1. La déesse qui s'incrustait
Saint-Martial, France
− Bon, tu es prêt, Noé ? J'ouvre.
Odessa posa délicatement l'écrin noir sur la table basse du salon avant de révéler son contenu au jeune homme assis en face d'elle. Noé se saisit immédiatement du médaillon et l'inspecta. De forme ovale, le bijou était composé d'argent sterling sur laquelle avaient été gravées de belles arabesques malheureusement abîmées par le temps. Le bibelot légèrement rouillé paraissait très ordinaire et sans grande valeur. Une simple broche à l'intérieur de laquelle on avait coutume de glisser une photo. Le loquet, bien que cassé, demeurait désespérément fermé malgré la pression exercée par les doigts du garçon.
− Alors ? Qu'en penses-tu ? l'interrogea Odessa avec une certaine impatience.
− ... Où l'as-tu trouvé ?
− Dans une brocante, ce week-end. J'ai... j'ai ressenti une émanation bizarre provenant de ce médaillon. Je me suis dit qu'il valait mieux l'acheter. Tu sais... pour que tu puisses l'examiner et éviter qu'il ne tombe entre de mauvaises mains.
Plus qu'une « émanation », Noé pouvait discerner une réelle présence à l'intérieur de cette vieillerie. Sans doute un résidu d'âme laissé par un ancien propriétaire au moment de mourir. Toutefois, il était suffisamment diffus pour ne pas être perceptible par le premier venu. Si Odessa avait pu le détecter, c'est que ses pouvoirs avaient progressé.
− Bonne initiative. Il y a bien quelque chose. Ça n'a pas l'air dangereux, mais je vais m'en occuper tout de suite. Reste ici, je vais chercher mes affaires.
Laissant son invitée sur le canapé avec un verre de thé glacé, Noé s'en alla dans sa chambre. Après son départ, Odessa ne resta pas assise bien longtemps. Elle décida d'inspecter nonchalamment la pièce. Une entreprise qui ne s'annonçait pas bien longue. Le salon de Noé, d'une petite dizaine de mètres carrés, comportait en tout et pour tout qu'un vieux canapé en cuir, une table basse, une télévision 51 cm posée sur un meuble en contreplaqué et une grande étagère. Sur cette dernière était soigneusement rangée par ordre alphabétique une vingtaine de livres, principalement des romans policiers, quelques DVD de films indépendants, cinq boîtiers de jeux PSP, et le Maneki-neko japonais qu'Odessa avait offert à Noé lors de son aménagement. Le chat blanc portant une pièce censé attirer une fortune pécuniaire à son propriétaire constituait avec une certaine ironie le seul élément de décoration de ce modeste logement.
− J'ai connu ton salon plus... chaleureux.
− Charlie est passé ce week-end avec Sihame récupérer ses dernières affaires, répondit Noé de sa chambre. À part la télé qu'il m'a laissée, ce sont les seules choses qui m'appartenaient.
− Leurs premiers jours de vie commune se passent bien ?
− Ça a l'air d'aller. Et puis, cela faisait déjà plusieurs semaines que Charlie passait plus de temps chez elle qu'ici.
− Et... tu as commencé à chercher un autre colocataire ? le questionna Odessa en jetant un coup d'œil vers la cuisine impeccablement rangée d'où émanait une forte odeur de vinaigre blanc.
− J'ai posté une annonce sur internet et à la fac. Je reçois d'ailleurs mes premières visites demain après-midi.
− Ah...
Odessa poursuivait nonchalamment son examen de l'appartement. Quand son œil fut attiré par le reflet du miroir de la vieille armoire dans la chambre de Noé. Elle y aperçut le jeune homme enlever son t-shirt, révélant un torse athlétique ainsi qu'une rose des vents tatouée sur son omoplate droit. Odessa s'empressa de tourner la tête dans la direction opposée. Heureusement, Noé n'avait rien vu. Elle se sentit néanmoins stupide d'éprouver une telle gêne, elle qui en avait vu bien plus par le passé.
Odessa repassa par la cuisine pour s'y servir un peu d'eau et refroidir ses ardeurs. Elle ouvrit le placard contenant les verres quand elle entendit un léger « clic » derrière elle.
Sur la table basse du salon, le médaillon venait de s'ouvrir.
