Chapitre 13 : « J'ai confiance en toi. »
Malgré les bras qui enserrent jalousement sa taille, l'angoisse frappe Magnus dès qu'il ouvre les yeux. Camille, Micah, les serviettes maculées de sang à cause des heures passées à ne pas réussir à se concentrer assez pour retrouver le lien avec son fils. Son fils. Putain, l'angoisse... Pour ne pas risquer de réveiller Alec, il quitte cette tendre étreinte puis la chambre, une fois habillé. Il aurait aimé profiter de ces instants, profiter de la chaleur de son fiancé et de la sécurité apportée par leurs ébats de la nuit, malheureusement la réalité n'a pas attendu pour fondre sur lui. Il descend jusqu'au salon pour se laisser tomber sur le canapé. Calé dans les coussins, il écoute le silence de la maison, laisse son regard divaguer un peu partout, dans l'espoir de supprimer le poing qui lui comprime le cœur. Non, cette fois, ce n'est pas un pressentiment, c'est seulement la peur. La peur comme jamais auparavant, pas même pendant sa relation avec Victor... Ou plutôt, juste après, quand il craignait de le croiser en rentrant chez lui, en partant, et, en fait, à n'importe quel moment.
Sentant sa jambe battre une cadence nerveuse, il se redresse et pose son coude sur l'accoudoir, son menton sur sa main et il continue les pérégrinations de son regard. Enfin, jusqu'à ce que ses yeux se posent sur une tâche de sang oubliée sur la table basse, juste à côté de la petite voiture orange. Il tend une main fébrile vers le jouet mais se ravise avant de le toucher, un violent sentiment de rejet faisant surface. Il ferme les yeux pour le faire disparaître, se sentant coupable de ressentir cela à l'égard du jouet et, par extension, de l'enfant lui-même. Ce môme, il a rien demandé. Mais Magnus non plus, à dire vrai. Non seulement, il n'a rien demandé, mais il n'a jamais voulu d'enfant. Pas comme ça, pas de lui. Et il avait raison de ne pas en vouloir puisque Micah a hérité de son don, comme il le craignait ! Il aurait dû être plus prudent. Il n'aurait jamais dû faire confiance à Camille en apprenant qu'elle essayait de tomber enceinte.
Il pose sa main libre sur ses yeux, sent les larmes se presser à ses paupières. Oui, il a peur. Comment pourrait-il ne pas avoir peur dans cette situation ? Plus va, et plus la vie le pousse à confirmer, encore et encore, cette décision si importante. La tâche de sang sur la table n'est qu'un des très, très – très –, nombreux signes du bien-fondé de sa résolution. Son mal de tête persistant en est un autre. Et cela peut paraître anodin, à quelqu'un qui ne vit pas avec cette affliction, pour Magnus ça ne l'est pas.
— Eh Mags...
Réalisant la présence d'Alec, l'indonésien essuie prestement ses yeux mais trop tard car le brun est déjà devant lui, une expression concernée sur le visage. Il pose une main sur le front du médium pour s'assurer de son état.
— Qu'est-ce qu'il y a ?
— Ce n'est rien, chéri. Rien, je t'assure.
Son corps se tend d'appréhension. Il ne sait pas trop sur quel pied danser avec Alec, compte tenu de leurs dernières disputes, alors il préfère taire ses craintes pour le moment. Tant qu'ils n'ont pas parlé sérieusement. Alec s'assoit à son tour sur le canapé, mais contrairement aux jours précédents, il n'hésite pas à prendre la main de Magnus. Il doit le rassurer. L'asiatique a beau dire qu'il n'y a rien, son fiancé n'est pas dupe et le connaît trop bien pour ne pas se douter qu'il y a anguille sous roche. Il porte les doigts fins de son amant jusqu'à sa bouche pour les embrasser, doucement.
— Magnus, je suis désolé. J'ai extrêmement mal réagi hier et j'ai dit des choses que je ne pensais pas.
Des larmes de soulagement reviennent border les paupières du plus âgé et il soupire en les chassant. Ça aussi, ça l'a torturé pendant des heures, l'idée même que l'amour de sa vie doute, ne serait-ce qu'une seconde, de la solidité de leur relation, de son envie de continuer à faire des efforts pour que tout ne tombe pas en lambeaux.
— J'étais en colère, continue le brun. Je voulais que tu me laisses tranquille, c'est uniquement pour cette raison que j'ai dit tout ça.
Il détourne les yeux, honteux d'avouer qu'il savait que ça blesserait Magnus et que c'est pour ça qu'il l'avait dit, honteux de cacher la véritable raison qui l'a poussé à vouloir partir, coûte que coûte. La main libre de Magnus vient se poser sur sa joue pour qu'il le regarde à nouveau.
