Chapitre 23 : « C'était pas un rêve ? »

Il faut croire que quelqu'un, quelque part, doit vraiment lui en vouloir. Parce qu'après une journée difficile et une soirée agitée, bien que terminée magnifiquement, la nuit de Magnus n'a pas été vraiment reposante. Les reproches de Camille l'ont poursuivi jusque dans ses rêves et, quand il ouvre les yeux au petit matin, sa tête lui fait mal. Il s'assoit dans le lit en passant une main sur son visage puis dans ses cheveux, sans prendre conscience des yeux qui le fixent.

— Ça va, t'as bien dormi ?

La surprise fait rater un battement à son cœur et il regarde l'apparition, installée sur le fauteuil au bout de leur lit. La jeune femme désincarnée le regarde, des reproches dans les yeux, sourcils froncés. Ses cheveux flottent toujours autour de son visage.

— Qu'est-ce que tu fais là ? lui demande-t-il en essayant de parler le plus bas possible pour ne pas réveiller Alec.

— À ton avis, espèce d'idiot ?

Sa voix est brusque et, d'un mouvement de menton, elle désigne l'autre main du médium, restée posée sur le matelas. En baissant les yeux, il découvre la lettre. C'est à son tour de froncer les sourcils. Qu'est-ce qu'elle fait là ? Pourquoi la tient-il ? Et...

— C'était pas un rêve, tous ces reproches, n'est-ce pas ? comprend-t-il finalement.

— T'étais pas assez conscient pour te rendre compte que tu es allé chercher la seule chose qui te lie à moi, mais suffisamment pour m'entendre te dire à quel point je t'en veux ? Décidément, t'es toujours aussi flingué...

L'indonésien lâche enfin la lettre et sort du lit, les yeux rivés sur le fauteuil vide. Qu'est-ce qui lui a pris d'aller prendre cette lettre ? Mais c'est certainement pour ça que sa tête le fait autant souffrir.

À pas de loup, il se rend dans la salle de bain alors que du sang commence déjà à maculer son visage. Le saignement dure de longues minutes pendant lesquelles Magnus prie pour qu'Alec ne se réveille pas, ensuite il retourne dans la chambre, non sans avoir fait disparaître les dernières traces.

Il attrape un t-shirt propre dans la valise posée par terre, et va s'asseoir sur le second fauteuil. Il ne peut s'empêcher de penser que son ex a raison, qu'il n'aurait jamais dû passer tant de temps sans reprendre ses recherches, alors il attrape la petite voiture orange et se concentre.

❖❖❖❖❖

À son réveil, Alec n'est pas vraiment surpris de trouver Magnus assis sur le fauteuil et en pleine transe. En revanche, la lettre de Camille dans leur lit, il ne se l'explique pas. Comme il ne souhaite pas vraiment penser à l'ex de son fiancé dès le matin, il pousse la lettre et reporte son attention sur le médium. Il regarde ses yeux voilés de blanc qui fixent le vide, avant de remarquer les larmes sur ses joues. Et ses lèvres qui forment des mots qu'il n'entend pas.

D'abord, il croit que le médium chante la berceuse de sa mère mais, rapidement, il revient à lui. Il enfouit son visage dans ses mains en gémissant de douleur. Alec se lève alors pour s'approcher et le prendre dans ses bras. Son mouvement fait sursauter Magnus qui ne s'attendait pas à sa présence.

— Eh bébé, ça va ?

Le médium secoue la tête mais il n'arrive pas à se redresser. Il a l'impression qu'on essaie de lui percer le crâne de l'intérieur, la pression est tellement forte qu'il sait que s'il ne se calme pas rapidement, il va se remettre à saigner du nez.

— J'ai vu le panneau de la ville de Kennewick, je crois qu'ils s'y sont arrêtés, parvient-il à souffler. Mais je ne sais pas quand... Ils pourraient même être déjà repartis.

Alec se redresse, il ne comprend pas pourquoi Magnus n'est pas soulagé d'avoir cette information. Après tout le temps passé sans rien trouver, ils ont enfin un endroit où se rendre ! Le détective pose ses mains sur les épaules de son fiancé pour le forcer à se redresser puis il essuie doucement ses joues.

— Tu es réveillé depuis longtemps ? lui demande-t-il doucement.

— Je ne sais pas.

— D'accord, alors... Je vais rassembler nos affaires et prévenir l'hôtel qu'on ne restera pas plus longtemps. On va à Kennewick.