De son côté, Noé finissait d'enfiler une veste à capuche d'un blanc immaculé, décorée de plaques argentées juste en dessous des épaules. Il attrapa de sa main gauche une vieille mallette en cuir tandis qu'un long et épais bandage en tissu blanc sur lequel étaient cousus les vers d'un poème recouvrait son poing et son avant-bras droit. En croisant son reflet dans le miroir de l'armoire, Noé se rappela la dernière fois qu'il avait enfilé cet uniforme. Il s'aperçut alors que, pour celui-ci, c'était la toute première. À son arrivée, six mois auparavant dans un colis accompagné d'une carte postale d'Australie, Noé n'avait pas pris le temps de l'essayer. Tout juste l'avait-il déplié puis replié à sa convenance avant de le ranger dans le compartiment secret de son vieux meuble. L'ayant finalement enfilé, il put confirmer que le vêtement avait été taillé avec soin pour ses mensurations actuelles. Et il le portait avec toujours cette même fierté que la première fois. Il se présenta ainsi dans son salon où il retrouva Odessa qui s'était entre-temps délestée d'une couche de vêtements.
− Coucou, se contenta-t-elle de dire d'une voix suave.
− O... Odessa ?! s'exclama Noé dont le cœur avait manqué de bondir de sa poitrine en la découvrant en soutien-gorge et petite culotte. Qu'est-ce... qu'est-ce que... qu'est-ce que tu...
Le jeune homme bafouilla quelques instants, mais demeura incapable de terminer sa question. Le voir si décontenancé, ne sachant où poser son regard, provoqua un éclat de rire chez son amie. Elle écarta d'un geste délicat une mèche de ses cheveux châtains, avant de le fixer de ses yeux clairs d'un air faussement gêné.
− Je... te plais toujours ?
Oui... Et même plus encore. Mais ça, Noé se refusa de le lui admettre. Et pas seulement à cause de l'effet que lui provoquait cet effeuillage-surprise.
− J'ai quelque chose à t'avouer...
Toute l'attention de Noé lui étant dédiée, la jolie étudiante entama un langoureux strip-tease. Elle s'avança vers lui, féline, tout en dégrafant son soutien-gorge.
− ... le médaillon trouvé à la brocante. C'était... surtout une excuse pour te revoir, avoua-t-elle en laissant tomber sa pièce de lingerie sur le sol.
− Hein ?!
À tant d'incompréhension, Odessa ne répondit qu'en laissant glisser délicatement sa culotte le long de ses jambes. Désormais dans le plus simple appareil, c'est sans rougir qu'elle s'approcha jusqu'à ce que ses yeux marron-vert se reflètent dans ceux légèrement apeurés de Noé.
− Tu ne comprends pas ? l'interrogea-t-elle, un peu déçue.
Elle se rapprocha encore un peu plus de Noé jusqu'à pouvoir lui murmurer au creux de l'oreille :
− J'ai envie de toi... maintenant.
Ses doigts effleurèrent délicatement le visage du jeune homme figé de stupeur, s'arrêtèrent un instant sur la profonde cicatrice dessinée sur sa joue. Et lorsqu'elle eut fini de jouer, Odessa offrit ses lèvres à Noé.
Le contact de sa peau, l'agréable senteur florale de son shampooing, la douceur de ses baisers... ils lui avaient tellement manqué.
« Si seulement je pouvais m'y abandonner »
− Hé ! Qu'est-ce qui te prend ?! protesta Odessa tandis que Noé repoussait brusquement sa tendre étreinte.
Il refusa de répondre et posa sa main bandée contre le ventre d'Odessa. Puis il se mit à réciter une étrange incantation :
− C'est un voile de ténèbres où survit faiblement une lumière
S'accrochant fermement aux herbes corrompues pour les déraciner une à une
– Noé ! Arrête, tu me fais p --
L'empêchant de prononcer un mot de plus, le bandage qui entourait le bras droit de l'exorciste bâillonna Odessa. Sitôt eut-il entamé son poème que le tissu cousu de symboles s'était mis à luire d'une aura blanche. Puis, tel un serpent, il avait fondu sur le corps nu de la jeune fille pour la recouvrir et entraver ses mouvements.
« Tiens le coup ! »
Cet encouragement, Noé l'adressait surtout à lui-même pour maintenir sa détermination sans faille. Un esprit possédait Odessa. Il en était certain. Seul l'accomplissement de ce rite la sauverait. L'exorciste devait le mener jusqu'au bout, quand bien même le visage en larmes de la femme qu'il aimait le fixait avec une terreur sincère.
− Le soleil, de ses rayons ardents, transperce finalement le voile
Et le démon, la bouche ouverte, les crocs brisés...
Il hésita un court instant. Puis, tenant fermement son entrave, il se décida à asséner les derniers mots de son incantation :
− ... Brûle dans les flammes purificatrices !!!