— Je comprends pourquoi tu étais tellement en colère. Et je veux que tu saches que je ne t'ai rien caché. Je ne savais pas que Camille avait eu un enfant, qu'il est de... De moi.
— Je sais. Je te crois, tu ne m'aurais pas menti. C'est juste que...
— J'aurais sûrement réagi de la même manière que toi, Alexander, poursuit le médium devant l'hésitation d'Alec. Même si je n'imagine pas que ça ait pu t'arriver.
— Pourquoi ça ? demande le brun, qui devient soudain grincheux.
— Eh bien... Parce que, déjà, tu es gay et parce que... À moins que tu m'aies menti, je suis ton premier partenaire. Et enfin... Comment ça aurait pu ? Tu es bien plus raisonnable que moi.
Un nouveau soupir. La vie de Magnus a été tellement désordonnée, pendant des années, contrairement à celle d'Alec. Et ça a bien peu à voir avec l'existence, ou non, de sa vie amoureuse.
— J'ai cru que... Tu pensais que ça ne pourrait pas m'arriver parce que tu es le seul à t'être jamais intéressé à moi.
Surpris par cette assertion, Magnus pouffe brièvement de rire et secoue la tête pour savoir quoi répondre en premier.
— Moi ? Le seul ? Tu n'as vraiment pas conscience de la façon dont les gens te regardent, n'est-ce pas ?
— Qu'est-ce que tu veux dire ? Si les gens me regardent, c'est uniquement quand je t'ai à mon bras.
— Oh, tu es trop mignon. Si ce n'était que ça, je n'aurais pas à me méfier de chaque homme qui t'approche. Enfin, seulement ceux qui sont plus beaux que moi, évidemment.
Alec esquisse enfin un sourire amusé, les joues un peu rouges. Non, il ne fait pas attention aux gens autour de lui qui ne sont pas Magnus, et il doit bien admettre qu'il n'a que très rarement remarqué la jalousie de son fiancé. Il se rapproche de lui et dépose un baiser sur sa joue.
— Ça ne doit pas en faire beaucoup, alors.
— Non, c'est vrai.
Ils se mettent tous deux à rire, l'ambiance s'est un peu détendue, et ils s'enlacent tendrement en se calant dans le canapé. De retour au creux des bras de l'amour de sa vie, Magnus enfouit son visage contre son torse quelques instants avant de continuer.
— Je plaisante, mais... Ce n'est pas parce qu'il m'arrive d'être jaloux que je n'ai pas confiance en toi, mon ange.
— J'ai confiance en toi, Mags. Et... Je veux bien t'écouter, maintenant.
Magnus hoche lentement la tête et lui relate rapidement les véritables circonstances de sa rupture avec Camille. Il n'a pas bougé, toujours lové contre le torse d'Alec, soulagé qu'il ne voie pas son visage, et de ne pas voir ses réactions.
— Pourquoi est-ce que tu ne m'as pas dit ça quand tu m'as parlé d'elle ? demande Alec, la voix dénuée de la moindre accusation.
— Je ne pensais pas que c'était important. Si j'avais su, je t'aurais tout dit. Et si j'avais su que j'avais... que j'ai...
Le médium se redresse, incapable de prononcer les mots. J'ai un enfant. La pensée le fait trembler et il sent encore ce rejet trop vivace. Non, il n'a pas d'enfant. Il ne connaît pas cet enfant, il ne sait rien de lui, il ne l'a pas vu naître, ni grandir, et si Camille n'était pas morte, il n'aurait sûrement jamais rien su à son propos. Une partie de lui déplore ce fait, une toute petite qui n'a, de toute façon, pas voix au chapitre pour le moment.
— Oui, tu me l'aurais dit, je le sais.
La main d'Alec se glisse sur la cuisse de Magnus qui s'efforce de ne pas céder à la panique. Le voilà dans le même état que celui dans lequel il l'a trouvé, quelques minutes plus tôt. Alec comprend rapidement que c'est Micah qui le fait réagir comme ça. Mais quoi, exactement ? Son existence, ou le fait qu'il soit quelque part et que personne ne sache où ?
Alors qu'il s'apprête à tenter d'aborder le sujet, et que lui-même se sent très mal à l'aise, il se souvient de la lettre et du jouet qu'il avait déjà remarqué du coin de l'œil en rentrant, cette nuit. Les objets n'ont pas bougé et il découvre la tâche sur la table. Il lui est alors impossible de continuer à ignorer ce que Magnus a fait.
— Tu as... parlé à Camille, hier soir ?
— Oui, je voulais qu'elle me confirme.... tout ça.
— D'accord. Elle t'a dit autre chose ?