Le regard qu'il lance alors à l'indonésien dissuade celui-ci de protester, alors il se contente de se lever pour filer à la salle de bain. Il se déshabille rapidement avant d'entrer dans la douche et d'ouvrir l'eau. Le martèlement de l'eau sur son visage arrive à le détourner de sa douleur, il essaie de se concentrer là-dessus. Pas sur le sentiment d'inutilité, pas sur l'assurance qu'il n'a pas alors qu'il devrait, comme Alec, n'avoir hâte que de partir.

Il quitte la salle de bain, habillé, à peine maquillé – sa tête lui fait trop mal pour avoir la patience nécessaire – et les cheveux qui lui retombent sur le front. Alec dépose un baiser sur sa tempe alors qu'il passe à côté de lui pour aller prendre une douche à son tour. L'indonésien va se laisser tomber sur le lit, son fiancé a ramassé toutes leurs affaires, même la lettre de Camille. Une petite voix lui souffle de fouiller dans les valises et les sacs pour la trouver, mais il la fait taire aussi vite qu'elle est apparue. Il se fait assez de reproches tout seul, inutile de laisser l'occasion à son ex de déverser à nouveau son fiel.

Une main dans son dos le tire de sa torpeur, c'est ainsi que Magnus réalise qu'il s'est presque endormi. Alec s'accroupit près du lit et remonte sa main dans les cheveux de jais. Un agréable frisson court le long de l'échine de l'indonésien qui soupire d'aise.

— Comment tu te sens ? lui demande son fiancé, sur un ton qui appelle une réponse sincère.

— J'en sais rien. J'ai mal à la tête.

— On va aller manger un morceau avant de prendre la route, d'accord ?

Les deux hommes quittent la chambre, puis l'hôtel, pour se rendre dans un restaurant, compte tenu de l'heure.

Quand ils prennent la route, en début d'après-midi, Magnus contacte leurs amis, pour leur donner leur nouvelle destination. Mais il n'a pas le temps d'appeler son ancienne assistante, que celle-ci le fait avant.

— J'ai trouvé quelque chose ! s'exclame-t-elle aussitôt.

L'indonésien souffle, soulagé. Il savait qu'il pouvait faire confiance à la rouquine pour les aider.

— Dis-moi ce que tu as, demande-t-il en mettant le haut-parleur.

— J'ai trouvé l'identité de son petit-ami : Daniel Quinn. Il a quarante ans et enchaîne les boulots qui paient bien, même si c'est pas forcément très légal.

— Et comment tu sais ça ? la questionne Alec.

— Eh bien... J'ai trouvé un vieux contact à lui qui est assez peu susceptible de lui parler encore. Et il a été plutôt bavard.

— Donc, rien sur ce qu'il a fait ces derniers temps.

— Non. Enfin pas venant de cette personne. Mais j'ai pu parler à la mère de Heidi, en me faisant passer pour une amie.

— Clary, on est en route pour Kennewick, reprend l'indonésien. S'il te plaît, dis-moi qu'on ne fait pas fausse route !

— Hm, ça me paraît plutôt cohérent avec ce que la mère m'a dit. Ils prévoient de quitter le pays et d'aller au Canada. Heidi lui a dit que Daniel a décroché un emploi et qu'elle a décidé de le suivre.

Quitter le pays ? Magnus et Alec échangent un regard confus.

— Est-ce qu'elle a dit quand ?

— Dans quelques jours. Ils se sont peut-être arrêtés à Kennewick pour régler des affaires de dernières minutes. Mais je ne sais pas quoi...

— Le passeport. Micah n'en a pas, souffle Magnus. Camille m'a dit qu'ils n'avaient même pas les moyens d'aller à New York, alors sortir du pays...

— Mais si elle fait une quelconque demande à son nom, les autorités sauront qu'il est vivant, remarque Alec, perplexe.

— Ils pourraient prévoir d'acheter des faux papiers, suggère Clary. Pour ça aussi, j'imagine qu'il faut un délai.

Les deux hommes la remercient et la conversation prend fin quelques minutes plus tard. Des faux papiers ? Peut-être même une nouvelle identité pour Micah, sans doute aussi pour la nounou. Il faut absolument qu'il les trouve avant qu'ils ne passent la frontière.

Magnus appelle le lieutenant Branwell. Comme ils s'y attendaient, sans élément pour prouver que Micah n'est pas mort avec sa mère, il lui est impossible de faire rechercher la nounou, et encore moins son petit-ami dont ils peuvent à présent lui donner l'identité. Elle raccroche après leur avoir demandé de prendre une photo de Micah, quand ils l'auront trouvé, pour que la police de Kennewick puisse intervenir. Magnus accepte, du bout des lèvres, d'une voix si transparente de mensonge que la policière n'y croit pas une seconde. Mais c'est mieux que rien, elle ne peut pas les laisser complètement en roue libre. Elle espère qu'ils sauront se montrer raisonnables.