Le corps d'Odessa se cambra soudain en arrière. Les bandages autour de sa bouche se desserrèrent pour laisser s'échapper un terrible hurlement. Noé se jeta sur elle pour étouffer le cri avec sa main. Il ne tenait pas à se justifier auprès de policiers avertis par ses voisins. L'exorciste s'aperçut à cet instant que les yeux d'Odessa brillaient si intensément qu'on ne pouvait discerner l'iris.
« Merde, c'est normal ça ?! »
Noé ne bénéficiait pas encore d'une grande expérience en exorcisme. Pourtant, les deux fois précédentes, aucun possédé n'avait manifesté de tels symptômes. Une fumée de lumière jaillit alors de la bouche d'Odessa, écartant par la force la main de Noé et l'éblouissant au passage.
Lorsque la pièce retrouva enfin une luminosité soutenable, le jeune homme tenait dans ses bras un corps inconscient.
***
Quand Odessa rouvrit les yeux, elle se trouvait dans une quasi-obscurité.
Ce lit.
Ces murs vides.
Elle réalisa instantanément qu'elle n'était pas chez elle. Pourtant, elle ne paniqua pas. Elle reconnaissait ce décor si familier où, il n'y a encore pas si longtemps, elle se réveillait régulièrement. À travers les rideaux transparents de la fenêtre, la pleine lune brillait dans le ciel, ses rayons éclairant faiblement la chambre de Noé. Le réveil électrique affichait « 21:38 ».
Elle avait dormi plus de cinq heures.
À la suite de son exorcisme, Noé lui avait offert son lit. Il l'avait ensuite recouvert d'une couverture propre, sentant encore la lessive au savon de Marseille. En dessous, Odessa était toujours nue. Toutefois, elle ne s'en embarrassa pas. Elle ne doutait pas le moins du monde que Noé ne lui avait rien fait d'inapproprié durant son inconscience. Sur la chaise à côté du lit l'attendaient ses vêtements soigneusement pliés. Elle se rhabilla avant de rejoindre le salon.
Noé regardait la télévision. Sitôt qu'il aperçut Odessa, il éteignit immédiatement l'écran et accourut vers elle.
− Ça... ça va aller, Odessa ?
− Oui, murmura-t-elle, encore patraque.
− Est-ce que... tu veux que je te serve une tasse de ton thé au cacao menthe ? Il... il doit m'en rester un peu.
Sans attendre, Noé prit le chemin de la cuisine quand la jeune fille lui attrapa la manche de sa chemise. En se retrouvant confronté à ce visage suppliant et prêt à fondre en larmes qu'il avait sciemment cherché à éviter, le garçon se sentit si petit, si faible. Il eut honte de sa lâcheté, mais échoua malgré tout à rassembler suffisamment de courage pour affronter son regard.
− Ne t'en fais pas, entreprit-il de la rassurer. J'ai... j'ai tout de suite compris que ce n'était pas toi. Même si je dois t'avouer que la proposition de cet esprit était plutôt tentante !
Noé regretta instantanément la maladresse de sa dernière plaisanterie. Pourquoi une chose autrefois si facile que discuter avec Odessa lui paraissait désormais si compliqué ?
− Le médaillon. Il... Il s'est ouvert, balbutia avec grande peine la jeune fille. Je me suis approchée puis... mon corps... Il s'est mis à bouger tout seul. Il ne m'obéissait plus ! Je... Je ne pouvais rien faire !!! Et cette voix...
− Du... du calme... J'ai tout arrangé. Tu peux...
− Arrête de me materner ! l'interrompit-elle avec une colère si inhabituelle que Noé en sursauta. Je veux... j'ai besoin de savoir ce que c'était réellement !!! Qu'est-ce que c'était que cette... « chose » qui s'est emparée de moi ?!
Odessa avait raison. Elle avait mérité des explications. Et, malgré son devoir de discrétion quant à ses activités secondaires, Noé avait l'autorisation de lui en fournir quelques-unes. Il prit une profonde inspiration puis la fixa droit dans les yeux avant de lui rappeler les règles :
− OK ! Tu sais que je ne peux pas trop t'en dire. Donc, je t'en prie, ne m'en veux pas si je reste vague.
Odessa acquiesça. Elle avait encore en mémoire le prix qu'avait dû payer Noé la dernière fois qu'il lui avait révélé des détails interdits sur sa profession secrète.
