Chapitre 18 : « Entendu quoi, bébé ? »

— C'est lui.

Une voix d'enfant résonne dans la nuit. Magnus ouvre les yeux et se redresse pour regarder autour de lui, avant de réaliser que c'était un rêve. Ou plutôt, un souvenir. Des mots qu'il a déjà entendu, mais où ? Et quand ?

Il remonte ses jambes contre son torse et les enlace, en essayant de ne pas réveiller Alec qui dort profondément à côté de lui. La joue posée sur ses genoux, il observe sa silhouette qu'il devine plus qu'il ne voit, à cause de la faible lumière de la pièce. Contrairement à leur chambre à coucher, dans leur maison, ils ne sont pas plongés dans le noir. Il y a des lumières ci et là dans la pièce. Le téléphone, posé sur un guéridon près de l'entrée, la télévision accrochée au mur, et... d'autres qu'il n'identifie pas. Mais elles lui suffisent pour voir son fiancé.

Quelle heure est-il ? Il s'est couché dès qu'ils sont arrivés à l'hôtel, Alec est resté près de lui jusqu'à ce qu'il s'endorme pour qu'il ne soit pas tenté de réfléchir à trop de choses. Comme maintenant. Il est sûrement ressorti ensuite, pour ne pas le déranger. L'indonésien s'en veut un peu de l'avoir ainsi abandonné, même s'il ne doute pas qu'il a su s'occuper.

— C'est lui.

Il enfouit son visage dans ses genoux pour s'enlever cette phrase de la tête. Est-ce que c'est la voix de Micah ? C'est possible, mais il ne l'a jamais entendu que dans les images qu'il a trouvé à travers leur lien. Ce pourrait être sa voix, comme ce pourrait être celle de n'importe quel gamin qui a touché ce foutu jouet avant lui. Malgré lui, il ne cesse de penser à celles qui l'ont perturbé la veille, alors qu'il s'est déjà persuadé que ça ne lui servira à rien. Elles tournent encore et encore dans son esprit, passant encore trop vite pour qu'il puisse voir, pour qu'il puisse entendre autre chose que « c'est lui ».

Il doit se lever. Il doit se lever, sortir de cette chambre, faire quelque chose, n'importe quoi, pour arrêter de réfléchir. Mais son corps refuse de bouger. Il sait qu'il doit bouger mais son esprit refuse de simplement oublier ces images floues et inutiles. Préférant continuer à les visualiser encore et encore.

Il se passe une heure, peut-être deux, avant qu'il finisse par déchiffrer une image. Un visage. Le visage anguleux d'un homme aux cheveux châtains. C'est lui ? Est-ce que cet homme a réellement un rapport avec Micah et son enlèvement, ou bien son esprit fatigué lui joue-t-il un mauvais tour ? Dès lors, il ne parvient pourtant plus à se convaincre qu'il n'a pas découvert le visage du ravisseur du petit. Mais à quoi cela l'avance-t-il ? Il n'a aucune idée de qui est cet homme... Aucun nom, juste un visage comme il y en a des centaines de milliers à San Francisco.

Attrapant enfin son téléphone, il voit l'heure s'afficher de façon bien trop lumineuse. Il est près de quatre heures du matin. Bien trop tôt pour être réveillé, ou pour réveiller son fiancé. Il lui fait subir bien assez de choses sans qu'il lui pourrisse ses nuits en plus... Se mordant la lèvre, il se met à lister les possibilités. Qui peut être cet homme ? Un voisin, de l'immeuble ou même du quartier. Un des employés de l'épicerie où travaillait Camille. Un serveur de son café préféré. Un vendeur de n'importe quelle boutique qu'elle avait l'habitude de fréquenter. Un homme qu'elle a rencontré dans un bar, ou au restaurant. Un instituteur de l'école de Micah, ou de l'ancienne.

Non.

Magnus se rappelle soudain des paroles de Camille. Quand elle l'a croisé dans le hall de son immeuble, c'était la première fois qu'elle le voyait, la première fois qu'elle faisait attention à son visage. Camille est du genre égocentrique mais elle se souvient du visage des gens qu'elle croise régulièrement et à qui elle parle. Par ailleurs, si Micah avait reconnu cet homme, il l'aurait probablement dit à sa mère.

Il supprime de sa liste les personnes qui seraient facilement identifiables et il ne reste que... Tous les autres. En colère contre la pléthore absolument ridicule de possibilités, le médium balance son portable contre le mur et se lève pour aller dans la salle de bain. Il passe de l'eau sur son visage et prend de longues inspirations pour essayer de se calmer. Mais son esprit refuse de mettre de côté ce visage et il a l'impression qu'il le nargue. Il est là et Magnus est incapable de savoir qui il est !

