5. La déesse qui voulait qu'on la laisse dormir

Odessa monta quatre à quatre les marches menant à l'appartement de Noé. Quand elle arriva enfin devant sa porte, essoufflée par la montée rapide et la course qui l'avait précédée, elle fut obligée de prendre une bonne inspiration avant de frapper de deux coups secs sur le bois.

N'ayant obtenu aucune réponse après seulement trois secondes, elle continua à marteler jusqu'à hurler :

− Noé ? Noé ?! Tu es là ?!

Quelques instants après, on finit par lui ouvrir.

C'était Fey.

Cependant, contrairement aux fois précédentes, la déesse à la perfection physique surnaturelle arborait d'énormes cernes et une coiffure en pétards. Et surtout, elle portait encore un pyjama en plein milieu de l'après-midi.

− Où est-il ? Est-ce qu'il va bien ?! l'interrogea Odessa, au bord des larmes.

Sans attendre une invitation, elle pénétra dans l'appartement, dépassant une Fey hébétée, et se mit à chercher son ami du regard.

− OK, OK ! Calme-toi ! tenta de l'apaiser la déesse.

− Sun ! Elle... elle a débarqué chez moi... en plein milieu de la nuit, expliqua enfin Odessa. Elle m'a dit... pour Noé et son frère. J'ai voulu l'appeler sur son portable. Mais... il ne répond pas ! Il répond toujours pourtant !

− Du calme je te dis. Noé se repose dans sa chambre. grommela Fey avant de maugréer à voix basse. Tout comme j'essayais de le faire il y a une minute...

− Et... il va bien ?

− Il... s'est battu... et a perdu pas mal de sang au passage. Mais, il s'en sortira.

− Que s'est-il passé ?

− ...

− ... Je vois, encore un de ces nombreux « secrets de Noé » sur lesquels je ne peux pas poser de question, comprit Odessa sans cacher sa déception. J'en ai marre de ne toujours rien savoir.

− Désolée, compatit Fey.

Quelques heures plus tôt, la déesse, les mains pleines du sang de son colocataire, se trouvait au milieu d'une route sans la moindre idée de comment elle parviendrait à arrêter l'hémorragie. Appeler une ambulance ? Elle ne serait jamais là à temps. Sans parler du fait que malgré ses charmes et son bagout naturel, il paraissait très difficile à la déesse d'expliquer la raison de telles blessures sans que la police s'en mêle pour compliquer les choses.

Il ne lui avait resté qu'une seule solution.

Par chance, Pantagri ne s'était pas montré trop gourmand. Asalfé avait conservé assez d'énergie divine pour débloquer en elle des capacités de soin.

Aussi minimes soient-ils, ses nouveaux pouvoirs lui avaient permis de stabiliser suffisamment le blessé pour le ramener à la maison. Elle avait ensuite passé la nuit puis la matinée à le veiller, dépensant la quasi-totalité de sa puissance pour qu'enfin, après plusieurs heures sans repos, tout risque de complication soit écarté.

Épuisée comme jamais elle ne l'avait été de sa longue vie de déesse, Asalfé avait ensuite été se reposer dans le confort de son matelas...

... jusqu'à ce que l'ex-petite amie débarque en panique et la réveille.

− Toute mon énergie accumulée partie en fumée en une nuit, bougonna Fey en bâillant. En plus, j'voulais pas être la soigneuse du groupe !

Odessa jeta un coup d'œil dans la direction de la chambre de Noé dont la porte était presque fermée. Puis, compatissant à l'état de fatigue de son infirmière de fortune, elle décida de les laisser se reposer.

− Je... je vais vous...

− Tu peux aller le voir, l'autorisa la déesse, en entrouvrant la porte de la chambre.

Odessa inspecta par l'interstice l'état du jeune homme. Comme l'avait prévenue Fey, Noé se trouvait bien là, allongé sur son lit. Son corps était à moitié recouvert par sa couverture, et le reste, par des bandages et pansements.

Mais il respirait.

Sa poitrine montait et descendait à intervalles réguliers. Un rythme qu'elle avait pu observer certains matins où, patiemment, elle avait attendu son réveil en l'observant.

Odessa se sentit rassurée... au moins en partie. Mais c'était sans doute le mieux qu'elle pouvait espérer pour aujourd'hui.