Le silence tombe après que l'asiatique a rangé son portable dans sa poche. Jusque là, ils n'ont jamais pensé à ce qu'ils feraient, concrètement, après avoir découvert où se trouve l'enfant. Pas une fois qu'il aura été secouru, non – pas que Magnus ait très envie d'y penser, ceci dit – mais à ce qu'ils vont faire pour lui venir en aide. Le médium n'a jamais été au cœur de l'action. Son rôle se termine dès qu'il a trouvé la personne et donné l'information à la famille ou à la police. Mais cette fois, la police n'y entend rien et puis la famille... C'est nous ? Il se retient de râler pour ne pas attirer l'attention d'Alec sur ce qui se passe dans sa tête, il n'a pas envie de le lui dire. Il n'a même pas envie de se le dire !

En revanche, il sait pertinemment qu'Alec n'envisage plus d'attendre que quelqu'un agisse à leur place. Il n'est plus flic mais il l'a été assez longtemps pour ne pas faire n'importe quoi, pour intervenir sans risquer de faire de blessé. Enfin pas eux, ni Micah.

Pour le moment, cependant, il leur faut encore s'assurer que ce qu'il a vu est juste et que Micah se trouve encore à Kennewick. Comment ? Alors que ça a été si difficile de trouver cette maigre information grâce à son don. Mais qu'est-ce qui leur reste en dehors de ça ? Faire du porte-à-porte en espérant que les gens aient remarqué des nouveaux arrivants ? Ils ne savent même pas ce qui s'est passé après qu'ils ont fui San Francisco.

— Que crois-tu qu'il soit arrivé à Micah, après son enlèvement ?

Surpris, Alec lâche des yeux la route devant lui pour tourner la tête vers son fiancé qui, lui, regarde toujours dehors. Il se mord discrètement la lèvre avant de regarder à nouveau devant lui. Cette question, il la redoutait depuis qu'ils en sont venus à la conclusion que Micah était personnellement visé.

— Je n'en sais rien, finit-il par répondre.

— Je n'arrive pas à... Empêcher mon esprit de revenir à cette question encore et encore. Que sa vie ne soit pas en danger ne veut pas dire que... Qu'il ne risque absolument rien.

Le fait que l'un des ravisseurs soit la nounou leur laisse un espoir que, peut-être, ils se soucieront du bien-être de l'enfant. Cette éventualité ne les protège malheureusement pas des scénarios qu'ils s'imaginent bien malgré eux.

— C'est vrai, admet le détective. J'y pense aussi. Mais ça ne sert à rien de se culpabiliser parce qu'on ne l'a pas encore retrouvé. On le cherche, on va le sortir de là !

Magnus frappe violemment le sol de la voiture avec son pied, manifestant enfin la frustration qu'il ressent depuis des jours et qui ne fait qu'augmenter au fil de ses conversations avec Camille. Alec ne comprend que trop bien ce qu'il ressent, même si c'est la première fois que Magnus se montre aussi clairement affecté par la situation. Pas uniquement à travers son don ou à cause des émotions de Micah qu'il ressent à son tour.

— L'important c'est qu'il ne soit pas abandonné, continue Alec.

— Je voudrais... Je voudrais qu'il le sache...

— Je suis sûr qu'il le sait. C'est grâce à lui que tu as su reconnaître le visage de cet homme, non ?

Le médium hausse les épaules en jetant un regard vers Alec. Peut-être... Ou peut-être qu'il se fait des idées et que c'est simplement son esprit qui lui a fait croire ça. Mais ce serait bien si Micah l'avait vraiment senti fouiller dans ses souvenirs, qu'il sache qu'il n'est pas seul même si sa mère n'est plus là. Enfin... Qu'il y a quelqu'un qui le cherche.

— Ce n'est plus qu'une question de jours, ne t'en fais pas.

— Pour peu qu'on les trouve avant qu'ils ne fuient.

— On va le trouver, Mags. D'accord ?

— D'accord...

C'est à peine un souffle, Alec le lit plus sur les lèvres de son petit-ami qu'il ne l'entend, mais ça lui suffit. Magnus a toujours été sûr de lui, sûr de son don. Le brun ignore ce qui se passe, si c'est parce qu'il prend cette disparition plus à cœur ou bien si ça vient d'ailleurs... Mais une chose est sûre : il ne le laissera pas perdre sa foi en lui-même.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top