Chapitre 3: 10 mai 1943

Il va de soi que j'ai écrit les évènements d'hier soir seulement ce matin.

Je suis heureux de m'être réveillé. Je n'y comptais plus.

Les vagues battaient la plage à côté de mon visage au même rythme que le battement du sang dans mon pied.
J'ai passé un quart d'heure à concentrer mes forces pour me redresser. Aussitôt, j'ai regardé mon pied.

Les bandages autout de mon pied sont rouges et imbibés de sang, mais j'ai l'impression que le saignement s'est arrêté. C'est mieux.
Puis, j'ai tourné le dos à la mer, et pour la première fois, j'ai observé l'île.

La plage se prolongeait une trentaine de mètres, puis s'arrêtait abruptement devant une ligne de cocotiers gigantesques.
Ensuite, il y a des broussailles, et la forêt à perte de vue, constitué d'une myriade d'arbres différents. Vers l'est, il semble y avoir une éclaircie, une clairière peut-être. Il y a, tout au "fond" de l'île, une grande montagne qui doit faire un bon kilomètre et demi d'hauteur, envahie d'arbres.
Je vois beaucoup d'oiseaux voler. Ils ont beaucoup de couleurs différentes.
J'ai cru voir un éclair jaune-orangé. Je ne sais pas s'il y a des tigres ici, mais j'ai regretté l'Enfield.

J'avais très soif, et aucune envie de boire encore plus d'eau de mer nauséabonde.
J'ai décidé de m'approcher des cocotiers, une tâche ardue qui me prendra sans doute la majorité de la journée. Mais les cocotiers sont très nourrissants, et leur lait, quoiqu'assez laxatifs, ont tout de même meilleur gout que l'eau de mer.

Effectivement, le trajet a pris longtemps.
Autour de cinq heures, en fait.
Une fois arrivé, j'étais épuisé, mais j'avais surtout très soif. J'ai attrapé une noix de coco par terre et je l'ai projetée contre le cocotier le plus proche.
Une noix de coco s'est enfoncée dans le sable à dix centimètres de ma tête.
Je suis resté immobile, mais aucune autre noix à tenté de me décapiter.
Au bout de quelques minutes, j'ai relâché mes muscles tétanisés.

J'ai dit :

- Commandant Bull, les bombardiers japonais se résument à cinq cocotiers.

Et, j'ai ri. Un rire rauque, dément, un rire à gorge déployée. Un rire stupide, animal, sauvage, et en même temps, un rire tellement libérateur ! Un rire absurde et illuminé, un rire illogique ! Un rire torturé et déshydraté qui m'a râpé la gorge. Mon rire ne s'est éteint seulement lorsque j'ai senti le sang me couler dans la gorge.

Presque avec tendresse, j'ai regardé cette noix de coco, légèrement de travers, ses trois creux noirs m'observant ironiquement. Ses poils bruns translucides laissaient transparaître la lumière du soleil.
J'ai accordé quelques instants à la pensée de mon squelette blanchi se décomposant sur une plage en plein Pacifique, le crâne fracassé par cette noix de coco libératrice.

J'ai décidé de la conserver à jamais.

Mon pied me fait souffrir. J'ai frappé un cocotier, trois noix de coco encore vertes sont tombées.
C'est à ce moment-là que j'ai réalisé que je n'avais strictement rien pour les ouvrir.
Abattu, j'ai regardé le soleil disparaître majestueusement à l'horizon. Et quand l'astre s'est noyé à nouveau dans l'océan azuré, j'ai réalisé qu'il y a un couteau dans le compartiment sous le siège éjectable.

Et, épuisé et assoiffé, j'ai débuté ma quatrième nuit sur l'île à ramper vers l'engin qui m'y avait exilé.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top