— Il a... Il a hérité de mon don.
Les épaules de l'indonésien s'affaissent et il baisse la tête pour ravaler ses larmes. Alec l'attire alors contre lui pour le réconforter, le cœur brisé de voir son fiancé à ce point affecté.
— Je voudrais que tu te reposes aujourd'hui, d'accord ? lui dit-il après quelques minutes. N'utilises pas ton don.
— I-il le faut... On doit savoir où il se trouve, et avec qui.
— Je sais que tu veux l'aider mais si tu t'évanouis, tu n'aideras personne.
Les mots sont durs mais Magnus finit par hocher la tête, hésitant néanmoins. Pour le moment, il est le seul moyen qu'ils ont de réussir à trouver cet enfant, ils sont d'ailleurs les seuls à savoir qu'il est en vie. Rester simplement là à attendre, sans rien faire, est difficile.
— C'est normal que tu sois inquiet pour lui. Mais on va le trouver et le ramener, d'accord ? Tu dois juste prendre un peu de temps pour te remettre.
L'indonésien relève les yeux vers son amant, les sourcils légèrement froncés. Cette simple phrase forme dans son esprit des pensées qu'il ignorait depuis la veille. Ramener Micah ? Il s'écarte pour chercher son air, la panique l'empêche de respirer.
— De quoi tu parles, Alec ? parvient-il à souffler.
— Qu'est-ce qu'il y a ?
— Le ramener ? Où ça exactement ?
— Eh bien... J'en sais rien, en sécurité. Ici, peut-être ?
C'est trop, Magnus préfère changer de pièce plutôt que de continuer sur cette lancée. Par ailleurs, il n'est pas certain que s'ils continuent cette conversation, l'angoisse ne lui fasse pas tourner de l'œil. Bien sûr, Alec ne le laisse pas seul et préfère le rejoindre quelques instants plus tard, dans la cuisine. L'indonésien fait les cent pas en se forçant à prendre de profondes inspirations.
— Bébé... Je suis désolé, je voulais pas te faire peur.
— Comment tu peux... Comment ?
— Quoi donc ?
— Mais proposer un truc pareil ! Alors qu'hier, tu...
Magnus se mord la lèvre. Comment Alec est-il passé de « tu m'as fait un enfant dans le dos » à « prenons-le à la maison » en seulement quelques minutes ? Ça n'a pas de sens ! Aucun putain de sens !
Le brun s'approche doucement de son fiancé pour le forcer à s'arrêter, il pose ses mains sur ses épaules puis les monte sur ses joues.
— J'en sais rien, avoue-t-il. Mais tu es tout ce qui lui reste.
— Le pauvre...
— Mags... Moi, je ne sais pas ce qui se passe dans ta tête. Je te connais bien, mais je ne peux pas tout deviner.
Encore moins si ça concerne ses réticences vis-à-vis d'un enfant biologique, ce qui semble être le cas. Jusqu'à il y a peu, il n'aurait jamais cru voir Magnus à ce point désemparé face à l'idée de devenir père.
— Son don, chéri. Ce don... Tu ne sais pas ce que c'est...
— C'est vrai, je ne sais pas. Mais on peut le gérer, tous les deux, ça ira pour lui aussi.
— Non, cette fois... Cette fois, mes craintes sont beaucoup plus égoïstes que ça... Je peux pas le voir traverser ce que, moi, j'ai traversé, je veux pas me souvenir à cause...
À cause de lui. Il se dégage des mains d'Alec, il se sent ignoble de réagir comme ça. Pourtant il n'y peut rien. Malgré la présence de ses meilleurs amis à ses côtés, l'école a souvent été pénible à vivre, à cause de ses capacités. Apprendre à contrôler son don n'a pas été évident, et pendant tout ce temps, Magnus s'effrayait comme il effrayait ses camarades et ses instituteurs qui demandaient encore et encore à ses parents de l'emmener voir un médecin, pensant à des crises d'épilepsie.
— Pendant des années, ça va être... Ça va être si difficile pour lui.
— On sera là pour le soutenir.
— Il va me détester pour lui avoir fait ça.
— Tu as détesté ta mère ?
— Ma mère était... La meilleure de toute, je n'aurais jamais pu la détester.
— Et tu seras un père fantastique, je n'en doute pas une seconde. Et puis, tu ne seras pas tout seul.
Touché par les mots de son compagnon, Magnus se laisse attirer une nouvelle fois dans ses bras et capture aussitôt sa bouche, avide de le sentir contre lui et d'oublier la solitude de ces dernières semaines. Il s'est toujours dit qu'il pourrait tout affronter, tant qu'Alec est à ses côtés. Et pourtant, cette fois, ça lui paraît si compliqué...
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