Chapitre 14 : « J'irais n'importe où pour toi. »

Son portable collé à l'oreille, Magnus lève les yeux au ciel avant de soupirer silencieusement.

— Pourquoi tu m'as rien dit ? s'exclame Catarina, à l'autre bout du fil. Il a fallu que ce soit Dot qui me prévienne !

— Il me semble que je t'ai déjà dit que je n'aime pas que vous parliez de moi quand je ne suis pas là.

— Je m'inquiète pour toi ! Tu ne m'appelles presque plus ces derniers temps !

Et pour cause, elle le connaît trop bien. Le problème, c'est que le but de Magnus était de ne pas trop l'inquiéter, justement, et c'est pour ça qu'il se contentait de lui envoyer des SMS. Dans sa voix, elle aurait entendu que quelque chose n'allait pas et si elle n'avait pas réussi à en savoir plus, elle lui aurait envoyé Ragnor ou, en dernier recours, Raphael.

— Excuse-moi, c'est juste... Un peu compliqué depuis quelques semaines.

— Tellement compliqué que tu pars sans prévenir.

Il lève encore une fois les yeux au ciel mais ne retient pas son soupir, pour faire comprendre à sa meilleure amie qu'elle l'agace. En face de lui, Alec cache un sourire, amusé par les mimiques de son fiancé.

Ils sont installés à un café de l'aéroport, ils ont décidé de se rendre à San Francisco après que Magnus ait réussi à apercevoir quelques images nettes dans l'esprit de Micah. Rien de rassurant, malheureusement.

— Tu sais que je vais appeler Clary pour qu'elle me dise de quoi il s'agit, n'est-ce pas ?

— D'accord, c'est bon...

S'il ne lui apprend pas ça lui-même, ce sera encore pire. Il passe sa main libre sur son visage puis, quand il la repose sur la table, Alec vient la prendre. Concentré sur son propre téléphone, le détective fait mine de ne pas écouter, pourtant Magnus est sûr qu'il ne rate pas un mot.

— Tu te souviens de Camille ?

— Ton ex ? Oui, je m'en souviens. Et je me souviens de ce qu'elle a fait pour te faire fuir, aussi.

— Eh bien...

— Quoi !? hurle brusquement Catarina. Me dis pas qu'elle est tombée enceinte avant que tu partes !

— Il s'appelle Micah. Et il a été enlevé, il y a un mois.

Magnus ferme les yeux alors que les pensées de l'enfant, qu'il a réussi à piocher dans son esprit la veille, lui reviennent en tête. Sans doute l'un des plus traumatisants de sa jeune vie : la dernière fois où il a vu sa mère.

Cela s'est passé dans les rues de San Francisco, il faisait nuit. Un homme est soudainement apparu près du petit et l'a arraché à sa mère. Magnus voit encore le regard de Camille, la stupeur dans ses pupilles. Incapable de bouger pendant quelques secondes, cela a suffi pour que l'homme emmène Micah qui se débattait en appelant sa mère.

— Mags ?

Le médium sursaute. Son fiancé est maintenant à côté de lui, un bras autour de ses épaules pour le réconforter. De son autre main, le brun prend le portable entre les doigts crispés de l'indonésien.

— Tout va bien, dit-il à Catarina. On te prévient quand on arrive.

— Faites attention.

— Promis.

Magnus n'avait pas réalisé qu'il est resté silencieux pendant plusieurs minutes, à se remémorer ce souvenir douloureux. Ça étonne moins Alec qui l'a déjà aidé à surmonter le choc, hier, quand il est sorti de sa transe. L'indonésien essuie discrètement les larmes qui perlent à ses yeux et sent son fiancé déposer un baiser sur sa tempe. En quelques secondes, il se sent apaisé.

— Excuse-moi, souffle-t-il. Je ne voulais pas attirer l'attention sur nous.

— Ah oui ? C'est nouveau, ça-Aïe !

Le brun rit doucement en frottant son épaule où Magnus vient de le taper. Mais un léger sourire s'est glissé sur les lèvres du médium et il secoue la tête. La journée précédente a été éprouvante pour tous les deux. Magnus a conscience que plus il passe de temps en transe, plus Alec s'inquiète pour lui et sa santé, même s'ils savent pertinemment qu'ils n'ont pas le choix. Il a partagé une bonne partie de sa journée entre Micah et Camille. Et bien que contacter son ex lui demande moins d'effort, le fait qu'il soit en colère contre elle n'arrange rien. Oui, il est en colère pour tout ce qu'elle lui a caché pendant huit ans. Et pour leur avoir fait perdre des jours entiers avec ses cachotteries. Sans compter qu'elle est toujours incapable de leur parler de ce qui s'est passé après qu'elle ait écrit la lettre. Que s'est-il passé durant ces deux mois ? C'est toujours un mystère.