− Attends, murmura Fey en retenant son départ imminent. Il se réveille !

Derrière la porte, le jeune homme grognait en essayant de bouger malgré la douleur qui parcourait chaque centimètre de son corps. Odessa ne sut pas si elle avait le courage de lui parler, ni même l'envie. Mais ce qui était sûr, c'était qu'elle le lui devait.

− Bon. Je te le confie. Moi, je retourne dormir, annonça Fey en entrant dans la pièce à côté. Appelle-moi s'il y a un souci.

− ... Merci pour tout, Fey, lui souffla Odessa.

Dissimulant son enthousiasme d'être visiblement revenue dans les bonnes grâces de la jeune fille, la déesse des plaisirs féminins alla rapidement rejoindre son lit.

Désormais seule, Odessa prit une profonde inspiration avant d'ouvrir à nouveau la chambre de Noé. Son ex-petit ami, aussi borné qu'une mule, tentait de se redresser malgré son état.

− Puis-je entrer, seigneur Toutankhamon ? intervint-elle pour l'arrêter.

Noé fut surpris puis ravi de la voir.

− Et le prix de la blague la plus évidente revient à...

Tous les deux se sourirent.

Odessa s'empressa ensuite d'aider le blessé à se positionner confortablement. Elle chercha ensuite où s'asseoir, mais constata l'absence de chaise.

− Attends, je te fais de la place, proposa Noé en effectuant un effort si considérable pour se décaler vers sa droite qu'Odessa ne put refuser l'invitation.

Après s'être inspecté, il s'exclama :

− Ouah ! Fey a mis le paquet sur les bandes. Je crève de chaud là-dessous.

− Hé ! Sois gentille avec elle. Elle a veillé sur toi très longtemps. Tu devrais la voir : elle est épuisée.

− Dis-moi, vous ne seriez pas en train de devenir copines toutes les deux ? l'interrogea Noé, goguenard.

− Ne t'emballe pas ! s'empressa-t-elle de préciser sans toutefois réfuter. Je lui suis juste... reconnaissante d'avoir sauvé la vie de mon meilleur ami.

− C'est vrai que ça a été plutôt... tendu cette fois-ci, admit l'exorciste, gêné.

Un long silence marqua une pause dans la conversation.

− ... Décidément. Je vais bien réussir à te faire tuer un jour, hein ? finit par supposer Odessa avec un sourire au bord des larmes.

− H... hein ?!

− Le mois dernier, je me fais posséder par une déesse qui, « heureusement », voulait juste qu'on couche ensemble. Aujourd'hui, tu manques d'être tué pour un inconnu, le frère d'une amie que je t'ai supplié d'aider, lista-t-elle avant d'abdiquer face à sa tristesse. Et puis... au lycée... quand on s'est rencontrés... tu...

Noé la prit soudain dans ses bras, niant la douleur provoquée par ce brusque contact avec sa chair à vif.

Était-ce un geste déplacé ? Il s'en fichait.

Il avait réagi par instinct. Il n'était certes plus son petit ami. Mais jamais il ne supporterait de voir Odessa pleurer. Jamais.

− Hé ! Ça va aller ! J'ai connu pire, tu sais, commença-t-il par mentir avant de lui confier avec sincérité : et si tu te demandes si j'ai regretté ne serait-ce qu'une seule fois de t'être venu en aide au lycée, et bien...

Ses magnifiques yeux, vert près de l'iris, marron sur les bords, brillants à cause des larmes, vinrent l'interrompre. Noé entendit alors son propre cœur battre la chamade... comme à chaque fois qu'Odessa se trouvait dans les parages.

Et même plus fort encore. Car si l'on exceptait la fois où Asalfé la possédait, jamais la femme qu'il n'avait cessé d'aimer ne s'était retrouvée aussi si proche de lui depuis plusieurs mois.

Les paupières d'Odessa se refermèrent, laissant rouler une dernière larme le long de sa joue.

Noé y vit une invitation qu'il accepta bien volontiers. Il posa délicatement ses lèvres contre les siennes et les y laissa.

Surprise, Odessa se figea un court instant avant de lever ses mains tremblantes, les interposant entre eux deux.

Avant de rabaisser ses défenses, incapable de repousser cette agréable étreinte.

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