− Tu as été possédée par... un esprit mauvais, commença-t-il. Il hantait jusque-là le médaillon et a vu en toi une hôte potentielle. Ils n'en ont pas besoin généralement. Ils peuvent se matérialiser seuls. Mais j'imagine que celui-ci était trop faible. La bonne nouvelle, c'est que j'ai ainsi pu le vaincre facilement.
− Qu'aurait-il fait de moi si tu n'avais pas été là ?
− Il...
− La vérité !
Noé soupira. Elle le connaissait trop bien.
− ... Il se serait très certainement servi de ton corps pendant quelque temps pour s'emparer d'autres âmes et se renforcer. L'esprit aurait pris plaisir à te laisser simple spectatrice de ses actes. Et cela, jusqu'à ce que tu sois inutilisable... ou qu'il s'ennuie de toi et trouve mieux.
L'exorciste s'inquiéta de son excès de franchise dans sa réponse à une question qui lui avait paru très courageuse. Odessa se contenta néanmoins de hocher de tête tandis qu'elle digérait les informations. Noé lui faussa alors compagnie plusieurs secondes. Il rejoignit le comptoir de sa cuisine où se trouvaient plusieurs herbes stockées dans de vieux pots de confiture soigneusement alignés. Avec un marteau-pilon et un bol, l'exorciste avait concocté une mixture poudreuse qu'il offrit à Odessa à l'intérieur d'une petite fiole.
− Quand tu seras rentrée chez toi, avales ça et juste après, prends une grande cuillère de chocolat à tartiner. Ça coupera tout lien qui aurait pu se créer entre l'esprit et toi. Je ne pense pas qu'il y ait de risque. Mais... au cas où.
− Du... chocolat à tartiner ?! interrogea Odessa, perplexe.
− Cela t'aidera à passer le goût. Crois-moi, ce truc est immonde !
Le lendemain après-midi, Noé, étendu sur son canapé, suivait un documentaire sur June Lohman, jeune star montante de la chanson et du cinéma. Impossible toutefois pour Noé de se concentrer sur l'interview de la belle Américaine. Ses yeux se détachaient régulièrement de l'écran pour observer l'heure affichée sur son téléphone. Il se résolut au final à éteindre la télévision et soupira :
« Bizarre ! Je devais recevoir mes premiers entretiens pour la coloc' il y a déjà deux heures. Et toujours personne »
Tenant toujours son mobile en main, son attention se perdit quelques instants dans les messages échangés ce matin avec Odessa.
Noé:
Salut ! Ça va aller ? Tu as passé une bonne nuit ?
Odessa :
Ça a été, merci. Mes cauchemars étaient peuplés des habituels zombies volants sur des balais et de poissons interprétant une comédie musicale avec des brocolis. Mon esprit est toujours aussi dérangé qu'avant.
Noé:
Pas de problème. Tu sais, je dois aussi pouvoir te préparer des décoctions contre ça.
Odessa :
Non merci ! Je n'aurai pas suffisamment de stock de chocolat ! Dire que ce truc est « immonde » était un sacré euphémisme !
Noé ne put s'empêcher de sourire en relisant cette discussion.
« Au moins, on arrive de nouveau à communiquer naturellement par écrit »
La sonnerie de sa porte interrompit soudain ses rêveries.
« Enfin ! »
Noé referma ses messages. Et lorsqu'il ouvrit, son souffle se coupa à la découverte de sa première candidate à la colocation.
Jusqu'à présent, Noé s'était toujours imaginé que d'aussi belles femmes existaient seulement dans les magazines grâce aux logiciels de retouche d'images. Pourtant, sur son seuil se trouvait une jeune fille aux cheveux d'un blond éclatant et à la peau légèrement hâlée sans la moindre imperfection visible. Des lèvres fines, un petit nez légèrement retroussé et des yeux d'un bleu océan tirant étrangement vers le violet ornaient un visage impeccablement symétrique. Sa chemise en soie blanche et sa jupe noire laissaient quant à elles apparaître une morphologie athlétique et des formes harmonieuses.
− Bonjour ! Je m'appelle Fey, se présenta-t-elle avec un sourire lumineux et une voix des plus mélodieuses. J'ai vu ton annonce pour la colocation sur le site internet de l'université. La place est toujours libre ?
− ... Euh... moi c'est Noé. Je t'en prie, entre. L'offre est toujours en cours !
Fey accepta bien volontiers. Sitôt qu'elle eût posé un pied dans l'appartement, Noé, en hôte prévenant, lui proposa :
− Tu veux boire quelque chose ?
− Oui, qu'est-ce que tu as ?
− Ben en fait... juste de l'eau, désolé.
