Chapitre 16 : « Mais tu es là, et je te parle ! »

— Ils ne devaient pas être rentrés depuis longtemps, remarque Alec en ouvrant et fermant les placards de la cuisine.

Sortant de ses pensées, Magnus relève la tête avec un « hm » interrogatif.

— Tout est vide. Tu crois que la propriétaire est venue s'occuper de ça ?

— Je n'en sais rien.

Si Camille était rentrée à San Francisco depuis plus de quarante-huit heures, elle aurait acheté de quoi manger. Ne serait-ce que pour Micah. Il devrait y avoir du lait, des céréales, peut-être des gâteaux. L'intervention de Mme Rouse est une possibilité, mais cela paraît assez improbable aux yeux d'Alec. La vieille femme est encore clairement touchée par le décès de sa locataire, elle n'aurait sûrement pas pu rester assez longtemps dans l'appartement pour faire du ménage. Pour le détective, Camille n'est peut-être même pas revenue ici avant l'accident.

— Elle a...

Il s'interrompt en voyant que Magnus ne se sent pas mieux. Yeux fermés, sourcils légèrement froncés, l'indonésien se tient les tempes. Alec s'approche de lui, qui s'est hissé sur le comptoir de la cuisine, et se glisse entre ses jambes pour l'enlacer.

— La douleur ne passe pas ?

— Pas encore.

— Tu veux qu'on sorte prendre l'air ?

— Non, ça va aller, chéri. On n'a pas le temps et je veux contacter Camille ici. Peut-être qu'elle réussira à me parler dans un endroit familier.

Le brun se mord la lèvre pour ne pas dire à quel point il trouve cette idée mauvaise. Comment peut-il croire qu'il peut contacter Camille dans son état ? Magnus pose alors la tête sur l'épaule de son fiancé.

— Je suis désolé de t'inquiéter.

— Ce n'est pas de ta faute, bébé.

— Si. Mais je t'assure que ça va passer. Laisse-moi encore quelques minutes, s'il te plaît.

— Je te laisse tout le temps que tu veux.

Sauf que ça fait plus d'une heure que ça dure alors, oui, Alec s'inquiète. Il essaie de se rassurer en se disant qu'au moins il n'a pas saigné du nez, malheureusement ça ne suffit pas. Il n'aime pas le voir dans cet état, il n'aime pas quand il utilise trop souvent son don. Bien sûr, c'est pour la « bonne cause », mais sa santé lui importe plus que tout.

À cette pensée, Alec réalise qu'il vient enfin de comprendre les craintes de Magnus et la décision qu'il avait prise de ne pas avoir d'enfant biologique. Gérer la situation est une chose, ils peuvent passer outre les moments de douleur et les frayeurs mais, souvent, même lui se dit qu'il voudrait que Magnus soit libéré de ce fardeau. En ce sens, le désir égoïste d'être parents ne devrait pas être plus important que le bien-être de l'enfant. Son désir d'avoir un bébé ne devrait pas passer outre le fait que l'enfant aura sans doute à affronter les mêmes douleurs en grandissant.

Il réprime un soupir et lutte pour ne pas se confondre soudainement en excuses auprès de l'asiatique, pas alors que le sujet était déjà clos et qu'Alec a déjà accepté sa décision. Pour de vrai, cette fois.

— Je t'aime, tu sais, lui souffle Magnus, la voix lasse.

— Moi aussi, je t'aime, bébé.

Il dépose un baiser sur son épaule et le laisse se remettre. Après quelques minutes, Magnus se redresse, la douleur n'a pas disparu mais il a l'impression que ça va prendre plus de temps que d'habitude sans qu'il comprenne pourquoi. Encore une fois. Comme il ne veut pas inquiéter Alec davantage, il lui ment en disant qu'il se sent mieux. Il est d'ailleurs presque certain que son fiancé ne le croit pas, mais il ne proteste pas non plus.

Alec se recule pour le laisser remettre les pieds par terre et ils retournent au salon. Magnus va s'asseoir sur le canapé gris et sort l'enveloppe de Camille de la poche de son manteau déjà posé sur le dossier du canapé depuis qu'il a fait la bêtise de ne pas réfléchir deux secondes avant d'utiliser son don. Le détective reste à la porte pour leur laisser de l'espace, mais il reste proche. Inutile de préciser qu'il ne lâchera pas son amant du regard, et qu'au moindre signe de faiblesse, il lui arrachera la lettre des mains.