Des coups sur la porte de la salle de bain le font sursauter et Alec ouvre la porte. L'indonésien serre les poings sur le bord du lavabo.

— Je suis désolé de t'avoir réveillé, mon ange, souffle-t-il sans le regarder.

— C'est pas grave, répond le brun en secouant la tête. Qu'est-ce qui se passe ?

— Rien, j'ai...

— Stop. C'est pas ton genre de t'énerver tout seul, surtout en pleine nuit... Allez, dis-moi.

Avec des gestes lents, comme s'il essayait de s'approcher d'un animal effarouché, Alec tend la main vers Magnus pour attraper l'un de ses poignets. L'asiatique lâche finalement la céramique mais ne se laisse pas attirer dans les bras de son compagnon. Toujours furieux contre lui-même et son inutilité, il résiste pour ne pas se laisser aller au réconfort que lui offre Alec.

— Magnus, qu'est-ce qu'il y a ?

Ne pouvant pas attirer Magnus contre lui, le brun s'approche de lui et pose une main sur sa joue pour permettre à leurs yeux d'enfin se rencontrer. Après quelques secondes de silence, le plus âgé finit par soupirer.

— Je crois que... Je crois que j'ai vu le visage de l'homme qui a enlevé Micah.

— Qu-... Mais comment ?

— Je n'en sais rien. Je ne suis même pas sûr que c'est lui, et puis je ne sais même pas qui c'est !

Il contient sa colère mais sa voix empressée ne trompe pas le détective qui laisse doucement glisser sa main jusque dans son cou. La peau caramel lui paraît glacée, en comparaison de la sienne, et il sent un frisson naître sous ses doigts.

— Alors pourquoi penses-tu que c'est lui ? le questionne-t-il doucement.

— C'était dans la vision d'hier après-midi, celle que j'ai eu dans la chambre de Micah. Mon esprit s'est focalisé dessus et quand je me suis réveillé, j'ai entendu...

— Entendu quoi, bébé ? insiste Alec comme Magnus hésite.

— Je crois que c'était la voix de Micah, mais ça n'a pas de sens.

— Il t'a parlé ?

— Non, c'était comme un souvenir. Il disait « c'est lui », et ensuite... Enfin, une ou deux heures après, j'ai ce visage qui m'est apparu. Ça n'a pas de sens. Je sais que ça n'a pas de sens...

Malgré son don, le médium a toujours fait de son mieux pour rester le plus rationnel possible, afin que les gens ne le traitent pas d'hurluberlu. Rester rationnel lui permet plus facilement de prouver son point de vue. Il sait que les gens lui font confiance parce qu'il est rationnel. Et Alec est quelqu'un de rationnel, il ne veut pas lui donner l'impression de perdre pied. Il ne veut pas lui montrer qu'il a l'impression de perdre pied.

Il sent la main de son fiancé descendre doucement dans son dos.

— Même si tu n'en trouves pas le sens tout de suite, ça ne veut pas dire que ça n'en a pas. Tu es encore épuisé et tu es gelé. On ferait mieux de retourner se coucher, on y réfléchira demain matin, d'accord ?

Magnus hoche la tête, bien obligé d'admettre que son fiancé a raison. Ils retournent donc tous les deux s'allonger dans le lit, dans les bras l'un de l'autre.

❖❖❖❖❖

Quelques heures plus tard, ils prennent leur petit-déjeuner au restaurant de l'hôtel sans trop savoir ce qu'ils vont faire de leur journée, ni quelle piste suivre.

— Qu'est-ce que tu as fait de ta soirée ? demande finalement l'indonésien.

— Après que tu te sois endormi, je suis allé à l'épicerie où travaillait Camille. J'ai posé quelques questions aux employés. Apparemment, elle était appréciée, autant par ses collègues que par les clients, hommes comme femmes.

Comme Mme Rouse, la propriétaire, l'a suggéré, Camille savait se faire aimer des gens autour d'elle. Ses collègues étaient néanmoins surpris par les questions d'Alec, ils avaient du mal à croire que quiconque puisse avoir voulu du mal à la jeune femme ou à son fils.

— Ceux à qui j'ai parlé étaient présents aux obsèques. Ils n'ont remarqué personne d'étrange traînant autour. En dehors d'eux et de quelques parents d'élèves, avec leurs enfants, il n'y avait que la nounou, et son petit-ami.

— Il n'y avait pas d'amis de Camille ?