− Alors, de l'eau, s'il te plaît !
Noé acquiesça, laissant la charmante candidate à la colocation observer avec attention le salon parfaitement rangé et nettoyé, mais toujours aussi vide que la veille.
− C'est... joli chez toi ! Et très propre !
− Merci. Tu es du coin ? questionna Noé en attrapant un verre dans un des placards de la cuisine.
− Pas vraiment. Je suis venu ici pour étudier en fac de droit. J'ai réglé mon inscription ce matin et j'ai passé le reste de la journée à visiter des logements.
− La fac de droit ? En quelle année ?
Noé ignora la bouteille d'eau minérale située sur la porte du réfrigérateur pour se saisir d'une autre, en verre teint en rouge, disposée tout au fond.
− En deuxième, répondit-elle avec toujours autant d'amabilité tandis que son hôte revenait de la cuisine. Et toi ? Tu étudies — ?!
Fey tressaillit, émettant un bruyant hoquet de surprise alors que Noé venait à l'instant de lui projeter au visage le contenu glacé de son verre.
− Mais... qu'est-ce qui... qu'est-ce qui te prend ?! T'es malade ?!
La jeune fille bouillonnait d'une colère vraisemblablement légitime. Ce n'était pourtant pas la réaction qu'attendait l'exorciste.
− L'eau sacrée ne t'a rien fait ! Tu... tu n'es pas un démon.
Le regard de Fey s'emplit d'effroi. Elle recula doucement vers la sortie, sans tourner le dos vers son agresseur.
− On... on se calme, OK ? Je... je vais m'en aller
− À d'autres ! rugit Noé. J'ai reconnu ton aura avant même d'ouvrir la porte : tu es l'entité du médaillon, celle qui a pris possession de mon amie hier.
La jolie blonde conserva encore quelques secondes son air de femme en détresse. Puis, s'apercevant que son jeu d'actrice ne faisait pas illusion, elle abandonna son rôle.
− Oups ! Démasquée ! admit-elle en tirant la langue.
Sitôt qu'elle eut prononcé ces mots, les vêtements de « Fey » se métamorphosèrent par enchantement.
La jeune fille arborait désormais une longue robe en soie d'un rouge écarlate, aux épaules dénudées et offrant un décolleté perturbant. L'habit était également fendu dans sa partie inférieure, dévoilant ses jambes délicieusement galbées. Une ceinture aux motifs dorés et brillants juste en dessous de sa généreuse poitrine marquait quant à elle sa taille de guêpe. La nouvelle tenue de Fey, légère, lui donnait une allure aérienne amplifiée par son absence de chaussures, ses pieds nus étant simplement ornés de bijoux de cheville.
Son accoutrement revêtu, la créature révéla enfin sa véritable identité :
− Je ne suis pas un démon ! Je m'appelle Asalfé Do Ishtann, déesse des plaisirs féminins !
« Une divinité ?! s'affola Noé tout en s'efforçant de ne rien laisser paraître. C'est donc pour ça que mon exorcisme d'hier ne l'a pas vaincue ! »
Asalfé fit un pas en la direction du jeune homme qui se mit instinctivement en garde. Puis tel un chat en face d'un nouveau jouet, la déesse le considéra de haut en bas jusqu'à ce qu'un sourire narquois se dessine sur son visage.
− Et toi, Noé, tu en es un, n'est-ce pas ? Un exorciste. Du type « blanc » j'imagine. Capable d'utiliser l'énergie divine pour vaincre les démons.
« Comment ?! Elle est au courant pour les exorcistes ?! Merde ! En plus, j'ai été trop imprudent lors de ma précédente attaque. J'aurais dû aller récupérer mes bandages avant de déclencher les hostilités. Elle aura largement le temps de me tuer avant que je n'atteigne le seuil de ma chambre ».
L'exorciste étudia à grande vitesse toutes les solutions envisageables pour s'échapper ou récupérer son équipement. Aucune d'entre elles ne lui garantissait des chances de survie convenables.
Asalfé bloquait l'accès vers le couloir et la sortie. Et aucun objet de ce salon désespérément vide ne constituerait une arme efficace. Les couteaux de la cuisine peut-être ? Cependant, les rechercher impliquait de revenir en arrière, allongeant encore un peu plus la distance entre les bandages sacrés et lui.
− Et pour ce que tu m'as fait hier...
Face à la colère froide de la déesse, Noé recula lentement. Tant pis. Il optait pour les couteaux. Il s'apprêtait à se jeter derrière le comptoir de sa cuisine quand Asalfé lui lança :
− ... Vas-y ! Prends-moi sauvagement !!!
