ÉPILOGUE
− Je t'en supplie, Lou, arrête de pleurer !
Pour la énième fois, Sofia, 23 ans, supplia sa fille de 4 mois sans plus de succès que les précédentes. Depuis sa naissance, Lou était sujette à de fréquentes crises de coliques. Après l'avoir tenue éveillée presque toute la nuit, ses douleurs au ventre avaient repris de plus belle depuis une heure. Exténuée et désarmée face aux souffrances de son enfant, Sofia sentit ses nerfs craquer. Elle se ressaisit toutefois en entendant sonner à la porte. Elle essuya les larmes qui avaient commencé à perler au coin de ses yeux, puis Lou toujours dans ces bras, alla ouvrir.
− Bonjour, la salua alors une femme arborant le sourire le plus lumineux qu'elle n'ait jamais vue.
Sofia resta quelques instants bouche bée devant cette apparition dont la couleur de peau évoquait la douceur sucrée du caramel. La jeune maman tomba immédiatement sous le charme. Non pas de cette beauté, aussi grande fut-elle. Mais de ce charisme émanant d'elle qui lui faisait ressentir que, désormais, tout se passerait bien.
− Je m'appelle Ananda, se présenta-t-elle. Je suis l'assistante maternelle envoyée par le Relais.
Il fallut quelques instants avant que Sofia, toujours subjuguée, mais aussi très fatiguée, se rappelle que, la veille, elle avait fait appel au Relais Assistantes Maternelles pour la garde de sa fille. Cependant, elle ne s'était pas imaginé qu'une assistante se déplacerait chez elle et surtout si vite.
− Alors c'est elle, la petite Lou, devina Ananda tandis que le bébé continuait de pleurer. Je peux ?
La belle assistante maternelle offrit ses bras pour accueillir le nourrisson. Sans la moindre crainte et avec un peu trop d'enthousiasme, Sofia l'y déposa. Éprouvant gêne et culpabilité à présenter sa fille dans cet état, elle se sentit obligée de préciser :
− Elle... Elle a eu des coliques toute la nuit. Je n'arrive pas à... à...
À sa grande surprise, Lou avait cessé de pleurer. Il avait suffi qu'elle rejoigne les bras de cette douce inconnue et qu'elle croise ses yeux bleu-violet pour que le bébé se mette à gazouiller. Sofia aurait dû se sentir piquée au vif de voir sa progéniture préférer les bras d'une autre. Mais elle était trop soulagée par ce silence tant désiré pour y avoir quelque chose à redire.
La « miraculeuse » Ananda fut invitée à entrer et à savourer un thé pendant qu'elles discuteraient du mode de garde de Lou, désormais endormie dans ses bras.
− Comment... comment ça va se passer ? demanda la jeune maman. Au Relais, on ne m'a pas fourni beaucoup d'explications.
− Où est le papa ? interrogea Ananda, abrupte et faisant peu cas de la précédente question.
− Il m'a quittée en apprenant que j'étais enceinte. Ce n'était pas une grossesse prévue. Mais quand je l'ai su, il était déjà trop tard pour avorter.
Sofia porta ses mains devant sa bouche, surprise d'avoir révélé si facilement des détails si intimes à une femme qu'elle connaissait à peine. Étrangement, dire la vérité lui avait semblé la meilleure et seule chose à faire. D'autant que la réaction de l'assistante maternelle fut à la hauteur de ce qu'elle avait espéré : contrairement à ses proches, la professionnelle ne fit aucun commentaire, n'exprima aucune gêne, aucun apitoiement, aucun jugement. Elle demeura silencieuse et attentive aux révélations que fit Sofia sur le père qui avait fui ses responsabilités, sur ses parents qui avaient choisi ce moment pour divorcer ou sur ses amis qui avaient fini par l'abandonner, préférant les sorties en boîte à la compagnie d'une jeune maman perpétuellement fatiguée.
