s'est réveillé plusieurs fois, mais il a besoin de se concentrer sur quelque chose qui l'empêchera de réfléchir. Alors, ce sera la route.
Alec s'efforce également de ne pas laisser son esprit élaborer hypothèse après hypothèse comme il en a l'habitude. La veille, Magnus lui a fait part de ses interrogations et il lui a avoué avoir les mêmes. Ils sont également arrivés aux mêmes conclusions : ils ne doivent pas demander après un couple avec un enfant, mais plus sûrement une femme seule avec un enfant. Et une femme blonde caucasienne avec un enfant asiatique, ça devrait être facilement repérable. Là où ils ont un avantage, c'est qu'elle ne doit pas savoir que quelqu'un les cherche. Enfin, si Clary a contacté sa mère, cela changera peut-être. À quel point un kidnappeur peut-il être proche de sa mère ?
À l'approche de leur destination, les deux hommes sont de plus en plus silencieux. Magnus, qui a laissé sa place de conducteur après le déjeuner, serre la petite voiture dans sa poche, à l'abri du regard perspicace de son fiancé. Comme la veille, l'angoisse se calme un peu et il ne peut pas faire autrement que de s'interroger. Continuer à nier ce qu'il ressent ne l'amènera nulle part et il sait pertinemment qu'Alec ne compte pas laisser le petit à l'assistance publique. En fait, rien que l'avoir envisagé à un moment, le met en colère contre lui-même. Est-ce qu'il est lâche à ce point ? Micah n'y est pour rien... Il n'a pas demandé à être là, il n'y est pour rien dans les traumas que Magnus va invariablement revivre à travers lui, ou encore dans la culpabilité qu'il ressent de l'avoir doté d'un fardeau parfois trop lourd, même pour lui. Ça ne veut pas dire que ce sera facile, ni qu'il n'y a pas des jours où la culpabilité lui donnera envie de se flageller. Mais, alors qu'il serre la petite voiture dans sa main, sa seule aspiration est de retrouver Micah et de le garder en sécurité près d'eux.
Il est quinze heures dix quand Alec envoie un message à sa sœur pour la prévenir de leur arrivée à Kennewick. Magnus s'occupe de téléphoner à Clary, mais c'est Jace qui répond. Le blond les encourage à se rendre au poste de police et Magnus se contente de dire qu'ils vont y réfléchir. L'éventualité de se faire accueillir comme au poste de San Francisco ne le motive pas beaucoup et il sait qu'Alec n'a pas très envie de les impliquer maintenant, non plus. Leur expliquer la situation risque de prendre une éternité et à présent, chaque heure compte, Heidi et son copain pourraient être en train de préparer leur départ. Même s'ils ne sont censés quitter le pays que dans quelques jours, ils pourraient avoir déjà quitté la ville.
Clary finit par récupérer son téléphone et Magnus réprime un long soupir.
— Dis-moi que tu as du nouveau, Biscuit.
— Je suis désolée, répond-elle. Je n'ai rien de plus à te donner Je n'ai pas osé contacter d'autres personnes, de peur qu'elles préviennent Heidi.
— Oui, tu as bien fait. Je te remercie, on va se débrouiller.
— Tiens-nous au courant, d'accord ?
— Promis.
Il raccroche et se cale dans le dossier, une main sur le visage. Leur meilleure chance, c'est qu'il utilise son don bien qu'il ait peur de ne pas réussir à se concentrer, compte tenu de son état d'angoisse et de la douleur qui continue à poindre par moment. Mais ils n'ont pas vraiment le choix, alors ils se rendent à un hôtel pour prendre une chambre, ils vont probablement devoir passer une nuit ici, de toute façon.
Une fois dans la chambre, Alec décide d'aller prendre une douche et Magnus le regarde fouiller dans un des sacs, essayant de refouler ses angoisses pour réussir à se concentrer assez pour entrer en transe. Mais il aperçoit quelque chose qui lui donne une sueur froide.
— A-Alec, qu'est-ce que c'est que ça ? demande-t-il, tendu.
Le brun le regarde et se mord le coin de la lèvre, gêné. Comme il voit que son fiancé commence à paniquer, il soupire et sort l'arme.
— Je suis allé dans une armurerie, le jour de notre arrivée à San Francisco, pendant que tu dormais.
— Quoi ? M-Mais...
— C'est juste un taser, bébé, ne t'inquiètes pas.
Magnus souffle et fronce les sourcils. D'accord, il est rassuré que ce ne soit pas une arme à feu, comme il l'a pensé au premier abord, mais il n'est pas certain d'aimer l'idée qu'Alec ait éprouvé le besoin de s'armer, même avec un taser.
— Je ne veux pas prendre de risque si Daniel est armé, s'explique finalement le plus jeune, en s'asseyant près de l'indonésien.
— Tu crois qu'il pourrait l'être ?
Le médium n'avait pas pensé à cette possibilité. Daniel étant absent des souvenirs récents de l'enfant alors il s'est dit que s'ils les trouvaient, Micah et Heidi seraient sûrement seuls. Mais ça pourrait ne pas être le cas, peut-être même que Daniel n'est jamais très loin d'eux. Et, après tout, même si l'accident qui a tué Camille en est vraiment un, ça n'empêche que cet homme avait déjà essayé de s'en prendre à elle, des semaines plus tôt. L'aurait-il tuée à ce moment s'il avait pu ? Aucun des deux hommes n'en doute.
— Il pourrait, répond Alec. Et même s'il ne l'est pas, je doute qu'il se laisse mettre la main dessus sans se défendre. Micah pourrait être blessé. Ou toi.
Sa voix se brise et il baisse la tête, rattrapé par des souvenirs encore douloureux. Il sent la main de son compagnon venir chercher la sienne, puis sa bouche sur sa peau. Un agréable frisson le traverse et l'apaise.
— D'accord. Mais ne te mets pas en danger pour me protéger, s'il te plaît.
— Ce serait peut-être plus sage que j'y aille seul...
L'asiatique dépose un nouveau baiser sur la main d'Alec avant de relever son visage avec sa main libre, pour pouvoir embrasser ses lèvres.
— Hors de question, souffle-t-il avec un sourire tendre.
— Oui, je m'y attendais...
Alec l'embrasse à son tour avant de se relever. Il range l'arme dans son sac et part dans la salle de bain. La réponse de Magnus ne le surprend pas, évidemment, mais il avait besoin de le verbaliser, de lui faire savoir qu'il est inquiet.
Les doigts de l'extralucide se referment encore une fois sur le jouet après qu'il a fait taire la petite voix lui disant de parler à Camille. Maintenant ? Et puis quoi encore... Rien de tel pour l'empêcher de se calmer pendant les trois prochains jours. Installé sur le lit, dos au mur, il s'entend fredonner la berceuse de sa mère durant de longues minutes. Les bruits de l'hôtel et de l'extérieur viennent à disparaître et il cherche, encore et encore, le lien avec l'enfant.
Les images défilent, des images qu'il a déjà vu des dizaines de fois au cours de ces derniers jours. Micah. Micah, s'il te plaît. Il ne lui faut qu'une chose, même un infime détail pour réussir à le trouver. Un seul. Mais les images se répètent. Parfois, une nouvelle apparaît, inutile néanmoins. Alors il recommence, encore et toujours. À tel point que la pression dans son crâne devient douloureuse, mais il n'arrive pas à abandonner. À chaque fois que son esprit, pour le préserver, le fait sortir de sa transe, il recommence. L'exercice semble durer des heures. Des heures. Jusqu'à ce que...
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