L'exorciste pensait s'être préparé à tous types d'attaques. Pourtant, la requête formulée à l'instant par Asalfé l'avait stupéfait. Il examina la déesse, suspectant une tactique de déstabilisation incongrue. Mais la belle jeune femme ne lui apparaissait plus comme une menace. Au contraire, elle s'offrait tout entière à lui, sans la moindre défense.
− Allez ! l'invita-t-elle à nouveau, frustrée par son absence de réaction. Ne te fais pas prier !
− H... hein ?!
− Prends tes responsabilités !
− ... De quoi tu parles ?
− Hier, quand tu as tenté de m'exorciser, ton sortilège n'était — fort heureusement pour moi — pas adapté aux divinités. Mais tu y es allé fort ! Même si ça ne m'a pas tué, mes pouvoirs divins ont été grandement affaiblis.
Noé ignorait jusqu'à présent que ses incantations pouvaient avoir un tel effet sur les ennemis de classe divine.
« Bon à savoir »
− Et la façon la plus rapide pour moi de récupérer ma puissance, c'est qu'on ait... un rapport sexuel, révéla Asalfé en s'approchant de lui à pas de velours. Je pourrai ainsi puiser dans ton immense énergie spirituelle.
La déesse se retrouvait désormais à quelques centimètres à peine de Noé. Elle lui caressa du bout des doigts le haut de son torse, arborant fièrement sa généreuse poitrine au passage.
− Ne t'inquiète pas, ça se régénérera très rapidement, une journée, deux grand max. C'est comme une prise de sang. À ceci près que...
Asalfé attrapa délicatement la main gauche de Noé pour l'emmener se blottir entre ses confortables seins.
− ... Ce sera bien plus agréable.
− Pas question !!! refusa Noé en repoussant la divinité.
− Bah, pourquoi ? l'interrogea Asalfé avec une sincère incompréhension. Tu les préfères plus gros encore ?
Noé ne s'embarrassa même pas à relever cette question qu'il jugea complètement hors de propos.
− Si tu sais ce que je suis, dis-moi pourquoi j'aiderais un être néfaste tel que toi à recouvrir sa puissance !
− « Néfaste » ?! « NÉFASTE » ?!
Profondément indignée par cette accusation, la déesse des plaisirs féminins déclama un discours passionné :
− Que peut-il bien y avoir de « néfaste » à vouloir aider toutes les femmes sur Terre à être elles-mêmes ?! Que peut-il bien y avoir de « néfaste » à assouvir les fantasmes que vos sociétés dites « civilisées » tentent d'étouffer, d'avilir avec votre morale bien-pensante ?! Que peut-il bien y avoir de « néfaste » à leur offrir la liberté de s'envoyer en l'air avec ce beau pompier, ce mystérieux inconnu dans la rue, cette patronne dominatrice ou la voisine sexy ?! Hein ?! Répondez, Monsieur Velmont : qu'est-ce qui vous gêne avec ça ?!
− Euh... je, bafouilla Noé, surpris d'être aussi vivement pris à partie. Attends, qu'est-ce que tu fais ?!
Sans prévenir, l'imprévisible Asalfé avait profité du fait qu'il baisse sa garde pour envahir une nouvelle fois sa zone d'intimité. Ses yeux plongés dans ceux légèrement apeurés de Noé, elle semblait creuser jusqu'aux tréfonds de son âme.
− Bizarre... tu n'es plus vierge pourtant ! Et je suis presque sûr que tu n'es pas gay ! Alors, pourquoi refuses-tu de coucher avec moi ?!
Noé ne sut que répondre, choqué par tant d'aplomb et ce qui lui apparaissait également comme de la vantardise. Asalfé, elle, n'éprouvait pas le moindre embarras, poursuivant tranquillement son enquête.
− Ho ! Je sais ! C'est la fille d'hier ! Tu es amoureux d'elle, devina la déesse. Parce que, si ce n'est que ça...
En un claquement de doigts, Asalfé disparut derrière un nuage de fumée dont émergea Odessa, revêtue d'une nuisette noire très sexy. Fière de sa transformation qu'elle estimait en tous points identique à l'originale, la divinité offrit un charmant sourire et un clin d'œil malicieux à Noé :
− Ça va mieux ?
− ARRÊTE ÇA !
− Hein ?!
− Reprends tout de suite ton apparence normale !
L'autorité de l'exorciste eut enfin raison de la légèreté jusque-là inébranlable d'Asalfé.
