« Nuage de Sardine ! Nuage de Sardine ! Nuage de Sardine ! » clamait le Clan, hurlaient ses parents, répétaient les plus timides.

   La nouvelle apprentie se sentit extrêmement gênée, ses oreilles brûlaient de malaise. Elle avait l'impression que toute la forêt criait son nom avec les échos ! Elle était entourée des arbres et de la foule en délire. Juste derrière elle, la dépassaient de loin son chef Étoile de Pavot, et son nommé mentor, Sifflement de la Brise. Elle n'était pas sur un promontoire ou une Corniche, comme les autres Clans, mais sur l'herbe, face à tant de monde. C'était bien plus stressant que d'être perché et pouvoir éviter le regard de ses camarades grâce à cela. Bande de chanceux, au Clan du Faucon ! Et au Clan du Moineau ! Surtout au Clan du Cygne ! Ils sont cachés derrière le chef, ces veinards ! les jalousait-elle intérieurement. Elle avait juste envie de s'isoler quelque part et s'enfermer dans sa bulle. Et elle avait beau être un peu timide et renfermée sur elle-même, quand elle voulait quelque chose, elle ne le cachait pas !

   Elle n'attendit même pas que son meneur déclare l'Assemblée finie qu'elle courut se réfugier dans la tanière des apprentis. Elle se roula en boule dans un coin et ferma les yeux. La seule autre novice, Nuage Ondulant, se précipita vers elle. Ses parents, Lueur de Limbes et Racine de Laurier, entrèrent à leur tour. Nuage de Sardine refusa de les entendre, l'image d'être vue par tout le Clan lui fichait les chocottes ! Elle fit comme si elle dormait, alors ne bougea pas.

 « Nuage de Sardine ! Tu n'as rien à craindre ! Tu es notre fille, et tu deviendras une très grande guerrière ! J'en suis sûre ! N'ai pas peur ! » tentait de la convaincre son père.

   L'intéressée resta silencieuse et serra les griffes. Elle se recroquevilla davantage, espérant s'endormir réellement. Je serai une grande guerrière, bien sûr... Je viens d'être apprentie ! songea t-elle, exaspérée. Les mots de ses parents qui faisaient autrefois étinceler ses yeux l'ennuyaient à présent. Bien sûr, elle rêvait d'être une grande guerrière, comme ils le disaient... Mais elle n'était pas encore prête à l'être !

 « Crois-nous, insista Nuage Ondulant en posant une patte sur son flanc. Tu terrassais tout le monde à la pouponnière ! »

   Et si je lui disais que je m'énervais parce que j'avais jamais assez de plumes dans mon nid ? se demanda la jeune femelle grise.

 « Ma sardinette... » soupira Lueur de Limbes.

   L'apprentie préféra continuer à se taire. Ses amis chatons lui manquaient déjà. Elle ne sentait plus leurs odeurs, et avait l'impression que tous leurs délires étaient bien loin maintenant... Elle se ressassa la berceuse qu'ils avaient inventés, cela la rassurait toujours.

  Le ciel vole les couleurs de l'arc-en-ciel et le soleil disparaît après avoir brillé toute la journée pour le punir, le ciel se retrouve alors tout noir... La lune la meilleure amie du ciel apparut pour éclairer la pénombre, aidée de ses amies les étoiles, une nouvelle nuit claire... Les étoiles veilleront toujours sur nous, pour qu'on fasse de beaux rêves...

   Bercée par le souvenir de cette mélodie, la femelle, novice depuis peu sombra dans le sommeil le plus profond, n'imaginant pas quel rêve étrange elle allait faire...

   En effet, lorsqu'elle ouvrit les yeux, un paysage s'offrait à elle. Il était impressionnant, et surtout... effrayant. Un sentier étroit s'étendait jusqu'à l'horizon, encerclé par un champ composé uniquement d'orties. Elle grimaça et se résigna à faire quelques pas, espérant que ce soit sans risques. Distraite par les bouquets de plantes, elle ne vit pas toute suite la féline assise en plein milieu du chemin. Nuage de Sardine recula en s'en apercevant. Il s'agissait d'une magnifique chatte blanche aux yeux verts émeraudes, qui avait tout l'air d'une sylphide. Elle avait l'allure d'une adulte encore assez jeune et arborait un regard et un sourire alliciants. C'en était presque gênant. Elle doit avoir vingt lunes, supposa l'apprentie.

 « Salutations. Tu dois être Nuage de Sardine, je me trompe ? » miaula t-elle en clignant lentement des yeux.

