Chapitre 21 : « Tu es éblouissant. »
Les heures et les images défilent sans que Magnus ne réussisse plus à trouver un sens à quoi que ce soit. Plus d'une fois, il s'est laissé emporter dans les souvenirs de Micah dans l'espoir d'enfin voir quelque chose de récent, une information, un détail infime qui lui permettrait de déterminer la ville où il se trouve. Mais à chaque fois, il voit le visage de Camille qui se tourne vers lui avec un sourire tendre qu'il n'avait jamais vu de ses propres yeux. Un sourire qui lui rappelle celui de sa propre mère quand elle le regardait.
Il sait pourtant que ce qu'il cherche est là, tout près. Qu'il y est presque, mais tout ce qu'il parvient à effleurer, c'est le cœur brisé de l'enfant. Combien de fois est-il sorti de sa transe, le torse comprimé par de lourds sanglots, ravagé par un chagrin qu'il a déjà traversé ?
Micah pleure sa mère, il sait qu'elle est décédée. Et elle lui manque. Il a peur, il se sent seul. Autant de sentiments que Magnus ne connaît que trop bien, mais ça ne l'empêche pas de suffoquer sous l'intensité de ce que ressent le petit garçon.
À présent allongé sur le lit, un oreiller serré contre lui, Magnus essaie de calmer les spasmes de sa dernière crise de larmes quand Alec entre dans la chambre. Le jeune homme se fige en voyant son fiancé en train de pleurer.
— Mags, qu'est-ce qui se passe ?
Le médium s'assoit et essuie ses larmes rapidement avant d'essayer de rassurer Alec. Il tend la main vers lui et le brun se précipite sur le lit pour attraper ses doigts et le tirer contre son torse.
— Ce sont juste les effets de mon lien avec Micah. Moi, je vais bien...
Alec se mord la lèvre, comprenant que les larmes de Magnus sont aussi celles du petit. Évidemment, même s'il est avec sa nounou, il doit être effrayé. Il laisse son fiancé s'écarter un peu, mais pas avant d'avoir déposé un baiser sur ses lèvres rougies. Il a dû les mordiller, c'est ce qu'il fait tout le temps quand il pleure.
L'indonésien se laisse à nouveau tomber sur les oreillers, sans cacher sa fatigue. Il n'ose même pas imaginer à quoi il ressemble et, même si son apparence est plus proche de la dernière place que de la première dans la liste de ses préoccupations actuelles, il pose un bras sur son visage pour le soustraire à la vue de son fiancé. Alec tourne alors la tête vers la table basse.
— Mais que...
Il est trop tard lorsque Magnus se souvient qu'il n'a pas pris la peine de ranger la lettre de Camille, et qu'il avait promis à Alec de se concentrer sur Micah. Sur l'enveloppe, il a griffonné des noms de ville et des numéros de route.
— J'avais besoin qu'elle me dise où ils sont allés...
— Ce sont les noms qu'elle t'a donné ? demande Alec, de mauvais gré.
Le plus âgé secoue la tête. Ce sont des noms qu'il a cru apercevoir, mais Camille lui a dit qu'ils étaient partis en direction de l'est puis vers le sud. Ce qui correspond aux noms.
— Je suis presque sûr que ce sont les villes qu'ils ont traversées, pendant leur fuite, mais elle n'a pas été précise.
— Alors qu'est-ce qu'elle t'a dit ?
Si Alec ne voulait pas que Magnus se retrouve seul, en quelque sorte, avec Camille, c'est parce qu'il s'inquiète de l'effet qu'elle peut avoir sur lui. Il sent que son fiancé est de plus en plus tendu, et c'est légitime, mais Camille empire les choses dès qu'elle le peut. Et l'absence de réponse de Magnus l'inquiète encore un peu plus.
— Bébé, insiste doucement le détective. Dis-moi ce qu'elle t'a dit.
— Rien, ne t'en fais pas, finit par répondre l'indonésien, avec un naturel déconcertant.
Il enlève son bras de son visage pour se redresser et regarder Alec. Il n'a pas vraiment envie de parler des échanges un peu houleux qu'il a eu avec son ex, ces dernières heures. Ça ne les avancerait à rien. Et ça pourrait même rendre leur tâche plus compliquée si Alec décide qu'il ne veut plus qu'il parle à Camille. Malgré son caractère de merde, ils ont besoin d'elle. Sans compter qu'il a du mal à lui en vouloir. Elle est tellement inquiète pour son fils, c'est normal qu'elle soit en colère contre Magnus. Elle a raison. Pourquoi perd-il autant de temps dans ses recherches pour Micah, alors qu'il réussit si facilement à retrouver des inconnus ?
Alec se force à le croire, il essaie de faire confiance à son jugement. Sans doute s'inquiète-t-il pour rien.
— Il est tard, souffle-t-il, changeant de sujet. On devrait aller manger. J'ai réservé une table dans un restaurant.
— Quoi ? Mais... Il faut que je continue, je n'ai rien trouvé !
— Pas maintenant. Tu en as déjà assez fait, alors il faut que tu reprennes des forces. On va aller dîner et passer quelques heures dehors.