Dès que le médium sort la lettre de l'enveloppe, Camille apparaît au milieu du salon. Au milieu de la table basse, pour être exact. Elle se décale de quelques pas, même si ça n'est pas gênant parce qu'elle ne sent rien, ça lui fait quand même drôle de se voir passer à travers des objets.

— Alors vous êtes là, souffle-t-elle, son regard se posant sur les photos au mur.

— Oui, je t'avais dit qu'on devait venir pour trouver Micah.

— Tu croyais qu'il serait simplement ici ?

Son ton un peu moqueur agace déjà Magnus dont la patience est largement réduite à cause de son mal de tête. Elle rit et vient s'asseoir à côté de lui.

— Ça va, je plaisante.

— Tu te moques de moi ? rétorque-t-il en essayant de ne pas s'énerver. Si on est venu chez toi, c'est pour trouver les informations que tu as été incapable de nous donner !

— Je suis morte, tu pourras avoir un peu de compassion.

— Je ferai peut-être preuve de compassion quand tu auras répondu à mes questions ! Où êtes-vous allés ? Pourquoi êtes-vous partis ? Pourquoi te sentais-tu en danger ? Qu'est-ce que tu es venu faire à San Francisco après deux mois ?

— J'en sais rien.

— Camille... Je t'en prie.

L'apparition hausse les sourcils devant le ton désespéré de son ex-petit ami qui s'affale contre le canapé, les mains sur le visage. Elle n'est pas certaine d'avoir envie de se forcer à se souvenir, penser à Micah lui fait déjà si mal.

— Tu n'as pas besoin de moi, j'en suis sûre. Comment aurais-tu fait si tu n'avais pas pu me parler ?

— Mais tu es là et je te parle ! répond-il en se redressant. Pourquoi ne nous aides-tu pas ?

— Je ne peux pas t'aider !

— Pourquoi ? Je ne comprends pas !

— Mais je n'ai même pas réussi à l'empêcher de le prendre ! Il a pris mon bébé ! Il est sorti de la ruelle sans prévenir et il me l'a arraché ! Je n'ai rien pu faire !

De colère, le fantôme s'est levé et essuie des larmes que Magnus ne voit pas. Il a vu cette scène, dans l'esprit de Micah, mais ça n'atténue pas le choc des mots déchirants de Camille. Il baisse la tête, quelque part, il se sent coupable de la remettre face à ça, mais s'ils veulent retrouver le petit, elle doit leur dire ce qu'elle sait.

— Est-ce que tu sais qui il est, Camille ? Est-ce que tu l'avais déjà vu ?

Elle hoche la tête et le médium soupire, un peu soulagé.

— Mais je ne me souviens plus de son visage, avoue-t-elle. Il est flou. Mais je me souviens que... C'est lui qui m'a fait me sentir en danger.

— Qu'est-ce qui s'est passé ?

— C'était... Environ deux semaines avant que je t'écrive la lettre. Je l'ai croisé dans le hall. Je l'avais jamais vu et il m'a semblé bizarre. Plus tard, j'ai demandé à mes voisins et à la concierge si un technicien ou un livreur était entré, mais pas ce jour-là. La semaine suivante... Je l'ai vu devant l'immeuble, j'étais avec Micah. Il m'a demandé quelque chose mais il me regardait à peine. Ses yeux n'arrêtaient pas de se poser sur Micah, alors je suis vite rentrée et j'ai fermé derrière moi pour être sûre qu'il ne rentre pas.

Quand elle s'interrompt, elle fait mine de reprendre son souffle après avoir parlé de plus en plus vite, comme si elle n'arrivait plus à retenir les souvenirs qu'elle avait gardé enfouis.

— C'est à cause de ça, que tu as décidé d'écrire la lettre ?

Elle secoue la tête et lui raconte comment elle a évité un premier accident. Une voiture à la conduite étrange qui la suivait et ne cessait de la coller jusqu'à ce que, dans un virage, elle double brusquement et manque d'envoyer Camille dans un fossé.

— Je ne sais pas pourquoi, mais pendant deux jours je n'ai pas pu m'empêcher de me dire que c'était cet homme dans la voiture, même si je ne l'ai pas vu ! Je n'ai pas osé aller voir la police parce que je n'avais aucune preuve, ils m'auraient pris pour une folle. Alors j'ai... Je t'ai cherché pour te faire envoyer cette lettre après ma mort, persuadé que cet homme en avait après Micah. Après ça, on est partis de San Francisco.

Bien qu'il déplore qu'elle n'ait même pas essayé de parler à la police, Magnus ne peut pas ne pas comprendre ses réticences. Pour en avoir subi quelques-unes, Magnus connaît les violentes sautes d'humeur que pouvait avoir Camille, surtout lorsqu'on refusait de l'écouter. Devant des flics, elle aurait risqué d'être prise pour un danger pour elle-même et son fils, c'était donc inenvisageable sans preuve de ce qu'elle avançait.