Sofia se retrouvait seule et, peinant à poursuivre ses études, éprouvait des craintes quant à son avenir et celui qu'elle serait en mesure d'offrir à sa fille.
Quand, après presque une heure, elle eut terminé, Ananda, Lou toujours confortablement installée dans ses bras, lui suggéra avec candeur :
− On pourrait s'en débarrasser ?
La question choqua bien entendu la jeune mère. Mais, à cause de l'enchantement permanent affectant les êtres vivants autour de la déesse du bonheur, elle l'envisagea comme une simple proposition à débattre.
− Mais... je ne peux pas ! C'est... c'est mon bébé ! Ça ne se fait pas !
− Tu ne la voulais même pas, rétorqua Ananda. Et puis, à cause d'elle, tu as perdu l'homme que tu aimais et tes proches t'ont tourné le dos. Tu es seule. Avec un tel poids, tu ne finiras jamais tes études et tu ne deviendras jamais éditrice. Crois-moi : si tu la gardes, tu es condamnée au malheur.
Sofia voulut protester. Une mère ne pouvait décemment pas laisser dire de tels propos sur la chair de sa chair. Mais elle ne se sentit pas la force d'objecter ses propres craintes qui venaient d'être exprimées pour la première fois à voix haute.
− Et regarde-toi !
La déesse désigna une photo d'elle avant la grossesse. En compagnie de ses amies, Sofia était à cette époque une étudiante comme les autres, insouciante, buvant le premier d'une longue série de verre lors d'une soirée qui ne s'achèverait que le lendemain au lever du soleil.
− À cette époque, tu étais si belle, pleine de vie. Maintenant, tu n'éveilles plus autant le désir. Et tu ne fais que grappiller chaque minute, tentant en vain de rattraper tes incalculables heures de sommeil perdues.
Sofia jeta un coup d'œil à ses kilos en plus au niveau des hanches.
− Rassure-toi. C'est aussi bien mieux pour elle, poursuivit l'envoûtante Ananda. Non désirée par ses parents, responsable des malheurs de sa mère qui ne manquera pas tôt ou tard de lui faire payer ses frustrations... Au final, Sofia, tu fais preuve de pitié en ne lui imposant pas une vie si triste et douloureuse.
La jeune mère jeta un coup d'œil à sa fille qui gazouillait dans les bras de l'assistante maternelle. Puis elle détourna le regard.
Comprenant sa réponse, la déesse du bonheur se leva et prit le chemin vers la sortie, gratifiant Lou, qui venait de se réveiller, d'un autre de ses sourires ensoleillés.
− Ne t'inquiète pas ! Elle ne souffrira pas. Et personne ne saura que tu es responsable. Je m'occupe de tout. Promets-moi juste de penser à toi désormais et à tout faire pour être heureuse.
Sofia savait qu'elle aurait dû se lever, arracher son bébé des bras d'Ananda. Mais son corps refusait de décoller du fauteuil. Elle n'était plus qu'une simple spectatrice, observant sans rien dire cette étrange assistante maternelle sortir de chez elle pour emmener son enfant loin de cet appartement en désordre, loin d'elle.
− A... attendez ! appela-t-elle d'une voix quasi inaudible.
Ananda stoppa son avancée.
Cet arrêt n'était toutefois nullement dû à l'appel désespéré de la mère qu'elle n'avait d'ailleurs même pas entendue. Dans le couloir de l'entrée, un homme vêtu de blanc, le visage recouvert d'une capuche, surplombait la déesse du bonheur.
− Toi... grogna Euphériz qui, en reconnaissant Noé, perdit immédiatement son inaltérable sourire lumineux pour afficher un rictus de colère.
Toujours ivre de vengeance pour le meurtre de son bien-aimé Pantagri, elle laissa tomber le bébé pour attaquer.
Les réflexes de Noé lui permirent de rattraper Lou de justesse. Il protégea ensuite la petite fille de tout son corps, encaissant un coup de pied de la déesse qui l'envoya tel un ballon de foot s'écraser contre le mur d'en face. Euphériz s'apprêtait à poursuivre son assaut quand une deuxième personne, une femme vêtue d'une capuche noire, surgit à son tour.