   La dénommée gonfla des joues et leva les yeux au ciel. Je comprends mieux ce que me disaient papa et maman sur le fait que j'allais devenir une grande guerrière... C'était prévisible. Ils le savaient probablement depuis le début !

 « Bah ouais, c'est moi. Vous devez être une guerrière du Clan des Étoiles. C'est pour une prophétie où je dois sauver les Clans, j'imagine ? Si je dois sauver les Clans, vous devriez d'abord garnir mon nid dans la tanière des apprentis de plus de plumes. Les feuilles se dessèchent vite et ce n'est pas très confortable. Vous pouvez aussi en mettre dans les autres nids. Nuage Ondulant fait des insomnies à cause de son inconfort. Et je vais finir par en faire aussi. Et...
  — Nuage de Sardine, Nuage de Sardine. Pas si vite ! » la coupa la guerrière-étoile.

   La petite chatte lui jeta un regard noir. Elle n'aimait pas qu'on lui coupe la parole, en particulier si on ne l'écoute pas en même temps ! La membre du Clan des Étoiles se mit à lui tourner autour, ses prunelles accrochées aux siennes.

 « Laisse-moi tout d'abord me présenter. Je m'appelle Avalanche Ardente. Tu as été choisie pour me remplacer. Je suis décédée à ta naissance. Eh bien oui... À toi d'en déduire comment... »

   Son ton suave, bas et énigmatique dérangeait l'argentée. Elle se dandinait sur place, mal à l'aise. Elle a intérêt à remplir mon nid de plumes après son speech.

 « Il y a bel et bien une prophétie à accomplir. Mais ce n'est pas réellement pour sauver les Clans, vois-tu... Tu vas te sacrifier... pour autre chose, disons... pour tes camarades. Vois-tu, le Clan va bientôt connaître une très mauvaise période. Oui, nous sommes en saison des feuilles nouvelles, donc ça n'a aucun rapport avec la saison des neiges. Ils vont juste... juste avoir besoin de toi. »

   Un rire cristallin s'échappa de la gueule d'Avalanche Ardente.

 « C'est... c'est-à-dire ?! » s'interloqua Nuage de Sardine, perdue.

   Son aînée afficha un sourire narquois. Ça n'annonce rien de bon... paniqua la jeune femelle, désorientée.

 « Je sais que c'est quelque chose de difficile à entendre. Mais tu ne pourras décider de rien. Il n'y aura pas plus de plumes dans les nids. Rien du tout. »

   L'apprentie vit rouge. C'était la goutte d'eau qui faisait déborder le vase. Elle était furibonde.

 « Quoi ?! Mais c'est injuste ! Je veux plus de plumes quand même ! Espèce d'égoïste ! Et comment ça "rien du tout" ?! J'aurai rien de ce que je veux, c'est ça ?! Mais en fait vous pourrissez la vie du Clan ! Je m'en fiche ! Je veux plus de plumes ! Tu comprends ça ?! Je veux des plumes ! Pour qu'on puisse bien dormir ! Y'en a pas assez ! Plus de plumes ! Et t'a intérêt de m'écouter ! Je veux plus de plumes !!! »

   La nivéenne haussa les épaules et fit l'innocente, celle qui était sourde, celle qui n'y pouvait rien, celle qui s'en fichait.

 « Ha ha. Désolée, ma petite sardinette. Tu ne devrais pas parler comme cela à ta véritable mère. N'est-ce pas ?
  —  Q-quoi ?! Menteuse ! T'es pas ma mère ! D'où tu le serais ?! Et tu m'appelles pas "ma petite sardinette" ! Y'a que maman qui a le droit ! » cracha t-elle.

   Avalanche Ardente garda son calme et approcha sa truffe à la figure de la novice.

 « À ton avis, pourquoi je serai morte à ta naissance, hein ? Si ta mère adoptive ne t'a pas dit la vérité, c'est parce qu'elle avait trop honte de moi. Mais elle devrait savoir que tu vas devenir comme moi... puisque tu vas me remplacer. »

   Sa dite fille fit le gros dos et fronça les sourcils.

 « En quoi je vais te remplacer ?! Et puis d'abord je veux plus de plumes dans les nids ! »

   La féline blanche secoua la tête. Les caprices de sa petite la refroidissaient.

 « Tu me remplaceras, point. »

   Nuage de Sardine coucha les oreilles sur les côtés. Son visage était toujours aussi tendu et agressif. Le silence la calmait progressivement. La silhouette de sa défunte réelle mère semblait devenir de moins en moins visible. Dans un murmure, cette dernière lui souffla :

 « Ne pas se plier à cette prophétie serait une prévarication grave. "Tu assouviras tous les désirs ardents de tes semblables." »