— Qu'est-ce que vous avez fait pendant tout ce temps ?

— Rien. Rien, on a simplement pris la route, on s'arrêtait pour manger et dormir. J'avais tellement peur...

— Pourquoi n'es-tu pas venue à New York comme tu l'as dit à... À absolument tout le monde, apparemment ?

— J'en avais pas les moyens... Et j'ai cru qu'avec un peu de chance, l'homme s'y rendrait et qu'il abandonnerait.

L'indonésien lève les yeux au ciel. Quelle idée !

— Je sais, c'était idiot ! En plus, il nous suivait. Parfois... Parfois, je croisais sa voiture.

— Tu le croisais ? Est-ce qu'il a encore essayé de te faire avoir un accident ?

— Non, je... En fait, c'était peut-être même pas lui.

Les sanglots invisibles reprennent, Magnus l'entend dans ses paroles qui deviennent saccadées.

— Je crois que j'ai perdu pied. Des fois, j'avais l'impression de devenir folle. Est-ce que c'était vraiment arrivé ou bien j'étais parano ? C'est pour ça... C'est pour ça qu'on est rentrés. Ça faisait au moins deux semaines que rien de bizarre ne s'était passé. Pas d'ombre, pas de voiture... Je me suis dit qu'on pouvait rentrer, mais on est allés à l'hôtel ! Au cas où... Et le lendemain...

Sa voix se brise. Magnus comprend que c'est le lendemain de leur retour que Micah a été enlevé. Il souffle longuement et pose sa tête sur le canapé. Difficile de ne pas penser comme Camille, la coïncidence serait trop grande. Alors est-ce que cet homme l'a suivi pendant ces deux mois ? C'est tout de même incompréhensible...

— Pourquoi ?

Le mot lui échappe un peu. Il fronce les sourcils et regarde l'apparition qui s'est rassise près de lui, ses grands yeux noirs braqués sur lui.

— Pourquoi Micah ?

Le fantôme se contente de hausser les épaules, véritablement incapable de répondre à cette question qu'elle s'est posée tant de fois au cours des dernières semaines de sa vie.

— Est-ce que quelqu'un pourrait avoir appris pour son don ?

Magnus et Camille se tournent vers Alec qui est toujours à quelques mètres d'eux. Si la mère réfléchit sérieusement à cette question, Magnus sent un nouveau poids lui broyer le cœur. Alec s'approche en continuant sa pensée :

— Soit l'homme voulait juste enlever un enfant, soit c'était Micah qu'il voulait, lui et pas un autre.

Le médium détourne les yeux en se sentant frissonner d'effroi devant les mots de son détective de petit-ami.

— Il n'aurait pas fait tant d'effort pour l'enlever, s'il n'avait pas de critère précis. Il aurait simplement changé de cible. Donc on peut être sûrs qu'il a jeté son dévolu sur Micah. Ça pourrait être un maniaque, mais dans ce cas, il aurait été plus direct et moins patient.

— Je ne comprends pas, souffle Camille.

— Alexander, s'il te plaît. Qu'est-ce que tu essaies de dire ?

— Je pense que la personne qui a enlevé Micah est rationnelle et organisée. On sait que Micah possède le même don que toi, bébé. Quelqu'un pourrait l'avoir appris et avoir décidé de... De se l'approprier.

Sous le choc, Magnus lâche la lettre et Camille disparaît. Il plonge son regard coupable dans les yeux noisette qu'il aime tant.

— C'est de ma faute, articule-t-il difficilement.

— Quoi ? Non ! Mags, bien sûr que non !

Alec passe par-dessus le dossier pour s'asseoir à côté de Magnus, à la place où se trouvait Camille quelques secondes avant. Il prend doucement ses mains pour attirer à nouveau son regard. Cette fois, des larmes bordent ses paupières.

— Excuse-moi, je ne voulais pas te mettre dans cet état, murmure Alec. Mais c'est important de connaître les intentions de cet homme. Et si j'ai raison, c'est une bonne nouvelle.

— Une bonne nouvelle ?

— Oui, ça veut dire qu'il n'a sans doute pas l'intention de blesser Micah ou de lui faire du mal. Il faut le trouver, vite, mais sa vie n'est sans doute pas en danger.

Les joues inondées de larmes, Magnus se réfugie dans les bras d'Alec. Il a peur pour Micah, tellement peur.

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