— Hm... D'après ce que m'a dit une de ses collègues, de qui elle était proche, elle n'avait pas vraiment de vie sociale en dehors du travail. Elle ne sortait pas et refusait systématiquement les invitations de son équipe.

Magnus soupire doucement et ils terminent le petit-déjeuner presque en silence. Réfléchissant.

— Est-ce que l'un d'eux t'a donné le nom de la nounou ? demande soudain le médium. Ce serait sans doute une bonne idée d'aller la voir.

— Non. Mais tu peux demander à Camille.

Ils n'ont pas vraiment le choix, à moins d'aller fouiller l'appartement, mais Magnus n'aime pas plus que ça l'idée de fouiller dans les affaires de son ex. Pas tant qu'elle peut répondre à leur question... quand elle y est disposée.

De retour dans leur chambre, Magnus s'assoit sur un fauteuil et attrape la lettre. La pièce étant petite, cette fois Alec est assis sur le lit. Camille arque un sourcil en le voyant si près.

— Il nous surveille ? demande-t-elle.

— Camille, il y a certaines choses que je veux te demander. Est-ce que tu veux bien me répondre sans palabrer pour une fois ?

— C'est toi qui dis ça ? T'as toujours été beaucoup plus bavard que moi !

— J'ai souvent beaucoup de choses intéressantes à dire ! rétorque-t-il, s'attirant le sourire amusé de son fiancé. Tu veux bien répondre ?

— Pour que tu fasses comme hier et que tu me laisses tomber dès que tu as ce que tu veux ?

— Je t'en prie, c'est important. J'essaie de retrouver Micah, tu pourrais faire un effort !

L'apparition sursaute en entendant crier le médium et elle souffle longuement avant d'accepter d'un signe de tête.

— Si je te décris quelqu'un, est-ce que tu saurais me dire si c'est l'homme qui l'a enlevé ?

— Je n'en sais rien, Mags. Je ne me souviens pas de son visage. Attends... Vous avez une piste ?

— Peut-être, il y a juste ce visage qui ne me laisse pas en paix depuis cette nuit. Un homme d'une petite quarantaine d'années, châtain. Son visage est anguleux, il a... Il a une fossette au menton et des yeux...

— Des yeux bleus, très clairs, continue Camille, surprise de se souvenir d'un tel détail.

— Oui, c'est ça. C'est cet homme ?

— Oui ! Oui, mais... Qui est-ce ?

— Pour le moment, je ne sais pas. Mais on va finir par trouver.

Il échange un regard avec son fiancé avant de passer une main sur son visage. Son esprit se calme enfin, la sensation d'affolement et de peur de suivre une piste folle s'apaise enfin. Ils ne sont pas vraiment plus avancés, mais le médium se sent soulagé.

— Je voudrais aussi te poser des questions sur la nounou de Micah, reprend-t-il après quelques instants. On voudrait aller la voir.

— Heidi ? Je ne sais pas si elle pourra vous aider, elle faisait très attention quand elle revenait avec Micah. Si elle avait vu l'homme, elle me l'aurait dit.

— Sans doute, mais on sait jamais. Comment est-ce qu'elle s'appelle ?

— Heidi McKenzie.

Magnus répète le nom à l'intention d'Alec qui attrape son téléphone pour la chercher sur les réseaux sociaux. La piste est maigre, mais ils doivent parler à un maximum de personnes possible, jusqu'à trouver Micah. Ils n'ont pas le choix.

— Je crois que j'ai trouvé, dit Alec après quelques instants. C'est elle ?

Il tend le téléphone à Magnus et Camille regarde par-dessus son épaule. Elle hoche la tête avant de dire, une lueur moqueuse dans le regard :

— Il est très rapide.

— T'en fais pas, il ne l'est pas pour tout, répond aussitôt Magnus sans lever les yeux.

Il rate ainsi la grimace de Camille qui regrette d'avoir commencé et l'air embarrassé d'Alec qui ne sait pas pourquoi il l'est. Au lieu de ça, le médium fait défiler les derniers posts de la jeune femme. Tous remontent à plus d'un mois, alors qu'elle avait l'habitude de poster régulièrement. Il s'apprête à faire la remarque à voix haute quand une autre photo attire son attention et celle du fantôme.

— Mais... mais c'est lui !

— Oui, c'est l'homme que j'ai vu, confirme l'indonésien en rendant son téléphone à son fiancé pour qu'il voie la photo. Avec la nounou.

Le silence s'abat sur la pièce mais il est rapidement brisé par le cri étouffé de Camille. Magnus la regarde, inquiet.

— Elle sait ! s'exclame-t-elle, désespérée. Elle est au courant pour le don de Micah !

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