Chapitre 10 : « Excuse-moi d'avoir un passé ! »
Lucian parvient à retenir Alec jusqu'à environ treize heures trente. Pendant des heures, il a tenté de lui changer les idées pour qu'il abandonne cette expression figée et bourrue que l'afro-américain n'avait, jusque-là, vue que sur des photos datant d'il y a quelques années. De son expérience, il sait bien qu'il y a certaines conversations pour lesquelles il faut avoir les idées claires même si ce n'est pas évident. Pourtant, quand le plus jeune passe la porte du bureau, il n'est pas moins en colère qu'il l'était en découvrant la photo de l'enfant qu'ils doivent rechercher. Il est toujours en colère. Mais, plus que ça, il est furieux, perdu et se sent trahi. S'il savait déjà que Magnus était doué pour le mensonge – après tout, il a su garder beaucoup de choses secrètes pendant des années, même pour ses meilleurs amis –, il pensait qu'ils s'étaient tout dit après s'être fiancés.
Il arrive enfin chez lui, après avoir fait de nombreux détours, trop partagé entre son envie de confronter son compagnon et celle de fuir cette bombe prête à exploser au-dessus de leurs têtes. Cela dit, il ne pourra pas fuir éternellement, la confrontation est inévitable. Alors il pousse la porte d'entrée d'un geste un peu trop vif, la faisant claquer contre le mur. Il se débarrasse de ses affaires et va au salon où il trouve Magnus assis sur le canapé. Il se frotte les yeux, signe qu'Alec a dû le réveiller avec son entrée un peu brutale.
— Tu es déjà rentré ? s'étonne le plus âgé. Ou alors j'ai dormi toute la journée ?
Affolé pendant une seconde, il regarde autour de lui avant de voir, par la fenêtre, qu'il fait encore jour. Ouf. Il regarde à nouveau Alec qui n'a ni bougé ni parlé, et se rend alors compte que quelque chose ne va pas.
— Alexander ? souffle-t-il en se levant, lentement. Qu'est-ce qu'il y a ?
Devant l'absence de réponse, Magnus s'approche pour prendre la main d'Alec mais celui-ci se dégage aussitôt. Le brun sort alors une feuille pliée de son blouson, il la tend à l'asiatique.
— Quand est-ce que tu allais me dire la vérité ?
— Quelle vérité, mon ange ?
— Non, stop. Arrête avec les petits noms. N'essaie pas de m'amadouer, je crois que je n'ai jamais été plus en colère contre toi que maintenant !
Magnus recule d'un pas, blessé par l'humeur de son fiancé qu'il ne comprend pas. C'est vrai, Alec est du genre à s'agacer pour pas grand-chose, mais pas avec lui. Jamais, il ne l'avait vu lui lancer ce regard noir. Il essaie néanmoins de se reprendre, d'en savoir plus. Alors il attrape la feuille mais les doigts du brun se resserrent dessus, il cesse donc de tirer pour ne pas la déchirer.
— Alexander...
— Tais-toi.
— Dis-moi ce qui se passe. Je ne comprends pas !
Le détective déplie la feuille pour, enfin, montrer ce qu'il y a dessus au médium. Magnus hausse les sourcils et croit d'abord qu'il s'agit d'une vieille photo de lui, mais il réalise vite que ce n'est pas le cas. Ses yeux s'écarquillent à cause du choc et il devient soudain plus pâle.
— Voilà Micah, lâche Alec.
— C'est.. ? Non. C'est impossible...
La main tremblante de Magnus repousse la photo pour l'enlever de son champ de vision, puis il s'écarte, s'en éloigne de plusieurs pas.
— Tu comptais me cacher ça jusqu'à quand ? s'écrie Alec. Tu m'as dit, il y a moins d'un mois, que tu ne veux pas avoir d'enfant biologique et là je découvre que tu en as, en fait, déjà un ?
— Non. Non, non, non...
— Je croyais qu'on était honnêtes l'un envers l'autre ! C'est toi qui voulais absolument qu'on n'ait plus aucun secret l'un pour l'autre avant de nous marier !
— Alexander, souffle Magnus, désespéré. Je te jure que...
— Mais arrête de nier ! La preuve est là, il te faut quoi de plus !? s'exclame Alec en lui agitant la photo devant le visage.
À quel point Magnus le prend-il pour un idiot pour croire qu'il peut simplement continuer de lui mentir comme ça ? Le brun passe une main sur son visage en soupirant alors que l'indonésien s'appuie contre la table. Il a le cœur lourd. Et il a envie de vomir. Il ne nie pas que ce petit lui ressemble de façon extrêmement troublante, seulement qu'il ignorait son existence.