Que faire d'autre que se rendre à San Francisco, alors ? Aller à l'ancien appartement de Camille est sans doute une bonne base, essayer de discuter avec le propriétaire pour savoir ce qu'il a fait de leurs affaires. Il aura probablement tout jeté et cela brise déjà le cœur des deux hommes. Mais si c'est une âme charitable, peut-être aura-t-elle gardé certaines choses ? Aussi, peut-être les voisins sauront-ils quelque chose de plus ? Jace leur a également suggéré de se rendre au poste de police et de parler à la personne qui lui a envoyé le rapport d'enquête : Lydia Branwell. Si leurs idées sont probablement vouées à l'échec, Magnus n'est pas pour autant très fan de celle du blond.

Mais pour le moment, alors que l'avion vient de décoller, ils ont d'autres préoccupations en tête. Les doigts d'Alec se resserrent férocement sur la main de son fiancé. Il n'aime pas prendre l'avion. À vrai dire avant ce jour, il n'était monté que deux fois en avion, quand il avait une quinzaine d'années à l'occasion de vacances en famille. Sur l'allée et le retour, il s'est retrouvé à côté de sa sœur qui n'a rien trouvé de mieux à faire que de lui parler d'accidents d'avion. Enfin, quand elle ne dormait pas. Autant dire qu'Alec a trouvé le temps très long et qu'il n'a eu personne pour l'aider à gérer ses angoisses.

Quand l'avion atteint enfin son altitude de croisière, Alec se détend légèrement. Seulement pour rendre sa main à Magnus et éviter de lui broyer les os.

— Si j'avais su que tu aurais si peur, mon ange, on aurait emmené des somnifères.

— Pour te laisser tout seul à rien faire d'autre que ressasser tes pensées ? Hors de question.

D'un geste sec, Alec tire sur le store du hublot pour ne plus voir l'extérieur et se réinstalle dans son siège. Il étend ses longues jambes en grognant un peu. Tendrement, Magnus vient reprendre sa main. Il préfère avoir les phalanges en bouillie que de laisser Alec en détresse.

— Bon eh bien je crois que nous n'irons pas à Hawaii pour notre lune de miel, le taquine-t-il en caressant le dos de sa main.

— Tu sais bien que j'irais n'importe où pour toi.

— Je le sais, Alexander, mais tu crois que je ne vais pas prendre en compte ton bien-être ?

— Non, bien sûr.

Ce disant, le brun remonte leurs mains à sa bouche pour embrasser les doigts de son homme et, plus précisément, sa bague de fiançailles.

— Une croisière, ça m'irait très bien, décrète Magnus.

— À moi aussi.

Magnus bouge un peu ses doigts pour caresser les lèvres d'Alec qui relève les yeux vers lui en souriant. Une hôtesse de l'air arrive au même instant pour s'assurer que tout va bien..

Le vol est long. Très long, de l'avis d'Alec, même s'il finit par s'endormir, grâce à un film fort peu intéressant. Magnus, lui, s'est retrouvé assailli par des souvenirs intempestifs, ceux qu'il n'avait que survolé dans l'esprit de Micah mais qui se sont quand même gravés dans son esprit. Là où c'est étonnant, c'est que ça n'arrive guère avec les enfants habituellement, son esprit d'adulte n'est pas assez réceptif pour ça. Enfin, c'est comme ça qu'il l'a toujours interprété. Donc cela voudrait dire qu'il est réceptif à l'esprit de Micah ? Pourquoi ? Parce qu'ils possèdent le même don ou bien parce que... Parce qu'ils sont liés par le sang ? C'est encore une question à laquelle il n'aurait probablement jamais de réponse définitive... Alors il se contente de la balayer.

Avec un soupir, il enlève ses écouteurs, pas plus intéressé par le film que son fiancé qui dort sur son épaule. Des babillages d'enfants lui font tourner la tête et il voit un petit garçon et une petite fille en train de jouer ensemble, par-dessus une allée. La fille a peut-être six ou sept ans, le garçon sans doute pas plus de cinq. Avec un pincement au cœur, l'indonésien les regarde faire pendant plusieurs minutes. Ils sont tellement mignons qu'il ne peut s'empêcher de penser à leurs projets, à cette envie d'avoir une famille qu'il a depuis des années et, rapidement, il commence à avoir du mal à respirer alors que la réalité le rattrape. Micah. Il voulait tellement des enfants, pourquoi faut-il qu'il rejette à ce point le sien ? Le sien... Non.