Sans sommation, Abigaël planta l'épaisse lame d'un couteau dans le crâne de la déesse du bonheur avant de la forcer à rentrer dans l'appartement.
La blessure ayant affaibli le sortilège d'Euphériz, Sofia se réveilla enfin de sa torpeur surnaturelle. Elle se rua vers sa fille qu'elle arracha des bras de Noé, encore sonné par l'attaque de la déesse.
Lou se mit à pleurer à nouveau. Sa mère en fit de même. À la fois de bonheur de revoir son enfant indemne, mais également de regret en s'apercevant de l'horreur qu'elle avait failli commettre Elle se fit alors la promesse de tout faire pour rendre heureuse celle qu'elle avait rendue coupable du simple fait d'être née.
− Allez-vous-en, ordonna l'homme encapuchonné en se relevant péniblement des suites de son choc avec le mur de béton.
Sofia obéit sans discuter laissa aux mystérieux sauveurs de sa fille la tâche de traiter avec la ravisseuse.
Quand Noé pénétra à son tour l'appartement, Abigaël tenait toujours Euphériz en respect bloqué dans un coin du salon. Le couteau toujours planté dans son crâne, la déesse du bonheur n'en demeurait pas moins vivante. L'arme anti-divinités l'empêchait juste de bouger un muscle et d'exercer son influence le temps que l'exorciste Noire prononce son incantation.
− Un petit bourgeon de ténèbres,
La lame aux dix rancunes,
Dieu imposteur, comme elle te déteste,
Une sombre fleur de ténèbres,
La lame aux mille rancunes,
Dieu usurpateur, comme elle te hait...
− Attends Noire ! la somma Noé, interrompant sa berceuse lugubre. J'ai encore quelque chose à voir avec elle.
La colère et la peur qui figeaient jusque-là le visage d'Euphériz laissèrent place à un sourire amusé :
− Tu veux savoir comment j'ai obtenu toutes ces informations sur les exorcistes.
Noé acquiesça.
− Dieux et démons, nous sommes désormais nombreux à être au courant de votre existence.
Lentement à cause de la lame maudite d'Abigaël, Euphériz leva son bras droit et pointa de son index accusateur l'exorciste Blanc.
− Et ils savent désormais qui tu es et où tu habites, Noé Velmont. Je leur ai tout dit !
Le sang du jeune homme ne fit qu'un tour. Comme il l'avait craint, il était exposé. L'ennemi connaissait son identité et pouvait l'attaquer à tout moment. Ou pire : s'en prendre à ses amis, à sa famille.
Abigaël grogna, comprenant également les terribles implications d'une telle révélation pour son meilleur ami. Euphériz la toisa alors du regard de son air supérieur.
− Oh ! Ne t'en fais pas ! Ils finiront par te retrouver toi aussi. Ils vous retrouveront tous.
Piquée au vif, l'exorciste anti-divinités sentit cette fois-ci son énergie spirituelle prête à engloutir la déesse du bonheur. Elle fut encore une fois retenue par son partenaire.
− Pourquoi nous révéler tout ça, Euphériz ? La meilleure stratégie aurait été de rester silencieuse au lieu de chercher bêtement à nous faire peur. Tes congénères auraient pu nous abattre par surprise.
Cette remarque destinée à piquer au vif l'orgueil de la déesse n'eut pas l'effet escompté. Au contraire, elle déclencha immédiatement son hilarité.
− Crétin ! Une stratégie n'est nécessaire que durant une guerre, se moqua-t-elle. Mais désormais, bande d'assassins, vous ne bénéficiez plus de votre seul et unique avantage : votre existence ne nous est plus secrète. Les dieux et les démons ont mis en pause leur conflit millénaire pour retrouver et abattre tous les exorcistes ! Ce n'est pas une guerre à laquelle vous devez vous attendre, mais à une extermination !
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