Son regard s'échoue sur l'enveloppe de Camille, posée près de lui. Il se remémore ce qui l'a décidé à la quitter, alors que leur relation était déjà bancale. Il serre les mâchoires. Elle n'aurait quand même pas fait ça !
— J'en reviens pas, reprend Alec après quelques instants. Tu m'as dit que tu n'avais jamais aimé personne autant que tu m'aimes moi, mais tu ne veux pas qu'on ait un bébé. Pas même pour moi.
Dans la voix du cadet, Magnus entend les sanglots qu'il retient. Il entend sa douleur mais il sait déjà que, quoi qu'il dise, Alec balaiera tout en l'accusant de mentir. Mais il ne lui aurait jamais caché quelque chose d'aussi important que ça.
— Tu m'as dit que tu ne l'as même pas aimée, elle.
— C'est la vérité.
— Et pourtant, tu lui as fait un enfant !
Qu'est-ce qui le bouleverse le plus dans tout ça ? Que Magnus lui ait peut-être caché qu'il a un enfant, pendant près de deux ans ? Ou qu'il ait accepté d'en avoir un avec quelqu'un dont il n'était pas amoureux alors qu'à lui, l'homme de sa vie, il le refuse ? Alec ne le sait pas lui-même, tout se mélange. Les poings serrés, il baisse la tête pour continuer de contenir ses larmes. Rapidement, il sent la main de son amant se poser sur son épaule pour le réconforter, mais il le repousse d'un geste brusque.
— Dis-moi la vérité !
— Ce n'est pas ce que tu as envie d'entendre, visiblement ! lui répond Magnus, d'un ton de reproche.
Cette fois, ça suffit. Il ne veut clairement pas l'écouter, il veut simplement lui crier dessus pour faire sortir sa colère. Mais Magnus n'est pas là pour ça. Pour le soutenir et le soulager, mais pas pour servir de punching ball !
— Ah vraiment ? rétorque Alec en relevant les yeux vers son fiancé. Donc maintenant, c'est de ma faute ? Ton ex débarque, j'apprends que tu as un enfant et c'est moi le méchant ?
— Excuse-moi d'avoir un passé !
Le silence s'abat alors entre eux. L'indonésien soupire, ce n'est pas ce qu'il voulait dire, pas comme ça. Mais est-ce sa faute si Camille lui a caché cet enfant ? Il n'avait plus aucun contact avec elle, et pour de très bonnes raisons, de toute évidence.
— Alexander, je t'en prie, laisse-moi t'expliquer.
— Oui, explique-moi ! Explique-moi ce qui t'a fait changer d'avis ! Explique-moi pourquoi il y a huit ans, avec elle, tu voulais un enfant et pourquoi maintenant, avec moi, tu ne veux plus !
— Mais ça n'a rien à voir avec toi, je n'ai jamais voulu avoir d'enfant biologique ! Et je t'ai expliqué pourquoi !
— Bien sûr que ça me concerne ! C'est notre vie que tu bouleverses en refusant de faire ça ! Et c'est égoïste !
Alec s'est rapproché de Magnus. Sa colère ayant repris le dessus sur ses larmes, il le vrille d'un regard noir et l'indonésien finit par détourner les yeux, incapable de soutenir ses yeux plus longtemps.
— Je croyais que tu avais accepté ma décision et que tu avais compris pourquoi je refusais, souffle Magnus, la gorge nouée.
— Eh bien, non, c'est pas le cas ! Comment je pourrais ? Et comment t'as pu ne pas t'en rendre compte, hein ? T'arrêtes pas de me dire qu'on est liés, tous les deux, et tu ne sais pas ça ? Tu ne sais pas que c'est ce qui me ronge depuis un mois ?
— Non, ce n'est pas vrai. Chéri, bien sûr que je sais, je le vois. Et c'est pas ça.
— Qu'est-ce que tu veux que ce soit d'autre ? lâche Alec en s'éloignant d'un pas pour que son médium de fiancé ne le touche pas.
Il est en colère pour une bonne raison, il n'a pas envie que Magnus change de sujet. Ça n'a rien à voir avec ce qu'il ressent depuis l'appel de la clinique. Pourquoi ça aurait à voir ?
— Chéri, s'il te plaît, insiste l'indonésien en l'attrapant par le bras. J'ai essayé d'en parler et comme tu m'ignorais, j'ai préféré te laisser le temps, mais... Mais tu sais aussi bien que moi que je sais ce qui se passe dans ta tête en ce moment.