Il coupe finalement le film, inutile de le laisser tourner pour rien, et il enlève le casque d'Alec. Le brun bronche à peine, il se frotte vaguement le visage avant de retrouver un sommeil plus profond.

Quelques heures plus tard, les deux hommes se retrouvent sur la terre ferme à attendre leurs bagages. Ils ont peu de choses, seulement le strict nécessaire pour un voyage dont ils ne connaissent pas la durée. Pensivement, Magnus masse sa main qu'Alec a encore écrasée à l'atterrissage. Il s'est rarement senti aussi perdu qu'aujourd'hui, pourtant sa vie a eu des périodes assez chaotiques.

— Est-ce que je t'ai fait mal ? demande soudain Alec, le sortant de ses pensées.

— Non, chéri. Tout va bien. J'étais juste en train de réfléchir.

Pour le rassurer, il s'approche et dépose un baiser sur ses lèvres. Pour le rassurer et aussi se donner du courage à lui-même, pour sentir qu'il n'est pas seul.

— Je crois qu'on a tout récupéré.

L'astiatique baisse les yeux sur leurs bagages, près d'eux : trois sacs et une valise. Tout est là, en effet. Ils empoignent donc leurs affaires, et se dirigent vers l'agence de location de voiture. Ils ne savent peut-être pas combien de temps ils vont devoir rester, ils savent néanmoins qu'ils vont devoir beaucoup se déplacer. Assez pour que prendre des taxis soit inenvisageable.

Il est déjà 18h30 quand ils s'installent dans la voiture, Magnus derrière le volant. Ils prennent le temps de prévenir leurs proches de leur arrivée pour qu'ils ne s'inquiètent pas avant de partir en direction de l'hôtel où ils ont pu réserver une chambre pour les prochaines nuits. Il ne s'écoule que quelques minutes avant que le téléphone d'Alec ne sonne.

— Jace ? s'étonne le détective en décrochant.

— Le vol s'est bien passé ?

— Ouais... ça a été. Qu'est-ce qui se passe ?

— J'ai reçu un coup de fil du lieutenant Branwell.

— Ah bon ? Pourquoi ça ?

Il met le haut-parleur pour que Magnus puisse entendre aussi la conversation, il n'a même pas envie de risquer qu'il se demande s'il ne lui cache pas certains détails. Alec ne lui en voudrait pas qu'il se pose la question, après tout, il l'a déjà fait.

— Elle voulait savoir si le dossier m'avait été utile, répond Jace. J'en ai profité pour la prévenir que vous passeriez probablement la voir.

— On ne sait... Pas encore si on ira voir la police, explique Alec.

— Vous devriez. Au moins, pour lui parler. Elle vous aidera sûrement quand vous aurez retrouvé le petit. L'équipe chargée de l'enquête ne va peut-être pas apprécier que vous leur fassiez remarquer qu'ils ont laissé un enfant, sans défense, pendant plus d'un mois.

— Ça, c'est pas mon problème, grommelle Magnus en s'arrêtant à un feu rouge.

— Si Camille ne les a jamais prévenus, ils ne pouvaient pas savoir qu'ils étaient en danger.

Alors quoi ? Si Camille n'avait pas envoyé cette lettre, cet enfant aurait été abandonné de tout le monde et ça n'aurait été la faute de personne ? Non, c'est trop facile. Il est assez en colère contre lui-même pour n'avoir pas réagi assez vite, il n'y a pas de raison que ces foutus flics n'en prennent pas aussi pour leur grade.

— Enfin... Je comprends que tu sois en colère, Magnus, poursuit le policier. Essayez juste de pas provoquer de scandale au poste.

— Désolé, on peut pas te promettre ça, répond Alec.

Magnus sourit à son fiancé et cesse d'écouter la conversation pour ne pas s'énerver tout seul. Alec raccroche peu après et prend la main du médium.

— Essayons de penser à autre chose, ce soir, d'accord ? demande-t-il d'une voix tendre. On a déjà la liste des endroits où on veut aller se renseigner, on ne fera rien de plus maintenant.

Le plus âgé hoche doucement la tête. Alec a raison et, de toute façon avec la fatigue du vol, il n'est pas certain qu'il ne s'énerverait pas après n'importe quelle personne qui refuserait de lui répondre. C'est pourtant assez difficile de ne pas penser que Micah va passer une nouvelle nuit seul et apeuré.

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