— Alexander, je t'en prie...
— Pour ce qu'on en sait, Micah n'est sans doute pas en danger immédiat. Mais toi, tu te fais du mal à tenter de trouver des indices. S'il te plaît, Mags. J'ai besoin que tu m'aides à prendre soin de toi.
Vaincu, le plus âgé hoche lentement la tête. Il ne veut pas se fâcher avec Alec et il sait que son fiancé le traînera dehors de force, s'il le faut. Alors après une douche rapide, les deux hommes sortent de l'hôtel pour se rendre au restaurant choisi par Alec, à seulement quelques rues de là.
Il fait déjà nuit et, pour la première fois depuis leur retour à l'hôtel à la mi-journée, Magnus s'inquiète de l'heure qu'il peut être. Vingt heures passées. Cela veut dire qu'il est resté plus de cinq heures dans la chambre, sans aucun résultat. Ses doigts se resserrent sur ceux de son fiancé et il essaie de s'enlever ses pensées culpabilisantes de la tête. Si cette Heidi et son petit-ami sont effectivement intéressés par le don de Micah, ils ne lui feront pas de mal, c'est vrai. Il voudrait seulement que l'enfant sache que quelqu'un le cherche, qu'il n'ait pas l'impression d'avoir été abandonné. Peut-être aurait-il dû essayer de lui parler... Mais il n'a pas su s'y résoudre.
Arrivés au restaurant, ils ne tardent pas à se faire aborder par un serveur qui, prenant le nom de leur réservation, les accompagne ensuite à leur table. Le cadre est simple, presque intime, et la salle enrobée de couleurs pastels. La plupart des clients parlent doucement, mais quelques éclats de rire éclosent ici et là. Continuant d'observer la décoration, Magnus retire son manteau avant de s'asseoir. Quand son regard se pose sur Alec, celui-ci le fixe, sans bouger.
— Quelque chose ne va pas ? demande-t-il.
— Non, non. Tout va bien, c'est juste... Tu es... Éblouissant.
Les joues de l'indonésien rougissent brusquement et il baisse la tête pour se regarder. C'est vrai qu'il a décidé de s'apprêter un peu plus que ces derniers temps... Il a fallu ça pour suffisamment le distraire de sa culpabilité pour trouver la force de sortir de la chambre et rejoindre Alec. Pourtant, ça ne lui paraît pas si étrange, si ? Ah... Peut-être sa chemise est-elle un peu trop transparente ? Ses bijoux trop voyants ? Sa coiffure trop...
Alec s'est assis à son tour et attrape sa main, le sortant de ses pensées agitées.
— Bébé, souffle le brun. Pourquoi as-tu l'air aussi peu sûr de toi, tout à coup ?
— Non, je... Je n'en sais rien.
Magnus soupire longuement en passant sa main libre sur son visage. Ça y est, son esprit est encore en train de faire n'importe quoi et il ne sait pas pourquoi. Quelle est cette petite voix en lui qui lui reproche la moindre minutes passée à ne pas chercher Micah ? Ce n'est pas comme s'il pouvait rester en transe en permanence. Il se sait déjà chanceux d'avoir réussi à créer un lien assez solide avec lui pour pouvoir le rétablir lorsqu'il en a besoin... Il doit avoir confiance, il finira par trouver ce qu'il cherche dans l'esprit de l'enfant, mais il ne doit pas se laisser submerger. Si la douleur revient, s'il se met à saigner du nez, il n'arrivera plus à se concentrer assez pour utiliser son don. Il a bien le droit à quelques heures de répit.
Voilà, tout ce qu'il veut c'est passer une soirée calme avec son fiancé. Cela a été si compliqué ces derniers temps, il sait que ça ne peut que leur faire du bien. Il rassure donc Alec avec un sourire, et un autre serveur vient se présenter à leur table.
— Bonsoir, je m'appelle Stefano et c'est moi qui m'occuperai de vous ce soir.
Un jeune homme aux cheveux noirs et au teint mat, dans la petite vingtaine, leur tend à chacun un menu en leur proposant de boire quelque chose. Malgré lui, Magnus ne peut s'empêcher de tiquer un peu aux paroles du serveur, tout comme au fait qu'il s'est légèrement tourné vers Alec. Il se mord l'intérieur de la bouche pour retenir la moindre remarque. Son fiancé n'a pas réagi, alors qu'il a tendance à rougir quand un inconnu le drague un peu trop directement. Il se fait peut-être des idées. Encore une fois, c'est peut-être simplement la fatigue qui parle.
Repoussant toute pensée dérangeante, que ce soit à propos de Micah et de ce serveur un peu trop mignon, Magnus se concentre sur Alec. Enfin, ça ne lui demande pas autant d'effort qu'il l'avait craint. Si Alec s'est exclamé en voyant sa tenue, l'indonésien, lui, a bien du mal à détourner le regard de la chemise blanche qui met en valeur les épaules larges et la musculature de son compagnon. Et quand il y parvient, il se laisse happer par les yeux noisette qui le dévorent du regard. La sensation qui enveloppe soudain son cœur est si agréable qu'il en oublie un peu le reste.