— Je n'aime pas que tu rentres dans ma tête ! gronde le brun, sans se soucier d'être incohérent.
— J'essaie de me tenir à l'écart mais ce n'est pas toujours possible. Je sais que tu es déçu des résultats, mais tu n'as pas à te sentir mal à cause de ça.
— Là, tout de suite, tu crois que c'est ce qui m'importe ? s'énerve Alec en se dégageant encore. Tu crois que je me sens mal parce que je suis stérile ? Tu penses sans doute que je devrais me sentir moins un homme parce que je ne peux pas nous donner d'enfant ?
— Quoi ? Non ! Alexan...
— Tais-toi, lui ordonne-t-il une deuxième fois. Ça suffit !
Quand son bras libre se crispe brusquement, il s'écarte à nouveau de son fiancé. Sous la colère, il s'est senti prêt à frapper. Ce n'est pas vraiment inhabituel même si c'est rare, les murs ou les meubles ont parfois droit à ses coups quand il n'arrive plus à gérer a colère. Le problème, là, c'est que c'est Magnus qui est devant lui et que ça ne lui était jamais arrivé de s'énerver autant à cause de lui.
Leurs regards se croisent encore et quand Magnus veut attraper la main de son amant pour essayer de le calmer, il l'évite à nouveau. Et si, en le touchant, il se rendait compte de ce qu'il a failli faire ? Impossible.
— S'il te plaît, calme-toi, souffle Magnus. On doit parler de ça posément, on ne peut pas... Je veux pas qu'on continue comme ça.
L'indonésien se rapproche encore et Alec fuit. Sa colère le taraude toujours et c'est insupportable. C'est à peine s'il arrive à regarder son fiancé quand il répond :
— Je suis d'accord, on peut pas continuer. Mais je suis pas certain que ça puisse encore s'arranger. Et si tu veux pas faire d'effort pour nous, je vois pas pourquoi j'en ferais.
Sur ce, il tourne les talons, laissant Magnus dans le salon, hébété. C'est en entendant le bruit du moteur, qu'il réalise qu'Alec vient bel et bien de partir. Il reste quelques minutes ainsi, debout au milieu du salon, à se refaire leur dispute pour essayer de comprendre. Puis son regard se pose sur la photo de Micah, que son compagnon a laissé tomber sur le canapé. Il serre les dents. Ça aussi, il a dû mal à l'intégrer. Et il est hors de question qu'il n'obtienne pas toutes les réponses, maintenant.
Il retourne vers la table et sort la lettre de Camille de son enveloppe. Alors que l'apparition se matérialise près de lui, il lève une main pour lui intimer le silence et lit la lettre. Pour être précis, il lit le paragraphe où Camille parle de Micah. Non seulement, elle ne dit pas grand-chose, mais le médium commence à douter d'elle. Elle a clairement menti sur son âge. S'il est bien son enfant – et ce serait difficile de le nier –, il ne peut pas avoir « juste six ans ».
— Même morte, t'arrives à me mentir aussi effrontément, lui reproche-t-il enfin.
— Alors, tu sais pour Micah, constate-t-elle en regardant la photo de son fils sur le canapé.
— Et je viens de me disputer avec mon fiancé parce qu'il croit que je lui ai menti ! T'as vraiment besoin de moi ou c'était juste pour venir foutre le bordel dans ma vie ?
— Magnus, je suis désolée... J'ai eu peur que tu refuses de le chercher si tu savais que c'est ton fils.
Il lève les yeux au ciel et souffle. Vraiment ? C'est quoi cette excuse à deux balles ? D'accord, elle le connaît bien, et avait le droit de douter de sa réaction à l'annonce soudaine de sa paternité... Mais si elle le connaissait si bien qu'elle le pense, elle aurait dû savoir qu'il ne refuserait jamais son aide à un enfant.
— Et tu me caches quoi d'autre, comme ça ? demande-t-il, craignant déjà le pire.
— Pourquoi tu crois que je te cache autre chose ?
— Parce que moi aussi, je te connais, Camille. Et que, plus tu me caches de chose, plus je vais avoir du mal à le retrouver. Dis-moi ce que tu me caches encore !
— Ce n'est pas la peine de me le demander, tu le sais déjà. En fait, je suis sûre que depuis le moment où tu as réalisé qu'il est ton fils, tu sais.
Ses épaules s'alourdissent d'un coup et il lâche la feuille. Enfouissant son visage dans ses mains, il s'appuie une nouvelle fois contre la table. Oui, il sait. Il avait juste besoin qu'elle le lui confirme et elle l'a fait : Micah a hérité de son don.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top