− O... OK, balbutia-t-elle en obéissant.
− Si je refuse, c'est tout simplement, car moi aussi, je sais très exactement ce que tu es, révéla Noé d'un ton incisif. Démons ou dieux, vous vous êtes toujours prétendus ennemis. Pourtant, vous êtes pareils : « Soumettre les humains » ou « les protéger contre eux-mêmes »... Il n'y a que vous pour y voir une grande différence. En vérité, qu'importe votre camp, la seule chose que vous souhaitez, c'est exploiter les autres êtres vivants de cette planète pour accroître votre propre puissance.
Noé s'avança à son tour en face de la déesse, la surplombant de son mètre 89 et rendant sa présence plus écrasante.
− Même toi, avec ton prétendu altruisme, tu ne fais pas exception. J'en veux pour preuve que tu as tenté de me duper tout à l'heure : l'énergie spirituelle ne fonctionne en rien comme le sang. Si je t'en donne, elle ne se régénérera pas. Si j'acceptais de coucher avec toi, je perdrais purement et simplement tous mes pouvoirs.
Lorsqu'Asalfé ferma les yeux, Noé se crut victorieux de cette joute verbale. Pourtant...
− Oups ! J'avoue : tu m'as encore eue ! admit-elle comme si ce n'était rien. Tu es vraiment fort, Noé Velmont.
L'exorciste comprit alors qu'ébranler la confiance d'une créature dont l'apparence juvénile dissimulait sans doute des siècles d'existence ne serait pas chose aisée.
− Bon, j'imagine que si tu ne veux pas profiter de ce corps somptueux, je vais devoir opter pour la deuxième solution, soupira la déesse, déçue. Mais tu ne sais vraiment pas ce que tu rates !
− Et quelle est cette autre solution ?
− Malgré mes capacités diminuées, je dois poursuivre ma mission en aidant le plus de femmes à s'épanouir sexuellement. De cette manière, je regagnerai peu à peu mon énergie spirituelle. Même si ça va me prendre un sacré bout de temps avant de retrouver mes pouvoirs.
Noé y vit alors l'occasion de se débarrasser de la déesse. Prestement, il la poussa vers la porte de sortie.
− Eh bien, bonne chance à toi !
− Attends ! Je reste ici moi ! protesta Asalfé, freinant des quatre fers en poussant des bras et des jambes sur le cadre de la porte. Pas question que je me balade dehors toute seule ! Avec le peu de puissance qu'il me reste, je me ferai bouffer par le premier démon venu !
− Je m'en fiche, je cherche un colocataire plus... sérieux.
− Ça m'étonnerait que tu trouves quelqu'un.
Encore ce sourire mutin qui laissait présager le pire.
− Tout à l'heure, je me suis transformée en l'une de tes voisines et j'ai... intercepté tes entretiens.
Ponctuant son récit d'éclats de rire moqueur, Asalfé révéla au jeune homme comment, sous l'apparence rassurante d'une charmante vieille dame, elle avait convaincu tour à tour les candidats à la colocation que Noé était connu dans tout l'immeuble comme un détraqué aux mœurs douteux.
− ... Et je continuerai de le faire tant que tu ne m'auras pas acceptée en tant que colocataire ! Personne ne voudra vivre avec l'obsédé du cinquième étage.
L'exorciste fut pris d'une envie quasi irrépressible d'étrangler la divinité sans gêne. Une hostilité palpable qui n'empêcha pas cette dernière de continuer à proférer ses menaces.
− Et puis si ça ne te suffit pas, je te suivrai partout : dans ta fac, chez tes amis, ta famille...
− OK ! OK ! J'abdique !
− YESSSS !!!
Noé laissa Asalfé fanfaronner sur sa victoire. Mais tandis qu'elle se dirigeait vers la cuisine pour y piocher nourriture et boisson, l'exorciste réfléchit à la suite :
« Après tout, je n'ai pas trop le choix pour le moment : mon énergie spirituelle possède une teinte blanche. Il m'est impossible de porter le coup fatal à une divinité. C'est déjà une chance que j'ai pu l'affaiblir. »
Asalfé, de son côté, venait tout juste de trouver son bonheur dans un paquet de cookies et une bouteille de jus d'orange frais. Ses provisions sous les bras, elle s'en alla visiter son nouvel appartement.
− Oh ! J'imagine que c'est ma chambre ! s'exclama-t-elle en découvrant une pièce quasiment vide, à l'exception d'un canapé BZ. C'est... spartiate. Mais je vois déjà comment la décorer ! Tu vas voir Noé, ça va être génial ! Ta meilleure coloc' !