— Hm, au fait, qui est Woolsey Scott ? demande soudain le brun.
— Pardon ?
Magnus hausse les sourcils, surpris par cette question qu'il n'avait absolument pas vu venir. Il avait même oublié que ce nom avait été prononcé dans la journée et n'imaginait pas que son fiancé ait pu y prêter davantage attention que lui. Pourtant, oui, la question est venue tarauder Alec peut-être une fois ou deux – ou dix –, ces dernières heures.
— Woolsey était... C'était un ami, il m'aidait avec certains clients.
— Un ami, c'est tout ? insiste Alec.
L'expression sur le visage du détective devient un peu plus grincheuse, alors qu'il attend la réponse de son fiancé. L'indonésien hausse doucement les épaules.
— Oui, c'est tout, pourquoi ?
Alec grogne un peu en glissant sa main jusqu'à sa nuque, un peu gêné de se sentir jaloux d'un souvenir. Pour sa défense, Camille aussi était censée être un souvenir mais ça ne l'a pas empêché de venir bouleverser leurs vies. Ah, c'est ridicule... Il ne peut pas être jaloux de tout le passé de Magnus, quand même.
— Branwell avait l'air de suggérer que c'était plus que ça, s'explique-t-il finalement.
Avec un sourire un peu amusé, l'asiatique secoue la tête et tend à nouveau la main vers celle d'Alec. Pas pour l'attraper, juste pour la caresser tendrement, du bout des doigts. Ça y est, il vient de comprendre ce qui motive ces questions.
— Je t'assure que nous n'avions pas « ce » genre de relation. On s'est rencontré quelques mois après mon arrivée à San Francisco, dans un club. Pour une raison qui m'a toujours échappé et qui est certainement liée à une quantité scandaleuse d'alcool, on s'est mis à parler de paranormal et je lui ai parlé de mon don. Ce n'est qu'après qu'il m'a dit être policier, mais j'ai appris à lui faire confiance...
Le brun tourne sa main, paume vers le haut, pour pouvoir attraper les doigts vernis. Il le croit. Évidemment, Magnus n'aurait aucune raison de lui mentir et puis, si ça avait été une relation notable, il lui en aurait parlé. En plus, il lui a déjà dit qu'il avait travaillé avec des policiers, ce n'est pas surprenant qu'il ait été proche de l'un d'eux.
Durant le dîner, Magnus se retrouve souvent pris au dépourvu par les apparitions de leur serveur et son intérêt évident pour son fiancé. Comme Alec n'y prête pas attention, il s'efforce de rester indifférent. Mais à la fin du repas, alors qu'ils sont en train de choisir un dessert, le jeune homme revient, l'œil pétillant.
— Vous avez choisi ? demande-t-il, encore une fois, tourné vers Alec.
— Pas encore, répond le brun, le nez dans le menu.
— Si je peux me permettre, continue le serveur en s'approchant. Je vous suggère un dessert italien, pour changer. Nous sommes très doués pour les douceurs.
Cette fois, la phrase fait mouche. Alec vire au rouge et se met à bafouiller, au point que le serveur se rend compte qu'il a été un peu trop direct. Magnus en reste également sans voix, le temps de digérer ce qui vient de se dire. Cette phrase le dérange sur tellement de plans différents. Qu'est-ce que c'est que cette façon de parler à un client ? Et puis... « Pour changer » ? C'est censé vouloir dire quoi, ça, exactement ? Il repose, un peu brusquement, la carte des desserts sur la table.
— Merci mais, finalement, on va prendre le dessert à la maison, rétorque-t-il d'une voix un peu plus sèche que prévu.
Comme s'il allait rester sans rien dire alors que ce serveur se jette pratiquement au cou de son petit-ami ? Le jeune homme se tourne vers lui, penaud et hoche la tête en lui disant qu'il apporte l'addition.
Quand ils se retrouvent à l'extérieur du restaurant, le silence dure encore, alors ils se mettent à marcher dans les rues de San Francisco, sans savoir où aller.
— Je suis désolé, finissent-ils par dire en même temps.
Ils se tournent l'un vers l'autre avant d'échapper un petit rire un peu gêné. Mais l'indonésien est le premier à reprendre la parole.
— Je n'aurais pas dû réagir comme ça, je suis désolé. Je ne voulais pas te mettre dans l'embarras.
— C'est plutôt ce serveur qui m'a mis dans l'embarras.
Rien qu'à y repenser, les joues d'Alec reprennent leur jolie couleur carmin. Magnus s'arrête et pose ses mains sur le torse de son fiancé, attrapant doucement sa chemise pour l'attirer un peu plus près de lui, un sourire tendre sur les lèvres.
— Cela dit, je le comprends. Tu es vraiment irrésistible habillé comme ça.
— Content que ça te plaise.
Le brun se penche légèrement pour capturer la bouche si tentatrice de son amant et oublier ce moment terriblement gênant. Même si ce serait mentir de dire qu'il n'aime pas voir son fiancé jaloux.
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