Noé l'observa sans rien dire tandis qu'elle faisait sienne l'ancienne chambre de Charlie, son précédent colocataire, et qu'il projetait déjà la fin de cette nouvelle « colloc' »
« Mais je la retiendrai. Le temps nécessaire pour faire venir un exorciste noir ! »
− Au fait, Noé ! l'interpela la divinité en réapparaissant sur le seuil de sa nouvelle chambre.
− Oui, qu'y a-t-il, Asalfé ?
− Oh ! Je t'en prie, tu peux m'appeler Fey. D'ailleurs, pour célébrer notre nouvelle collocation et notre probable amitié — et plus si affinités —, je me suis dit que je pouvais te révéler un petit détail intéressant au sujet de ta copine Odessa.
Le jeune homme sut que la meilleure chose à faire face à cette situation était d'ordonner à la divinité de se taire. Pourtant, aussi vraie qu'il est difficile de ne pas succomber à la redoutable tentation de jeter un œil à un journal intime négligemment abandonné, sa curiosité l'emporta sur sa morale.
− Si j'ai été libérée du médaillon, c'est grâce au désir puissant qu'Odessa éprouve pour toi. Secrètement, elle te voulait. Hier, j'espérais juste vous faire plaisir à tous les deux.
Après lui avoir lancé un clin d'œil complice, Fey laissa son nouveau colocataire dont le visage avait pris une teinte légèrement cramoisie à la suite de cette heureuse révélation.
Le lendemain matin, lundi sonna la reprise des cours. Tandis qu'il prenait place dans l'un des amphithéâtres de son université, Noé ne put réprimer un bâillement. Il avait passé une nuit difficile. Et la faute n'en revenait que partiellement aux révélations de Fey quant aux sentiments qu'Odessa éprouvait encore à son égard. Noé avait réalisé que depuis le début de sa vie d'exorciste, jamais il n'avait côtoyé d'aussi près une divinité. Toutes ses connaissances sur le sujet lui venaient de sa mère et des livres qu'elle lui avait forcés à apprendre par cœur ad nauseam. Et aujourd'hui, l'autoproclamée déesse des plaisirs féminins logeait dans la chambre à côté de la sienne.
Parviendrait-il à gérer cette situation le temps que lui soit envoyé un exorciste capable de la terrasser ?
Et avant cela, n'était-ce pas une occasion unique d'en apprendre plus sur un ennemi dont l'existence lui demeurait jusque-là si abstraite ?
Ne parvenant à répondre à ces questions qui lui avaient déjà trituré l'esprit la veille, Noé sortit ses affaires de sa besace pour les disposer soigneusement sur sa table. Bien droit sur son banc, il se teint aussi prêt qu'il le put à suivre le cours de droit budgétaire qui s'annonçait encore moins captivant qu'à l'accoutumée.
− Excuse-moi. Tu n'aurais pas un stylo à me prêter, s'il te plaît ? Et une feuille aussi.
Noé soupira. Il reconnaissait cette voix douce et mélodieuse.
− Asalfé, murmura-t-il.
Assise dans la rangée juste derrière lui, elle avait bien sûr rangé son accoutrement de déesse pour arborer des vêtements similaires aux autres étudiantes sans toutefois se départir des légères touches de sensualité inhérentes à son statut.
− Comment as-tu réussi à t'inscrire à la fac sans une identité civile ?!
− Détails, détails, se contenta de répondre Fey en moulinant son poignet.
− Et puis, pourquoi faire ? la questionna une nouvelle fois Noé. N'étais-tu pas supposée travailler à regagner tes pouvoirs ?
− Bah ! La fac me paraît être un endroit comme un autre pour trouver quelques filles aux plaisirs inassouvies à décoincer.
Noé scruta nerveusement les alentours, gêné par les propos de la déesse. Bien sûr, Fey, elle, n'était aucunement embarrassée d'avoir prononcé ces mots à voix haute. Par bonheur, les cours ne commençaient que dans dix minutes et l'amphithéâtre s'avérait encore clairsemé.
− Et puis, je n'ai pas abandonné la solution la plus rapide...
Comprenant de quoi la divinité voulait parler, l'exorciste se retourna et, après avoir fouillé dans sa besace pour y sortir un stylo et une feuille qu'il tendit à Fey, grommela :
− Laisse tomber.
− Jamais ! proclama Fey sur un ton de défi. Moi, Asalfé Do Ishtann, déesse des plaisirs féminins, jure de tout faire pour te séduire !
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